Fil d'Ariane
Burundi : Le Comité des droits de l'homme est préoccupé par les atteintes à la liberté de réunion pacifique et à la participation à la vie publique, et par des allégations de disparitions et d'assassinats de militants politiques et de journalistes par les forces de l'ordre et des groupes proches du pouvoir
La délégation du Burundi décide de ne pas participer à l'examen de son rapport par le Comité en raison de la présence dans la salle de personnes condamnées par la justice burundaise
Le Comité des droits de l'homme a examiné, cet après-midi, en l'absence de la délégation, le rapport périodique du Burundi sur l'application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En début de séance, la cheffe de la délégation du Burundi, Mme Imelde Sabushimike, Ministre de la solidarité nationale, des affaires sociales, des droits de la personne humaine et du genre a indiqué que « la délégation burundaise ne peut pas s'asseoir ensemble avec des gens qui sont poursuivis par la justice burundaise et qui ont été condamnés. Dans ce cas, la délégation burundaise ne va pas continuer la session ». Une importante délégation avait pourtant fait le déplacement à Genève, composée notamment du Procureur général de la République et de son substitut, d'un inspecteur général adjoint de la Police nationale, et de plusieurs représentants de haut rang chargés des droits de la personne humaine, de la promotion de la femme et des questions sociales.
Les membres du Comité se sont notamment félicités de l'engagement du Gouvernement burundais à édifier l'État de droit au Burundi. Ils ont toutefois relevé des allégations de disparitions forcées, de détentions arbitraires d'opposants politiques et de tortures qui auraient été commises par les services de l'État et les Imbonerakure (les jeunes du parti au pouvoir). Les experts recommandent notamment que les agents de l'État et les Imbonerakure soient sensibilisés à l'interdiction de toute forme de violence à l'égard des femmes et des filles. Ils se sont intéressés également aux allégations de disparitions forcées et d'assassinats de militants politiques par les forces de l'ordre et les Imbonerakure, et soulevé des cas de disparitions de journalistes. Des cas de torture et de mauvais traitements dans les centres de détention de la police et du Service national de renseignement ont également été portés à leur attention. Les efforts du Burundi pour réduire les cas de disparitions forcées et d'exécutions extrajudiciaires ont également été salués, mais il semble que la peur persiste au sein de la population quant au risque d'assassinat ou de disparition forcée des personnes arrêtées par les agents du Service national des renseignements, d'autres forces de l'ordre et les Imbonerakure.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport du Burundi et les rendra publiques à l'issue de la session, le 26 juillet prochain.
Le Comité des droits de l'homme entamera, mercredi après-midi à 15 heures, l'examen du rapport initial de l'État de Palestine (CCPR/C/PSE/1), qui se poursuivra jeudi matin, 5 juillet.
Rapport du Burundi
Le Comité des droits de l'homme était saisi du troisième rapport périodique du Burundi (CCPR/C/BDI/3), ainsi que des réponses écrites de cet État partie à une liste de points à traiter qui lui avait été adressée par le Comité.
Présentation du rapport
Invitée à présenter le rapport de son pays, MME IMELDE SABUSHIMIKE, Ministre de la solidarité nationale, des affaires sociales, des droits de la personne humaine et du genre du Burundi, a indiqué que la délégation burundaise ne pouvait pas « s'asseoir ensemble avec des gens qui sont poursuivis par la justice burundaise et qui ont été condamnés. Dans ce cas, la délégation burundaise ne va pas continuer la session ».
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Une experte, membre du Comité, s'est félicitée de l'engagement du Gouvernement burundais à édifier l'État de droit au Burundi. Elle aurait toutefois souhaité obtenir des détails sur le cadre constitutionnel et juridique de l'application du Pacte, en particulier des exemples concrets d'affaires dans lesquelles les tribunaux ont invoqué ou appliqué les dispositions du Pacte. Elle aurait également aimé avoir des renseignements sur les mesures prises en vue d'assurer la diffusion des dispositions du Pacte auprès de la population.
L'experte a aussi salué le fait que la Commission nationale indépendante des droits de l'homme du Burundi se soit de nouveau fait attribuer le statut de catégorie A par l'Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l'homme, et s'est félicitée de l'augmentation de son budget annuel au cours de ces dernières années. Pour autant, à la lumière des informations reçues, il ressort que, non seulement la Commission reste confrontée aux défis relatifs à l'insuffisance des ressources financières et à l'éloignement de ses bureaux d'une grande partie de la population. De plus, les allégations de disparition forcées, de détentions arbitraires d'opposants politiques et de tortures qui auraient été commises par les services de police, les agents du Service national de renseignement, par les Imbonerakure, (la ligue des jeunes du parti au pouvoir), ainsi que l'existence de lieux de détentions secrets ne sont pas mentionnés dans les différents rapports annuels de cette commission.
Un membre du Comité a relevé que, selon les informations reçues, pendant des mois, le Gouvernement burundais aurait nié la réalité et la gravité de la situation sanitaire dans le pays dans le contexte de la pandémie de COVID-19, à quoi s'ajoute le refus de vacciner la population au motif, selon le Président de la République, que les vaccins étaient « encore au stade expérimental ».
Un autre expert a relevé qu'en 2022, selon l'organisation Transparency International, l'indice de perception de la corruption au Burundi était de 17 sur 100, le pays étant classé au 171e rang sur 180 pays. Il aurait voulu avoir des données sur le nombre de décisions de la Cour spéciale anticorruption ainsi que le nombre de condamnations et acquittements depuis 2020.
Au regard de la violence à l'égard des femmes, y compris les violences sexuelles, le même expert a noté l'augmentation de cas et d'enquêtes d'une année à l'autre et aurait souhaité savoir quel pourcentage d'enquêtes avaient conduit à des condamnations par les juridictions compétentes. Il s'est demandé si le personnel de police judiciaire et les magistrats avaient reçu des formations pour le traitement des cas de violence fondée sur le genre et demandé des exemples de mesures prises pour s'assurer que les femmes victimes de viol bénéficient de soins et de l'accompagnement médical approprié. Il aurait aussi voulu connaître les mesures prises pour prévenir ces actes, poursuivre et sanctionner les auteurs et assurer des réparations adéquates aux victimes, en plus de sensibiliser les agents de l'État et les Imbonerakure à l'interdiction de toute forme de violence à l'égard des femmes et des filles.
Une experte a observé qu'à la question adressée au Burundi par le Comité quant à l'éventualité d'une dépénalisation des relations sexuelles, la réponse des autorités se limite à indiquer que la loi pénale exprimait la souveraineté de l'État et que ce dernier n'entendait pas évoluer sur ce point. Or, le Comité a reçu un certain nombre d'informations inquiétantes concernant, notamment, l'arrestation le 22 février 2023 de 24 personnes qui participaient à un événement de sensibilisation sur la lutte contre le VIH/sida. Elles font l'objet de poursuites pénales pour « pratique de l'homosexualité ». De même, depuis l'Ordonnance ministérielle de 2011 portant règlement scolaire, des élèves peuvent être exclus de l'école du fait de leur orientation sexuelle. Ces éléments avaient déjà préoccupé le Comité en 2014.
L'experte a aussi qualifié d'inquiétante la réponse du Burundi en matière de non-discrimination et d'égalité homme-femme, le rapport indiquant que la situation n'a pas évolué et qu'il n'est pas opportun d'adopter de nouvelles lois. Certes, s'est-elle félicitée, des quotas ont été instaurés en ce qui concerne la représentation des femmes dans la vie politique, mais les femmes ne disposent toujours pas de l'égalité de droit en matière de transmission de la nationalité, de droits successoraux ni de propriété. Souvent, les femmes détenues ne disposent pas d'un avocat et ne peuvent donc pas être effectivement défendues, d'après des signalements faits au Comité. L'experte aurait souhaité obtenir des informations sur ce que le Gouvernement compte faire pour faire disparaître les obstacles évoqués dans son rapport qui empêchent la réforme du Code des personnes et de la famille et le Code de la nationalité, ainsi que et la législation sur les droits successoraux ou les règles d'accès à la terre. Par ailleurs, le Burundi a signé le Protocole de Maputo mais ne l'a pas encore ratifié.
Un autre membre du Comité a salué les efforts du Burundi pour réduire les cas de disparitions forcées et d'exécutions extrajudiciaires ou encore la pratique d'inhumation immédiate de cadavres portant des signes de mort violente dans le cadre de la crise qu'a connue le pays en 2015. Il a toutefois été rapporté que la peur persiste au sein de la population quant au risque d'assassinat ou de disparition forcée des personnes arrêtées par les agents du Service national des renseignements, d'autres forces de l'ordre et les Imbonerakure. Dans ce contexte, il aurait souhaité des informations détaillées sur tous les rapports passés et récents faisant état de disparitions forcées et d'assassinats de militants politiques par les forces de l'ordre et les Imbonerakure, y compris des informations sur les mandats d'arrêt internationaux délivrés, les enquêtes et les poursuites menées, les condamnations prononcées et les peines infligées aux auteurs. Par ailleurs, il s'est demandé si le Burundi entendait prendre des mesures visant à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et pour indemniser les victimes.
Des membres du Comité ont relevé le nombre élevé de cas de torture et de mauvais traitements, y compris des actes de violence sexuelle contre des femmes et des hommes, dans les centres de détention de la police et du Service national de renseignement, ainsi que dans les centres de détention non officiels et dans des lieux publics. Il a par exemple été demandé des informations sur les mesures prises pour incorporer, dans le Code pénal militaire, des dispositions incriminant les actes de torture et les mauvais traitements. Il a aussi été relevé que le nouveau Code de procédure pénale de 2018 ne prévoit plus la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes. Un membre du Comité a également relevé que selon diverses organisations de la société civile, le nombre de cas de torture est plus élevé que ceux fournis par la Commission nationale indépendante des droits de l'homme, qui comptabilise seulement 10 cas de torture et 4 cas de mauvais traitements attribués à des agents de l'État depuis 2019. Selon ces organisations, 26 cas de torture ont été enregistrés rien que de janvier à avril 2023.
L'expert s'est également intéressé aux mesures adoptées ou envisagées pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Selon les informations disponibles, en décembre 2022, la population carcérale totale était de 12 119 personnes, dont 6 596 en détention provisoire et 5 523 purgeant des peines. Or, la capacité réelle des prisons serait de seulement 4 150 places, soit un taux d'occupation de 292 %.
Un membre du Comité a relevé que le Burundi indique que la détention arbitraire de mineurs était rare, mais le Comité a reçu des informations indiquant le contraire. Il aurait aussi souhaité des renseignements sur la durée de la détention provisoire et de la garde à vue.
S'agissant du droit de réunion pacifique, il a été noté que le Gouvernement avait pris des mesures pour passer à un régime de notification des manifestations au lieu d'un régime d'autorisation. Mais un expert a jugé que les réponses du Burundi restent « évasives », alors que le Comité a reçu de nombreuses informations montrant qu'en pratique, les partis d'opposition tels que le Congrès national pour la liberté (CNL) ou les syndicats ne peuvent pas exercer leur droit, du fait soit d'un refus d'autoriser la manifestation, soit d'attaques ou de persécutions par les forces de l'ordre ou les Imbonerakure, qui empêchent la tenue de la manifestation. Une experte aurait voulu en savoir davantage sur la manière dont est appliquée la loi et les mesures positives prises pour protéger les manifestants et les journalistes qui couvrent ces manifestations contre l'usage excessif de la force.
La situation des personnes déplacées touchées par des catastrophes naturelles a également retenu l'attention des experts, qui ont reçu des informations selon lesquelles les camps abritant des personnes déplacées étaient la cible d'intimidations constantes de la part des Imbonerakure.
En ce qui concerne les questions relatives à la discrimination, il a été relevé que les Batwas seraient absents de la sphère politique et ne seraient pas du tout représentés dans les médias. Bien qu'ils soient reconnus en tant qu'autochtones, leur absence quasi-totale de visibilité est préoccupante. Des préoccupations ont également été exprimées s'agissant de la situation spécifique des enfants des rues batwas et des enfants atteints d'albinisme.
D'autres interrogations ont porté sur la liberté de la presse, y compris s'agissant de l'état d'avancement de la révision de la loi sur l'accès à l'information, mais aussi en ce qui concerne les disparitions préoccupantes, en 2016 et 2015, respectivement, du journaliste d'Iwacu Jean Bigirimana et de la défenseure des droits de l'homme Marie-Claudette Kwizera. Selon certaines informations, ces journalistes seraient détenus par les services de renseignement. Par ailleurs, les condamnations de 12 journalistes et défenseurs des droits de l'homme pour rébellion et insurrection sont préoccupantes.
En matière de liberté d'opinion et de participation à la vie politique, les informations faisant état d'une adhésion forcée au parti politique au pouvoir sont préoccupantes, en particulier dans le contexte des élections à venir. Des actes de violence, d'intimidation et d'incitation à la haine ethnique auraient été commis par la police, le parti politique au pouvoir, les services de renseignement et les Imbonerakure à l'encontre des candidats de l'opposition lors des élections précédentes. Il a été par ailleurs relevé que des restrictions excessives au droit de se présenter aux élections sont prévues par le Code électoral du 20 mai 2019, en particulier l'exigence d'un dépôt d'un montant de 17 000 dollars des États-Unis.
Conclusions de la Présidente
MME TANIA MARÍA ABDO ROCHOLL, Présidente du Comité, a souligné que l'examen du rapport du Burundi avait eu lieu en l'absence de la délégation, ce qui aurait une incidence sur les observations finales du Comité. L'absence de réponses de la délégation ne permet pas au Comité de remplir pleinement son mandat, mais la Présidente a salué la façon dont les membres du Comité se sont acquittés de leur tâche. Parmi les questions abordées au cours de l'examen figurent la violence à l'égard des femmes, le droit à l'avortement, les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, la surpopulation carcérale, les personnes déplacées, les enfants des rues, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la violence pendant les élections et le statut des défenseurs des droits de l'homme. Mme Abdo Rocholl a souligné que la délégation pouvait consulter en ligne la longue liste de questions abordées et l'a encouragée à répondre par écrit. Les réponses de l'État partie permettront au Comité d'évaluer au mieux l'adhésion du Burundi au Pacte.
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