Fil d'Ariane
Examen du Cameroun au Comité contre la torture : le respect des garanties fondamentales, les conditions de détention, ainsi que la compétence – jugée « extrêmement large » - des tribunaux militaires sont au cœur du dialogue
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par le Cameroun au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Au cours du dialogue noué entre les experts du Comité et la délégation camerounaise venue soutenir ce rapport, une experte a indiqué que le Comité était conscient du fait que le pays est confronté à des menaces pour la paix, la sécurité et l'instabilité ; à des attaques de groupes armés non étatiques, en particulier Boko Haram, et de milices de mouvements sécessionnistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ; ainsi qu'à des affrontements intercommunautaires et à des discours de haine.
S’agissant des garanties juridiques fondamentales, l’experte a indiqué que le Comité appréciait les efforts du Cameroun concernant, notamment, l'assistance juridique gratuite fournie à un certain nombre de bénéficiaires. Cependant, a-t-elle ajouté, depuis 2017, des centaines d'arrestations sans mandat auraient eu lieu, notamment dans le cadre de manifestations post-électorales ou dans celui de la lutte contre des groupes armés et des groupes séparatistes. Dans ces situations, il y a une tendance au recours abusif à des arrestations sans mandat afin d'éviter tout contrôle judiciaire, a-t-elle insisté.
Par ailleurs, a ajouté l’experte, des militants politiques, journalistes, défenseurs des droits de l'homme et personnes soupçonnées de terrorisme auraient été privés de liberté sans avoir pu communiquer avec leur famille ou leur avocat. Les organisations de défense des droits de l'homme signalent de nombreux cas où des suspects, en particulier dans les régions anglophones, ont été privés d'assistance juridique pendant des périodes prolongées – ce qui augmente le risque de torture ou d'aveux forcés, a-t-elle souligné.
Concernant les conditions de détention, l’experte a regretté l'absence au Cameroun de prisons réservées aux femmes. De plus, en raison du manque d'accès aux services de base, la plupart des personnes détenues vivent dans des conditions qui s'apparentent à des mauvais traitements et parfois à de la torture, a-t-elle ajouté. Elle a par ailleurs constaté que le rapport ne contient aucune information concernant l'accès à un médecin en garde à vue – accès qui est « l'une des garanties les plus importantes contre la torture et les mauvais traitements », a-t-elle rappelé. Une grande partie des décès en détention seraient causés soit par des incidents violents entre détenus, soit par des actions illégales et un usage excessif de la force ou de la torture de la part des forces de l'ordre, a en outre relevé cette même experte.
Un autre expert a mis en garde contre la compétence « extrêmement large » accordée aux juridictions militaires. Il a insisté sur le fait que les civils ne devraient pas être jugés par des tribunaux militaires. Il a indiqué que le Comité avait reçu des informations indiquant qu’en 2018, plus de 330 personnes avaient été condamnées à mort au Cameroun, dont un tiers pour des infractions liées au terrorisme et que la quasi-totalité de ces condamnations avaient été prononcées par des tribunaux militaires, parfois sur la base d'aveux obtenus sous la torture.
Cet expert a par ailleurs fait part de la préoccupation du Comité devant les informations faisant état de la découverte de fosses communes au Cameroun, en particulier à Yaoundé en 2023. Il a d’autre part prié la délégation de communiquer des informations concernant des pillages et des incendies de villages, ainsi que des meurtres de civils anglophones qui auraient été perpétrés par l'armée en janvier 2020 et décembre 2017.
L’expert a d’autre part jugé positif le nouveau système de « police de proximité » mis en place par l'État partie, qui consiste en des numéros verts permettant de dénoncer les violations des droits de l'homme, mais s’est interrogé sur l'efficacité de ce système pour dénoncer les allégations de torture à l'encontre des agents de l'État.
Présentant le rapportde son pays, M. Salomon Eheth, Représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève,a indiqué que son Gouvernement avait mis en œuvre une série d’initiatives visant à conformer les pratiques aux engagements internationaux de l’État. Au-delà de l’internalisation de la Convention, des réformes ont été entreprises aux niveaux réglementaire et institutionnel en vue de prévenir les actes de torture et d’en sanctionner les auteurs, a-t-il souligné. La mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture, aux côtés des autres mécanismes déjà existants tels que les contrôles administratifs et judiciaires, est la preuve de cet engagement déterminant, a-t-il déclaré.
Par ailleurs, le dépôt des instruments de ratification du Protocole facultatif à la Convention est en cours de parachèvement, a fait savoir le Représentant permanent.
Les droits des citoyens ont été renforcés dans le cadre des opérations de restauration de la paix dans les zones en proie à des crises sécuritaires et les atteintes aux droits de l’homme y perpétrées, notamment par l’usage de la torture, sont constamment réprimées, a poursuivi le chef de la délégation camerounaise. Ces garanties ont été étendues à l’encadrement et à l’exécution des mesures de privation de liberté, a-t-il ajouté.
Malgré ces efforts, a reconnu M. Eheth, des écueils demeurent. Les conflits régionaux et les crises sociopolitiques internes créent un environnement difficile dans lequel les dérives ne sont pas exclues, a-t-il indiqué. Dans ce cas, des enquêtes sont ouvertes et des mesures disciplinaires conservatoires sont prononcées dans l’attente de l’issue des procédures judiciaires. Celles-ci aboutissent à la sanction des auteurs et à l’indemnisation éventuelles des victimes, a assuré le Représentant permanent.
La délégation camerounaise était également composée, entre autres, de représentants des Ministères des relations extérieures et de la justice.
Au cours du dialogue, la délégation a notamment souligné que toutes les personnes jugées par des tribunaux militaires jouissent des mêmes garanties de procès équitable que devant les tribunaux civils.
Il n’existe pas de « torture d’État » au Cameroun, a d’autre part assuré la délégation, soulignant que la loi sanctionne les cas de torture, lesquels, lorsqu’ils s’en produit, ne relèvent jamais d’une décision de l’État et sont sanctionnés.
Le conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’est pas un conflit entre francophones et anglophones : il met en cause une poignée de personnes qui entendent faire sécession par la violence, a d’autre part déclaré la délégation.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Cameroun et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 22 novembre prochain.
Lundi prochain, 18 novembre, à 10 heures, le Conseil se penchera sur le suivi de ses observations finales et des plaintes, ainsi que sur la question des représailles à l'encontre de personnes cherchant à collaborer, collaborant ou ayant collaboré avec lui.
Examen du rapport du Cameroun
Le Comité est saisi du sixième rapport périodique du Cameroun (CAT/C/CMR/6), établi sur la base d’une liste de points à traiter qui avait été soumise par le Comité.
Présentation
Présentant le rapport de son pays, M. SALOMON EHETH, Représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève, a mis en avant l’engagement du pays dans la protection et la promotion des droits de l’homme, et sa reconnaissance du fait que la torture est une violation inacceptable de la dignité humaine, soulignant que le Cameroun reste déterminé à prendre toutes les mesures nécessaires pour son éradication. La ratification par l’État de plusieurs conventions internationales relatives à la protection des droits de l’homme, à l’instar de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en est la parfaite illustration, a-t-il affirmé.
M. Eheth a précisé que son Gouvernement avait mis en œuvre une série d’initiatives visant à conformer les pratiques aux engagements internationaux de l’État. Au-delà de l’internalisation de la Convention, des réformes ont été entreprises aux niveaux règlementaire et institutionnel en vue de prévenir les actes de torture et d’en sanctionner les auteurs, a-t-il souligné. À cet égard, la mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture, aux côtés des autres mécanismes déjà existants tels que les contrôles administratifs et judiciaires, est la preuve de cet engagement déterminant, a-t-il déclaré. Par ailleurs, le dépôt des instruments de ratification du Protocole facultatif à la Convention, est en cours de parachèvement, a fait savoir le Représentant permanent.
Les droits des citoyens ont été renforcés dans le cadre des opérations de restauration de la paix dans les zones en proie à des crises sécuritaires et les atteintes aux droits de l’homme y perpétrées, notamment par l’usage de la torture, sont constamment réprimées, a poursuivi le chef de la délégation camerounaise. Ces garanties ont été étendues à l’encadrement et à l’exécution des mesures de privation de liberté, a-t-il ajouté. Par ailleurs, la sensibilisation à la protection des droits de l’homme a fait l’objet d’une intégration dans les curricula initiaux et continus des personnels en charge de l’application de la loi, a-t-il fait valoir.
Malgré ces efforts, a reconnu M. Eheth, des écueils demeurent. Les conflits régionaux et les crises sociopolitiques internes créent un environnement difficile dans lequel les dérives ne sont pas exclues, a-t-il indiqué, avant d’ajouter que lorsque celles-ci surviennent, les cas d’abus signalés font l’objet d’un suivi particulier. Dans ce cas, des enquêtes sont ouvertes et des mesures disciplinaires conservatoires sont prononcées dans l’attente de l’issue des procédures judiciaires. Celles-ci aboutissent à la sanction des auteurs et à l’indemnisation éventuelles des victimes, a assuré le Représentant permanent.
M. Eheth a réaffirmé l’engagement du Cameroun à éradiquer la torture sur son territoire par l’intensification des efforts dans la formation des personnels chargés de l’application des lois, ainsi que par l’amélioration des conditions de détention, le renforcement de la liberté d’expression et le rendu de décisions de justice reflétant la proportionnalité entre la gravité des actes de torture et les peines prononcées. Il s’agira aussi de renforcer la coopération du pays avec les partenaires internationaux, la société civile et les différents mécanismes de protection des droits de l’homme, a ajouté le Représentant permanent.
Questions et observations des membres du Comité
MME ANA RACU, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport du Cameroun, a d’abord indiqué que le Comité était conscient du fait que, depuis plusieurs années, le Cameroun est confronté à des menaces pour la paix, la sécurité et l'instabilité ; à des attaques de groupes armés non étatiques, en particulier Boko Haram, et de milices de mouvements sécessionnistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ; ainsi qu'à des affrontements intercommunautaires et à des discours de haine.
S’agissant des garanties juridiques fondamentales, l’experte a indiqué que le Comité appréciait les efforts du Cameroun concernant, notamment, l'assistance juridique gratuite fournie à un certain nombre de bénéficiaires. L’experte a toutefois souhaité obtenir des éclaircissements concernant la garde à vue.
Depuis 2017, a poursuivi Mme Racu, des centaines d'arrestations sans mandat auraient eu lieu, notamment dans le cadre de manifestations post-électorales ou dans celui de la lutte contre des groupes armés tels que Boko Haram et des groupes séparatistes dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Dans ces situations, il y a une tendance au recours abusif à des arrestations sans mandat afin d'éviter tout contrôle judiciaire ; et les personnes arrêtées dans ces circonstances ne sont pas toujours présentées à un juge dans les 48 heures, a fait remarquer Mme Racu.
Par ailleurs, a ajouté l’experte, des militants politiques, journalistes, défenseurs des droits de l'homme et personnes soupçonnées de terrorisme auraient été privés de liberté sans avoir pu communiquer avec leur famille, leurs amis ou leur avocat. Les organisations de défense des droits de l'homme signalent de nombreux cas où des suspects, en particulier dans les régions anglophones, ont été privés d'assistance juridique pendant des périodes prolongées, ce qui augmente le risque de torture ou d'aveux forcés, a fait observer Mme Racu.
L’experte a constaté que le rapport soumis par le Cameroun ne contient aucune information concernant l'accès à un médecin en garde à vue – accès qui est « l'une des garanties les plus importantes contre la torture et les mauvais traitements », a-t-elle rappelé. Elle a en outre voulu savoir si les unités de détention de la police et les centres de détention de la gendarmerie nationale tenaient des registres des blessures et des dossiers médicaux [des personnes détenues].
Mme Racu a d’autre part relevé qu'une grande partie des décès en détention seraient causés soit par des incidents violents entre détenus, soit par des actions illégales et un usage excessif de la force ou de la torture de la part des forces de l'ordre. Les autorités de l'État, a souligné l’experte, doivent mener une enquête indépendante, impartiale, rapide et efficace sur les circonstances et les causes de tout décès en prison, afin d'offrir réparation et assistance aux familles et de demander des comptes aux auteurs d'exécutions illégales.
Concernant les conditions de détention, Mme Racu a regretté l'absence au Cameroun de prisons réservées aux femmes. De plus, en raison du manque d'accès aux services de base, la plupart des personnes détenues vivent dans des conditions qui s'apparentent à des mauvais traitements et parfois à de la torture, a-t-elle relevé. Elle a ainsi pointé des lacunes dans l'accès à la nourriture, à l'eau, à l'assainissement, au chauffage, à la ventilation, à l'éclairage et aux soins médicaux, de même qu’un « problème omniprésent » de surpopulation carcérale au Cameroun.
S’agissant du contrôle des lieux de détention, Mme Racu a demandé si la Commission des droits de l'homme du Cameroun – qui, a-t-elle relevé, assume la fonction de mécanisme national de prévention, le Cameroun n'ayant pas encore ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention – avait bien accès à tous les lieux de détention, y compris les centres de détention des services secrets et les établissements psychiatriques. L’experte a aussi demandé des explications sur le fonctionnement de la sous-commission camerounaise pour la prévention de la torture.
L’experte a d’autre part constaté que, selon les organisations non gouvernementales (ONG) et les avocats, le Gouvernement n'autorise pas les groupes indépendants de défense des droits de l'homme à accéder aux prisons pour en évaluer les conditions. L’experte a souhaité connaître la position officielle des autorités camerounaises concernant la ratification du Protocole facultatif [à la Convention contre la torture] et la stratégie de transparence des lieux de détention.
D’autre part, Mme Racu a relevé que le conflit armé entre les régions anglophones et francophones avait exacerbé les incidents de violence à l'encontre des femmes, en particulier dans les zones rurales. Elle a salué à cet égard l'adoption d'importants documents stratégiques nationaux sur la prévention de la violence à l'égard des femmes ainsi que la coopération avec les agences de l'ONU et d'autres entités afin de fournir un soutien aux victimes. Cependant, a-t-elle regretté, la réalité montre que, dans certaines régions, des pratiques néfastes – condamnables en vertu des instruments internationaux et inacceptables du point de vue des droits de l'homme – persistent, y compris des stéréotypes et des pratiques néfastes telles que les mariages d'enfants et les mutilations génitales féminines. L’experte a voulu savoir quelles mesures le Cameroun avait prises pour prévenir et combattre les mutilations génitales féminines, de même que pour faire de la violence domestique et du viol conjugal des infractions pénales.
Mme Racu a ensuite fait part de la préoccupation du Comité devant l'incertitude qui entoure les procédures de détermination du statut de réfugié ou de demandeur d'asile au Cameroun, et devant les informations selon lesquelles des réfugiés et demandeurs d'asile du Nigéria auraient [au Cameroun] été maltraités par les forces armées. D’autres préoccupations de l’experte ont porté sur la vulnérabilité à l'exploitation sexuelle des femmes et des filles faisant partie des quelque 1 066 254 personnes déplacées à l’intérieur du Cameroun en 2023.
Mme Racu a d’autre part constaté que les mineurs en conflit avec la loi étaient jugés par le système de justice pour adultes. Le Comité est très préoccupé par le recrutement de mineurs par des groupes armés et [des groupes] de vigiles, par Boko Haram et par des groupes séparatistes, a en outre souligné l’experte.
M. JORGE CONTESSE, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Cameroun, a pour sa part rappelé que, dans ses précédentes observations concernant le pays, le Comité se disait préoccupé de constater que le Code pénal de 2016 ne prévoit pas de peine appropriée pour le crime de torture, que la plupart des peines prononcées pour des actes de torture sont très légères et que le crime de torture est soumis à la prescription.
M. Contesse a par ailleurs mis en garde contre la compétence « extrêmement large » accordée aux juridictions militaires, qui connaissent non seulement des infractions de nature militaire, mais aussi des infractions commises avec des armes à feu, celles liées au terrorisme ou celles portant atteinte à la sûreté de l’État. Le Comité, a précisé M. Contesse, a reçu des informations selon lesquelles en 2018 plus de 330 personnes ont été condamnées à mort au Cameroun, dont un tiers pour des infractions liées au terrorisme ; selon les mêmes informations, la quasi-totalité de ces condamnations ont été prononcées par des tribunaux militaires, parfois sur la base d'aveux obtenus sous la torture, a ajouté l’expert.
Plusieurs questions de M. Contesse ont porté sur l'enseignement et l'information concernant l'interdiction de la torture (article 10 de la Convention). Il a voulu savoir, en particulier, si le module de formation « Interdiction, prévention et répression de la torture » était obligatoire pour les forces de défense et s’il concernait aussi les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, de l'immigration et des contrôles aux frontières ; et si les programmes de formation des fonctionnaires intégraient des enseignements sur le principe de non-refoulement.
L’expert s’est en outre interrogé sur la formation des juges et procureurs au Protocole d’Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants), ainsi que sur les indicateurs à observer lors de l'évaluation de la recevabilité des aveux.
Concernant les enquêtes impartiales visées à l’article 12 de la Convention, l’expert a demandé ce qu’il en était des enquêtes menées au sujet, notamment, du meurtre du journaliste de radio Martinez Zogo ; de la disparition du militant Ramon Cotta ; d’une vidéo montrant un fonctionnaire en train de torturer un artiste ; et de treize agents de police soupçonnés de détention arbitraire et de décès en garde à vue de suspects membres de Boko Haram.
Par ailleurs, M. Contesse a relevé qu'en vertu du Code de procédure pénale camerounais, seuls les aveux obtenus sous la torture sont interdits, alors que l'article 15 de la Convention exige que toutes les déclarations obtenues sous la torture soient interdites.
M. Contesse a jugé positif le nouveau système de « police de proximité » mis en place par l'État partie, qui consiste en des numéros verts permettant de dénoncer les violations des droits de l'homme, mais s’est interrogé sur l'efficacité de ce système pour dénoncer les allégations de torture à l'encontre des agents de l'État.
M. Contesse a en outre fait part de la préoccupation du Comité devant les informations faisant état de la découverte de fosses communes au Cameroun, en particulier à Yaoundé en 2023. Il a prié la délégation de communiquer des informations concernant, entre autres, des pillages et des incendies de villages, ainsi que des meurtres de civils anglophones qui auraient été perpétrés par l'armée en janvier 2020 et en décembre 2017 ; et concernant les meurtres de dix hommes dans le village de Bole Bakundu le 6 février 2019 par des soldats du Bataillon d'intervention rapide.
M. Contesse a par la suite insisté sur le fait que les civils ne devraient pas être jugés par des tribunaux militaires ; il a cité de nombreuses prises de position d’instances internationales et régionales confirmant cette conviction du Comité.
L’expert s’est par ailleurs enquis des raisons du retard pris par le Cameroun pour ratifier le Protocole facultatif. La ratification aiderait le pays à créer un mécanisme national de prévention, a-t-il souligné.
Un autre expert membre du Comité a salué la création par le Cameroun d’une commission d’indemnisation des personnes victimes de détention illégale. Il a demandé si cette instance était dotée de moyens suffisants pour satisfaire toutes les victimes.
D’autres questions des experts du Comité ont porté sur la responsabilité qu’assume ou non le supérieur hiérarchique s’agissant d’actes de torture commis par ses subordonnés ; sur des traitements contraires à la Convention infligés à des journalistes au Cameroun ; ou encore sur des attaques contre les membres d’un collectif de personnes LGBTI et transgenres.
Un expert a insisté sur la responsabilité que doit assumer l’État face à certaines tendances ou répétitions qui préoccupent le Comité.
Réponses de la délégation
La délégation a d’abord insisté sur la modernisation en cours du système judiciaire camerounais, qui vise à l’arrimer sur les pratiques de la communauté internationale et sur le caractère central de la prévention de la torture pour le Cameroun. Le pays consent énormément d’efforts pour garantir à toutes les personnes la jouissance des droits et garanties fondamentaux , a souligné la délégation.
La délégation a par ailleurs décrit le fonctionnement du système d’aide juridictionnelle, précisant qu’en 2023, sur 222 demandes, 147 avaient été accordées, soit une proportion en augmentation par rapport aux années précédentes.
S’agissant de la « question centrale » de la garde à vue, la délégation a précisé que cette mesure était encadrée et ne pouvait être décidée que lorsqu’elle est prévue par la loi, le Code de procédure pénale faisant d’elle une mesure exceptionnelle. Durant l’enquête préliminaire, l’officier de police judiciaire peut ordonner une garde à vue de 48 heures renouvelables une fois. La personne ainsi gardée a le droit d’être informée des raisons de son arrestation, de ne pas être soumise à la torture ni à une quelconque contrainte physique et morale, et d’être examinée par un médecin. Le droit d’accéder à un avocat est également garanti, a ajouté la délégation.
Des formations initiales et continues sur ces questions sont dispensées aux fonctionnaires concernés, a poursuivi la délégation. En cas de violation des dispositions du Code de procédure pénale, les actes d’enquête sont annulés. Le recours en habeas corpus est ouvert aux personnes gardées à vue, a par ailleurs fait valoir la délégation.
Les registres de garde à vue tenus par les unités de police et de gendarmerie peuvent être examinés à tout moment par le parquet, a d’autre part souligné la délégation.
Composée de magistrats expérimentés dans les procédures relatives aux violations des droits de l’homme, la Commission d’indemnisation instituée au niveau de la Cour suprême camerounaise est pleinement fonctionnelle, a poursuivi la délégation. Cette Commission peut ordonner des réparations en cas de détention illégale. Elle a reçu 19 requêtes et rendu 13 décisions ; l’État a été condamné à payer à deux plaignants respectivement 40 et 50 millions de francs CFA.
Le concept de « LGBTQ » n’est pas conforme aux normes morales de la société camerounaise dont l’État est le garant, a ensuite déclaré la délégation. Cependant, toutes les personnes au Cameroun bénéficiant d’une protection égale devant la loi, le fait d’être membre du collectif mentionné par un expert ne signifie pas que le droit à un jugement équitable est menacé, a-t-elle indiqué.
Il est faux de dire que l’on assassine des homosexuels au Cameroun, a par la suite ajouté la délégation, indiquant qu’il n’y avait pas de ciblage de personnes LGBT et que, les rapports sexuels entre personnes de même sexe étant interdits, des poursuites n’étaient engagées à leur encontre qu’en cas de flagrant délit.
Au Cameroun, la liberté d’expression autorise les défenseurs des droits de l’homme , les journalistes et les représentants de la société civile à exercer leurs activités à titre individuel ou collectif dans le respect de la loi, a poursuivi la délégation. Toute allégation de violation de leurs droits fait l’objet d’une enquête et, le cas échéant, d’un procès, équitable. L’État soutient les défenseurs des droits de l’homme en établissant avec eux une collaboration, et en recevant et en traitant les allégations de violations de leurs droits, a affirmé la délégation.
Le Cameroun maintient, à des fins de dissuasion, la peine de mort , qui est toutefois soumise à un moratoire, a ensuite indiqué la délégation. Cette peine est réservée aux délits les plus graves et toute personne condamnée à la peine capitale a le droit de demander une grâce présidentielle.
Depuis 2019, la Commission nationale des droits de l’homme dispose de commissaires permanents qui siègent tous les jours, et son budget augmente chaque année, a fait valoir la délégation. Les membres de la Commission visitent régulièrement les cellules des postes de police et autres lieux de détention, ainsi que les services psychiatriques des hôpitaux ; 614 visites ont été effectuées en 2023. La Commission publie chaque année un rapport sur la situation des droits de l’homme au Cameroun.
Les personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison de crises diverses et des changements climatiques sont accueillies au sein même des familles camerounaises, a d’autre part indiqué la délégation.
La délégation a assuré que son pays était respectueux des droits humains et a indiqué que le Gouvernement n’avait pas connaissance de fosses communes . La question se pose de savoir qui alimente les sources d’information sur Internet mentionnées par M. Contesse à ce sujet, a par la suite ajouté la délégation, avant d’assurer que les autorités feront des recherches sur cette question.
Les tribunaux militaires ont compétence pour connaître d’infractions au code de justice militaire, a par ailleurs indiqué la délégation. Les magistrats militaires fréquentent les mêmes écoles et suivent les mêmes formations que les juges civils et siègent toujours aux côtés de magistrats civils, a-t-elle ajouté. De plus, toutes les personnes jugées par des tribunaux militaires jouissent des mêmes garanties en matière de procès équitable que devant les tribunaux civils.
Aucune convention internationale n’interdit les tribunaux spéciaux, a par la suite souligné la délégation. Les juges militaires au Cameroun ont la formation juridique et militaire nécessaire pour juger les terroristes, a-t-elle affirmé. Cela étant, le droit n’est pas statique et le Cameroun est engagé dans une dynamique de modernisation, a rappelé la délégation.
La délégation a affirmé que le Cameroun était un État de droit et démocratique pour lequel la dignité humaine est un axe majeur de la gouvernance. Il n’existe pas de « torture d’État » au Cameroun ; la loi sanctionne les cas de torture, des bavures, qui peuvent se produire mais qui ne relèvent jamais d’une décision de l’État et qui sont sanctionnés, a insisté la délégation.
L’État met en œuvre tous les moyens dont il dispose pour lutter contre la torture et protéger la dignité humaine, a par la suite assuré la délégation.
Les sanctionsprévues en cas de torture consistent, selon la gravité des faits, en peines de prison pouvant atteindre vingt ans et en amendes, a précisé la délégation. Le « numéro vert » mentionné par M. Contesse a permis de déclencher plusieurs enquêtes administratives contre des fonctionnaires de police, a-t-elle fait savoir.
Des dysfonctionnements administratifs ont empêché la ratification du Protocole facultatif à la Convention, a par ailleurs expliqué la délégation, avant d’indiquer que cette procédure [de ratification] est en cours.
La délégation a par ailleurs précisé que la crise actuelle – qui est en voie de résolution, a-t-elle affirmé – n’était pas un conflit entre anglophones et francophones. Il n’y a pas de guerre au Cameroun, pays uni, l’État déployant ses forces de l’ordre pour protéger les populations et les biens, a-t-elle ajouté.
Le conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’est pas un conflit entre francophones et anglophones, a par la suite insisté la délégation : il met en cause une poignée de personnes qui entendent faire sécession par la violence, a-t-elle déclaré.
Il a d’autre part été précisé que le pays abritait aujourd’hui quelque 500 000 réfugiés. Les réfugiés voient leurs droits fondamentaux garantis, en particulier le droit à l’éducation, les jeunes étant accueillis dans le système scolaire et universitaire national, a indiqué la délégation, avant de rappeler qu’une visite du Haut-Commissaire pour les réfugiés avait eu lieu dans le pays il y a trois ans.
La délégation a d’autre part décrit la prise en charge offerte aux femmes et filles victimes de violences dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Elle a également mentionné l’application en cours de stratégies contre les mutilations génitales féminines et contre la violence de genre.
L’ avortement est autorisé lorsqu’il est nécessaire pour préserver la santé de la mère et en cas de grossesse résultant d’un viol, a-t-il été précisé.
Il a par ailleurs été précisé que le budget du Ministère de la justice comptait un poste réservé au financement des formations aux droits de l’homme destinées à ses agents. En 2022, le Ministère a ainsi organisé 19 ateliers pour 211 fonctionnaires de justice ; en 2023, 32 huissiers des tribunaux ont suivi des formations portant, notamment, sur la protection des témoins et sur la protection contre la torture. Pour sa part, la Gendarmerie a, en la matière, formé en 2023 quelque 1100 agents, a indiqué la délégation.
Le Ministère de la justice a lancé, avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), un projet destiné à améliorer le traitement que le système judiciaire accorde aux mineurs accusés, témoins ou victimes, a par ailleurs fait savoir la délégation. En garde à vue, les mineurs sont en principe séparés des adultes dans les postes de police, a-t-elle précisé.
S’agissant des conditions de détention, la délégation a fait valoir que le budget alloué à l’alimentation des détenus était en constante augmentation. Chaque prison dispose d’une infirmerie et d’une pharmacie et les cas sanitaires exigeant une prise en charge plus poussée sont renvoyés aux hôpitaux locaux, qui sont mieux équipés. Le nombre de personnels médicaux dans les prisons était de 273 en 2017, et de 272 au 31 décembre 2023, a précisé la délégation.
Les détenus sont soumis à un examen médical d’entrée, qui s’accompagne de l’ouverture d’un dossier médical ; si un cas de torture ou de mauvais traitement est détecté, l’intéressé est renvoyé au parquet en vue de l’ouverture d’une enquête, a expliqué la délégation. D’ autre part, un rapport est établi et transmis à la chancellerie en cas de décès d’un détenu en détention, une autopsie pouvant être réalisée si les circonstances du décès sont suspectes.
Il n’existe pas de détention au secret au Cameroun, a assuré la délégation. Plus de 700 gardiens de prison ont suivi une formation aux droits de l’homme, a-t-elle fait valoir.
De plus, le parc carcéral a été complété par la construction d’un nouvel établissement, tandis que plusieurs prisons ont été rénovées, a poursuivi la délégation.
Au troisième trimestre 2024, 49% des personnes en prison étaient détenues de manière provisoire [c’est-à-dire en détention provisoire], et 51% étaient condamnées, a-t-il été précisé.
Pendant la période couverte par le présent rapport, 44 procédures relatives à des faits de torture ont été lancées et plusieurs décisions ont été rendues, a précisé la délégation. Elle a mentionné les sanctions infligées à plusieurs fonctionnaires convaincus d’avoir infligé des mauvais traitements à un détenu.
Au Cameroun, a d’autre part souligné la délégation, l’ aveu n’est pas considéré comme moyen de preuve s’il a été obtenu sous la contrainte (…) ou par un moyen portant atteinte à la libre volonté de la personne concernée.
Évoquant le cas de Martinez Zogo, enlevé par des personnes non identifiées et dont le corps sans vie a ensuite été retrouvé, la délégation a indiqué que plusieurs suspects dans cette affaire ont été déférés à un tribunal militaire et accusés de torture, assassinat et usurpations de fonction ; la procédure suit son cours.
Concernant la lutte contre Boko Haram, il a notamment été précisé que le Ministre de la défense avait adressé à tous les militaires, en 2019, une circulaire leur rappelant l’obligation de respecter le droit à la vie et insistant sur l’interdiction de la torture.
Dans ce contexte, deux militaires accusés d’avoir causé la mort de deux femmes en 2015 ont été condamnés à des peines de deux et dix ans de prison ferme ; le parquet a fait appel de ce jugement, estimant les peines trop faibles, a indiqué la délégation.
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CAT24.025F