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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE UN RAPPORT SUR LA SITUATION DES DÉTENUS À GUANTÁNAMO

Compte rendu de séance
Il se penche également sur des rapports relatifs à l'incitation à la haine et termine son débat interactif sur la liberté de religion et la liberté d'expression

Le Conseil des droits de l'homme a examiné, cet après-midi, le rapport sur la situation des personnes détenues à Guantánamo Bay, soumis par la Présidente Rapporteuse du Groupe de travail sur la détention arbitraire, le Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction et le Rapporteur spécial sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible. Le Conseil s'est en outre penché sur des rapports relatifs à l'incitation à la haine raciale et religieuse et à la promotion de la tolérance et a clos son débat interactif sur la liberté de religion et la liberté d'expression.

Présentant le rapport conjoint sur la situation des personnes détenues à Guantánamo, Mme Leïla Zerrougui a notamment indiqué que ce rapport conclut en particulier que la «guerre contre la terreur» à laquelle se livrent les États-Unis n'est pas un conflit armé justifiant des détentions d'une durée indéfinie. Certains moyens d'obtention des preuves contre les personnes internées se sont révélés dégradants et peuvent être assimilés à des tortures, a-t-elle ajouté. Le Gouvernement des États-Unis doit fermer le camp de Guantánamo et faire juger les prisonniers par des tribunaux compétents, concluent les experts. En outre, il doit veiller à ce que les détenus puissent déposer plainte, et s'abstenir d'extrader les prisonniers vers des États où leurs droits seraient violés. Les États-Unis, en tant que pays concerné, ont fait une déclaration suite à la présentation de ce rapport.

Sont également intervenus les représentants des pays suivants: Royaume-Uni, Canada, Indonésie, États-Unis, Norvège, République tchèque, Iran, Tunisie, Ghana, Singapour, Cuba, Finlande, Suisse, Malaisie, Chine, République populaire démocratique de Corée, Équateur, Pérou, Algérie, Venezuela, Pakistan, Inde, et Brésil. Human Rights Watch a également fait une déclaration au nom de plusieurs autres organisations non gouvernementales.

Chacun des cinq détenteurs de mandat ayant participé à la rédaction du rapport sur Guantánamo ont ensuite fait des remarques de conclusion.

Portant son attention sur des rapports relatifs à l'incitation à la haine raciale et religieuse et à la promotion de la tolérance, le Conseil a entendu la Haut-Commissaire adjointe aux droits de l'homme, Mme Mehr Khan Williams, qui a présenté le rapport de la Haut-Commissaire sur la question, suggérant notamment que le Conseil pourrait déployer des efforts pour articuler les limites entre la liberté d'expression et l'incitation à la haine par des propos haineux. Présentant leur rapport conjoint sur la question Mme Asma Jahangir, Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de croyance, et M. Doudou Diène, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, souligne que le droit à la liberté de religion ou de conviction protège avant tout l'individu et, dans une certaine mesure, les droits collectifs des communautés religieuses ou de conviction. Le sujet des droits de l'homme n'est pas la religion elle-même, mais bien les hommes et les femmes qui jouissent de ce droit.

Les représentants des États suivants ont fait des déclarations suite à la présentation de ces rapports sur l'incitation à la haine raciale et religieuse: Pakistan, Saint-Siège, Suisse, Finlande, Inde, Royaume-Uni, et Brésil. L'Indonésie a exercé le droit de réponse s'agissant du rapport sur la détention arbitraire.

Dans le cadre du dialogue interactif sur la liberté d'expression et la liberté de religion, le Conseil a entendu des déclarations des pays suivants: Royaume-Uni, Canada, Indonésie, États-Unis d'Amérique, Norvège, République tchèque, Iran, Tunisie et Ghana. Sont également intervenus les représentants des organisations non gouvernementales ci-après: Commission internationale de juristes (au nom également de Human Rights Watch); Association pour l'éducation d'un point de vue mondial (au nom également de l'Union mondiale pour le judaïsme libéral); Reporters sans frontières; Société pour les peuples en danger; Réseau juridique canadien VIH/sida; International Educational Development; Commission internationale de juristes (au nom également de la Fédération internationale des droits de l'homme et de Human Rights Watch); et Saint-Siège.
Les rapporteurs spéciaux sur la liberté d'expression et d'opinion et sur la liberté de religion et de conviction - respectivement M. Ambeyi Ligabo et Mme Asma Jahangir - ont fait des remarques de conclusion. Singapour et Cuba ont exercé le droit de réponse.

Demain matin, à 10 heures, le Conseil achèvera l'examen des rapports relatifs à l'incitation à la haine raciale et religieuse et à la promotion de la tolérance. Il examinera en outre les rapports du Rapporteur spécial sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, du Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, de la Représentante spéciale du Secrétaire générale pour les défenseurs des droits de l'homme.

Suite du débat interactif sur la liberté de religion et la liberté d'expression

MME CAROLINE REES (Royaume-Uni), remerciant le Rapporteur sur la liberté d'expression et la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion, a demandé à cette dernière comment elle envisage la direction que devrait prendre son mandat et son évolution au vu de l'ampleur et de la multiplication des cas et des situations. Quelles seront les ressources dont elle aura besoin afin de tenir compte de cette évolution. La représentante britannique a par ailleurs demandé quelle date avait été fixée pour la visite de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion et de conviction en Israël et à Cuba.

M. TERRY CORMIER (Canada) a demandé au Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression comment la communauté internationale pouvait s'assurer que les droits de la personne demeurent au premier plan des discussions sur la gouvernance électronique et l'Internet et qu'un accent soit mis sur la réalisation de progrès réels et concrets.

M. GUSTI AGUNG WESAKA PUJA (Indonésie) a souhaité savoir comment les rapporteurs spéciaux concernés entendent prôner la liberté d'expression tout en respectant la liberté de religion et dans quelle mesure certaines limites peuvent être posées à la liberté d'expression aux fins du respect de la liberté de religion et de conviction. Que pense le Rapporteur spécial sur la liberté d'expression et d'opinion de l'idée d'un code de conduite pour les médias, a demandé le représentant indonésien? Pour sa part, a-t-il assuré, l'Indonésie continuera de promouvoir le dialogue mutuel entre les différentes communautés, tant au niveau national qu'international.

MME VELIA DE PIRRO (États-Unis), réaffirmant le soutien de son pays au principe de liberté de religion et notant que son pays considère ce droit comme un droit fondamental, a insisté sur la nécessité d'empêcher, partout dans le monde, que des personnes ne soient persécutées sur la base de leur religion ou conviction. S'adressant au Rapporteur spécial sur la liberté d'expression et d'opinion, elle a relevé avec satisfaction ses recommandations relatives au libre usage et accès à l'Internet et demandé à tous les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux de contribuer à la diffusion de ce moyen d'expression et à réduire la mauvaise utilisation de cette ressource.

MME ASTRID HELLE AJAMAY (Norvège) a notamment demandé au Rapporteur spécial sur la liberté d'expression et d'opinion quelles mesures de protection de la liberté d'expression sur l'Internet pourraient être adoptées, compte tenu que certains pays empêchent les critiques publiques de responsables politiques en invoquant les lois sur la diffamation. Ces dernières devraient être décriminalisées, estime le Rapporteur spécial dans son rapport, mais la question est aussi de savoir comment, a souligné la représentante.

M. LUKAS MACHON (République tchèque) a demandé au Rapporteur spécial sur la liberté d'expression et d'opinion comment, selon lui, le droit à la vie privée peut être garanti tout en garantissant le droit à la liberté d'expression et d'opinion. Il a par ailleurs souhaité que ce Rapporteur fournisse des exemples de pays qui veillent à la promotion de l'accès à l'information par le biais d'Internet. Il s'est en outre enquis des bonnes pratiques en matière de réduction de la fracture numérique. Il a aussi souhaité savoir s'il y avait eu des améliorations des situations dans lesquelles le Rapporteur spécial a récemment été engagé dans le cadre de déclarations communes avec d'autres détenteurs de mandats, s'agissant par exemple du Zimbabwe, de l'Iran et de la Tunisie.

MME FOVOUZADEH VADIATI (Iran) a exprimé appuyé la proposition faite par la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion de favoriser le dialogue interreligieux en organisant un dialogue intergouvernemental auquel pourraient participer également les responsables religieux. Elle a par ailleurs demandé à la Rapporteuse comment elle envisageait les conséquences de certaines législations, telle que la loi néerlandaise qui, sous prétexte de la sécurité, interdit aux femmes voilées l'accès de certains lieux.

M. MOHAMED CHAGRAOUI (Tunisie) a dit que son pays partageait les grandes lignes du rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion et de conviction, regrettant avec elle l'analyse qui est faite depuis quelques temps des relations entre civilisations sous l'angle du «choc». La Tunisie pense que le dialogue entre les civilisations peut contribuer à asseoir les fondements éthiques de la coopération entre les peuples. Les manifestations de violence sectaire actuelles doivent inciter la communauté internationale à favoriser le dialogue entre les civilisations pour contrecarrer l'intolérance religieuse. Quel rôle le Conseil pourrait-il assumer dans la promotion d'un véritable dialogue entre les religions, a demandé le représentant tunisien.

M. PAUL ARYENE (Ghana) a commenté certaines passages de l'additif du rapport du Rapporteur spécial sur la liberté d'expression en indiquant que le Ghana est surpris par ce qui est dit dans ce rapport. S'agissant de la situation des médias au Ghana, le représentant a rappelé que son pays s'efforçait de promouvoir les droits de l'homme et estime que les médias ne doivent pas voir leurs fonctions foulées au pied. Certaines personnes ont proféré des commentaires diffamatoires et ont été convoquées devant les tribunaux; comme elles ne s'y sont pas présentées, elles ont été emprisonnées, a-t-il poursuivi. Les tribunaux ghanéens s'efforcent de défendre la presse conformément à la Constitution, a-t-il déclaré.

MME SUSAN APPLEYARD (Commission internationale des juristes au nom également de Human Rights Watch), s'adressant à la Rapporteuse spéciale pour la liberté de religion, a rapporté des attaques et agressions de personnes pour des motifs religieux à Sri Lanka. Elle a aussi attiré l'attention sur les difficultés que rencontrent les femmes qui, dans plusieurs pays, sont soumises à des restrictions d'accès à la santé ou à l'éducation pour des motifs religieux. La Rapporteuse spéciale considère-t-elle que ce problème relève de son mandat ? Elle a encore évoqué les lois discriminatoires sur la famille qui prévalent dans plusieurs pays du Moyen-Orient et qui ne permettent pas de contracter un mariage civil: la Rapporteuse prévoit-elle de se pencher sur cette question, a-t-elle demandé.

M. DAVID LITTMAN (Association pour l'éducation d'un point de vue mondial au nom également de l'Union mondiale pour le judaïsme libéral) a demandé aux Rapporteurs spéciaux de prier l'Organisation de la Conférence islamique de condamner sans ambiguïté tous ceux qui tuent pour des motifs religieux ou appellent au meurtre ou à la violence à caractère religieux ou au nom de Dieu. Le représentant a demandé aux Rapporteurs spéciaux s'ils ne pensaient pas que l'absence d'une telle condamnation explicite serait interprétée comme une forme d'acceptation.

M. GEORGE GORDON-LENNOX (Reporters sans frontières) a rappelé que le rapport de M. Ambeyi Ligabo souligne que la liberté d'expression et d'opinion est bafouée dans toutes les parties du monde. Moins de la moitié des communications adressées par M. Ligabo aux gouvernements ont reçu des réponses, a-t-il fait observer. À l'instar de ce Rapporteur spécial, Reporters sans frontières tient à faire part de sa préoccupation s'agissant des professionnels des médias dans des situations de guerre.

M. TENZIN KAYTA (Société pour les peuples en danger) s'est réjoui de la mention, par la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion, du fait que les bouddhistes tibétains sont privés de leur chef religieux. Il a ajouté qu'une campagne de rééducation était actuellement menée par les autorités chinoises qui mettaient publiquement en question l'attachement des bouddhistes au Dalaï Lama. Le Rapporteur spécial prévoit-il une visite en Chine pour constater ces faits, a-t-il demandé.

M. JOHN FISHER (Canadian HIV/Aids Legal Network) a signalé les très nombreuses allégations de violations par les États des droits des personnes homosexuelles et lesbiennes, tells que tentatives pour interdire des organisations non gouvernementales et autres interdictions de manifestations. Il s'agit de problèmes qui impliquent une multiplicité de facteurs, certains étant abordés par d'autres procédures des Nations Unies, a dit la représentante. Mais leur point commun est la répression exercée par les États contre les personnes homosexuelles et transsexuelles. Quelles mesures ont été prises, ou seront prises à cet égard, a demandé la représentante?

M. SHIZHONG CHEN (International Educational Development) a souligné que les violations des droits à la liberté d'expression et de religion s'accompagnent souvent d'autres violations des droits de l'homme. Il a dénoncé les actes barbares du régime chinois visant à éradiquer le Falun Gong, soulignant qu'il s'agit là de crimes contre la conscience. Les Tibétains et les Ouïgours sont en Chine d'autres victimes de ces crimes contre la conscience, a-t-il ajouté. Il a dénoncé des prélèvements d'organes sur des membres du Falun Gong en Chine.

MME ASMA JAHANGIR, Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, a précisé, s'agissant de la question des objecteurs de conscience, qu'un rapport du Haut Commissariat avait été préparé sur ce sujet et serait présenté au Conseil cette année. Elle a notamment souligné que, pour que le droit à l'objection soit reconnu, il fallait une législation qui admette que tout un chacun peut refuser un service militaire armé, et cela non seulement pour des motifs religieux. À propos des questions relatives au dialogue interreligieux et intergouvernemental, elle a cité à titre d'exemple de réussite le Nigéria, Sri Lanka et l'Azerbaïdjan.

M. AMBEYI LIGABO, Rapporteur special sur la liberté d'expression et d'opinion, a salué la loi adoptée par la Croatie afin de décriminaliser les informations infondées parues dans la presse. À l'attention de l'Algérie, M. Ligabo a précisé que les communications reçues du Gouvernement algérien après la mise sous presse du rapport du Rapporteur spécial seront consignées dans le prochain rapport. À la Norvège, qui s'est enquise de ce qui pourrait être fait pour assurer la sécurité des journalistes, M. Ligabo a rappelé qu'il avait préconisé de convoquer un groupe d'experts pour débattre des questions relatives à la sécurité des personnes travaillant dans le domaine des médias.

M. Ligabo a en outre rappelé la proposition visant à établir une organisation intergouvernementale pour l'Internet qui permettrait de traiter une grande partie des lacunes identifiées dans ce domaine; mais il faut veiller à ne pas entraver non plus la liberté d'opinion et d'expression. Il incombe au Conseil de se prononcer sur la question de savoir s'il juge opportun de traiter de la question de l'orientation sexuelle, a par ailleurs souligné M. Ligabo.

Exercice du droit de réponse

M. BURHAN GAFOOR (Singapour), répondant à une intervention d'une organisation non gouvernementale selon laquelle son pays aurait subi des pressions d'un pays tiers afin qu'il agisse contre le Falun Gong, a assuré que Singapour agit toujours de son propre chef, sans céder jamais à des interventions extérieures. Chacun peut agir à sa guise à Singapour, a fait valoir le représentant, dans le strict respect naturellement de la loi. Le représentant s'est dit ouvert au dialogue avec la société civile, mais a déploré qu'un membre d'une organisation non gouvernementale ait injurié, devant lui, la politique de son gouvernement. Le représentant a dit espérer que cette réaction n'est pas symptomatique de l'état d'esprit général qui règne au sein du Conseil.

M. RODOLFO REYES RODRÍGUEZ (Cuba) a déclaré que la question qui lui a été posée par le Royaume-Uni a probablement été rédigée aux États-Unis, c'est pourquoi il n'y répondrait pas. Il a rappelé que Cuba est seul habilité à décider de qui est autorisé à entrer sur son sol.


Rapport conjoint sur la situation des détenus à Guantánamo

MME LEILA ZERROUGUI, Présidente Rapporteuse du Groupe de travail sur la détention arbitraire, a présenté le rapport sur la situation des détenus à Guantánamo Bay qu'elle a préparé avec quatre autres experts des Nations Unies, le Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, M. Leandro Despouy; le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Manfred Nowak; la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Mme Asma Jahangir; et le Rapporteur spécial sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, M. Paul Hunt.

Mme Zerrougui a rappelé qu'elle s'intéressait, avec ses collègues, depuis quelques temps déjà, à la situation à Guantánamo. Les auteurs du rapport ont donc demandé au Gouvernement des États-Unis l'autorisation de se rendre sur place pour enquêter de manière impartiale et objective sur la situation des détenus. Le Gouvernement des États-Unis a invité trois des experts à se rendre dans cette installation pendant une journée, avec l'interdiction d'avoir des entretiens privés avec les détenus, ce qu'a déploré Mme Zerrougui compte tenu des assurances qu'avaient données le Gouvernement des États-Unis s'agissant des principes d'indépendance et d'objectivité dans les enquêtes. Les experts n'ayant pu se rendre à Guantánamo dans ces conditions, ils ont donc interrogé d'anciens détenus résidant actuellement à l'étranger, ainsi que leurs avocats. Le rapport reprend aussi des informations disponibles dans le domaine public; les experts ont aussi eu accès à des documents déclassifiés des États-Unis.

Le rapport conclut en particulier que la «guerre contre la terreur» à laquelle se livrent les États-Unis n'est pas un conflit armé justifiant des détentions d'une durée indéfinie, a dit Mme Zerrougui, déplorant en particulier les procédures pénales d'exception qui ont été mises en place dans le cadre de juridictions militaires. Certains moyens d'obtention des preuves contre les personnes internées se sont révélés dégradants et peuvent être assimilés à des tortures, a aussi dit Mme Zerrougui. Dans de nombreux cas, les opérations de transfert, d'alimentation et de soins forcés des prisonniers constituent aussi des formes de torture, a-t-elle ajouté. D'autres indications montrent que certains prisonniers se sont vus privés de leur droit au libre exercice de leur religion. Bon nombre de détenus ont vu leur droit à la santé remis en cause, et on doit aussi déplorer plusieurs suicides parmi ces détenus.

Le Gouvernement des États-Unis doit fermer le camp de Guantánamo, estiment les experts, et faire juger les prisonniers par des tribunaux compétents. Le Gouvernement doit veiller à ce que les détenus puissent déposer plainte, a fait valoir Mme Zerrougui, estimant qu'il doit aussi s'abstenir d'extrader les prisonniers vers des États où leurs droits pourraient être violés. Les auteurs du rapport rappellent qu'en juillet dernier, une décision de la Cour suprême des États-Unis a déclaré hors-la-loi les commissions militaires, une décision jugée encourageante. La Cour a aussi confirmé que l'article 3 de la Convention de Genève établit des normes minimales des droits de l'homme et qu'il s'applique pleinement en l'espèce. Malgré la décision de la Cour suprême, le Gouvernement des États-Unis n'a malheureusement pris aucune mesure pour fermer le centre de détention, a regretté Mme Zerrougui, relevant qu'il vient, au contraire, de lancer la construction d'un nouveau bâtiment pour recevoir davantage de détenus.

Mme Zerrougui s'est aussi dite inquiète d'un nouveau projet de loi préparé par le Gouvernement des États-Unis, loi qui donnerait une base juridique à la violation de ses obligations au regard du droit international. Certes, le manuel de service des forces armées des États-Unis interdit formellement la torture, mais l'adoption de cette loi donnerait une définition tellement vague de la torture que la porte serait ouverte à tous les abus, a souligné Mme Zerrougui. Aux termes de cette loi, toute personne soupçonnée de terrorisme pourrait aussi être déférée à un tribunal d'exception, ce que déplorent les auteurs du rapport.

Mme Zerrougui a demandé au Conseil des droits de l'homme d'accorder toute son attention aux problèmes soulevés dans le rapport et d'exhorter le Gouvernement des États-Unis à mettre un terme aux exactions décrites, d'abolir son programme de détentions secrètes et de respecter, dans la lutte contre le terrorisme, ses obligations au regard du droit international.

Le rapport sur la situation des personnes détenues à Guantánamo Bay (E/CN.4/2006/120), conclue que le droit international relatif aux droits de l'homme est applicable à l'analyse de la situation des détenus à Guantánamo Bay. La guerre contre le terrorisme ne constitue pas un conflit armé aux fins de l'applicabilité du droit international humanitaire, estiment les auteurs du rapport, concluant que les personnes détenues à Guantánamo Bay doivent pouvoir contester la légalité de leur détention devant un organe juridictionnel compétent et obtenir leur remise en liberté s'il est établi que la détention n'a pas de base légale. Les tentatives du Gouvernement des États Unis qui cherche à redéfinir la «torture» dans le cadre de la lutte contre le terrorisme afin de permettre certaines méthodes d'interrogatoire qui ne seraient pas licites avec la définition de la torture internationalement acceptée donnent matière à la plus extrême préoccupation. La violence excessive utilisée dans de nombreux cas pendant le transport, dans les opérations menées par les Forces de réaction immédiate et dans le contexte de l'alimentation forcée de détenus qui faisaient la grève de la faim doit être considérée comme représentant une torture selon la définition de la Convention contre la torture. En outre, le Gouvernement des États Unis devrait veiller à ce que chaque détenu puisse exercer le droit de plainte pour dénoncer le traitement qui lui est fait et que cette plainte soit traitée sans délai et, si l'intéressé le demande, confidentiellement.

Les conditions de détention à Guantánamo dans leur ensemble constituent une violation du droit à la santé parce qu'à l'origine, il y a eu un manquement aux obligations et qu'elles ont causé une profonde dégradation de la santé mentale de nombreux détenus. Les informations faisant état de violations des normes éthiques commises par des professionnels de la santé à Guantánamo sont très préoccupantes, de même que les effets de ces violations sur la qualité des soins de santé, y compris des soins de santé mentale, que les détenus reçoivent. Le traitement et les conditions subis par les détenus ont conduit à des grèves de la faim prolongées. L'alimentation forcée de détenus informés constitue une violation du droit à la santé ainsi que des obligations éthiques de tout professionnel de la santé qui peut y avoir participé. Par ailleurs, les personnes soupçonnées de terrorisme devraient être détenues conformément à la procédure pénale avec les garanties consacrées par les instruments internationaux applicables. En conséquence, le Gouvernement des États Unis doit soit traduire sans délai en justice tous les détenus de Guantánamo, soit les remettre en liberté sans plus attendre.

Le Gouvernement des États Unis devrait fermer sans délai le centre de détention de Guantánamo Bay, estiment les auteurs du rapport. Jusqu'à ce que cela soit fait et que les détenus puissent être transférés dans des centres de détention avant jugement sur le territoire des États-Unis, le Gouvernement doit s'abstenir de toute pratique constituant une torture ou un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant, de toute discrimination fondée sur la religion et de violations du droit à la santé et de la liberté de religion. En particulier, toutes les méthodes d'interrogatoire spéciales autorisées par le Département de la défense devraient immédiatement cesser d'être appliquées.


Déclaration de la délégation concernée

M. WARREN TICHENOR (États-Unis) a souligné que son pays partageait nombre de préoccupations exprimées par les cinq procédures spéciales au sujet de Guantánamo et plus particulièrement de son avenir. Les États-Unis n'ont aucun intérêt à être les geôliers du monde, a-t-il déclaré. En fait, le Président Bush et d'autres hauts responsables ont dit à de nombreuses occasions qu'ils aimeraient voir Guantánamo fermé. Mais nous ne pouvons fermer Guantánamo que si nous pouvons nous protéger, ainsi que nos alliés, contre la menace que constituent les hommes dangereux qui y sont détenus, tout en assurant que les détenus transférés ou libérés sont traités avec humanité, a déclaré le représentant des États-Unis. Il a indiqué que les États-Unis ont demandé aux autres pays de travailler avec eux afin de transférer aussi rapidement que possible les détenus restants qui sont éligibles, de manière à réduire la population de Guantánamo.

Étant donné qu'il faut œuvre de concert pour avancer, les États-Unis sont profondément déçus par l'approche des rapporteurs spéciaux telle que reflétée par le rapport présenté aujourd'hui au Conseil, a déclaré le représentant des États-Unis. Les États-Unis regrettent que les rapporteurs spéciaux aient décliné leur invitation à visiter Guantánamo en suivant des règles comparables à celles appliquées aux membres du Congrès des États-Unis et à des responsables ou parlementaires étrangers ou aux représentants d'autres organisations internationales. Ainsi, les cinq rapporteurs spéciaux ont-ils préparé un rapport qui avance, sans preuve réelle à l'appui, des conclusions qui avaient été décidées a priori. Ce rapport est en outre erroné du point de vue juridique: il ignore le texte et l'histoire de la négociation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui démontrent que, contrairement à ce qu'affirment les rapporteurs, ce Pacte ne s'applique pas hors du territoire d'un État partie. Le rapport refuse en outre de reconnaître que l'installation de Guantánamo est régie par le droit des conflits armés ou par le droit humanitaire international. Le Gouvernement des États-Unis a distribué un document qui réfute ce rapport qui peut également être consulté sur le site internet de la Mission des États-Unis.
Le représentant des États-Unis a invité le Conseil à se reporter au rapport élaboré par Mme Anne-Marie Lizin, Représentante spéciale du Président de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à l'intention de l'Assemblée parlementaire de l'Europe. Le rapport équilibré et équitable de Mme Lizin a conclu que le centre de détention de Guantánamo protégeait pleinement le droit des détenus. Des copies du rapport de Mme Lizin sont également disponibles sur le site internet de la Mission des États-Unis. En outre, la pratique et la politique des États-Unis a considérablement évolué au fil du temps, a-t-il fait valoir. Récemment, a-t-il indiqué, la Cour suprême des États-Unis a statué que l'article 3 de la Convention de Genève s'appliquait au conflit avec Al-Qaida. Conformément à cette décision, un projet de loi a été soumis au Congrès qui prévoit la mise en place de commissions militaires constituées de manière régulière et qui seraient chargées de juger les détenus que nous pensons responsables de graves crimes de guerre, a précisé le représentant des États-Unis. En outre, le Département de la défense a récemment publié un manuel révisé sur les interrogatoires qui est pleinement conforme aux obligations internes et internationales du pays.

Débat interactif concernant le rapport sur les détenus de Guantánamo

M. RODOLFO REYES RODRÍGUEZ (Cuba), a dénoncé les pays, qui ont, par leur vote complice au Conseil des droits de l'homme, souscrit aux violations commises par l'armée américaine à Guantánamo. Il a affirmé que plus de 14 000 personnes ont été victimes de tortures et de disparitions extrajudiciaires, sous couvert de la lutte antiterroriste. Interrogeant les Rapporteurs, il a demandé, notamment, si une enquête était en cours pour éclaircir la question des agissements de la CIA en Europe. Que pensez-vous des tentatives de l'administration Bush de légaliser la torture comme une technique interrogatoire, a-t-il encore demandé. Et qu'en est-il des tribunaux extrajudiciaires qui restreindraient les droits des prisonniers? Rappelant la grève de la faim et le suicide de trois prisonniers, il a réaffirmé que la base de Guantánamo, établie sur territoire cubain, était illégale et a demandé aux Rapporteurs, dans le cas où elle serait fermée, comment ils comptaient faire la lumière sur ce qui s'y était passé.

M. VESA HIMANEN (Finlande, au nom de l'Union européenne) a remercié les cinq auteurs du rapport et leur a demandé comment, si le camp de Guantánamo était fermé, on pourrait garantir que les droits des prisonniers transférés seraient garantis dans les pays où ils seraient extradés ou rapatriés. Le représentant a aussi demandé aux experts des détails sur leur proposition de faire juger les prisonniers devant des tribunaux internationaux. Le représentant finlandais a aussi voulu connaître la position des experts sur le point de vue du Gouvernement des États-Unis, qui estiment que la nourriture forcée des prisonniers est un procédé autorisé dans la mesure où il vise à préserver la vie des prisonniers.

M. BLAISE GODET (Suisse) a indiqué que la Suisse a pris connaissance avec grand intérêt du rapport présenté par les cinq procédures spéciales sur la situation à Guantánamo. La Suisse partage une grande partie des préoccupations exprimées par ce rapport. Elle tient notamment à rappeler l'interdiction absolue de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants. Le traitement des détenus de Guantánamo devrait être conforme à cet impératif. Il en va de même de la pratique du transfert de détenus vers des pays où la torture est pratiquée. Ayant pris note demande de fermeture du centre de Guantánamo, la Suisse aimerait savoir quelle solution envisagent les procédures spéciales pour que les détenus soient détenus ailleurs. Que pensent les rapporteurs des assurances diplomatiques?

M. MOHAMED ZIN AMRAN (Malaisie) a souhaité exprimer la préoccupation particulière des pays, tels le sien, dont des ressortissants sont détenus à Guantánamo. Il a dénoncé la pratique des transferts de prisonniers et a exprimé l'adhésion de son pays aux conclusions des Rapporteurs.

M. LA YIFAN (Chine), évoquant l'invitation faite par le Gouvernement des États-Unis à des Rapporteurs de visiter le centre de détention de Guantánamo, a demandé aux Rapporteurs pourquoi ils n'avaient pas répondu à ce geste de bonne volonté.

M. CHOE MYONG NAM (République populaire démocratique de Corée) s'est félicité du rapport des experts sur Guantánamo et exprimé sa condamnation de la violation systématique des droits de l'homme qui se pratique dans ce centre, en contravention à toutes les dispositions du droit international. Le risque existe d'une prolifération de ce genre de centres de détention, et la République populaire démocratique de Corée est convaincue que l'enquête des experts doit se poursuivre. Le représentant a demandé quels étaient les projets de l'équipe à cet égard dans le proche avenir.

M. SEYED KAZEM SAJJADPOUR (Iran) a souhaité savoir si l'hypothèse sous-jacente des personnes qui ont conçu le centre de détention de Guantánamo et les procédures d'internement l concernant consiste à penser que les droits de l'homme ne sont pas égaux et ne s'appliquent pas à tous. Un changement radical ne s'impose-t-il pas dans la pensée des élites des États-Unis? Il semble y avoir des constructions nouvelles à Guantánamo; cela signifie-t-il que ce centre va continuer d'exister? Y a-t-il aux États-Unis des possibilités de recours pour les personnes qui ont été détenues pendant longtemps et ont finalement été libérées en étant reconnues innocentes?

M. GALO LARENAS SERRANO (Équateur), affirmant que la lutte contre le terrorisme devait impérativement s'inscrire dans le respect du droit international et des droits de l'homme fondamentaux, a demandé aux Rapporteurs quel serait, selon eux, le moyen le plus efficace de mener ce combat.

M. MANUEL RODRIGUEZ CUADROS (Pérou) a estimé que le rapport, sérieux et juridiquement bien informé, établit des faits indiscutables liés à des conditions de détention déplorables, au recours excessif à la force et au déni du droit à un procès équitable, entre autres. Il faut trouver un moyen de rétablir les droits des détenus qui soit compatible avec les exigences du droit international. La lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des droits de l'homme, a rappelé le représentant péruvien. Revenant sur la proposition de faire juger les présumés terroristes devant un tribunal international compétent, il a demandé aux experts de préciser leur idée sur ce point.

M. IDRISS JAZAÏRY (Algérie) a estimé que le rapport présenté cet après-midi sur la situation des personnes détenues à Guantánamo serait utile pour tous, y compris pour les États-Unis. La logique même du terrorisme est d'amener les États à se comporter comme les terroristes eux-mêmes, afin que les États se discréditent auprès des masses, a souligné le représentant algérien.

M. ENZO BITETTO GAVILANES (Venezuela) a approuvé la poursuite des travaux de l'équipe d'experts et a estimé qu'elle devrait, à l'avenir, obtenir davantage de participation du Gouvernement des États-Unis à ces travaux. Il a souligné la nécessité de mener la lutte contre le terrorisme dans le respect des droits de l'homme. Il a relevé qu'alors que les États-Unis mentionnent le souhait de fermer la base de Guantánamo, la Rapporteuse a fait état de la construction d'un nouveau bâtiment; il a souhaité savoir ce qu'il en était.

MME MARIETTE GRANGE (Human Rights Watch, au nom également de plusieurs autres organisations non gouvernementales), a demandé dans quelle mesure la nouvelle loi soumise par le Gouvernement des États-Unis au Congrès constituait une violation des normes du droit international, en particulier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

MME ASMA JAHANGIR, Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, a lancé un appel aux États-Unis pour qu'ils permettent aux experts du Conseil d'avoir accès aux détenus, de manière à ce qu'elle puisse constater par elle-même que les violations du droit à la liberté de religion des détenus ont bien cessé, comme l'affirme le Gouvernement des États-Unis.

M. MANFRED NOWAK, Rapporteur spécial sur la question de la torture, a relevé que la les États-Unis affirment que la fermeture de Guantánamo ne pourrait intervenir que si les exigences légitimes de sécurité sont satisfaites. Il a rappelé que les cinq procédures spéciales avaient refusé l'invitation que leur avaient adressée les États-Unis à se rendre à Guantánamo car les conditions imposées par les autorités étaient inacceptables étant donné que les experts n'étaient pas autorisés à s'entretenir en privé avec les détenus. M. Nowak a indiqué que pour les détenteurs de mandats concernés, cet examen de la situation à Guantánamo n'est qu'un début; ils ont en effet l'intention de se pencher sur les lieux de détention secrets existants ailleurs, des allégations semblables à celles dont a fait l'objet le centre de détention de Guantánamo ayant en effet surgi au sujet de centres de détention se trouvant sur d'autres territoires que celui des États-Unis. Les experts souhaiteraient qu'un mandat spécifique leur permette de poursuivre leur enquête dans d'autres lieux de détention, a indiqué M. Nowak.

MME LEÏLA ZERROUGUI, Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur la détention arbitraire, a rappelé que le droit de contester la légalité de la détention est un droit reconnu à toute personne privée de liberté. Toute personne détenue doit donc disposer d'un droit de recours effectif. Elle a encore rappelé que toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit disposer des droits prévus à l'article 9 et à l'article 14; articles que les États-Unis connaissent puisqu'ils ont ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

M. PAUL HUNT, Rapporteur spécial sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, a relevé qu'il n'avait pas reçu d'invitation officielle à se rendre à Guantánamo. Il a fait observer à la délégation des États-Unis que le document qu'elle a fait circuler visant à réfuter le rapport dénaturent certaines parties du rapport des experts du Conseil, qualifiant de «conclusions» un paragraphe qui fait clairement état d'«allégations» sérieuses et crédibles. Par ailleurs, le Rapporteur spécial chargé du droit à la santé a réitéré que, contrairement à ce qu'affirme la délégation des États-Unis selon laquelle le taux de maladie mentale n'y sont pas plus élevé que dans d'autres centres de détention, l'étude des experts a pu constater le contraire. Il a notamment rappelé le nombre exceptionnellement élevé des suicides enregistrés à Guantánamo. La question de l'alimentation forcée vue comme un moyen de protéger le droit à la vie et à la santé des détenus a été posée, mais le Rapporteur spécial a dit ne pas imaginer que l'on puisse soutenir que les États-Unis se préoccupent, ce faisant, des droits de l'homme des prisonniers de Guantánamo, compte tenu des autres éléments décrits dans le rapport.

M. LEANDRO DESPOUY, Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, a relevé que la «lutte efficace contre le terrorisme» semble être difficilement compatible avec le respect des droits de l'homme. Les États-Unis savent que les commissions militaires violent le droit international, a-t-il déclaré. Que se passerait-il si les États-Unis légalisaient ces tribunaux? Et bien, cela irait tout simplement à l'encontre du droit international, a insisté M. Despouy. L'objectif des Rapporteurs spéciaux est de s'occuper non seulement de Guantánamo mais aussi de tous les centres de détention secrets, a-t-il rappelé. Vous disposez d'une preuve - ce rapport - mais nous avons maintenant besoin d'une preuve que vous souhaitez collaborer avec nous, a déclaré M. Despouy.


Présentation de rapports sur l'incitation à la haine raciale et religieuse et sur la promotion de la tolérance

MME MEHR KHAN WILLIAMS, Haut Commissaire adjointe aux droits de l'homme, présentant le rapport sur l'incitation à la haine raciale et religieuse et la promotion de la tolérance (A/HRC/2/6 – non disponible en français), a attiré l'attention du Conseil sur la difficulté d'établir des schémas systématiques quant à la question de l'incitation à la haine raciale et religieuse et indiqué que son intervention se limiterait de ce fait à des remarques liminaires.

Mme Khan Willliams a souligné que la xénophobie et l'incitation à la haine raciale vont à l'encontre des principes d'égalité et de non-discrimination qui sont à la base du droit international, citant les articles concernés. Elle a mentionné que l'on disposait, au niveau international de même que dans de nombreuses législations nationales, d'instruments permettant de lutter contre l'incitation à la haine et à l'intolérance religieuses. Les instruments nationaux diffèrent toutefois selon les pays, a-t-elle indiqué, en relevant que certaines législations ont, en revanche, supprimé le droit de personnes à participer à la vie politique et nié le droit d'expression, au motif religieux. Elle a affirmé que l'absence d'une approche cohérente du droit international constitue le principal obstacle à son application efficace.

Mme Khan Willliams a indiqué que le rapport présente des recommandations quant au rôle que peut jouer le Conseil, indiquant, notamment, qu'il pourrait déployer des efforts pour articuler les limites entre la liberté d'expression et l'incitation à des propos haineux. Le Conseil pourrait aussi établir des mesures sur la base des mécanismes des droits de l'homme, a-t-elle suggéré, en soulignant que ceux-ci étaient très pertinents à l'égard de la question de l'incitation à la haine raciale et religieuse. Des études devraient par ailleurs être menées. Elle a affirmé la disposition du Bureau du Haut Commissaire pour assister le Conseil dans ces tâches. Elle a conclu en relevant qu'il n'y a pas une réponse pour lutter contre ce problème, mais qu'il convient d'adopter une approche pluraliste et tenant compte du multiculturalisme.

Présentant le rapport qu'elle a préparé avec le Rapporteur spécial sur le racisme et la discrimination raciale, MME ASMA JAHANGIR, Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, a rappelé que le Conseil les avait priés de faire rapport sur l'incitation à la haine raciale et religieuse et sur la promotion de la tolérance (A/HRC/2/3, à paraître en français). L'experte a avant tout fait état des allégations qu'elle avait reçues la diffamation de certains groupes religieux par des agents étatiques. Ces attaques visent souvent des religions peu importantes numériquement et donc plus vulnérables. Les États doivent mettre en place des politiques (notamment dans le domaine de la formation) incitant leurs agents au respect des religions, tant il est vrai que les attaques antireligieuses par des fonctionnaires risquent d'avoir des répercussions graves.

La diffamation des religions par des acteurs non étatiques est une situation plus complexe. Il faut faire la différence entre l'analyse théologique du contenu d'une religion et les formes les plus extrêmes d'incitation à la violence antireligieuse qui peut donner lieu aux pires formes de violence antireligieuse. Entre ces deux extrêmes, on trouve une gamme de formes d'expression sur les thèmes religieux, y compris la satire et les commentaires dépréciatifs. Le droit à la liberté de religion ou de conviction protège avant tout l'individu et, dans une certaine mesure, les droits collectifs des communautés religieuses ou de conviction. Le sujet des droits de l'homme n'est pas la religion elle-même, mais bien les hommes et les femmes qui jouissent de ce droit. Ce dernier n'englobe pas le droit à une religion exempte de toute analyse, critique ou satire. Cependant, si ces attitudes sont autorisées, elles ne sont pas non plus toujours justifiées, a dit Mme Jahangir. Les formulations blessantes ne constituent pas toujours de violations directes des droits de l'homme, mais risquent de stigmatiser des membres des religions visées et d'encourager un climat d'intolérance. La réponse ne réside pas ici dans l'adoption de loi limitant la liberté d'expression, mais plutôt dans la prise de mesures destinées à susciter un climat de tolérance et d'inclusion au sein duquel les religions s'exerceraient à l'abri de la discrimination ou de la stigmatisation.

Le Conseil des droits de l'homme a demandé aux auteurs du rapport de considérer les implications pour la diffamation des religions de l'article 20 du Pacte international (sur les droits civils et politiques), qui impose aux gouvernements de prendre toutes les mesures propices à l'instauration d'un environnement favorable à l'épanouissement des religions. Il n'est pas toujours facile de déterminer si telle ou telle expression relève de l'article 20 du Pacte international, et les États adoptent des positions différentes sur cette question, a observé Mme Jahangir. Compte tenu du peu de jurisprudence disponible sur la portée de l'article 20, la Rapporteuse spéciale encourage le Conseil à formuler un commentaire général sur cette question. Dans ce contexte, Mme Jahangir a rappelé qu'un système juridique indépendant doit être le pilier de la lutte contre la haine religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à la haine et à la violence.

Complétant la présentation de ce rapport, M. DOUDOU DIÈNE, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale et de xénophobie, a souligné que la lutte contre le terrorisme, après le 11 septembre 2001, a profondément transformé les relations internationales. La principale conséquence négative est que les droits de l'homme sont désormais appréhendés sous l'angle de leur contribution à la lutte contre le terrorisme. Les principes de la confrontation et de l'affrontement prévalent sur ceux de la conciliation pour déterminer la perception des droits de l'homme. Ainsi, a-t-on cherché à dresser l'un contre l'autre la liberté d'expression et la liberté de religion, a fait observer M. Diène. Si des actes de diffamation de religion sont certes courants dans plusieurs parties du monde, chacun de ces phénomènes a ses spécificités propres, a-t-il souligné. Il convient donc d'analyser les facteurs internes qui ont pu contribuer à une diffamation des religions. M. Diène a jugé profondément troublant les propos tenus le 12 septembre dernier par le pape Benoît XVI à l'Université de Ratisbonne. En effet, si la réflexion sur la question de la violence et de la religion constitue un défi légitime pour toutes les religions, chaque religion devrait commencer par une introspection sur cette question tant au niveau théologique qu'au niveau historique.

M. MASOOD KHAN (Pakistan, au nom de l'Organisation de la Conférence islamique, OCI) s'est référé au contexte immédiat et à long terme. Il a d'abord évoqué les propos de Benoît XVI qui ont profondément heurté les musulmans et suscité une controverse sur ce qu'avait véritablement dit le Prophète, sous-entendant de ce fait que les musulmans n'avaient pas bien compris ce que le pape voulait dire. Après avoir fait un certain nombre de mises au point, et évoquant au passage le fait que les personnes ayant commis les actes du 11 septembre ne pouvaient se réclamer de l'Islam, religion fondamentalement non-violente, il a cité un nombre de préoccupations. Parmi celles-ci, il a évoqué la constante augmentation de l'islamophobie, l'affaire des caricatures comme signe d'une crise globale plus grave, l'amalgame entre Islam et terrorisme, la diabolisation des musulmans - au même titre que l'ont été autrefois les juifs. Il a encore dit que les causes à l'origine de ces phénomènes ne relevaient pas d'une lutte pour les valeurs occidentales, mais étaient à trouver dans les schémas migratoires actuels qui menacent l'équilibre démographique en Europe.

M. Khan a indiqué que les pays de l'OCI n'attendent pas des palliatifs, mais des mesures concrètes pour lutter contre à l'islamophobie. Il a rappelé que c'était le rôle du Conseil que de promouvoir l'harmonie et lutter contre la haine raciale, reconnaissant toutefois, comme le souligne le rapport, le manque de juridiction appropriée.

M. SILVANO M. TOMASI (Saint-Siège) a déclaré qu'en matière d'interprétation des textes, le mieux était de s'en rapporter à leurs auteurs: le pape s'étant expliqué sur son intervention controversée, il faut donc le lire. Le représentant a par ailleurs observé que les structures juridiques ne permettent pas de protéger partout et tout le temps les minorités religieuses. L'essor des techniques de communication a suscité un rapprochement, voire une confusion des idées sur les religions. Les migrations contribuent aussi à ce mélange des croyances. Il faut donc instaurer un esprit d'ouverture visant à l'exercice de la religion dans la tolérance et la compréhension. Les médias doivent de leur côté contribuer à la compréhension du rôle des religions dans la vie des communautés et des différences qui les séparent. L'accent doit toujours porter sur les êtres humains, et non sur les idéologies, de manière à ne pas risquer de susciter des tensions et des violences, a dit le représentant. Ce dernier a enfin cité le pape pour faire valoir que les enseignements du passé doivent nous guider sur le chemin de la réconciliation et de la cohabitation harmonieuse entre les différentes identités.

M. BLAISE GODET (Suisse) a rappelé que la liberté d'avoir ou de ne pas avoir de religion ou de conviction de son choix ainsi que la liberté d'en changer et la liberté de manifester sa religion ou sa conviction sont consacrées par l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette liberté ne doit toutefois pas être utilisée pour dénigrer d'autres religions ou mettre en danger l'harmonie religieuse des sociétés; en d'autres termes, elle est associée à la tolérance, a-t-il souligné. Il a relevé que l'expression publique d'avis personnels sur des religions peut rapidement provoquer des réactions violentes et souvent disproportionnées au niveau mondial. L'expression non violente d'une opinion, pour autant qu'elle ne relève pas de l'incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse, reste dans les limites permises de la liberté d'expression consacrée par l'article 19 du Pacte, a souligné le représentant suisse. Il s'est enquis d'éventuelles recommandations pratiques visant à éviter des polarisations entre religions.

M. VESA HIMANEN (Finlande, au nom de l'Union européenne) a rappelé l'attachement de l'Union européenne à la tolérance religieuse et indiqué que les États membres de l'Union ont l'obligations d'intégrer les dispositions européennes relatives à la protection de la liberté de religions dans leurs lois internes. Il a estimé qu'un dialogue avec toutes les procédures spéciales est pertinent et nécessaire, et a réaffirmé que la question de la tolérance religieuse mérite d'être examinée de manière exhaustive sur la base du respect des droits fondamentaux de la personne.

M. SWASHPAWAN SINGH (Inde) a estimé que la diffamation des religions n'est pas limitée à une seule religion, et que toutes y sont confrontées. La diffamation résulte soit de l'intolérance religieuse, soit des abus de la liberté d'expression conduisant à une attitude antireligieuse. Or, le multiculturalisme qui prévaut actuellement interdit de fait la légitimité de toute forme d'exclusion et d'irrespect envers les religions. En Inde, l'État n'a pas imposé de religion officielle. Toute personne peut y professer la religion de son choix. La liberté de croyance de chacun est garantie, y compris celle de ceux qui ne se réclament d'aucune religion, a fait valoir le représentant.

M. NICHOLAS THORNE (Royaume-Uni) a souligné qu'il ressort des rapports présentés par les rapporteurs spéciaux sur la liberté de religion et les formes contemporaines de racisme, ainsi que par la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, que l'on assiste aujourd'hui à un manque croissant de tolérance. Le Royaume-Uni se félicite de la largesse de la perspective qui a été adoptée s'agissant de ces questions. Le représentant britannique a rappelé la Loi sur la haine raciale et religieuse adoptée au mois de mai dernier au Royaume-Uni. Toute mesure visant à éliminer la haine religieuse doit aller de pair avec des mesures visant à promouvoir la liberté religieuse et la liberté d'expression, a-t-il souligné. Il faut s'efforcer de bien saisir l'interaction qui doit exister entre liberté d'expression et liberté de religion.

M CLODOALDO HUGUENEY (Brésil) a relevé le dilemme fondamental qui sous-tend le rapport sur l'incitation à la haine raciale et religieuse et sur la promotion de la tolérance, soulignant la nécessité d'un équilibre en le respect de la liberté d'expression et la nécessité de protéger la religion contre la diffamation et les propos offensants. Il a noté qu'à juste titre, le rapport ne proposait pas de solutions définitives et absolues, mais stimulait une réflexion différenciée, en se référant aux instruments juridiques existants pour traiter de cette question. Le représentant brésilien a conclu en suggérant deux axes de réflexion, soit la compréhension des différences culturelles et la tolérance religieuse.

Exercice du droit de réponse

GUSTI AGUNG WESAKA PUJA (Indonésie), répondant à certains éléments contenu dans le rapport sur les détentions arbitraires, a tenu à préciser qu'une personne avait bien été arrêtée pour avoir enfreint les lois sur l'immigration car elle avait utilisé un faux passeport. Cette personne a donc été expulsée du territoire, comme l'autorisent les textes internationaux. L'Indonésie est fermement engagée au respect des droits de toutes les personnes vivant sur son territoire.

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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