Fil d'Ariane
Le Comité des droits de l’homme examine le rapport du Nicaragua en l’absence de délégation et s’inquiète des violations des droits de l’homme rapportées suite aux manifestations sociales ayant débuté en avril 2018
Le Comité des droits de l'homme a examiné cet après-midi, en l’absence de délégation de l’État partie, le quatrième rapport périodique soumis par le Nicaragua au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En début de séance, la Présidente du Comité, Mme Photini Pazartis, a expliqué que les diverses lettres de rappel adressées à l’État partie – pour lui signifier les délais dans lesquels il devait répondre à une liste de points à traiter que lui avait adressée le Comité ainsi que la date à laquelle il devrait se présenter devant le Comité [à savoir aujourd’hui] – sont restées sans réponse, ce qui amène le Comité à procéder à l’examen de la mise en œuvre du Pacte au Nicaragua en l’absence de toute délégation de ce pays.
De très nombreux experts ont alors pris la parole pour faire part de leurs observations s’agissant de l’application du Pacte au Nicaragua. A tout d’abord été déplorée la non-collaboration du pays avec les mécanismes des droits de l’homme.
Mais ce sont surtout les violations des droits de l’homme rapportées suite aux manifestations sociales ayant débuté en avril 2018 qui ont nourri l’essentiel des préoccupations des experts : recours excessif à la force par les responsables de l’application des lois et nombreux décès dus à la répression des manifestations ; cas de torture et de violences sexuelles ; violations des garanties d’une procédure régulière ; ou encore manipulation du système de justice pénale pour exercer des représailles, menacer, harceler et entraver le travail des défenseurs des droits de l’homme.
Les experts ont également fait part de leurs inquiétudes concernant les nombreuses informations qui, s’agissant du Nicaragua, font état de diverses formes de discrimination et de violence contre les populations autochtones et d’ascendance africaine ainsi que contre les femmes ; de restrictions de la liberté d’expression et du droit de réunion de pacifique ; ou encore de corruption.
Le Comité adoptera ultérieurement, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le Nicaragua et les rendra publiques à l’issue de la session, qui se termine le 4 novembre prochain.
Demain après-midi, à 15 heures, le Comité des droits de l'homme entamera l'examen du rapport de la Fédération de Russie.
Examen du rapport en l’absence de délégation
Le Comité est saisi du quatrième rapport périodique du Nicaragua.
Remarques préliminaires de la Présidente du Comité
Ouvrant la séance, Mme Photini PAZARTZIS, Présidente du Comité, a indiqué que par une note verbale datée du 10 mars 2022, le Nicaragua a été informé que l’examen de son quatrième rapport périodique devait avoir lieu durant cette session. Il a alors été rappelé à l’État partie qu’il devait soumettre ses réponses écrites à la liste des points à traiter avant le 30 mai 2022.
Le 9 août 2022, l’État partie a été informé que l’examen de son rapport aurait lieu ce mercredi 19 octobre (de 15 heures à 18 heures) et le jeudi 20 octobre (de 10 heures à 13 heures). Il a également été indiqué à l’État partie de soumettre ses réponses écrites à la liste des points à traiter avant le 29 août 2022. Les réponses écrites n’ayant toujours pas été reçues, un rappel supplémentaire a été envoyé au pays le 23 septembre 2022. Le Nicaragua a également été informé que, si une délégation de l’État partie ne se présenterait pas devant le Comité, celui-ci procéderait à l’examen du rapport du Nicaragua et présenterait ses observations finales.
Étant donné que le Comité n’a reçu aucune réponse à aucune de ses communications et que le Nicaragua n’a pas envoyé de délégation [aujourd’hui devant le Comité], le Comité va procéder à l’examen du rapport en l’absence de la délégation.
Le Comité déplore cette situation regrettable qui n’est pas propice à un examen significatif du rapport du Nicaragua, a souligné la Présidente.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que ce pays n’a noué le dialogue avec aucun des organes conventionnels devant lesquels il devait ces derniers temps présenter un rapport, à savoir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (2021), le Comité contre la torture (juillet 2022) et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (août 2022), a fait observer Mme Pazartzis.
La Présidente du Comité a tenu à rappeler que la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques entraîne l’obligation pour chaque État partie, en vertu de l’article 40 du Pacte, de présenter des rapports sur les mesures adoptées pour donner effet aux droits énoncés dans cet instrument et sur les progrès réalisés dans l’exécution de ses obligations.
Observations des membres du Comité
Un expert a relevé que l’existence de mécanismes de contrôle de l’effectivité des droits fondamentaux est présentée par le Nicaragua comme justifiant la non-ratification par le pays du Protocole facultatif au Pacte qui prévoit l’intervention du Comité, par le biais du mécanisme des plaintes individuelles (communications), en cas de violation d’un droit de l’homme reconnu dans le Pacte. La position du Comité est plutôt à l’opposé de celle exprimée par le Nicaragua, a indiqué l’expert, à savoir que si les droits énoncés dans le Pacte sont incorporés dans la Constitution nicaraguayenne, si le pays s’est doté de procédures différentes pour garantir ces droits, il ne devrait pas y avoir de problème pour les citoyens nicaraguayens à s’adresser également à ce Comité, par le biais d’une requête individuelle, au cas où les mécanismes de protection interne, une fois épuisés, n’auraient pas été efficaces.
Depuis avril 2018, lorsque la crise sociopolitique et des droits de l’homme a éclaté dans le pays, le Nicaragua semble avoir adopté une politique de non-collaboration avec les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies, a déploré l’expert. L’État partie était absent des examens devant plusieurs organes conventionnels, comme vient de le rappeler la Présidente du Comité, et il n’a pas donné suite à la plupart des recommandations formulées par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et a rejeté la création du Groupe d’experts des droits de l’homme sur le Nicaragua décidée par le Conseil des droits de l’homme.
En outre, l’État partie n’a pas répondu aux demandes de visite émanant de cinq titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, notamment celles du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, du Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression et du Groupe de travail sur la détention arbitraire.
Au début de cette année, le Nicaragua s’est retiré de l’Organisation des États américains (OEA) et a expulsé le délégué du Comité international de la Croix-Rouge.
Le Comité est préoccupé par la situation d’isolement international du Nicaragua, en particulier par le rejet des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit pénal international, a déclaré l’expert. Selon plusieurs rapports, a-t-il poursuivi, le Bureau du Médiateur pour les droits de l’homme n’a pas été en mesure de s’opposer à une législation, émanant d’une Assemblée nationale dominée par le parti au pouvoir, qui n’était pas conforme au droit international des droits de l’homme, ce qui a remis en question l’indépendance de cette institution.
Un autre membre du Comité a relevé que dans la Constitution nicaraguayenne, aucune référence n’était faite à de nombreux motifs possibles de discrimination, tels que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ; en outre, il ne semble pas y avoir de loi générale contre toute forme de discrimination au Nicaragua.
Cet expert a également relevé que les populations autochtones et d’ascendance africaine du Nicaragua habitent des zones peu accessibles mais riches en ressources naturelles. Ces populations continuent d’être victimes de discrimination structurelle – dont témoignent notamment leurs taux de pauvreté, leurs conditions de vie précaires, une exclusion et une violence persistantes – ainsi que de discriminations institutionnelles qui se traduisent par le non-respect du droit de propriété sur leurs terres et territoires. À cet égard, l’État partie met en œuvre une politique de colonisation interne, par la dépossession des territoires autochtones, avec la promotion de projets d’infrastructure déployés sans le consentement réel des populations touchées, comme en témoignent notamment les cas du Grand canal interocéanique du Nicaragua, de l’autoroute Nueva Guinea-Bluefields et du port en eau profonde de Bluefields.
En outre, a poursuivi l’expert, depuis plusieurs années, des attaques armées systématiques et répétées (y compris des massacres) sont perpétrées contre des communautés sans défense, limitant leur droit à l’autodétermination et provoquant le déplacement forcé de plusieurs milliers de personnes.
S’agissant des violences à l’égard des femmes, l’expert a regretté que la juridiction spécialisée sur ces crimes ait été supprimée et que le crime de féminicide ait été limité au champ des relations de couple.
La politique publique du Nicaragua ignore l’obligation de protéger les droits des femmes et privilégie la protection de la famille, avec une approche de résolution des conflits qui ignore la violence sexiste et encourage l’impunité, en empêchant le signalement et en choisissant d’intervenir par le biais du « conseil familial », a déploré ce même expert.
L’expert a aussi relevé une impuissance des femmes du fait de l’absence de programmes publics et de budgets publics pour l’accompagnement psychosocial des victimes, des survivants et des enfants qui restent orphelins. De plus, a-t-il fait observer, la pandémie de COVID-19 a accentué le risque de violence à l’égard des femmes dans le contexte familial. Comme l’a souligné le rapport de la Haute-Commissaire au Conseil des droits de l’homme, en raison de l’insuffisance des données officielles, il n’est pas possible de connaître l’ampleur de la violence à l’égard des femmes au Nicaragua, a ajouté l’expert.
Une experte a souligné que le Comité restait préoccupé de constater que l’État partie n’a pris aucune disposition pour donner suite aux recommandations antérieures du Comité s’agissant du maintien de l’interdiction totale de l’avortement au Nicaragua. Le Comité estime que cette persistance à interdire l’avortement au Nicaragua porte atteinte aux droits des femmes en général et à leur droit à la vie en particulier.
Un autre expert a souligné que le Comité a reçu des informations faisant état d’un recours excessif à la force par les responsables de l’application des lois, en particulier lors des manifestations sociales qui ont débuté le 18 avril 2018. Il a également été signalé que des éléments armés progouvernementaux ont agi avec l’approbation des autorités de haut niveau de l’État et de la police nationale lors d’attaques contre des manifestants et même lors de détentions illégales.
Il ressort des informations reçues par le Comité que la répression des manifestations, le démantèlement des barrages et les affrontements entre la police, les groupes armés progouvernementaux et les manifestants, entre janvier et septembre 2018 et entre janvier et octobre 2019, ont fait un grand nombre de morts, a relevé une experte du Comité.
Un expert a en outre fait état des informations reçues par le Comité concernant des cas de torture et de mauvais traitements perpétrés suite aux manifestations qui ont débuté en avril 2018 dans les prisons d’El Chipote, de La Modelo et de La Esperanza, avec notamment la mort d’un détenu le 16 mai 2019 à la prison de La Modelo.
Des informations ont également été fournies au Comité sur des cas de violence sexuelle et sexiste à l’égard d’hommes et de femmes détenus dans le cadre de manifestations.
Le Comité a par ailleurs reçu des informations faisant état d’un manque d’indépendance de la Commission vérité, justice et paix (créée par la résolution de l’Assemblée nationale du Nicaragua du 27 avril 2018), a-t-il été indiqué.
Plusieurs experts se sont par ailleurs inquiétés des conséquences de la loi d’amnistie, notamment pour les auteurs de graves violations des droits de l’homme.
Un expert a relevé que selon plusieurs rapports, les procès des détenus interpellés dans le cadre des élections générales de 2021 ont commencé en février 2022. Cinquante de ces personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 13 ans pour des crimes portant atteinte à l’intégrité nationale, diffusion de fausses nouvelles, blanchiment d’argent et infractions connexes. Les procès se sont déroulés à huis clos, sans la présence du public, dans le centre de détention où les accusés étaient détenus et ces derniers n’ont été autorisés à rencontrer leurs avocats que quelques minutes avant le début des procès. Cette procédure suggère une absence totale de garanties judiciaires, telles que l’indépendance et l’impartialité du tribunal.
Un autre expert s’est inquiété des allégations crédibles selon lesquelles les autorités manipulent le système de justice pénale, par exemple pour exercer des représailles, menacer, harceler et entraver le travail des défenseurs des droits de l’homme. À cette fin, des accusations criminelles non fondées, basées sur des preuves fabriquées, sont utilisées. D’autres violations des garanties d’une procédure régulière sont causées par la manipulation du système de justice pénale à tous les stades de la procédure, y compris au travers de procédures excessivement longues qui s’accompagnent souvent de retards délibérés, a déploré l’expert.
Les violations des garanties d’une procédure régulière se produisent surtout contre les dissidents, les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les dirigeants sociaux et paysans, les étudiants, les hommes d’affaires et les opposants au Gouvernement contre lesquels des poursuites pénales ont été ouvertes, a-t-il été précisé. Les procédures engagées contre ces personnes ont généralement été caractérisées par des violations de la présomption d’innocence, des droits de la défense, de la publicité des audiences et des principes d’impartialité et d’indépendance, portant ainsi gravement atteinte à l’image d’indépendance du pouvoir judiciaire et du ministère public.
S’agissant des manifestations entre avril 2018 et août 2019, une experte s’est dite particulièrement préoccupée par les informations reçues concernant la situation des enfants et adolescents dans le pays, qui auraient notamment été victimes de violences sexuelles, en particulier après avoir été détenus et auraient par ailleurs été soumis à des migrations forcées et à la séparation de leurs familles. Plusieurs enfants et adolescents auraient également été portés disparus ou assassinés.
Un expert a souligné que le Comité avait reçu des informations indiquant que la police nationale avait restreint le droit de réunion pacifique de manière systématique. Ont ainsi été interdites des manifestations dont les organisateurs avaient l’intention d’exprimer leur position contre le Gouvernement. Selon d’autres informations, des restrictions arbitraires de la liberté d’expression des journalistes, des professionnels des médias et des défenseurs des droits de l’homme ont eu lieu entre avril 2018 et août 2019, a déploré un autre expert, faisant observer qu’entre 120 et 140 journalistes nicaraguayens sont en exil.
L’expert s’est également inquiété que la loi spéciale sur la cybercriminalité approuvée par l’Assemblée nationale du Nicaragua en 2020 - bien qu’elle mentionne la répression de la pornographie enfantine et du crime organisé comme objectifs – puisse être utilisée pour contrôler les réseaux sociaux et les médias numériques, notamment par le biais de l’unité de police existante spécialisée dans la cybercriminalité.
Une experte s’est elle aussi dite préoccupée par la persistance d’agressions, d’actes d’intimidation, de campagnes de diffamation, de détention illégale, de torture et d’autres mauvais traitements visant des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et même des religieux – actes face auxquels aucune action en justice ne serait engagée contre les auteurs présumés qui seraient dans les rangs de la police ou des éléments progouvernementaux. Le Comité a reçu des informations selon lesquelles l’État partie a utilisé l’infraction pénale de terrorisme pour punir des voix dissidentes et des journalistes en violation du Pacte, s’est inquiétée cette experte.
L’experte a par ailleurs regretté ne pas avoir d’informations de la part du Nicaragua sur les mesures prises pour accroître la représentation des autochtones et des personnes d’ascendance africaine aux postes de décision et pour accroître leur participation.
Un expert a également mentionné certains rapports qui documentent des situations fréquentes de népotisme, de corruption, de trafic d’influence et d’autres crimes économiques, non seulement au niveau du pouvoir central, mais aussi localement. Il a relevé que l’indice de perception de la corruption au Nicaragua est de 20%, plaçant ainsi le pays à la 164ème place sur 180.
Les élections présidentielles du 7 novembre 2021 ont été entachées d’irrégularités, a regretté un expert. L’État n’a pas accédé aux exigences de l’opposition nicaraguayenne qui, de concert avec la communauté internationale, a exigé des réformes électorales. Ces réformes avaient été demandées à la fois par les organisations d’observation électorale de la société civile et par les missions d’observation électorale de l’OEA lors des élections précédentes. Pour cette raison, l’Assemblée générale de l’OEA a publié une résolution en octobre 2021 déclarant que ces élections n’étaient pas libres, équitables ou transparentes et manquaient de légitimité démocratique, a rappelé l’expert.
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