Fil d'Ariane
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes auditionne la société civile s’agissant de l’Ukraine, du Honduras, de la Gambie et de la Suisse
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) a auditionné, cet après-midi, les représentants de la société civile s’agissant de l’application de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dans les quatre pays dont les rapports doivent être examinés cette semaine, à savoir l’Ukraine, le Honduras, la Gambie et la Suisse.
En ce qui concerne l’Ukraine, ont notamment été dénoncées les discriminations dont sont victimes les femmes dans le secteur de l’emploi ; la politique d’interdiction des drogues, jugée sexiste et infructueuse ; ou encore les violences sexuelles commises à l'encontre de la population civile ukrainienne par le personnel militaire russe. Ont aussi été évoqués les besoins des femmes parties avec leurs enfants dans les pays européens, notamment en matière de protection contre le risque de traite, et les problèmes rencontrés par les femmes et les jeunes filles roms.
Pour ce qui est du Honduras, ont notamment été dénoncés l’exposition des femmes et des filles à la violence, à la violence domestique, au féminicide et au mariage précoce ; le manque de volonté politique du Gouvernement actuel de lutter contre l’impunité des auteurs d’agressions sexuelles ; ainsi que la stérilisation forcée de femmes séropositives et handicapées. L’attention a également été attirée sur l’interdiction de l’avortement dans le pays et sur les discriminations dont sont victimes les femmes rurales.
S’agissant de la Gambie, ont été dénoncées plusieurs formes de discrimination envers les femmes dans le mariage et dans la famille, s’agissant notamment de l’héritage, du divorce et de la polygamie. L’attention a également été attirée sur les mariages forcés, sur les mutilations génitales féminines et sur la persistance du problème de la violence à l’égard des femmes en Gambie.
En ce qui concerne la Suisse, il a notamment été recommandé que le pays sanctionne les entreprises présentant un écart de rémunération entre les sexes ; se dote de moyens spécifiques pour éliminer les stéréotypes discriminatoires à l'égard des femmes ; rende compte publiquement des impacts extraterritoriaux de ses politiques fiscales sur la réalisation des droits des femmes ; adopte une réglementation garantissant que les algorithmes et l’intelligence artificielle utilisés n’aient pas d’effets discriminatoires ; et veille à ce que les mesures en cas de crise (telle que celle de la COVID-19) soient conçues de manière équitable pour les genres.
Plusieurs membres du Comité ont ensuite posé des questions aux représentants de la société civile.
Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de l’Ukraine.
Auditions des représentants de la société civile
S’agissant de l’Ukraine
Le Mouvement civil Faith Hope Love a déclaré que la guerre et les bombardements incessants des villes avaient détruit 1091 hôpitaux et plus de 2000 écoles en Ukraine. L’organisation non gouvernementale (ONG) a recommandé de prêter attention aux besoins des femmes qui sont parties avec leurs enfants dans les pays européens, et notamment de les protéger contre le risque de traite.
L’Ukraine doit par ailleurs prendre les mesures nécessaires pour donner effet à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) qu’elle a ratifiée cette année. L’ONG a aussi recommandé que les problèmes rencontrés par les femmes et les jeunes filles roms soient pris en compte.
Club Eney et Women and Harm Reduction International Network ont recommandé que l’Ukraine revienne rapidement sur sa politique d’interdiction des drogues, que ces ONG ont jugée sexiste et infructueuse, et qu’elle décriminalise toute consommation de drogue. Les deux ONG ont demandé que les refuges pour femmes soient réformés afin de permettre aux femmes qui consomment des drogues d’y accéder, et ont plaidé pour que soit abolie la privation de la garde des enfants comme conséquence de la consommation de drogues.
L’Association des avocates ukrainiennes, au nom d’une coalition d’ONG, a émis plusieurs recommandations concernant l’accès à la justice – y compris des mesures de protection efficaces et des réparations - pour les victimes et survivantes de violences sexuelles, en temps de guerre comme de paix.
L’Institut de Kyiv pour les études de genre a pointé les discriminations dont sont victimes les femmes dans le secteur de l’emploi, notamment les femmes enceintes, les mères et les femmes de plus de 40 ans. L’Institut a recommandé que la loi sur le travail soit amendée pour en retirer les dispositions discriminatoires envers les femmes et que le harcèlement au travail soit criminalisé.
Crimean Tatar Resource Center a dénoncé l’occupation depuis huit ans du territoire du peuple autochtone tatar par la Fédération de Russie. Les femmes tatares sont victimes de persécutions de la part de « l’occupant russe », a dit l’ONG, qui a fait état de la disparition ou du harcèlement de plusieurs avocates tatares.
M. VOLODYMYR DZHYDZHORA, Chef du Département de la coopération internationale et de l'intégration européenne , Bureau du Commissaire aux droits de l'homme du Parlement ukrainien, a regretté que plus de quarante ans après la ratification de la Convention par l’Ukraine, et malgré des progrès, les disparités salariales entre les sexes persistent dans le pays, les salaires des femmes étant inférieurs de près de 20% à ceux des hommes pour de mêmes types d'activités (sauf pour certains services administratifs). Par ailleurs, a-t-il fait observer, dans la gestion et la résolution du conflit armé international en Ukraine, les femmes sont beaucoup moins impliquées que les hommes en tant que membres des structures de sécurité et de défense ou encore en tant que membres des missions officielles de négociation.
Parallèlement, les violences sexuelles commises à l'encontre de la population civile ukrainienne par le personnel militaire et d'autres formations armées de la Fédération de Russie nécessitent une évaluation et des poursuites appropriées contre leurs auteurs ; à cet égard, il est nécessaire d'harmoniser la législation pénale nationale avec le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, a recommandé M. Dzhydzhora. De plus, a-t-il ajouté, il faut veiller à l'adoption rapide du Programme national de lutte contre la traite des êtres humains pour la période allant jusqu'en 2025, au vu de l’émigration de masse et des autres problèmes provoqués par l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine.
Une experte du Comité a demandé si des mesures temporaires spéciales étaient envisagées pour combler les écarts salariaux entre les deux sexes en Ukraine. Une autre experte a demandé si les autorités ukrainiennes avaient connaissance de lacunes de protection au détriment de femmes et de filles ayant reçu des passeports russes contre leur volonté.
S’agissant du Honduras
Human Rights, Women and Feminist Organizations ont déploré un manque de ressources économiques et humaines qui empêche les femmes d’accéder à la justice et ont fait état de l’exposition des femmes et des filles à la violence, à la violence domestique, au féminicide et au mariage précoce. L’avortement est toujours interdit au Honduras, a-t-il en outre été observé.
We Lead a dénoncé la stérilisation forcée de femmes séropositives et handicapées au Honduras. L’ONG a recommandé que le pays adopte des lois sur l’identité de genre et sur le mariage pour tous, et que les autorités se dotent d’un budget consacré à la promotion de la santé sexuelle et procréative.
CDM a déploré que l’État hondurien ignore sa responsabilité de protéger les femmes et les filles contre les agressions sexuelles et qu’il ait légiféré pour rendre impossible toute légalisation de l’avortement. Le Gouvernement actuel n’a pas la volonté politique de lutter contre l’impunité des auteurs d’agressions sexuelles, a regretté l’ONG.
FIAN a fait état pour sa part de nombreuses discriminations dont sont victimes les femmes rurales, soulignant notamment qu’elles n’ont pas accès aux meilleures terres, au crédit et aux prestations de sécurité sociale. La pollution des eaux par l’industrie agroalimentaire met en péril les revenus des pêcheurs, a-t-il par ailleurs été souligné. L’ONG a en outre recommandé que les femmes puissent participer aux politiques publiques.
MME BLANCA IZAGUIRRE, Défenseuse du peuple à la Commission nationale des droits de l'homme (CONADEH) du Honduras, a suggéré que le Comité recommande au pays de donner des ressources financières suffisantes à toutes les institutions de l'État qui composent la commission interinstitutions chargée du suivi des enquêtes sur les morts violentes de femmes, afin qu’elle puisse accorder une attention effective aux cas de féminicides et mettre en œuvre des actions visant à prévenir les morts violentes de femmes. Entre 2021 et le premier semestre 2022, la CONADEH a reçu 5138 plaintes déposées par des femmes, dont 1652 liées au droit à la vie et à l'intégrité de la personne.
Le Honduras devrait revenir sur l'interdiction de l'utilisation et de la vente de la pilule contraceptive d'urgence et approuver le protocole pour la prise en charge complète des victimes de violences sexuelles, a poursuivi Mme Izaguirre. Le Comité devrait aussi exiger que le Honduras respecte l'indépendance totale et institutionnelle de la CONADEH, conformément aux Principes de Paris, a-t-elle recommandé.
Une experte du Comité a demandé si des efforts étaient déployés pour informer les femmes et les inciter à se faire vacciner contre le papillomavirus humain.
S’agissant de la Gambie
Women's Association for Victims' Empowerment (WAVE-Gambia) a évoqué plusieurs formes de discrimination envers les femmes dans le cadre du mariage et de la famille, s’agissant notamment de l’héritage, du divorce et de la polygamie. L’ONG a aussi regretté l’application insuffisante des lois contre les mariages forcés et contre les mutilations génitales féminines. Il ne peut y avoir d’égalité dans la société sans égalité dans la famille, a insisté l’ONG, plaidant pour que les lois introduites au nom de la charia respectent tous les êtres humains.
Women In Liberation and Leadership a déploré la persistance du problème de la violence à l’égard des femmes en Gambie – y compris le viol et les mutilations génitales féminines, qui persistent dans l’impunité. Les femmes victimes de viol sont systématiquement stigmatisées dans les médias et hésitent de ce fait à déposer plainte, a souligné l’ONG. Enfin, l’État n’a pris aucune mesure face aux délits, de plus en plus fréquents, commis à l’égard des femmes défenseuses des droits humains, a mis en garde l’ONG.
Une experte du Comité a voulu savoir dans quels cas les mutilations génitales féminines ne tombaient pas sous le coup de la loi. Une autre experte s’est enquise des changements apportés au sein des tribunaux de la charia. D’autres questions ont porté sur le soutien accordé aux femmes qui quittent le pays, vers le nord, avec des caravanes de migrants,
S’agissant de la Suisse
Post-Beijing Suisse a notamment recommandé que la Suisse introduise un congé parental en plus du congé de maternité ; sanctionne les entreprises qui présentent encore un écart de rémunération entre les sexes ; se dote de moyens spécifiques pour éliminer les stéréotypes discriminatoires à l'égard des femmes, notamment avec la mise en place d'une stratégie d'éducation pour les professionnels des médias ; et rende compte publiquement des impacts extraterritoriaux de ses politiques fiscales sur la réalisation des droits des femmes.
InterAction a recommandé pour sa part que la Suisse interdise explicitement dans le Code pénal toute pratique qui modifie les caractéristiques sexuelles d’un enfant – sauf si l'intervention permet de sauver la vie ou est d'une importance cruciale pour la santé de l'enfant.
Pour End Demand, la politique de la Suisse en matière de prostitution, en considérant la prostitution comme un « travail » dans tous ses aspects, favorise la normalisation de la prostitution. Ceci, a estimé l’ONG, est incompatible avec l'obligation de l'État de décourager la demande qui favorise l'exploitation et conduit à la traite. L’ONG a demandé que la Suisse s’attaque à la demande, « cause fondamentale de l'exploitation des femmes dans la prostitution ».
Feminists for a People's Vaccine Campaign a demandé que la Suisse respecte ses obligations en vertu de la Convention consistant à mettre la santé publique au premier plan et, pour ce faire, que le pays soutienne sans équivoque la pleine utilisation par tout pays des dérogations existantes à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) face à la COVID-19. La Suisse doit mettre en place un cadre transparent pour que les entreprises suisses respectent les droits de l'homme dans leurs activités aux niveaux national et international, a insisté l’ONG.
M. CHRISTIAN BRUCHEZ , membre de la Commission fédérale suisse pour les questions féminines (CFQF), a recommandé que la dotation financière prévue pour l’institution nationale de droits de l’homme qu’il est prévu de créer en 2023 soit fortement augmentée, notamment pour permettre à cette institution de faire de l’égalité des genres un axe prioritaire de ses travaux. M. Bruchez a également recommandé que la Suisse adopte une réglementation qui garantisse que les algorithmes et l’intelligence artificielle utilisés n’aient pas d’effets discriminatoires. Il a plaidé pour que la part des femmes dans les métiers de l’infrastructure numérique atteigne 50% d’ici à 2030.
M. Bruchez a en outre relevé que, pendant la pandémie de COVID-19, la fermeture des crèches et des écoles avait constitué une plus grande entrave pour les femmes que pour les hommes, car ce sont en majorité les mères qui ont réduit leur temps de travail rémunéré pour s’occuper davantage des enfants. La Commission recommande donc que les mesures en cas de crise soient conçues de manière équitable pour les genres.
Une experte du Comité a demandé à la société civile de jouer un rôle actif dans la lutte en Suisse contre les stéréotypes visant les femmes, y compris les femmes immigrées.
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CEDAW22.032F