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Examen de l’Ukraine au Comité des disparitions forcées : malgré la situation de guerre, l’Ukraine a pris des mesures positives allant dans le sens de l’application de la Convention, est-il relevé

Compte rendu de séance

 

Le Comité des disparitions forcées a examiné hier après-midi et ce matin le rapport initial présenté par l’Ukraine au titre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Dans le cadre du dialogue noué entre les experts membres du Comité et la délégation ukrainienne conduite par M. Leonid Tymchenko, Ministre adjoint aux affaires intérieures de l’Ukraine, un expert a relevé que, malgré la situation de guerre, l’Ukraine a pris des mesures très positives qui vont dans le sens de l’application de la Convention et du respect des droits des victimes de disparitions forcées. Il a en outre observé avec satisfaction que l’Ukraine enquêtait sur les crimes commis dans les régions de son territoire qui sont occupées par la Fédération de Russie, laquelle n’est pas partie à la Convention. L’expert a en effet insisté sur le fait que l’interdiction de la disparition forcée revêt un caractère absolu, quelles que soient les circonstances, y compris l’état de guerre ; et sur le fait que l’État conserve des obligations en lien avec les violations qui interviennent sur des portions de son territoire qui ne sont pas sous son contrôle et qui sont imputables à des tiers.

Le même expert a ensuite relevé que, selon des ONG, la « loi n°2505-VIII sur le statut juridique des personnes disparues dans des circonstances particulières » pourrait exclure les disparitions forcées imputables à l’État ukrainien. Il a salué la création du « registre unifié des personnes disparues en raison de circonstances particulières », mais a observé que ce registre ne contient pas de catégorie explicite « victime de disparition forcée ». L’expert a insisté sur l’importance de l’identification des disparitions forcées en tant que telles dans la loi et dans les statistiques.

L’expert a par ailleurs voulu savoir si des enquêtes avaient été menées au sujet d’allégations sérieuses de détention au secret et dans des lieux non officiels à Kharkiv entre 2014 et 2016. Ont été signalés d’autres cas qui seraient survenus dans les mois qui ont suivi le début de l’invasion à grande échelle [du territoire ukrainien par la Fédération de Russie], a-t-il fait observer. Des allégations récentes (mai 2024) ont en outre été reçues au sujet de privations de liberté qui pourraient être caractérisées comme des disparitions forcées dans les bureaux des services de renseignement, a-t-il ajouté. Toute situation où la personne est privée de sa personnalité juridique, sans possibilité de contact avec le monde extérieur, constitue une disparition forcée, quelle que soit sa durée, a souligné l’expert.

Ce même expert a salué le fait que, selon les informations reçues par le Comité, lorsque les personnes privées de liberté sont détenues dans des centres officiels de détention, leurs droits d’accès à un avocat et d’entrer en contact avec leur famille ou tout autre personne intéressée sont effectivement garantis en droit et en pratique. Il s’agit là d’une mesure essentielle de prévention de la disparition forcée, a-t-il souligné. Il a toutefois voulu savoir dans quel registre les prisonniers de guerre étaient inscrits et a fait observer que le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT) avait fait état de difficultés dans l’enregistrement des transferts de détenus, ce qui pourrait conduire à perdre leur trace – une situation qui pourrait conduire à une disparition forcée, a-t-il mis en garde.

Combien d’enfants, parmi les 19 546 qui ont été illégalement transférés en Fédération de Russie et les 1940 enfants « disparus » recensés sur la plateforme Children of War sont-ils victimes de disparition forcée au sens de la Convention, a par ailleurs voulu savoir l’expert ? Une autre experte a souhaité savoir où en était l’enquête sur le transfert forcé d’enfants vers la Fédération de Russie et vers la Serbie et s’il était envisagé de qualifier ces cas de disparition forcée.

Cette experte a par ailleurs fait savoir que le Comité avait reçu des allégations concernant le refus des autorités ukrainiennes de fournir des informations aux proches sur le sort et le lieu où se trouvent leurs êtres chers disparus, même lorsqu'elles disposent de ces informations. Elle a en outre fait remarquer que la sanction prévue dans le Code pénal ukrainien pour la disparition forcée n’était pas assez sévère compte tenu de la gravité de ce crime et de son caractère continu.

L’experte a d’autre part demandé s'il y avait eu des cas signalés de personnes disparues dans le cadre de la traite des êtres humains, des adoptions illégales, des mouvements migratoires de masse ou des déplacements dus au conflit armé, et qui peuvent être qualifiés de disparitions forcées.

Présentant le rapport de son pays, M. Tymchenko a souligné que les disparitions forcées commises sur le territoire de l’État unitaire d’Ukraine, y compris la République autonome de Crimée, étaient liées à l'agression armée de la Fédération de Russie. Cependant, étant donné que l'état de guerre ne peut être invoqué pour justifier une disparition forcée, « nous continuons de respecter nos obligations internationales », a-t-il déclaré. L’Ukraine, a ajouté le Ministre adjoint, prend des mesures pour assurer l'application uniforme de la Convention dans l’ensemble de son territoire et ne ménage aucun effort pour prévenir toute violation de la Convention, y compris dans les territoires contrôlés par l’État agresseur.

L’État ukrainien prend et continuera de prendre toutes les mesures nécessaires pour traiter des questions relatives à la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, a poursuivi M. Tymchenko. Ainsi, l'article 3 de la Convention est reflété dans l'article 5 de la loi ukrainienne « sur le statut juridique des personnes disparues dans des circonstances particulières », qui stipule que l'État ukrainien est tenu de prendre toutes les mesures possibles pour retrouver la trace d'une personne disparue dans de telles circonstances, a-t-il indiqué.

Étant donné l'extrême gravité des disparitions forcées, qui constituent un crime et, dans certaines circonstances, sont définies en droit international comme un crime contre l'humanité, le Parlement ukrainien a adopté la loi sur la ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 21 août 2024, a d’autre part rappelé le Ministre adjoint.

La principale cause des disparitions forcées en Ukraine est la commission d'actes illégaux par des représentants des forces armées de l'État agresseur et des autorités d'occupation, a insisté M. Tymchenko. Une attention particulière devrait être accordée aux résultats de l'enquête menée par les agences de sécurité au sujet du transfert forcé d'enfants ukrainiens vers les territoires temporairement occupés de l'Ukraine en 2022-2024, leur déportation vers la Fédération de Russie et la République du Bélarus, et leur placement dans des familles russes et leur adoption, a d’autre part déclaré le Ministre adjoint.

Le « registre unifié des personnes disparues en raison de circonstances particulières » ouvert en mai 2023 contient des informations sur 48 324 personnes actuellement recherchées afin de déterminer leur sort, a précisé le chef de délégation.

L'Ukraine a mis en place, pour sa part, un mécanisme national de prévention et d'élimination des disparitions forcées, a fait valoir M. Tymchenko : ainsi, dans 109 unités territoriales de la police nationale, le sous-système d'information électronique « Dossiers de garde » est mis en œuvre pour garantir la sécurité des personnes détenues sous le contrôle de la police.

La délégation ukrainienne était également composée, entre autres, de Mme Yevheniia Filipenko, Représentante permanente de l’Ukraine auprès des Nations Unies à Genève ; du Commissaire aux personnes disparues dans des circonstances particulières ; et de plusieurs représentants des Ministères des affaires étrangères et des affaires intérieures, du parquet, des services de sécurité ainsi que de la police nationale.

Pendant le dialogue, la délégation a notamment précisé que quelque 59 490 personnes étaient portées disparues à ce jour en Ukraine, y compris les 48 324 personnes disparues dans des « circonstances particulières », à savoir les circonstances liées à l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie. La Loi sur les personnes disparues dans des circonstances particulières est en cours d’amendement pour tenir compte des recommandations du Comité ainsi que de la définition des personnes disparues donnée par la Convention, a ajouté la délégation.

Tous les acteurs qui accompagnent le Comité, y compris la société civile, et qui sont les témoins impuissants des atrocités dont l’Ukraine est victime, aspirent à un monde en paix et à la paix pour l’Ukraine, a dit M. Horacio Ravenna, Vice-Président du Comité, dans des remarques de conclusion.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Ukraine et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 4 octobre prochain.

 

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport du Maroc.

 

Examen du rapport de l’Ukraine

Le Comité est saisi du rapport initial de l’Ukraine (CED/C/UKR/1) ainsi que des réponses du pays à une liste de points à traiter qui avait été soumise par le Comité.

Présentation du rapport

Présentant le rapport, M. LEONID TYMCHENKO, Ministre adjoint aux affaires intérieures de l’Ukraine, a d’abord souligné que les disparitions forcées actuellement commises sur le territoire souverain de l’État unitaire d’Ukraine, y compris la République autonome de Crimée, étaient liées à l'agression armée de la Fédération de Russie. Cependant, étant donné que l'état de guerre ne peut être invoqué pour justifier une disparition forcée, « nous continuons de respecter nos obligations internationales » et l’Ukraine, en tant qu’État partie à la Convention, prend des mesures pour en assurer l'application uniforme dans l’ensemble de son territoire à l'intérieur de ses frontières internationalement reconnues et ne ménage aucun effort pour prévenir toute violation de la Convention, y compris dans les territoires contrôlés par l’État agresseur ou par ses organes étatiques, forces d’occupation ou administrations d’occupation, a-t-il ajouté.

L’État ukrainien, pour sa part, veille à ce que tous les rapports d’actes illégaux tels que définis à l’article 2 de la Convention délibérément commis par les représentants de l’administration d’occupation de la Fédération de Russie soient rapidement, soigneusement et en toute impartialité enregistrés et dûment investigués, et leur auteurs, identifiés et traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables par un tribunal, punis conformément à la gravité de leurs actes, a poursuivi le Ministre adjoint.

L’État ukrainien prend et continuera de prendre toutes les mesures nécessaires pour traiter des questions relatives à la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, a poursuivi M. Tymchenko. Ainsi, l'article 3 de la Convention est reflété dans l'article 5 de la loi ukrainienne « sur le statut juridique des personnes disparues dans des circonstances particulières », qui stipule que l'État ukrainien est tenu de prendre toutes les mesures possibles pour retrouver la trace d'une personne disparue dans de telles circonstances, a-t-il précisé, avant de souligner que la loi en vigueur applique également l’article 4 de la Convention par la reconnaissance de la disparition forcée comme une infraction dans le Code pénal.

Étant donné l'extrême gravité des disparitions forcées, qui constituent un crime et, dans certaines circonstances, sont définies en droit international comme un crime contre l'humanité, le Parlement ukrainien (Verkhovna Rada) a adopté la loi sur la ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 21 août 2024 : il s'agit d'un signal clair que l'Ukraine est attachée aux principes de l'ordre international fondé sur des règles et qu'elle est disposée à agir conformément à ces principes, a ajouté le Ministre adjoint.

La principale cause des disparitions forcées en Ukraine est la commission d'actes illégaux par des représentants des forces armées de l'État agresseur et des autorités d'occupation, a ensuite insisté M. Tymchenko. Depuis septembre 2015, les forces de l'ordre ukrainiennes ont enregistré plus de 5000 infractions pénales en vertu de dispositions de la loi sur la responsabilité pénale et du Code pénal, qui sont directement liées aux disparitions forcées, y compris la privation de liberté de plus de 14 000 civils, a précisé le chef de délégation.

Une attention particulière devrait être accordée aux résultats de l'enquête menée par les agences de sécurité au sujet du transfert forcé d'enfants ukrainiens vers les territoires temporairement occupés de l'Ukraine en 2022-2024, leur déportation vers la Fédération de Russie et la République du Bélarus, et leur placement dans des familles russes et leur adoption, a d’autre part déclaré M. Tymchenko. Il a par ailleurs indiqué que, suite aux enquêtes préliminaires menées relativement à des procédures pénales dont il a précisé qu’elles concernent des crimes commis dans les territoires ukrainiens temporairement occupés, les bureaux des procureurs ukrainiens ont notifié à 275 personnes des avis de suspicion dans 137 procédures pénales pour des faits de disparition forcée, et que 119 actes d'accusation à l'encontre de 241 personnes ont été envoyés afin de traduire les auteurs en justice, a fait savoir M. Tymchenko.

Par ailleurs, le « registre unifié des personnes disparues en raison de circonstances particulières » ouvert en mai 2023 contient des informations sur 48 324 personnes actuellement recherchées afin de déterminer leur sort, a poursuivi le Ministre adjoint, avant d’indiquer que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a pu confirmer que 4728 personnes étaient en captivité. Le nombre réel de personnes disparues dans des circonstances particulières qui ont été soumises à des disparitions forcées pourrait être beaucoup plus élevé, a souligné le chef de délégation. La Fédération de Russie ne remplit pas ses obligations au titre des Conventions de Genève, a-t-il déploré.

M. Tymchenko a par ailleurs mentionné les mesures prises depuis 2015 pour chercher et libérer les défenseurs ukrainiens capturés et les civils détenus illégalement. Il a précisé qu’au cours de la période précédant l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Fédération de Russie, 3497 personnes avaient été libérées et que, depuis le 24 février 2022, ce sont 3669 personnes qui ont été libérées. D'après les témoignages de personnes revenues de captivité et de détention illégale depuis le 24 février 2022, plus de 90% d'entre elles ont été soumises à des formes de violence par des représentants de l'État agresseur ; avant cette date, ce sont tous les détenus sans exception qui auraient subi des violences psychologiques et physiques.

L'Ukraine a mis en place pour sa part un mécanisme national de prévention et d'élimination des disparitions forcées. Ainsi, dans 109 unités territoriales de la police nationale, le sous-système d'information électronique « Dossiers de garde » est mis en œuvre pour garantir la sécurité des personnes détenues sous le contrôle de la police, a souligné M. Tymchenko.

La fin de la guerre d'agression de la Fédération de Russie permettra de prévenir les disparitions forcées en Ukraine, a-t-il déclaré. L'objectif stratégique de l'Ukraine est donc d'instaurer une paix globale, juste et durable en Ukraine pour la sécurité du monde entier, ce que le pays espère réaliser grâce à l'initiative ukrainienne de la « formule de paix » présentée par le Président Volodymyr Zelensky.

Questions et observations des membres du Comité

M. OLIVIER DE FROUVILLE, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Ukraine, a d’abord indiqué que le Comité était conscient que l’Ukraine connaît depuis 2014 sur son territoire une situation de conflit armé qui est de nature à affecter la pleine application de la Convention, en particulier depuis le déclenchement de l’agression militaire à grande échelle de l’Ukraine qui a débuté le 24 février 2022. L’expert a rendu hommage aux familles des personnes disparues – dont la résilience, la résistance et la dignité sont admirables, a-t-il dit.

Malgré cette situation de guerre, a poursuivi M. de Frouville, l’Ukraine a pris un certain nombre de mesures très positives, qui vont dans le sens de l’application de la Convention et du respect des droits des victimes de disparitions forcées. Le Comité insistera toutefois sur les points qui peuvent être améliorés, a indiqué l’expert.

M. de Frouville a insisté sur le fait que l’interdiction de la disparition forcée revêt un caractère absolu, quelles que soient les circonstances, y compris l’état de guerre ; et sur le fait que l’État conserve des obligations en lien avec les violations qui interviennent sur des portions de son territoire qui ne sont pas sous son contrôle et qui sont imputables à des tiers. À cet égard, « l’Ukraine ne conteste pas avoir ses obligations et agit notamment en vue de la recherche des personnes victimes de disparitions forcées dans ces territoires et pour le respect des droits de leurs familles », a constaté l’expert.

S’agissant du cadre d’application de la Convention, M. de Frouville a demandé quels mécanismes existaient permettant de traiter les demandes d’action en urgence transmises par le Comité en application de l’article 30 de la Convention et de donner suite aux recommandations et aux demandes de mesures conservatoires et de protection adressées par le Comité en vertu de cet article. Il a en outre souhaité savoir si les dispositions de la Convention pouvaient être directement invoquées devant les tribunaux ou d’autres autorités compétentes et appliquées par ceux-ci.

M. de Frouville a aussi voulu savoir quel avait été le résultat de la remise en 2023 par le Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien à son homologue russe d’une liste de noms de personnes disparues.

Des organisations non gouvernementales (ONG) estiment que la « loi n°2505-VIII sur le statut juridique des personnes disparues dans des circonstances particulières » pourrait exclure les disparitions forcées imputables à l’État ukrainien, a fait observer M. de Frouville, avant de demander si tel était le cas, de jure ou de facto.

L’expert a ensuite salué la création du « registre unifié des personnes disparues en raison de circonstances particulières », mais a observé que ce registre ne contient pas de catégorie explicite « victime de disparition forcée » et qu’il ne concerne que les cas de disparitions forcées intervenus dans les circonstances spéciales prévues par la loi susmentionnée.

L’expert a par la suite insisté sur l’importance de l’identification des disparitions forcées en tant que telles dans la loi et dans les statistiques.

M. de Frouville s’est par ailleurs interrogé sur le travail de sensibilisation à la Convention mené en Ukraine.

La Fédération de Russie n’est pas partie à la Convention mais l’Ukraine, qui est partie à cet instrument, enquête sur les crimes commis dans les régions de son territoire qui sont occupées [par la Fédération de Russie], a observé avec satisfaction M. de Frouville. La collecte actuelle de données permettra, une fois les territoires libérés, de mener les enquêtes nécessaires, a-t-il souligné.

M. de Frouville a ensuite demandé si l’Ukraine envisageait, pour prévenir tout éloignement du territoire d’une personne qui craindrait une persécution dans le pays de renvoi, d’inscrire explicitement dans sa législation le motif de risque d’être soumis, dans ce contexte, à la disparition forcée.

L’expert a ensuite demandé si des enquêtes avaient été menées au sujet d’allégations sérieuses de détention au secret et dans des lieux non officiels à Kharkiv entre 2014 et 2016. Ont été signalés d’autres cas qui seraient survenus dans les mois qui ont suivi le début de l’invasion à grande échelle [du territoire ukrainien par la Fédération de Russie], a-t-il fait observer. Des allégations récentes (mai 2024) ont en outre été reçues au sujet de privations de liberté qui pourraient être caractérisées comme des disparitions forcées dans les bureaux des services de renseignement, a-t-il ajouté. Toute situation où la personne est privée de sa personnalité juridique, sans possibilité de contact avec le monde extérieur, constitue une disparition forcée, quelle que soit sa durée, a souligné l’expert.

M. de Frouville a salué le fait que, selon les informations reçues par le Comité, lorsque les personnes privées de liberté sont détenues dans des centres officiels de détention, leurs droits d’accès à un avocat et d’entrer en contact avec leur famille ou tout autre personne intéressée sont effectivement garantis en droit et en pratique. Il s’agit là d’une mesure essentielle de prévention de la disparition forcée, a souligné l’expert.

M. de Frouville a voulu savoir dans quel registre les prisonniers de guerre étaient inscrits. Le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT) a fait état de difficultés dans l’enregistrement des transferts de détenus, ce qui pourrait conduire à perdre leur trace – une situation qui pourrait conduire à une disparition forcée, a mis en garde l’expert.

M. de Frouville a par ailleurs voulu savoir si les agents de la force publique suivaient des formations portant sur la Convention et sur la question de la disparition forcée. Il s’est également enquis du statut juridique des personnes disparues et de leurs proches.

S’agissant de l’article 25 de la Convention relatif à la soustraction d’enfants, M. de Frouville a demandé combien d’enfants, parmi les 19 546 qui ont été illégalement transférés en Fédération de Russie et les 1940 enfants « disparus » recensés sur la plateforme Children of War, étaient victimes de disparition forcée au sens de la Convention.

MME CARMEN ROSA VILLA QUINTANA, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de l’Ukraine, a demandé si certaines des personnes figurant dans le registre unifié des personnes disparues dans des circonstances particulières pourraient avoir été victimes de disparition forcée par les forces de sécurité ukrainiennes. Le Comité est informé que le parquet aurait enregistré 60 cas de disparition forcée en Ukraine en 2020, 56 en 2021, 1120 en 2022 et 72 en 2023 ; il est également informé de la disparition forcée de trente journalistes, a fait remarquer l’experte.

Des combattants russes auraient été jugés en Ukraine pour crimes contre l’humanité, mais sans que les éléments contextuels de ces crimes n’aient été donnés, a d’autre part fait observer l’experte. Mme Villa Quintana a par ailleurs voulu savoir en quoi consistait l’infraction d’« activités de collaboration » et si elle avait un lien avec les disparitions forcées. Elle a demandé ce qui était fait pour documenter toute violation de la Convention dans les territoires de la République autonome de Crimée, de la ville de Sébastopol et des républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Louhansk.

L’experte a par ailleurs demandé s'il y avait eu des cas signalés de personnes disparues dans le cadre de la traite des êtres humains, des adoptions illégales, des mouvements migratoires de masse ou des déplacements dus au conflit armé, et qui peuvent être qualifiés de disparitions forcées. Elle a en outre voulu savoir où en était l’enquête sur le transfert forcé d’enfants vers la Fédération de Russie et vers la Serbie et s’il est envisagé de qualifier ces cas de disparition forcée.

Mme Villa Quintana a fait remarquer que la sanction prévue dans le Code pénal ukrainien pour la disparition forcée n’était pas assez sévère compte tenu de la gravité de ce crime et de son caractère continu. Elle a demandé ce qu’il en était du délai de prescription dans le cas d'une disparition forcée et à partir de quand il commence à courir. Elle a également voulu savoir si les étrangers et les apatrides ne résidant pas en Ukraine peuvent être poursuivis en Ukraine pour ce crime.

Mme Villa Quintana a prié la délégation de donner des exemples précis de cas où des hauts gradés de l'armée, de la police ou des civils pourraient faire l'objet d’enquête pour disparition forcée.

Mme Villa Quintana a ensuite demandé comment les informations sur les disparitions forcées au sens de la Convention étaient portées à l’attention des autorités et s’il existait, au sein de la police, une unité spécialisée dans les disparitions forcées.

L’experte a aussi voulu connaître la procédure par laquelle les proches des personnes disparues peuvent obtenir justice, et a souhaité savoir si l’Ukraine avait déjà activé l’un des 195 accords de coopération judiciaire qu’elle a passés avec des pays tiers pour régler des cas de disparition forcée.

Mme Villa Quintana a par ailleurs demandé si l’infraction de disparition forcée pouvait faire l’objet de la mesure de conciliation ou de médiation prévue par le Code de procédure pénale, et comment l’État assumait concrètement sa responsabilité de verser des indemnisations et des réparations aux victimes de disparition forcée. L’experte a fait savoir que le Comité avait reçu des allégations concernant le refus des autorités de fournir des informations aux proches sur le sort et le lieu où se trouvent leurs êtres chers disparus, même lorsqu'elles disposent de ces informations.

L’experte a souhaité en savoir davantage sur la coordination des recherches par le Commissaire aux personnes disparues dans des circonstances particulières. Elle a demandé si les civils transférés ou déportés sur le territoire de la Fédération de Russie, et qui sont portés disparus, figuraient dans le registre unifié des personnes disparues dans des circonstances particulières. Elle a en outre voulu savoir quelle instance était chargée de la recherche des personnes disparues dans les circonstances autres que « particulières ».

D’autres questions de l’experte ont porté sur les fonctions respectives du « registre national des informations génomiques humaines pour l'identification des cadavres humains » et du « registre central des caractéristiques génétiques humaines ».

Mme Villa Quintana a également prié la délégation de dire ce qui était advenu des 451 corps exhumés de tombes non marquées dans la localité d’Izium.

Réponses de la délégation

Les disparitions forcées sont considérées par l’Ukraine comme des crimes de guerre, a poursuivi la délégation, avant de préciser que 438 disparitions forcées ont été recensées dans le contexte de la guerre ; la délégation a donné le nombre de cas de disparitions forcées signalés dans plusieurs régions occupées par la Fédération de Russie.

Les 5000 infractions mentionnées par le chef de la délégation concernent des citoyens vivant dans les régions sous occupation russe, lesquels sont soumis à des conditions déplorables, a souligné la délégation. Plusieurs institutions sont concernées par l’élucidation des crimes de guerre commis par la Fédération de Russie ; des instances sont chargées des « camps d’exfiltration » vers la Fédération de Russie ; toutes rendent compte au parquet, a indiqué la délégation.

Les autorités ukrainiennes ont trouvé dans des régions libérées plusieurs fosses communes contenant plusieurs centaines de dépouilles qui n’ont pas toutes pu être identifiées ; il resterait de nombreuses fosses communes dans les régions de l’Ukraine occupées, a indiqué la délégation. Les autorités ukrainiennes n’ont pas d’information concernant les fosses communes et charniers dans les régions tenues par les forces russes, a-t-elle par la suite souligné. Toutes les dépouilles retrouvées dans les fosses communes sur le territoire sous contrôle ukrainien ont reçu un traitement digne, a-t-elle assuré.

La Loi sur le statut juridique des personnes disparues dans des circonstances particulières est en cours d’amendement pour tenir compte des recommandations du Comité ainsi que de la définition des personnes disparues donnée par la Convention, a ensuite fait savoir la délégation.

Quelque 59 490 personnes sont portées disparues à ce jour en Ukraine, dont plus de 48 000 dans les « circonstances particulières », a précisé la délégation. Quelque 2552 corps ne sont toujours pas identifiés, a-t-elle ajouté.

La police dispose d’unités spécialisées dans la recherche des personnes disparues, dans les circonstances particulières ou « normales ». Le Commissaire aux personnes disparues dans des circonstances particulières organise des réunions de coordination avec tous les acteurs impliqués dans les recherches, a indiqué la délégation.

Les proches des personnes disparues ont droit à ce que l’État mène une enquête sur les faits, a poursuivi la délégation. Les recherches de personnes disparues dans des circonstances particulières se poursuivent jusqu’à la découverte des dépouilles ; leurs proches et leur famille ont droit à la protection de l’État telle que définie par la loi, de même qu’à une aide financière ; un tuteur et un notaire peuvent être désignés par le juge pour soutenir les familles, en particulier pour effectuer les démarches administratives.

La reconnaissance du statut de proche de victime de disparition forcée se fait par simple courrier aux autorités, a en outre fait savoir la délégation.

La loi dispose spécifiquement de l’indemnisation financière des personnes victimes de l’invasion des régions de Louhansk et Donetsk, a aussi fait savoir la délégation. Les victimes de disparition forcée et de crime de guerre ont toutes droit à une indemnisation. Les disparitions forcées au sens classique du terme peuvent donner lieu à des poursuites pénales et civiles, la procédure pénale étant plus rapide, a-t-il été précisé.

Le Ministère des affaires intérieures a créé en 2023 un registre compilant les informations relatives aux personnes disparues du fait de « circonstances particulières », à savoir les circonstances liées à l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie, a précisé la délégation. Ce registre contient, le cas échéant, l’ADN prélevé à des fins d’identification sur les dépouilles de personnes décédées au combat. Le registre ADN ainsi constitué n’est lié à aucun autre registre pour le moment ; il est accessible par les agences de sécurité et de la justice amenées à enquêter sur les personnes disparues ; a expliqué la délégation. Six pays européens sont concernés par un accord avec l’Ukraine concernant la communication de matériel génétique de citoyens ukrainiens expatriés, a-t-elle ajouté la délégation.

La « loi sur le statut juridique des personnes disparues dans des circonstances particulières » définit les attributions de la « Commission des personnes disparues dans des circonstances particulières », a rappelé la délégation. Cette instance coopère avec les familles des personnes – militaires ou civils – disparues dans ces circonstances, de même qu’avec les organisations de la société civile. Une autre commission est chargée de la réinsertion des personnes qui ont été prisonniers de guerre ukrainiens en Fédération de Russie ; elle peut octroyer des indemnisations, a ajouté la délégation.

La délégation a ensuite indiqué que la loi ayant créé, en 2023, le Commissaire aux personnes disparues dans des circonstances particulières disposait également de l’obligation des autorités d’enregistrer et de rechercher les personnes disparues, de même que de protéger leurs familles. Le Commissaire a ouvert une ligne téléphonique d’urgence pour permettre aux proches des personnes disparues d’obtenir des informations ; cette ligne a reçu plus de 27 000 appels depuis octobre 2023, a précisé la délégation.

Le Commissaire mène des enquêtes sur les personnes disparues, impliquant la police, les services de sécurité et le parquet. Le Ministère de l’intérieur est chargé de procéder aux analyses d’ADN. Ces informations sont reportées dans un registre unifié, a indiqué la délégation.

Le Ministère de la justice et ses enquêteurs invoquent la Convention dans leurs procédures, a souligné la délégation. Plusieurs affaires relevant des crimes de guerre font l’objet d’enquêtes ; des personnes libérées par la Fédération de Russie ont témoigné de crimes commis sur des Ukrainiens détenus en Fédération de Russie, tels que meurtres ou tortures, a indiqué la délégation.

Pour l’Ukraine, en termes de délai, la disparition forcée s’étend jusqu’au moment de la libération de la personne concernée, a précisé la délégation.

Le parquet s’intéresse aussi à des personnes ayant divulgué des informations de nature militaire à la Fédération de Russie, a poursuivi la délégation. Mais l'archiprêtre Victor Talko n’est pas en détention à ce titre, a-t-elle précisé en réponse à une question de M. de Frouville.

Le Code pénal traite différemment la traite des êtres humains et la disparition forcée, sauf lien explicite, a d’autre part indiqué la délégation. Des procédures pénales sont en cours relativement au transfert de personnes depuis les régions de Louhansk et de Zaporijjia, a-t-elle souligné, avant de rappeler que le gouverneur autoproclamé de cette dernière région est soupçonné d’avoir favorisé l’adoption d’enfants en Fédération de Russie. Les cas de disparition forcée d’enfants font l’objet d’une enquête, a ajouté la délégation.

Après l’invasion russe, aucune affaire d’implication d’un ressortissant ukrainien dans une affaire de traite n’a jamais été répertoriée, a ajouté la délégation. La mise à pied d’agents de l’État soupçonnés d’infractions est possible, ainsi que l’ouverture d’enquêtes pénales si nécessaire, a-t-elle souligné.

Quelque 19 500 enfants ukrainiens ont été transférés en Fédération de Russie dans le cadre du conflit ; 388 ont été restitués à l’Ukraine, a par la suite indiqué la délégation. Il est impossible pour l’Ukraine de collaborer avec les autorités russes, lesquelles falsifient des documents pour faciliter les adoptions illégales d’enfants ukrainiens ; les autorités russes accusent à tort l’Ukraine de ne pas coopérer au règlement de la situation de ces enfants, a déploré la délégation.

La délégation a par la suite indiqué que le Ministère de la réintégration tenait un registre des personnes déplacées à l’intérieur du pays à la suite du conflit. 

La délégation a décrit la stratégie de recherche appliquée en Ukraine. Les tests ADN et d’autres techniques d’investigation, y compris l’examen de tatouages et d’empreintes dentaires et la reconnaissance faciale, sont pratiqués sur les dépouilles retrouvées. Les résultats des tests ADN sont intégrés à un registre puis comparés au registre des personnes disparues ; il est envisagé de fusionner ces deux registres d’ici la fin de l’année, a précisé la délégation.

La Loi sur les personnes disparues dans des circonstances particulières contient un volet consacré à la coopération internationale de l’Ukraine dans ce domaine, a indiqué la délégation. Un « registre des dommages et préjudices » est hébergé aux Pays-Bas avec le soutien du Conseil de l’Europe, a-t-elle précisé.

L’extradition d’une personne à l’étranger est impossible si elle entraîne une violation d’une obligation souscrite par l’Ukraine au titre du droit international, a d’autre part souligné la délégation. Le Code de procédure pénale contient des dispositions générales à cet égard et il est toujours possible de faire appel des décisions du Ministère de la justice, a-t-elle ajouté.

Une enquête a été menée sur sept ans au sujet d’allégations relatives à l’existence de prisons illégales, mais ces allégations n’ont pas été confirmées, a ensuite indiqué la délégation.

Le parquet diligente les enquêtes nécessaires en cas d’allégations de torture sur des prisonniers de guerre, a assuré la délégation. Depuis 2017, plus de 450 enquêteurs et procureurs ont suivi à ce sujet des formations dispensées dans des établissements appartenant à la police et à l’université, a-t-elle précisé.

 

 

 

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CED24.007F