Fil d'Ariane
La planète compte 2 milliards de personnes sans accès garanti à l’eau potable, en raison de la non-durabilité du modèle de développement actuel, est-il souligné devant le Conseil des droits de l’homme
Le Conseil des droits de l’homme a tenu, cet après-midi, un dialogue avec le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, M. Pedro Arrojo Agudo, qui a présenté son rapport intitulé : « Réaliser les droits de l’homme des personnes vivant dans la pauvreté et restaurer la santé des écosystèmes aquatiques : deux défis convergents ».
Présentant ce rapport, M. Arrojo Agudo a fait observer que le monde est confronté à une crise paradoxale, à savoir la crise mondiale de l’eau sur la « planète Eau » - la « planète bleue » - une planète qui compte 2 milliards de personnes sans accès garanti à l’eau potable et dont la plupart ne sont pas des personnes assoiffées sans eau dans leur cadre de vie, mais des personnes appauvries vivant à côté de rivières ou d’aquifères pollués ou surexploités par des activités économiques abusives et non durables.
Les racines de cette crise résident dans la non-durabilité du modèle de développement actuel, basé sur le paradigme de la domination de [l’homme sur] la nature, a expliqué le Rapporteur spécial. Il est nécessaire d’évoluer vers un nouveau modèle de régénération environnementale, basé sur le paradigme de la durabilité, tout en promouvant une gouvernance de l’eau basée sur une approche fondée sur les droits de l’homme, a-t-il plaidé.
La contamination des écosystèmes aquatiques par les métaux lourds et autres toxines générées par l’exploitation minière légale et illégale et d’autres activités productives continue de croître sur tous les continents, s’est inquiété le Rapporteur spécial. Il est essentiel d’entamer des discussions au niveau international pour explorer l’inclusion de ces actions parmi les crimes définis dans le Statut de Rome comme des crimes contre l’humanité, a-t-il plaidé. Le Rapporteur spécial a aussi estimé nécessaire d’approuver et de réglementer dans le cadre juridique international le crime d’écocide.
Le Rapporteur spécial a par ailleurs relevé que les changements climatiques contribuent à compromettre la durabilité des écosystèmes aquatiques.
Le Rapporteur spécial a par ailleurs rendu compte des deux visites qu’il a effectuées en Tunisie et au Pérou.
Suite à cette présentation, le Pérou et la Tunisie ont fait des déclarations en tant que pays concernés, avant que de très nombreuses délégations* ne prennent part au dialogue avec le Rapporteur spécial. À l’instar du Rapporteur spécial, certaines délégations ont souligné que les peuples autochtones avaient efficacement protégé les écosystèmes aquatiques grâce à leurs visions du monde, leurs pratiques et leurs connaissances et ont estimé que les pays devraient s’en inspirer.
En fin de séance, ont exercé leur droit de réponse la République populaire démocratique de Corée, le Japon, l’Azerbaïdjan, la Lituanie, l’Arménie, Israël, la Chine, la République de Corée et l’État de Palestine.
Demain matin, à compter de 10 heures, le Conseil entamera un dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme, avant d’entamer son dialogue avec l'Experte indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme.
Dialogue avec le Rapporteur spécial sur les droits à l’homme à l’eau potable et à l’assainissement
Le Conseil est saisi du rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, intitulé : « Réaliser les droits de l’homme des personnes vivant dans la pauvreté et restaurer la santé des écosystèmes aquatiques : deux défis convergents » (A/HRC/54/32), ainsi que de ses rapports de visite en Tunisie (A/HRC/54/32/Add.1) et au Pérou (A/HRC/54/32/Add.2).
Présentation
Présentant son rapport, M. Pedro Arrojo Agudo, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, a fait observer que le monde est confronté à une crise paradoxale, à savoir la crise mondiale de l’eau sur la « planète Eau » - la « planète bleue » -, une planète qui compte 2 milliards de personnes sans accès garanti à l’eau potable et dont la plupart ne sont pas des personnes assoiffées sans eau dans leur cadre de vie, mais des personnes appauvries vivant à côté de rivières ou d’aquifères pollués ou surexploités par des activités économiques abusives et non durables.
Les racines de cette crise résident dans la non-durabilité du modèle de développement actuel, basé sur le paradigme de la domination de [l’homme sur] la nature, a expliqué le Rapporteur spécial. Il est nécessaire d’évoluer vers un nouveau modèle de régénération environnementale, basé sur le paradigme de la durabilité, tout en promouvant une gouvernance de l’eau basée sur une approche fondée sur les droits de l’homme, a-t-il plaidé.
Les écosystèmes aquatiques constituent le réseau d’approvisionnement naturel des établissements humains depuis des dizaines de milliers d’années et restent vitaux, en particulier pour les communautés rurales et les peuples autochtones qui dépendent directement de l’eau. Aujourd’hui, cependant, la surexploitation, l’accaparement des terres et la contamination compromettent non seulement leur durabilité, mais aussi les droits humains des plus pauvres, a prévenu M. Arrojo Agudo.
Le Rapporteur spécial a souligné que dans son rapport, il exprime sa préoccupation quant à la dégradation des écosystèmes aquatiques tels que le Pantanal – la plus grande zone humide du monde, qui régule le bassin du fleuve Paraguay-Paraná – face aux risques croissants de sécheresse et d’inondations liés aux changements climatiques.
La contamination des écosystèmes aquatiques par les métaux lourds et autres toxines générées par l’exploitation minière légale et illégale et d’autres activités productives continue de croître sur tous les continents, s’est inquiété le Rapporteur spécial. Il est essentiel d’entamer des discussions au niveau international pour explorer l’inclusion de ces actions parmi les crimes définis dans le Statut de Rome comme des crimes contre l’humanité, a-t-il plaidé. Le Rapporteur spécial a aussi estimé nécessaire d’approuver et de réglementer dans le cadre juridique international le crime d’écocide, qui pourrait également être appliqué à ce type de pollution massive, dans la mesure où la santé des écosystèmes aquatiques et la santé publique sont compromises.
La pollution biologique, organique et nutritionnelle tue 1,8 million de personnes chaque année, rien que par diarrhée, a poursuivi M. Arrojo Agudo.
La croissance insoutenable de l’irrigation, avec la surexploitation des aquifères et la contamination toxique par les pesticides, brise la durabilité des écosystèmes, laisse des millions de personnes sans eau potable et ruine les aquifères en tant que réserves stratégiques, a déploré le Rapporteur spécial.
Il a par ailleurs relevé que les changements climatiques contribuent à compromettre la durabilité des écosystèmes aquatiques, à modifier les régimes de précipitations, avec des impacts disproportionnés sur les personnes vivant dans la pauvreté, et en particulier sur les femmes qui portent le fardeau d’aller chercher de l’eau et prennent soin de ceux qui tombent malades après avoir bu de l’eau contaminée.
La reconnaissance du droit de l’homme à un environnement sain et en particulier à des écosystèmes aquatiques en bon état entre ainsi en convergence avec la réalisation des droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, et est en phase avec la sagesse ancestrale des visions du monde autochtones qui favorisent aujourd’hui la reconnaissance de la personnalité juridique des rivières et des écosystèmes aquatiques essentiels à leur survie, a déclaré M. Arrojo Agudo.
S’agissant de sa visite au Pérou, le Rapporteur spécial a indiqué que ses deux principales préoccupations portent sur la vulnérabilité alarmante du Pérou aux changements climatiques et la pollution toxique massive des eaux par les métaux lourds. M. Arrojo Agudo recommande notamment d’activer les plans existants d’adaptation aux changements climatiques, avec des mesures obligatoires. Il a également recommandé au Pérou de faire de la gestion de l’eau un axe stratégique prioritaire, de centraliser les compétences en la matière dans un ministère, d’aller vers un modèle intégré garantissant la durabilité et les droits de l’homme, et de renforcer les capacités municipales et communautaires dans les zones rurales en appliquant une stratégie de partenariat public-communautaire.
S’agissant de sa visite en Tunisie, le Rapporteur spécial a indiqué avoir relevé des défis dans trois domaines : la surexploitation des ressources en eau face aux changements climatiques ; la priorité constatée [accordée à] des demandes [à des fins] productives sur l'eau potable rurale ; et la pollution de l'eau dans les réseaux et le manque d'assainissement.
En raison de l’utilisation intensive des eaux de surface dans la capitale tunisienne et le long de la côte, le Rapporteur spécial s’est inquiété d’une « surexploitation suicidaire ». Il est urgent de renforcer une planification fondée sur la durabilité et la gestion de la demande, de condamner les puits illégaux et d’installer des compteurs obligatoires, a-t-il recommandé. Il a aussi recommandé à la Tunisie de renouveler les réseaux pour l'assainissement des eaux usées, afin d'améliorer la potabilité de l'eau, notamment dans les communautés rurales.
Pays concernés
Le Pérou a indiqué que la Constitution politique du Pérou reconnaît « le droit de toute personne à un accès progressif et universel à l’eau potable et garantit ce droit en donnant la priorité à la consommation humaine par rapport aux autres utilisations ».
Il existe plusieurs points de désaccord sur les allégations formulées dans le rapport du Rapporteur spécial, ainsi que sur la manière dont elles ont été présentées, a ensuite indiqué la délégation péruvienne. À cet égard, le Pérou estime qu’il n’est pas approprié de présenter des arguments de nature générique, imprécis et fondés sur la perception, sans que ceux-ci soient dûment mis en comparaison avec des sources vérifiables et objectives, a-t-elle déclaré. Le Pérou estime ainsi que le rapport ne reflète pas de manière proportionnée les importants efforts déployés dans le pays.
La délégation a dit espérer que la visite du Rapporteur contribuerait à renforcer les efforts en cours, tels que, par exemple, la mise en œuvre de la Politique nationale d’assainissement, de la Politique nationale de l’environnement à l’horizon 2030, de la Politique nationale multisectorielle pour les petites mines et l’exploitation minière artisanale à l’horizon 2030, entre autres.
La Tunisie a indiqué avoir pris note des recommandations du Rapporteur spécial. Le droit à l’eau en Tunisie est un droit fondamental incorporé dans la Constitution, a-t-elle souligné. Le secteur hydraulique jouit de plans nationaux et profite du budget de l’État. Les efforts déployés dans ce domaine ont permis d’améliorer l’approvisionnement en eau auprès de la population, a fait valoir la délégation, précisant que 100% des régions urbaines sont couvertes par l’approvisionnement à l’eau.
Aperçu du dialogue
De très nombreuses délégations ont salué l’approche centrée sur les droits de l’homme adoptée par le Rapporteur spécial s’agissant de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, qui permet à chacun, sans discrimination, d’avoir accès à une eau et à des installations sanitaires suffisantes, sûres, accessibles et abordables. Le droit à l’eau et à l’assainissement est une condition à l’exercice d’autres droits, comme celui à la vie ou à la santé, a-t-il été souligné. « L’eau n’est pas une simple marchandise mais une source de vie et de dignité », a rappelé une délégation.
Le manque d’accès à l’eau potable est l’une des premières causes de mortalité dans le monde, ont déploré de nombreuses délégations. Plusieurs délégations ont mis en garde contre les effets de la pollution, de la surexploitation et de la mauvaise gestion des ressources en eau sur le droit à l’eau et à l’assainissement ainsi que sur le droit à la santé. Des délégations ont tout particulièrement déploré que ce droit des citoyens à l’eau potable et à l’assainissement soit violé à travers l’utilisation des métaux lourds, les toxines produites par l’exploitation minière légale et illégale, et la contamination biologique des eaux par des agents pathogènes. Ces pratiques, attentatoires aux droits humains, sont aussi à l’origine de nombreux cas de maladies et de décès, ont-elles regretté.
Les pressions croissantes exercées sur les ressources en eau douce – du fait des changements climatiques, de la dégradation des écosystèmes, de la pollution et de la multiplication des usages – affectent en particulier les personnes les plus vulnérables, et plus particulièrement les femmes et les filles, ont souligné certains intervenants.
À l’instar du Rapporteur spécial, des intervenants ont préconisé une approche écosystémique de la gestion de l’eau contribuant à la préservation du cycle de l’eau, ainsi qu’une conception de l’eau comme bien commun, fondée sur une logique de durabilité respectant les droits de l’homme – et nomme comme une ressource naturelle à s’approprier.
Plusieurs délégations se sont dites particulièrement inquiètes de l’accès à l’eau dans les petits États insulaires en développement, touchés de manière disproportionnée par les changements climatiques.
Un grand nombre d’intervenants se sont aussi inquiétés du possible échec de la mise en œuvre de l’Objectif de développement durable 6. « Alors que nous sommes à mi-chemin de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et de la Décennie d’action pour l’eau, il est inacceptable que 2 milliards de personnes sur cette planète n’aient pas accès à de l’eau potable et que 3,6 milliards n’aient pas accès à un assainissement adéquat et équitable », a déclaré une délégation. Des appels ont été lancés en faveur d’une meilleure gouvernance mondiale des enjeux de l’eau.
Dans ce contexte, plusieurs délégations se sont félicitées que la Conférence des Nations Unies sur l’eau de mars 2023 à New York ait créé un élan politique important – « sur lequel il convient de s’appuyer », a insisté une délégation. A aussi été saluée l’adoption par consensus d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies qui prévoit la tenue de deux nouvelles conférences sur le sujet en 2026 et 2028.
À l’instar du Rapporteur spécial, certaines délégations ont souligné que les peuples autochtones avaient efficacement protégé les écosystèmes aquatiques grâce à leurs visions du monde, leurs pratiques et leurs connaissances et ont estimé que les pays devraient s’en inspirer.
*Liste des intervenants : Union européenne, Maldives (au nom d’un groupe de pays), Libye (au nom du Groupe des États arabes), Islande (au nom d’un groupe de pays), Oman (au nom du Conseil de coopération du Golfe), Haïti (au nom d’un groupe de pays), Ordre souverain de Malte, Émirats arabes unis, Portugal, Égypte, Slovénie, Costa Rica, Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Libye, Ukraine, Chili, France, Saint-Siège, Jordanie, Koweït, Géorgie, Paraguay, Suisse, Gabon, Colombie, États-Unis, Honduras, Chine, Malawi, Malaisie, État de Palestine, Arménie, Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), Indonésie, Roumanie, Fédération de Russie, Afrique du Sud, Cameroun, Bangladesh, Burkina Faso, Namibie, Pakistan, Arabie saoudite, République-Unie de Tanzanie, Panama, Maroc, Djibouti, Algérie, Cuba, Togo, Venezuela, Éthiopie, Sénégal, Jamaïque, Maurice, Espagne, Mauritanie, Kenya, Mozambique, Mali, Hongrie, Inde, Vanuatu, Bolivie, Viet Nam, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Soudan, Cambodge, Cabo Verde, Iran, Syrie, Organisation de la coopération islamique, Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), Iraq, Türkiye, République populaire démocratique de Corée, Commission nationale des droits de l’homme de l’Inde, Minority Rights Group, Franciscans International, Global Institute for Water, Environment and Health, Associazione Comunita Papa Giovanni XXIII, FIAN International e.V, Centre Europe – tiers monde, iuventum e.V., Institute for Reporters Freedom and Safety, et Amity Foundation.
Réponses et remarques de conclusion du Rapporteur spécial
M. Arrojo Agudo a indiqué qu’il présenterait un rapport à l’Assemblée générale le mois prochain sur les conflits liés à l’eau dans lesquels l’eau est utilisée comme arme de guerre.
Le Rapporteur spécial a par ailleurs souligné que ce qui vient de se passer en Libye pourrait se passer dans d’autres pays car les barrages ne sont pas prévus pour résister aux inondations engendrées par les changements climatiques.
S’agissant des changements climatiques, il a invité les États à renforcer la résilience du système aquatique afin de réduire les risques qui pèsent sur l’eau potable et l’assainissement.
Il faut par ailleurs réagir au niveau mondial pour protéger les populations des petits États insulaires en développement – des pays qui sont menacés par la montée des eaux, a-t-il plaidé.
Le Rapporteur spécial a insisté sur la nécessité de traiter le problème de la pollution toxique des aquifères et des fleuves, qui menace la vie de millions de personnes et notamment des enfants. Il n’est pas acceptable que cela continue, a-t-il déclaré. C’est pourquoi il a exhorté la communauté internationale à engager un débat mondial sur cette question, en l’appréhendant sous l’angle d’un crime contre l’humanité, et à adopter le crime d’écocide dans le cadre du droit international.
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