Fil d'Ariane
Le Conseil dialogue avec l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine et avec la Mission indépendante d’établissement des faits sur la Libye
Au titre de l’assistance technique et du renforcement des capacités dans le domaine des droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme a tenu, ce matin, un dialogue avec l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine, M. Yao Agbetse, avant d’engager son dialogue avec le Président de la Mission indépendante d'établissement des faits sur la Libye M. Mohamed Auajjar.
Dans une mise à jour orale, M. Agbetse a souligné que si depuis sa précédente présentation devant le Conseil, en mars dernier, « certains développements positifs ont été enregistrés » en République centrafricaine, il n’en demeure pas moins que la situation des droits de l'homme dans le pays « reste préoccupante ». Il s’est en outre déclaré « extrêmement préoccupé » par le fait que les appuis budgétaires de 2021 de la Banque mondiale et de l’Union européenne n’ont pas été décaissés. Ces arriérés attendus en 2022, ne sont toujours pas débloqués, « ce qui pose un risque substantiel pour la croissance économique et le financement des services publics essentiels, la réduction de la pauvreté et la réalisation des programmes de la justice transitionnelle », a-t-il souligné. Il a en outre appelé la Banque mondiale, le FMI et l’Union européenne à s’abstenir de faire peser le fardeau des sanctions financières et économiques sur la population civile, sur les projets sociaux et sur les programmes de justice transitionnelle.
M. Agbetse a en outre déploré que les autorités centrafricaines « tardent à donner plein effet à l’engagement solennel du Président Touadera d’élever la lutte contre l’impunité au rang des priorités gouvernementales ». Il a par ailleurs appelé les entreprises qui opèrent en République centrafricaine et qui coopèrent de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, activement ou passivement, avec les groupes armés à cesser immédiatement ces comportements qui ne resteront pas impunis.
En tant que pays concerné, la République centrafricaine, par la voix de son Ministre d’État chargé de la justice, de la promotion des droits humains et de la bonne gouvernance, M. Arnaud Djoubaye Abazene, a indiqué que le raffermissement de l’État de droit, la promotion et protection des droits de l’homme, la lutte contre l’impunité, la restauration de l’autorité de l’État et la lutte contre les violences sexuelles étaient les priorités de son Gouvernement.
De nombreuses délégations* ont ensuite participé au dialogue avec l’Expert indépendant.
Présentant le rapport de la Mission indépendante d’établissements des faits sur la Libye, qu’il préside, M. Auajjar a, pour sa part, souligné qu’à l'heure actuelle, la culture de l'impunité continue de prévaloir en Libye et constitue un obstacle majeur à la réalisation de la réconciliation nationale, ainsi qu'à la justice, à la vérité et aux réparations pour les victimes et leurs familles. Il a notamment indiqué que la Mission a recueilli des preuves relatives à plus de 27 lieux de détention dans l'est et l'ouest de la Libye détenant des milliers de personnes, y compris des prisons secrètes et extralégales. Plus de 90 entretiens avec des détenus actuels et anciens ont détaillé les crimes contre l'humanité et autres actes inhumains commis depuis 2016, a-t-il ajouté.
Les conclusions du rapport dévoilent une « situation désastreuse », a poursuivi le Président de la Mission. Il a précisé que sur la base des preuves recueillies lors de plus de 50 entretiens, ainsi que des preuves médico-légales et des images satellites, la Mission a « des motifs raisonnables de croire que les membres de la milice al-Kaniyat ont commis des crimes contre l'humanité […] ainsi que des crimes de guerre». Ces crimes ont été commis dans le cadre d'une campagne délibérée de terreur, de contrôle, de punition et d'oppression d'une partie de la population civile de Tarhuna. Les responsables de ces crimes doivent être tenus pour responsables par un organe judiciaire dûment constitué et, dans cet esprit, la Mission a recommandé la création d'un tribunal spécial pour Tarhuna au sein du système judiciaire libyen, a indiqué M. Auajjar. Concluant son propos, il a affirmé que la situation des droits de l'homme en Libye appelle une action urgente.
Intervenant en tant que pays concerné, la Libye a notamment affirmé que les ingérences extérieures comptent parmi les facteurs qui aggravent la situation des droits de l'homme dans le pays dans une période de transition difficile. Cependant, malgré les difficultés, la Libye avance sur la voie de la protection et de la promotion des droits de l'homme en jetant les bases de la réconciliation nationale et de la justice transitionnelle, tout en construisant des institutions étatiques fortes et unifiées, a assuré la délégation libyenne.
Après avoir entendu les demandes de la Mission et évalué ses travaux, le Gouvernement libyen a décidé de soumettre par l'intermédiaire du Groupe africain un projet de résolution visant à proroger le mandat de la Mission pour une période supplémentaire et définitive de neuf mois, a indiqué la délégation libyenne.
Plusieurs délégations** ont ensuite engagé le dialogue avec M. Auajjar.
Le Conseil poursuivra ses travaux cet après-midi à 15 heures pour conclure son dialogue avec la Mission présidée par M. Auajjar, avant d’entendre un compte rendu oral du Haut-Commissariat sur la Géorgie.
Dialogue avec l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine
Mise à jour orale sur l’assistance technique et le renforcement des capacités dans le domaine des droits de l’homme en République centrafricaine
M. YAO AGBETSE, Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine, a déclaré que depuis mars dernier, « certains développements positifs ont été enregistrés » s’agissant de ce pays. Ainsi, la nouvelle Représentante spéciale du Secrétaire général pour la République centrafricaine et cheffe de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), Mme Valentine Rugwabiza, a pris ses fonctions en avril 2022 et porte l’espoir d’une nouvelle dynamique pour la protection des populations civiles, la contribution à l’accès à la justice des victimes, le renforcement des capacités et les appuis techniques nécessaires ; la Cour pénale spéciale a ouvert le 19 avril 2022 le premier procès dans l’affaire des tueries de Koundjili et Lemouna de 2019 ; le 27 mai, la loi portant abolition de la peine de mort a été adoptée ; et des sessions criminelles sur les violences sexuelles liées au conflit ont été organisées ce printemps, à l’issue desquelles les sept dossiers de viol qui ont été jugés ont tous abouti à des condamnations, a énuméré M. Agbetse.
Pour autant, l’Expert indépendant a souligné que depuis sa précédente présentation devant le Conseil en mars dernier, la situation des droits de l'homme en République centrafricaine reste préoccupante. « Au cours du premier semestre de 2022, la Division des droits de l'homme de la MINUSCA a documenté 436 incidents (impliquant 1319 victimes) de violations des droits de l'homme, d'abus et d'infractions au droit international humanitaire, dont beaucoup sont de nature extrêmement grave », a-t-il précisé, avant d’indiquer que « ces données représentent cependant une baisse de 42,63% du nombre d'incidents et une baisse de 24,49% du nombre de victimes, par rapport au dernier semestre de 2021 », au cours duquel la Division des droits de l’homme avait documenté 214 incidents affectant 564 victimes. En comparaison, pendant le premier semestre de 2021, juste après les élections, la MINUSCA avait enregistré 593 incidents affectant 1109 victimes. À peu près la moitié (47,68%) des victimes ont été attribuées aux agents de l’État et leurs alliés, les autres personnels de sécurité. Les groupes armés signataires de l'Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine (APPR-RCA) sont responsables de 44,49% des incidents et de 48,9% des victimes documentées ce semestre, a précisé l’Expert indépendant. Les préfectures de la Haute-Kotto et de la Vakaga ont été fortement affectées par les abus et les violations des droits de l’homme, a-t-il poursuivi, expliquant que ceci est dû au regain d’activité de l’UPC (Unité pour la paix en Centrafrique) et aux opérations militaires menées par les agents de l’État et leurs alliés contre ces derniers. Ce semestre, l’UPC est responsable de 35,81% du nombre total de victimes des groupes armés, a indiqué M. Agbetse.
L’Expert indépendant s’est ensuite déclaré « extrêmement préoccupé » par le fait que les appuis budgétaires de 2021 de la Banque mondiale et de l’Union européenne n’ont pas été décaissés. Ces arriérés attendus en 2022, ne sont toujours pas débloqués, « ce qui pose un risque substantiel pour la croissance économique et le financement des services publics essentiels, la réduction de la pauvreté et la réalisation des programmes de la justice transitionnelle », a-t-il souligné. « J’en appelle de toute urgence à ce Conseil et particulièrement à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international (FMI) et à l’Union européenne pour que des solutions pratiques et adaptées soient trouvées dans les plus brefs délais avec les autorités centrafricaines que j’invite à faire preuve d’un leadership plus engagé respectueux des accords signés avec les donateurs, notamment l’adoption rapide de la loi anti-corruption », a déclaré l’Expert indépendant. Il a en outre appelé la Banque mondiale, le FMI et l’Union européenne à intégrer dans leurs analyses macroéconomiques la dimension des droits de l’homme et à s’abstenir de faire peser le fardeau des sanctions financières et économiques sur la population civile, sur les projets sociaux et sur les programmes de justice transitionnelle.
M. Agbetse a en outre déploré que les autorités centrafricaines « tardent à donner plein effet à l’engagement solennel du Président Touadera d’élever la lutte contre l’impunité au rang des priorités gouvernementales », alors que les recommandations du dialogue républicain de mars 2022 confirment la soif encore inassouvie de la population sur le terrain de la lutte contre l’impunité. L’Expert indépendant a aussi jugé « important que le Gouvernement donne suite aux conclusions des enquêtes menées par sa Commission d’enquête spéciale établie en mai 2021 sur les allégations d’exactions commises par les forces armées centrafricaines et leurs alliés russes ». Des poursuites et procès contre les auteurs de ces violations et d’autres violations et abus graves devraient aussi être engagés sans délai, a déclaré M. Agbetse.
Les autres personnels de sécurité, y compris les forces bilatérales russes dont l’enquête de la Commission spéciale a conclu à l’établissement des faits de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire doivent diligemment faire l’objet de poursuites de la part de leurs États d’origine, a poursuivi l’Expert indépendant. Il en va de même des Casques bleus impliqués dans des cas de violences sexuelles afin que justice soit rendue aux victimes, a-t-il ajouté. Il est en outre impérieux que des actions concrètes soient prises dans le cadre de la liste de sanctions du Conseil de sécurité, sur laquelle figurent de nombreuses personnalités dont des leaders des groupes armés, a souligné M. Agbetse. Il a par ailleurs appelé les entreprises qui opèrent en République centrafricaine et qui coopèrent de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, activement ou passivement, avec les groupes armés à cesser immédiatement ces comportements qui ne resteront pas impunis.
M. Agbetse a ensuite dit avoir la ferme conviction que les prochaines élections locales sont une nécessité pour le pays afin de relever les défis locaux qui ne trouvent pas toujours de réponses depuis Bangui. Par ailleurs, les mesures nécessaires pour des élections libres, transparentes et pacifiques doivent être prises dès maintenant avec la participation des femmes (quota d’au moins 35%), des jeunes et des réfugiés et des personnes déplacées volontairement réinstallées dans leurs localités initiales, a-t-il dit.
Il s’est également dit très inquiet des discours de haine, des incitations à la violence, du recours à la manipulation, à la désinformation et à la mésinformation dans les médias et sur les réseaux sociaux. Cette situation empoisonne les relations entre les autorités centrafricaines, leurs partenaires techniques et financiers et les organisations de la société civile ; elle dégrade également la confiance des acteurs et entrave le processus de réconciliation et la marche vers la paix. « J’appelle tous les acteurs, étatiques ou non étatiques, et partenaires techniques et financiers de la République centrafricaine à s’abstenir de tout recours, relais ou caution à ces messages et mets en garde leurs auteurs », a déclaré M. Agbetse. Il appartient aux autorités centrafricaines de mettre un terme à cette désinformation et aux messages de haine et de violence, a-t-il lancé.
Concluant son intervention, l’Expert indépendant a invité le Conseil à considérer l’adaptation de la résolution qui sera adoptée en septembre prochain, lors de sa 51e session, à l’évolution de la situation. Selon lui, il est notamment urgent d’accélérer les réformes de la justice et de la sécurité, de redonner un nouvel élan au processus de la Commission Vérité, Justice, Réparations et Réconciliation (CVJRR) et de trouver les voies et moyens pour mettre un terme aux groupes armés. Il urge également de traiter, dans une approche fondée sur le droit, la question des minorités. Il est également urgent de renforcer dès maintenant les capacités des institutions centrafricaines ayant pour mandat la lutte contre l’impunité, la promotion de l’État de droit et de la bonne gouvernance. Il est enfin urgent de connecter davantage les décisions du Conseil des droits de l’homme à celles, entre autres, du Conseil de sécurité et de la Commission de consolidation de la paix, afin d’accompagner, de manière holistique, l’appui technique et les renfoncements des capacités prodigués à la République centrafricaine, a conclu M. Agbetse.
Pays concerné
M. ARNAUD DJOUBAYE ABAZENE, Ministre d’État chargé de la justice, de la promotion des droits humains et de la bonne gouvernance, Garde des sceaux de la République centrafricaine, a d’abord déclaré que le raffermissement de l’État de droit, la promotion et protection des droits de l’homme, la lutte contre l’impunité, la restauration de l’autorité de l’État et la lutte contre les violences sexuelles étaient les priorités de son Gouvernement.
Dans le cadre des efforts pour restaurer l’autorité de l’État, le Ministre a notamment indiqué que le Gouvernement avait adopté une loi de programmation militaire et procédé à une réforme du secteur de la sécurité ayant permis le redéploiement des forces armées et de sécurité. Une nette augmentation du nombre des fonctionnaires locaux dans les provinces est aussi perceptible, a ajouté le Ministre. Cette extension de l’autorité de l’État a facilité les enquêtes sur les violations des droits de l’homme, de même que favorisé l’accès des populations à la justice, a-t-il précisé.
Le Gouvernement a également entamé des actions pour l’apaisement du climat politique, y compris la mise en œuvre de l’Accord politique pour la paix, la Feuille de route conjointe de Luanda, l’application des recommandations issues du Dialogue républicain, ainsi que la tenue d’un dialogue social permanent avec les partenaires sociaux. Avec la MINUSCA, le Gouvernement a poursuivi le processus de désarmement et de démobilisation ciblant les combattants concernés par l’Accord politique, a aussi fait savoir le Ministre.
En matière de justice, la lutte contre l’impunité constitue la colonne vertébrale de l’action du Gouvernement, a poursuivi M. Abazene. La Cour d’appel de Bangui a tenu sa première session criminelle annuelle, pendant laquelle elle a jugé plusieurs cas de violences sexuelles et fondées sur le genre. Les cas présumés de violations des droits de l’homme font l’objet d’enquêtes ; certains cas ont été jugés par la Cour d’appel et les cours martiales, tandis que la Cour pénale internationale est à pied d’œuvre pour des cas relevant de sa compétence.
Dans le cadre du respect par la République centrafricaine de ses engagements régionaux et internationaux en matière de droits humains, le Ministre a mentionné l’adoption d’un plan d’action contre la traite des enfants, visant en particulier le recrutement d'enfants dans les conflits. Toutes les infrastructures scolaires ont été libérées il y a longtemps, ce qui a permis aux enfants de retourner à l’école, a-t-il ajouté.
Le Gouvernement, qui travaille sans relâche à l’adoption d’un plan national pour les droits de l’homme, a aussi lancé le processus de création du mécanisme national de prévention de la torture.
Malgré un contexte fragile, le Gouvernement a ainsi mené des actions tangibles pour la pacification du pays et surtout pour la protection des droits humains, a conclu le Ministre. Il a appelé la communauté internationale à garder la République centrafricaine à son agenda et a exprimé la gratitude de son pays envers la MINUSCA, les agences du système des Nations Unies et les forces bilatérales sans lesquels la République centrafricaine ne saurait aspirer à la paix.
Aperçu du dialogue
Les efforts tangibles réalisés par les autorités centrafricaines pour rétablir la paix et la stabilité, notamment l’organisation d’élections locales en 2023 dans un environnement politique pacifique et inclusif, ont été salués. La signature de l'Accord de Khartoum du 6 février 2019, qui fait référence à une justice équitable et efficace et à une adhésion volontaire des groupes armés au programme de « Désarmement, Démobilisation, Réintégration et Rapatriement » (DDDR) en vue d'un retour définitif de la paix, a, elle aussi, été jugée positive.
Plusieurs délégations ont également salué l’adoption, le 27 mai dernier, d’une loi abolissant la peine de mort. Le Gouvernement a été encouragé à adopter le décret d’application de cette loi et à ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant précisément l’abolition de la peine de mort.
Nombre de délégations se sont toutefois dites préoccupées par la persistance de violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire en République centrafricaine, s’agissant notamment des violences sexuelles et basées sur le genre commises par les groupes armés, les forces armées nationales ainsi que les mercenaires du « groupe Wagner » – groupe dont une délégation a mis en garde contre l’action déstabilisatrice.
L’Expert indépendant a été prié de recommander un mécanisme pour un meilleur contrôle de la circulation illégale des armes, compte tenu du fait – a-t-il été affirmé par certains intervenants – que l’embargo sur les armes semble pénaliser avant tout les forces gouvernementales.
Le nombre de cas de violences sexuelles contre les enfants et les femmes documentés par le système de gestion de l'information sur la violence sexiste de l'ONU au cours des quatre premiers mois de 2022 représente déjà 87% du total des cas documentés en 2021, a mis en garde une intervenante. Quant au recrutement ou l'utilisation d'enfants par des groupes armés et des forces armées, il reste également très préoccupant : 70 cas ont été vérifiés par l'ONU au cours du premier trimestre de 2022, ce qui représente une augmentation de près de 12% par rapport à l'année précédente.
D’autres préoccupations ont été exprimées devant les campagnes de désinformation menées en République centrafricaine au détriment de la MINUSCA, entre autres. Il a été demandé que le Plan national pour la prévention de l’incitation à la haine et à la violence soit appliqué avec des engagements concrets ainsi que des mécanismes de suivi et d’alerte précoce.
S’agissant des questions de justice, l’importance de maintenir un engagement fort en matière de lutte contre l'impunité a été soulignée, en tant qu’élément de la consolidation du processus de paix. L’ouverture du premier procès devant la Cour pénale spéciale de Bangui est une étape positive, qui doit se poursuivre, a souligné une délégation, avant d’encourager les autorités centrafricaines à renforcer l’efficacité du système judiciaire.
La communauté internationale a été appelée à soutenir le Gouvernement centrafricain dans ses efforts visant à lutter contre la culture de l’impunité, afin que des enquêtes sur toutes les violations et tous les abus présumés soient menées et que les auteurs répondent de leurs actes.
Le Conseil et les agences internationales compétentes, a-t-il été affirmé, devraient fournir la coopération et l'assistance dont le pays a besoin sur la base des principes de respect de la souveraineté, de l'indépendance et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, tels que consacrés par la Charte des Nations Unies, a demandé un intervenant. « Les problèmes africains doivent être résolus selon les vœux des Africains », a affirmé une délégation.
*Liste des intervenants : Union européenne, Sénégal, France, Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Venezuela, Fédération de Russie, Soudan, Égypte, Chine, Portugal, Angola, Mali, Royaume-Uni, Irlande, Gabon, États-Unis, Ensemble contre la peine de mort, Penal Reform International, Alliance évangélique mondiale, Défense des enfants - international, Elizka Relief Foundation et Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme.
Réponses et conclusion de l’Expert indépendant
M. AGBETSE a relevé que certains éléments, notamment la CPC (Coalition des patriotes pour le changement), continuaient leurs attaques sur le territoire centrafricain, ce qui empêche le processus de DDDR de se dérouler normalement. L’Expert indépendant a fait remarquer que les pays voisins ne devraient pas servir pas de base arrière à ces éléments. Il a insisté sur le fait que La restauration de l’autorités de l’État dépendait aussi de la formation et du déploiement des forces armées.
Un appui technique et financier serait nécessaire pour aider la République centrafricaine à appliquer les recommandations formulées par les organes internationaux des droits de l’homme, a par ailleurs indiqué l’Expert indépendant.
L’Expert indépendant a plaidé pour une réforme de fond du système de justice national et pour des améliorations dans le système pénitentiaire. Il a recommandé que les autorités remettent M. Hassan Bouba à la Cour pénale spéciale.
M. Agbetse a enfin appelé à l’application concrète de la loi sur la décentralisation.
Dialogue avec la Mission indépendante d'établissement des faits sur la Libye
Le Conseil est saisi du rapport de Mission indépendante d'établissement des faits sur la Libye (A/HRC/50/63, à paraitre en français)
Présentation
M. MOHAMED AUAJJAR, Président de la Mission indépendante d'établissement des faits sur la Libye, a d’emblée déclaré qu’à l'heure actuelle, la culture de l'impunité continue de prévaloir et constitue un obstacle majeur à la réalisation de la réconciliation nationale, ainsi qu'à la justice, à la vérité et aux réparations pour les victimes et leurs familles. Au cours de la période considérée, la Mission a recueilli des éléments de preuve supplémentaires lors de 103 entretiens avec des victimes et des témoins qui ont raconté des violations des droits de l'homme dans le pays. La Mission s'est également entretenue avec les autorités libyennes en vue de rendre compte des efforts déployés par la Libye pour que les auteurs de violations du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire aient à répondre de leurs actes.
Parmi les violations identifiées, figurent les attaques directes contre des civils, les détentions arbitraires, les disparitions forcées, les violences sexuelles, la torture, les violations des libertés fondamentales, les persécutions et les violations à l'encontre des journalistes, des défenseurs des droits de l'homme, de la société civile, des minorités, des personnes déplacées à l'intérieur du pays, ainsi que les violations des droits des femmes et des enfants, a précisé M. Auajjar. La Mission a recueilli des preuves relatives à plus de 27 lieux de détention dans l'est et l'ouest de la Libye détenant des milliers de personnes, y compris des prisons secrètes et extralégales. Plus de 90 entretiens avec des détenus actuels et anciens ont détaillé les crimes contre l'humanité et autres actes inhumains commis depuis 2016.
Les conclusions du rapport dévoilent une « situation désastreuse », a poursuivi le Président de la Mission. Les civils ont souffert des affres de la guerre en violation du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme. Les disparitions forcées ont laissé les familles dans l'ignorance du sort de leurs proches. La torture et le traitement inhumain des détenus sont monnaie courante dans plusieurs prisons. Les exécutions extrajudiciaires sont couramment utilisées comme moyen de punition. Des enfants ont été recrutés et utilisés pour prendre directement part aux hostilités. Des milliers de personnes déplacées à l'intérieur du pays ne peuvent toujours pas retourner chez elles. Les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile se retrouvent pris dans des schémas de violence, en mer, dans des centres de détention et aux mains de trafiquants. Et la violence a eu un impact dramatique sur les droits économiques, sociaux et culturels des Libyens.
M. Auajjar a également déclaré que sur la base des preuves recueillies lors de plus de 50 entretiens, ainsi que des preuves médico-légales et des images satellites, la Mission a « des motifs raisonnables de croire que les membres de la milice al-Kaniyat ont commis des crimes contre l'humanité […] ainsi que des crimes de guerre». Ces crimes ont été commis dans le cadre d'une campagne délibérée de terreur, de contrôle, de punition et d'oppression d'une partie de la population civile de Tarhuna. Depuis le départ de la milice en juin 2020, les autorités libyennes ont localisé quatre fosses communes et plusieurs tombes individuelles, d'où elles ont récupéré 247 corps, dont 138 femmes. Les responsables de ces crimes doivent être tenus pour responsables par un organe judiciaire dûment constitué et, dans cet esprit, la Mission a recommandé la création d'un tribunal spécial pour Tarhuna au sein du système judiciaire libyen pour poursuivre les crimes internationaux, avec le soutien technique et l'expertise internationaux, a dit M. Auajjar.
Concluant son propos, M. Auajjar, a affirmé que la situation des droits de l'homme en Libye appelle une action urgente pour mettre fin immédiatement aux violations et aux abus des droits de l'homme, garantir que les victimes soient rétablies dans leurs droits et obtiennent des réparations, mais aussi que tous ceux qui ont violé les droits de l'homme et commis des crimes internationaux doivent rendre des comptes, en Libye et à l'étranger, sans exception. Or, à ce jour, la Libye reste dépourvue d'une constitution permanente et d'un cadre juridique capable de traiter les violations des droits de l'homme et les crimes internationaux les plus graves, et son système judiciaire reste vulnérable aux attaques et aux interférences. Pour cette raison, la Mission recommande l'adoption d'un plan d'action national holistique pour les droits de l'homme. Ce plan d'action doit prendre en compte toutes les conclusions et recommandations de la Mission et d'autres organismes de défense des droits de l'homme, assurer une transition durable vers la paix, la démocratie et le plein respect des droits de l'homme et s'engager en faveur d'une réconciliation inclusive, a conclu M. Auajjar.
Pays concerné
Les ingérences extérieures comptent parmi les facteurs qui aggravent la situation des droits de l'homme en Libye dans une période de transition difficile, a déclaré la délégation de la Libye. Cependant, malgré les difficultés, la Libye avance sur la voie de la protection et de la promotion des droits de l'homme en jetant les bases de la réconciliation nationale et de la justice transitionnelle, tout en construisant des institutions étatiques fortes et unifiées, a-t-elle affirmé.
La délégation a souligné que le choix d’une réconciliation nationale basée sur la justice transitionnelle était une option irréversible pour son Gouvernement. Elle a mentionné, à cet égard, le lancement récent, par le Conseil présidentiel, d’un projet de réconciliation nationale à l’élaboration duquel ont participé des Libyens de toutes les régions et de toutes tendances. Ce projet contient des indicateurs en matière de promotion des droits de l'homme, de lutte contre l'impunité, de réconciliation et de justice, ainsi qu’un calendrier. Ces indicateurs sont basés sur les recommandations de la Mission d’enquête, a fait valoir la délégation.
La délégation libyenne a par ailleurs mentionné la création d’un mécanisme chargé de coordonner la rédaction des rapports dus par la Libye, qui bénéficiera également des recommandations de la Mission d'enquête. La Libye dialogue de manière positive et dans un esprit de coopération constructive avec les mécanismes du Conseil, dont le plus important est la Mission d'enquête, laquelle est le résultat d'une initiative nationale et doit le rester. Après avoir entendu les demandes de la Mission et évalué ses travaux, le Gouvernement a décidé de soumettre par l'intermédiaire du Groupe africain un projet de résolution visant à proroger le mandat de la Mission pour une période supplémentaire et définitive de neuf mois, soit jusqu’à la session de mars 2023 du Conseil.
Aperçu du dialogue
Les efforts de la Libye dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l'homme ont été jugés positifs, notamment la création de mécanismes nationaux pour l'établissement de rapports et le suivi des recommandations de l'EPU et des organes de traités, ou encore la décision du Conseil présidentiel de lancer le projet de réconciliation nationale. Ont aussi été salués les mesures prises pour améliorer l'accès à la santé, au travail, à l'eau et à l'éducation, ainsi que le renforcement des programmes sociaux en faveur des groupes les plus vulnérables – au sujet desquels la Libye a fourni des informations abondantes lors de son troisième Examen périodique, a-t-on fait remarquer.
Cependant, la situation des droits de l'homme en Libye reste très préoccupante, ont regretté plusieurs participants au débat. Ils ont déploré les informations faisant état de torture, d'exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de violences sexuelles et sexistes, de détentions arbitraires, de rétrécissement de l'espace civique, voire de crimes contre l’humanité. La résurgence de la violence à motivation politique a elle aussi été condamnée et tous les acteurs ont été appelés à œuvrer en faveur d'une transition politique pacifique. Des délégations ont demandé le départ de Libye de toutes les forces étrangères et autres mercenaires.
Plusieurs intervenants ont estimé que, le travail de la Mission indépendante d'établissement des faits n’étant pas terminé, son mandat devait être prolongé. Pour certaines délégations, il est important que la Mission respecte son mandat et qu’elle présente son dernier rapport à la cinquante-deuxième session du Conseil [en mars 2023]. Il a été demandé que la Mission dispose du temps et des ressources nécessaires pour mener à bien son mandat et qu’elle puisse accéder à l’est et au sud du pays, de même qu’à tous les lieux de détention.
Il a été recommandé, entre autres choses, que le Gouvernement adopte un plan d'action national global en matière de droits de l'homme – comme le préconise la Mission – afin de garantir le plein respect des droits de l'homme et une transition durable vers la paix et la démocratie grâce à des élections équitables, et en particulier qu’il renforce son cadre juridique national pour mieux protéger les victimes de violences sexuelles et sexistes. Une délégation a regretté que le Gouvernement libyen soit revenu sur l’engagement pris en faveur de l’imposition d’un quota de 30% de femmes dans la vie politique.
L'ensemble des acteurs en Libye, notamment la Chambre des représentants et le Haut Conseil d’État, ont été priés de s’accorder sur une base constitutionnelle nécessaire à la tenue des élections présidentielles et parlementaires transparentes et inclusives.
Il a aussi été demandé que la communauté internationale apporte son assistance à la Libye pour régler la question des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile qui sont victimes de graves violations des droits de l’homme, y compris au sein des prisons et des centres de détention.
Quant au Haut-Commissariat aux droits de l'homme, il a été prié de continuer à fournir un appui technique et à renforcer les capacités des institutions libyennes – notamment pour ce qui est des organismes chargés de l'application des lois et de la justice – afin qu’elles soient mieux à même d'assumer leurs responsabilités, de prévenir les violations et de renforcer l'état de droit et le respect des droits de l'homme.
**Liste des intervenants : Islande (au nom d’un groupe de pays), Union européenne, Jordanie (au nom du Groupe arabe), Arabie saoudite (au nom d’un groupe de pays), Côte d’Ivoire (au nom d’un groupe de pays), Suisse, Allemagne, Liechtenstein, ONU-Femmes, Sierra Leone, Espagne, Sénégal, Iraq, Maroc, Luxembourg, Venezuela, Bahreïn, Soudan, Égypte, Chine, Algérie, Grèce, Türkiye, Malte, Yémen, Royaume-Uni, Irlande, États-Unis, Jordanie, République tchèque, Chypre, Mauritanie, Soudan du Sud, Tunisie, Pays-Bas, Italie, Belgique, Qatar et France.
HRC22.070F