Fil d'Ariane
Examinant le rapport initial de Singapour, les experts du CERD s’intéressent particulièrement à la situation des travailleurs migrants et des minorités dans le pays
Alors qu’ils examinaient, hier après-midi et ce matin, le rapport initial présenté par Singapour au titre de la Convention internationale sur l’élimination de la discrimination raciale , les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD, selon l’acronyme anglais) se sont particulièrement intéressés à la situation des travailleurs migrants et des minorités dans ce pays, ainsi qu’à la question de la peine de mort. Singapour devrait envisager l’élaboration d’une législation spécifique contre la discrimination, a indiqué un membre du Comité.
Se référant à un rapport émanant d’une organisation non gouvernementale, un expert a souligné que le Comité est particulièrement préoccupé par l’information selon laquelle les minorités raciales sont surreprésentées dans l’application de la peine de mort. Si la population d’origine malaise représente 37% de la population de Singapour, elle représente en revanche plus de 80% des personnes exécutées dans ce pays pour trafic de drogue, a-t-il observé. Singapour devrait adopter un moratoire sur la peine de mort pour découvrir si en résultera ou non une augmentation de la criminalité, a recommandé l’expert.
Les travailleurs domestiques migrants ne sont pas couverts par la loi sur l’emploi, mais par la loi sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, a-t-il par ailleurs été observé. Or, cette dernière loi n’impose aux employeurs que des obligations vaguement formulées. Les travailleurs domestiques migrants se voient refuser les droits fondamentaux du travail, tels que les jours fériés, les congés annuels, les congés de maladie et le droit à réparation en cas de licenciement abusif, a-t-il été souligné.
Parmi les recommandations qu’un membre du Comité a jugé particulièrement pertinentes, figurent celles visant à : étendre la loi sur l’emploi aux travailleurs domestiques migrants ; abroger la loi qui entraîne l’expulsion des travailleuses domestiques migrantes enceintes ; ou encore prendre des mesures pour lutter contre les discriminations salariales fondées sur la nationalité.
Présentant le rapport de son pays, M. Mohamad Maliki bin Osman, Ministre au cabinet du Premier Ministre, Deuxième Ministre pour l’éducation et pour les affaires étrangères de Singapour, a expliqué que les pères fondateurs du pays ont défendu un « Singapour singapourien », où tout le monde est égal dans une société juste et équitable pour toutes les races. Cette vision est à la base des décisions politiques actuelles, qui sont ancrées sur trois piliers : des garanties législatives pour l’harmonie raciale et religieuse ; des politiques qui favorisent l’intégration sociale et protègent les intérêts des minorités ; et enfin des programmes qui inculquent la compréhension et le respect mutuels au sein de la communauté, a-t-il indiqué.
La Constitution singapourienne prévoit notamment que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une protection égale de la loi. Elle reconnaît également la position particulière des Malais, peuple autochtone de Singapour. Les droits des minorités sont protégés par le Conseil présidentiel pour les droits des minorités, qui les protège contre la promulgation de lois discriminatoires sur le plan racial, a indiqué le chef de la délégation singapourienne.
Singapour dispose également d’un cadre juridique solide pour dissuader tout individu ou groupe qui voudrait provoquer un conflit racial. Singapour applique à cet effet des lois contre l’incitation à la haine raciale et religieuse, ainsi que contre les actes de violence à caractère raciste, a d’autre part indiqué le Ministre. D’autres politiques protègent les intérêts des minorités ethniques, notamment dans les logements publics, a-t-il poursuivi, avant d’ajouter que dans l’éducation, les écoles publiques favorisent la mixité sociale et engendrent une identité singapourienne partagée dès le plus jeune âge.
Le Ministre a en outre indiqué que le Gouvernement allait promulguer une nouvelle loi sur le maintien de l’harmonie raciale afin de consolider toutes les lois existantes traitant des questions raciales.
La délégation singapourienne était également composée, entre autres, de représentants des Ministères de la culture, de la communauté et de la jeunesse ; de l’éducation ; des affaires intérieures ; de la main-d’œuvre ; de la défense ; de la loi ; et du développement national. Elle comprenait en outre des représentants de la Police et des chambres du Procureur général.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de Singapour et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 3 décembre prochain.
Lundi après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de la Thaïlande.
Examen du rapport de Singapour
Le Comité était saisi du rapport initial de Singapour ( CERD/C/SGP/1 ).
Présentation du rapport
Présentant le rapport de son pays, M. MOHAMAD MALIKI BIN OSMAN, Ministre au cabinet du Premier Ministre, Deuxième Ministre pour l’éducation et pour les affaires étrangères de Singapour , a évoqué l’histoire et la diversité de Singapour, ainsi que sa vision de l’harmonie raciale et a fait remarquer que les liens de confiance et de respect qui lient actuellement les différentes communautés nationales n’allaient pas de soi, notamment en raison de l’immense diversité au sein du pays. « Nos ancêtres venaient d’Asie du Sud-Est, de Chine, d’Inde et d’ailleurs », a-t-il souligné, avant d’ajouter que « le gouvernement colonial a[vait] accentué la différence et la séparation par des politiques telles que la délimitation de zones d’habitation distinctes pour les communautés chinoise, malaise, indienne et européenne ». Par conséquent, les pères fondateurs ont défendu un « Singapour singapourien », où tout le monde est égal dans une société juste et équitable pour toutes les races, a indiqué le Ministre. Cette vision est à la base des décisions politiques actuelles, qui sont ancrées sur trois piliers : des garanties législatives pour l’harmonie raciale et religieuse ; des politiques qui favorisent l’intégration sociale et protègent les intérêts des minorités ; et enfin des programmes qui inculquent la compréhension et le respect mutuels au sein de la communauté.
S’agissant des garanties législatives, a précisé le Ministre, la Constitution prévoit notamment que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une protection égale de la loi. Elle reconnaît également la position particulière des Malais, peuple autochtone de Singapour. Les droits des minorités sont protégés par le Conseil présidentiel pour les droits des minorités, qui les protège contre la promulgation de lois discriminatoires sur le plan racial.
Singapour dispose également d’un cadre juridique solide pour dissuader tout individu ou groupe qui voudrait provoquer un conflit racial. Singapour applique à cet effet des lois contre l’incitation à la haine raciale et religieuse, ainsi que contre les actes de violence à caractère raciste, a indiqué le Ministre.
Le pays applique en outre des garanties institutionnelles pour assurer que son Parlement soit toujours multiracial. En outre, lorsqu’aucun membre d’une communauté raciale [conformément à ce qu’indique le paragraphe 3.30 du rapport, « On entend par communautés raciales les communautés chinoise, malaise ou indienne ou d’autres communautés minoritaires »] n’a occupé le poste de président après cinq mandats successifs, l’élection présidentielle suivante sera réservée à un candidat de cette communauté. Ainsi, la Présidente actuelle, Mme Halimah Yacob, élue en 2017, est-elle la première femme malaise Présidente de Singapour.
D’autres politiques protègent les intérêts des minorités ethniques, notamment dans les logements publics, où la politique d’intégration ethnique garantit un mélange équilibré de résidents issus des différents groupes ethniques et contribue à prévenir la formation d’enclaves ethniques, a poursuivi le chef de la délégation singapourienne. Dans l’éducation, les écoles publiques favorisent la mixité sociale et engendrent une identité singapourienne partagée dès le plus jeune âge, a-t-il en outre fait valoir. D’autre part, une politique de bilinguisme permet aux élèves d’étudier leur langue maternelle ou leur langue ethnique, pour préserver l’héritage culturel, les valeurs et la spécificité de leur groupe ethnique.
Par ailleurs, le Gouvernement adopte une position ferme et inflexible contre toute personne qui soutient, encourage ou entreprend des actes de violence. Ce combat vise l’extrémisme et la violence, et non une race, une ethnie ou une religion particulière, a insisté le Ministre. Le Gouvernement travaille avec les chefs communautaires et religieux pour empêcher que la désinformation, le doute et l’hostilité ne s’enveniment et pour faire en sorte que la société reste unie et résiliente en temps de crise.
Cependant, le Gouvernement de Singapour ne se repose pas sur ses lauriers, l’harmonie raciale étant un travail constant, a souligné le chef de la délégation. C’est pourquoi le Gouvernement révise en permanence ses politiques afin de répondre au mieux aux besoins changeants d’une société multiraciale et multiconfessionnelle. À cette fin, a indiqué le Ministre, le Gouvernement promulguera une nouvelle loi sur le maintien de l’harmonie raciale afin de consolider toutes les lois existantes traitant des questions raciales.
Face à la pandémie de COVID-19, a aussi fait savoir le Ministre, le Gouvernement a déployé des efforts pour renforcer la résilience non seulement des Singapouriens, mais aussi de tous les résidents de longue durée à Singapour. Ainsi, les travailleurs migrants résidant dans des dortoirs ont-ils été l’un des premiers groupes à être vaccinés : et 98% d’entre eux sont désormais vaccinés.
Plusieurs incidents à caractère raciste ont été signalés à Singapour, a par ailleurs ajouté le Ministre, avant de souligner que ces incidents ont été condamnés au plus haut niveau, le Premier Ministre ayant indiqué clairement qu’ils allaient à l’encontre de tout ce que représente la société multiraciale singapourienne. Chaque incident fait l’objet d’une enquête et les mesures appropriées sont prises dans le cadre des lois existantes, a conclu le chef de la délégation.
Questions et observations des membres du Comité
M. MARC BOSSUYT, rapporteur du Comité pour l’examen du rapport de Singapour, a d’abord constaté que la Convention ne faisait pas automatiquement partie du droit interne de Singapour. Le Comité est convaincu que l’incorporation de la Convention dans le droit interne des Etats parties, qui permet aux juges nationaux d’appliquer les dispositions de cet instrument international et de leur donner la priorité sur les dispositions nationales contraires, est le meilleur moyen de garantir le respect de la Convention, a rappelé l’expert. Il a estimé que Singapour devrait envisager l’élaboration d’une législation spécifique contre la discrimination.
D’autre part, les Singapouriens reçoivent plus de soutien et d’avantages publics que les étrangers, a relevé M. Bossuyt. De plus, parmi les étrangers, Singapour fait une distinction entre les résidents permanents, qui contribuent « de manière substantielle » à Singapour, et les non-résidents. Les travailleurs migrants, quelle que soit leur nationalité, sont autorisés à résider à Singapour pendant la période de validité de leur laissez-passer ou permis d’immigration. Singapour a émis une réserve à la Convention lui permettant d’appliquer ses politiques concernant l’admission et la réglementation des détenteurs de permis de travail étrangers : aussi, le Comité souhaiterait-il des informations sur l’application de cette réserve et sur la nécessité de la maintenir, a demandé M. Bossuyt.
Il n’existe pas à Singapour d’institution nationale indépendante de défense des droits de l’homme, a poursuivi M. Bossuyt. Le Comité recommande la création d’une telle institution, qui soit pleinement conforme aux Principes de Paris et dotée de ressources financières et humaines adéquates, ainsi que d’un mécanisme spécifique de suivi et d’évaluation des progrès réalisés dans la mise en œuvre de la Convention. Le Comité se demande par ailleurs s’il est prévu d’adopter une stratégie globale et un plan d’action national pour lutter contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance, a indiqué l’expert.
Le Comité, a ajouté M. Bossuyt, recommande également à Singapour de faciliter le dépôt de plaintes pour des cas de discrimination raciale. Le Comité souhaiterait recevoir des statistiques – ventilées par origine ethnique et nationale des victimes présumées – sur les plaintes pour actes de discrimination raciale, discours de haine raciste et crimes de haine raciste, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et condamnations des auteurs et sur les réparations accordées aux victimes.
Il serait également souhaitable que les juges, les procureurs, les avocats et les agents de la force publique reçoivent une formation sur la Convention, a déclaré le rapporteur. Le Comité apprécierait de recevoir des informations sur les critères d’éligibilité à l’aide juridictionnelle ainsi que sur le nombre de personnes qui ont bénéficié de cette aide pour déposer une plainte pour discrimination raciale, a-t-il indiqué.
Citant un rapport soumis au Comité par une organisation qui cherche à réformer le système de sanctions pénales de Singapour, M. Bossuyt a relevé que Singapour comptait un taux très élevé de détenus par rapport à la population (213 pour 100 000 habitants) et que le pays appliquait des châtiments corporels, y compris la « bastonnade judiciaire ». D’autre part, a relevé l’expert, entre 2015 et 2020, 44 personnes ont été condamnées à la peine de mort pour des infractions liées à la drogue. Le Comité est particulièrement préoccupé par l’information selon laquelle les minorités raciales sont surreprésentées dans l’application de la peine de mort, a fait savoir M. Bossuyt. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de contrôles routiers fondés sur le profilage racial et basés sur des stéréotypes concernant les Indiens et les Malais, a-t-il ajouté.
En ce qui concerne le discours de haine raciste, l’incitation à la haine raciale et les crimes de haine raciste, a par la suite souligné le rapporteur, le Comité recommande d’inscrire la définition de ces notions dans le Code pénal et dans d’autres textes législatifs pertinents d’une manière pleinement conforme à l’article 4 de la Convention. Singapour devrait veiller à ce que tous les cas signalés de discours de haine raciste, d’incitation à la haine raciale et de crimes de haine raciste fassent l’objet d’une enquête dûment menée, que les responsables présumés soient poursuivis et punis de sanctions proportionnées à la gravité de l’infraction, et que les victimes bénéficient d’un recours efficace, a ajouté M. Bossuyt.
Il existe à Singapour une loi sur la sédition qui pénalise le fait de « susciter des sentiments de malveillance et d’hostilité entre les différentes races ou catégories de la population vivant à Singapour », a d’autre part relevé l’expert. En 2007, a-t-il ajouté, un amendement a été introduit dans le Code pénal pour criminaliser les comportements qui encouragent ou tentent de promouvoir sciemment la discorde ou des sentiments d’inimitié, de haine ou de malveillance entre différents groupes religieux ou raciaux. Cependant, il a été rapporté que cet amendement a des effets délétères sur la liberté d’expression, en particulier en ce qui concerne les discussions sur la race et le racisme, a fait observer M. Bossuyt.
Le Comité – a poursuivi le rapporteur – souhaiterait disposer des dernières statistiques, si possible ventilées par appartenance ethnique et par sexe, indiquant le niveau de réalisation des droits économiques, sociaux et culturels parmi les groupes minoritaires ethniques et religieux, s’agissant notamment de l’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement, à la sécurité sociale et aux services de santé. Le Comité souhaiterait en outre recevoir davantage d’informations et de données sur la représentation des groupes ethniques et religieux dans les institutions de l’État, y compris dans les forces armées, la police, la justice et l’administration publique à tous les niveaux.
Selon ce qu’indique le rapport, le système juridique de Singapour est essentiellement basé sur la common law, mais certains aspects du droit islamique des personnes sont appliqués aux membres de la communauté musulmane, qui est presque exclusivement composée de Malais ; en outre, les Malais sont reconnus constitutionnellement comme « le peuple autochtone de Singapour », a ensuite relevé l’expert. Le Comité – a-t-il indiqué – souhaiterait savoir quelles mesures sont prises pour réviser la loi sur l’administration du droit musulman afin de l’harmoniser avec le droit civil, notamment en supprimant toutes les exceptions à l’interdiction du mariage des filles de moins de 18 ans ; en interdisant complètement la polygamie ; en garantissant que les femmes et les hommes ont des droits égaux au divorce ; et en garantissant l’égalité des droits des femmes dans toutes les questions d’héritage.
Attirant l’attention sur le programme gouvernemental HOPE, qui offre des aides au logement et des aides financières aux familles à faible revenu à condition que la taille de la famille soit limitée à deux enfants, M. Bossuyt a relevé que selon un rapport d’une ONG singapourienne (appelée Community Action Network), ce programme discrimine en fait indirectement les femmes malaises qui ont des taux de fécondité historiquement élevés. Ce rapport note également que les minorités ethniques sont statistiquement plus susceptibles de souffrir de maladies chroniques et souffrent de taux de mortalité plus élevés que les membres de la majorité ethnique. Il a été rapporté que pour certains groupes ethniques, il existe des barrières linguistiques à l’accès aux services de santé, a en outre souligné le rapporteur.
Selon le rapport d’une ONG basée à Singapour, a poursuivi M. Bossuyt, il y a à Singapour 1,2 million de détenteurs de laissez-passer de travail étrangers. Le système de carte de travail distingue trois catégories de travailleurs étrangers : les détenteurs d’un laissez-passer pour le travail, ou Employment Pass (gagnant au moins 3,375 dollars des États-Unis par mois) ; les titulaires du S Pass (gagnant au moins 1,875 dollars des Etats-Unis) ; et les titulaires d’un permis de travail, y compris les travailleurs domestiques migrants (pour lesquels il n’y pas d’exigence de salaire minimum). Il y a environ 250 000 travailleurs domestiques migrants à Singapour, a ajouté l’expert. Les conditions de travail à Singapour sont régies par la loi sur l’emploi, a-t-il poursuivi. Cependant, les travailleurs domestiques migrants ne sont pas couverts par la loi sur l’emploi, mais par la loi sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, a-t-il observé. Cette dernière loi n’impose aux employeurs que des obligations vaguement formulées telles qu’un logement acceptable, une nourriture suffisante, un repos suffisant et un préavis raisonnable de rapatriement. Les travailleurs domestiques migrants se voient refuser les droits fondamentaux du travail, tels que les jours fériés, les congés annuels, les congés de maladie et le droit à réparation en cas de licenciement abusif, a insisté M. Bossuyt. En outre, a-t-il ajouté, les salaires des divers secteurs diffèrent selon la nationalité des travailleurs. De plus, les emplois dans certains secteurs sont réservés aux personnes de certaines nationalités. En ce qui concerne les travailleurs domestiques migrants, a fait observer le rapporteur, les Philippins ont les salaires les plus élevés, suivis des Indonésiens ; et les salaires les plus bas sont pour les Birmans et les Asiatiques du Sud.
Par ailleurs, a indiqué M. Bossuyt, de nombreux travailleurs domestiques migrants sont tenus de payer des frais de recrutement compris entre 860 et 2 900 dollars des Etats-Unis ; et de nombreux employeurs confisquent passeports, permis de travail et autres documents. Les travailleuses de la troisième catégorie (voir plus haut pour la définition des trois catégories) sont soumises à des examens médicaux obligatoires tous les six mois. Elles sont dépistées pour les maladies infectieuses comme la syphilis, le VIH et la tuberculose mais aussi pour la grossesse. Si elles ne réussissent pas le contrôle médical, leur permis de travail est annulé et elles sont immédiatement rapatriées, a relevé l’expert.
Parmi les recommandations que M. Bossuyt a jugé particulièrement pertinentes, figurent celles visant à : étendre la loi sur l’emploi aux travailleurs domestiques migrants ; abroger la loi qui entraîne l’expulsion des travailleuses domestiques migrantes enceintes ; prendre des mesures pour lutter contre les discriminations salariales fondées sur la nationalité ; permettre la liberté de la mobilité de l’emploi ; appliquer des sanctions plus sévères aux employeurs qui autorisent des conditions de travail et de vie abusives ; permettre aux travailleurs migrants de former leurs propres associations et syndicats.
Le Comité souhaiterait savoir quelles mesures sont prises pour prévenir et combattre l’exploitation et les mauvais traitements infligés aux travailleurs migrants par leurs employeurs, notamment en leur garantissant un accès sans entrave à la justice et à des recours efficaces sans crainte d’être arrêtés, détenus ou expulsés, a indiqué M. Bossuyt.
Par ailleurs, a ajouté l’expert, Singapour n’a pas de législation sur la détermination du statut de réfugié et sur la manière de traiter les demandes d’asile. L’adoption d’une telle législation ainsi que l’adhésion à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à son Protocole de 1967 devraient être recommandées, a-t-il déclaré.
Le Comité souhaite savoir si toutes les mères singapouriennes peuvent transmettre leur nationalité à leurs enfants, a d’autre part indiqué M. Bossuyt. Le Comité souhaiterait recevoir des statistiques sur le nombre d’apatrides dans l’État partie, si possible, ventilées par âge, sexe, origine ethnique ou nationale, statut de résidence et autres caractéristiques pertinentes. En tout état de cause, l’adhésion à la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie est à recommander, a conclu le rapporteur.
Au cours du dialogue noué avec la délégation singapourienne, M. Bossuyt, qui a précisé avoir participé à la rédaction du deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politique – Protocole qui vise l’abolition de la peine de mort –, s’est dit conscient de la nécessité de prendre des mesures pour protéger la population contre les effets néfastes des stupéfiants. Il a cependant contesté que la peine de mort ait un effet dissuasif. Singapour, a-t-il insisté, a atteint un niveau de développement qui devrait lui permettre de prendre le risque d’imposer un moratoire sur la peine de mort et d’évaluer ensuite si, oui ou non, le trafic a augmenté.
D’autre part, a souligné M. Bossuyt, si la population d’origine malaise représente 37% de la population de Singapour, elle représente en revanche plus de 80% des personnes exécutées dans ce pays pour trafic de drogue.
M. GUN KUT, rapporteur chargé du suivi des observations finales du Comité, a décrit la procédure qui sera suivie après l’envoi à Singapour des observations résultant de l’examen de ce rapport initial : le Comité choisira plusieurs recommandations prioritaires auxquelles l’État partie sera appelé à répondre, par écrit, avant la présentation du prochain rapport périodique, a-t-il précisé.
D’autres experts du Comité ont ensuite fait part de leurs propres questions et observations. Relevant que, selon le rapport, Singapour appliquait une approche « pratique » et « pragmatique » des droits de l’homme, certains ont demandé des éclaircissements sur l’application concrète de cette démarche. Il a aussi été demandé si Singapour reconnaissait l’existence de discriminations structurelles.
D’autres explications ont été demandées concernant l’articulation entre la notion de méritocratie, également mentionnée dans le rapport, et les principes d’égalité et de non-discrimination inscrits dans la Constitution singapourienne.
La délégation a été priée de dire si Singapour appliquait les « mesures spéciales » mentionnées à l’article premier de la Convention et destinées à « assurer […] le progrès de certains groupes raciaux ou ethniques ou d’individus ayant besoin de la protection qui peut être nécessaire pour leur garantir la jouissance et l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans des conditions d’égalité ».
Il a aussi été demandé dans quelle mesure les recommandations faites au Gouvernement par le Conseil présidentiel pour les droits des minorités étaient suivies d’effet.
Le Comité, a indiqué une experte, a été saisi d’informations selon lesquelles les travailleurs migrants à Singapour n’ont pas le droit de changer d’employeur et peuvent être soumis à des tests de grossesse ou de séropositivité dont le résultat peut entraîner leur expulsion du pays.
Plusieurs experts ont demandé si Singapour était disposée à imposer un moratoire sur l’application de la peine de mort.
Une experte a demandé s’il existait dans le pays un débat public et ouvert sur les problèmes rencontrés par les immigrants à Singapour. Un expert a voulu savoir si des organisations de la société civile avaient participé à la rédaction du rapport soumis au Comité.
Evoquant la réglementation concernant le port du voile dans le secteur public, un membre du Comité a souhaité connaître les raisons légitimes permettant aux employeurs du secteur privé d’interdire à leurs employés de porter le voile. Pour ce qui est du secteur public, il est inquiétant de constater que l’interdiction du port du voile y est fondée sur des stéréotypes infondés laissant entendre que les femmes musulmanes ne seraient pas capables de fournir de manière impartiale les services qu’elles sont censées fournir.
Un autre expert s’est enquis de l’éventuelle existence d’un inspectorat du travail susceptible, notamment, de recevoir les plaintes émanant des travailleurs et en particulier des travailleurs migrants. Comment les minorités malaise et chinoise sont-elles représentées dans les manuels scolaires, a d’autre part demandé cet expert ?
Les étudiants peuvent-ils étudier leur langue maternelle mais aussi dans leur langue maternelle, a pour sa part demandé une experte ? Elle s’est en outre inquiétée d’informations selon lesquelles des migrants sont confinés dans des dortoirs depuis mai 2020 suite à la pandémie de COVID-19.
La Convention peut-elle être invoquée devant les tribunaux du pays, a pour sa part demandé un expert ? Quels sont les droits des victimes potentielles de la discrimination raciale ?
Réponses de la délégation
La délégation singapourienne a d’abord insisté sur le fait qu’il était dans l’intérêt de son pays, dont la seule ressource est sa population, d’éliminer toute forme de discrimination raciale. Pour cette raison, a expliqué la délégation, le Gouvernement applique une démarche égale et juste pour toutes les communautés – une démarche qui tient compte des particularités et qui est fondée sur la méritocratie et le respect du multiculturalisme.
Singapour applique une stratégie globale contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance , a ensuite expliqué la délégation. Même si Singapour n’a pas adopté de loi unique contre la discrimination raciale, un grand nombre des principes de la Convention sont déjà intégrés dans les lois et politiques existantes. Le principe d’égalité de tous devant la loi est ancré dans la Constitution, laquelle interdit la discrimination contre les minorités ethniques. Le Code pénal, entre autres textes, défend lui aussi l’harmonie raciale.
Singapour dispose, parallèlement, d’un système fort de contrôle et de suivi institutionnel, qui rend impossible d’adopter des lois discriminatoires, a assuré la délégation. Ainsi, le Conseil présidentiel pour les droits des minorités est-il chargé d’empêcher l’adoption des lois discriminatoires, a-t-elle précisé. Il examine, avant leur présentation au Parlement, tous les projets de loi qui risquent d’avoir une incidence sur une minorité religieuse ou raciale. Le fait que le Conseil n’ait jamais émis de rapport négatif témoigne de l’efficacité du système de contrôle, a affirmé la délégation, avant de décrire la composition du Conseil et les mesures qui ont été prises au fil des ans pour que cette instance reste représentative de la composition ethnique du pays.
Le Conseil présidentiel pour les droits des minorités est composé d’un président et de 20 membres qui sont des représentants de communautés religieuses et ethniques variées, a par la suite précisé la délégation.
Cependant, a poursuivi la délégation, la lutte contre la discrimination raciale demande plus que des lois : elle passe aussi par un changement d’attitudes sociales, ce à quoi le Gouvernement s’applique avec de nombreux partenaires dans la société, y compris les organisations de la société civile, qui ont toutes un rôle à jouer dans l’élimination de la discrimination raciale.
Un élément important est l’éducation du public à l’acceptation d’autrui et des différences, a souligné la délégation. A cette fin, le Gouvernement a élaboré des supports pédagogiques destinés à l’ensemble de la population et il contribue en outre à la tenue de dialogues communautaires pour favoriser la compréhension interethnique et interreligieuse.
Dans le cadre de son approche pragmatique et pratique des droits de l’homme, le Gouvernement singapourien procède à des évaluations et ajustements constants de ses initiatives dans ce domaine, a d’autre part expliqué la délégation. Cette approche s’est justifiée, au moment de l’indépendance, par le caractère très hétérogène de la société singapourienne et par sa très petite taille. Le Gouvernement s’efforce aujourd’hui, grâce à cette approche, de répondre à l’évolution des attentes sociales.
Le Gouvernement est parvenu, grâce à ses efforts, à réduire les écarts entre ethnies en ce qui concerne le niveau de formation, le revenu et l’accession au logement, a fait valoir la délégation, chiffres à l’appui.
Plus de la moitié des personnes interrogées à Singapour estiment que le niveau d’harmonie interraciale est élevé, a-t-elle également fait valoir.
S’agissant des travailleurs migrants, la délégation a rappelé que Singapour compte une importante population immigrée, qui représente un tiers environ de la population totale. L’entrée des non-ressortissants doit par conséquent être réglementée, a-t-elle expliqué.
L’assistance juridique est accessible aux citoyens et aux résidents permanents à Singapour, moyennant le respect d’un critère lié au revenu, a ensuite indiqué la délégation.
Le personnel de justice reçoit des formations de base et continues sur les instruments des droits de l’homme ratifiés par Singapour, a en outre indiqué la délégation. Les policiers, quant à eux, reçoivent également une formation sur la manière de traiter tout un chacun de manière équitable, sans considération de race, de croyance ou d’origine ethnique.
S’agissant des crimes et des discours de haine, Singapour applique un ensemble d’outils dissuasifs et répressifs, a poursuivi la délégation. Depuis 2016, a-t-elle précisé, 15 affaires ont été portées devant les tribunaux et des condamnations ont été prononcées dans chaque cas.
Aussi bien la liberté d’expression que la liberté de réunion et d’association sont des libertés fondamentales qui sont garanties par la Constitution singapourienne, mais qui peuvent néanmoins faire l’objet de restrictions, a ensuite souligné la délégation. En ce qui concerne la liberté de réunion et d’association, Singapour cherche à équilibrer ce droit avec, en particulier, les impératifs de sécurité, a-t-elle expliqué. Depuis 2009, a précisé la délégation, plus des trois quarts des demandes de manifestations publiques ont été approuvées, a-t-elle fait valoir. Pour ce qui est de la liberté d’expression, Singapour veille à la garantir tout en interdisant les discours de haine et en assurant la protection des minorités, a indiqué la délégation. Singapour veille à interdire les discours de haine sans interdire la discussion sur les questions raciales et discriminatoires, a-t-elle souligné.
Singapour dispose d’un ensemble de mécanismes, y compris des voies de recours, garantissant l’ accès à la justice pour les victimes de discrimination raciale , a par ailleurs déclaré la délégation.
S’agissant de la peine de mort, la délégation a indiqué que cette peine était appliquée uniquement pour les crimes les plus graves, y compris le trafic de grandes quantités de stupéfiants. Toutes les procédures pénales, y compris celles pouvant entraîner la condamnation à mort, sont menées dans le respect du droit à un procès équitable ; et la loi s’applique de la même manière à tous les justiciables, indépendamment de tout critère de nationalité, ethnique ou autre, a assuré la délégation.
Singapour estime que la peine de mort a fait preuve de son efficacité en tant que mesure dissuasive, a affirmé la délégation, faisant valoir une baisse de plusieurs formes de criminalité grave depuis 1974.
Revenant par la suite sur cette question de la peine de mort, la délégation a dit respecter les points de vue exprimés par chacun et a rappelé le droit de chaque nation de décider de ce qui figure dans son système de justice pénale. La discrimination raciale ne joue aucun rôle dans l’application de la peine de mort à Singapour, a assuré la délégation, ajoutant qu’une procédure régulière est toujours appliquée.
La délégation a ensuite réfuté un certain nombre d’allégations figurant dans un rapport alternatif mentionné par M. Bossuyt. Elle a notamment indiqué qu’il est faux d’affirmer, comme le fait ce rapport, que Singapour aurait le troisième taux d’emprisonnement du monde (rapport entre le nombre de personnes emprisonnées et le nombre d’habitants) avec plus de deux cents personnes emprisonnées pour 100 000 habitants, alors que ce taux est en réalité de 179 pour 100 000, ce qui ne classe même pas Singapour parmi les dix pays du monde ayant les taux les plus élevés en la matière. A Singapour, l’état de droit est au fondement de l’Etat, personne n’est au-dessus du droit et le droit est garanti par un système judiciaire impartial, a insisté la délégation.
Singapour, qui applique une politique de tolérance zéro contre la drogue, ne cherche pas à imputer le problème à tel ou tel groupe ethnique, a par ailleurs assuré la délégation. Le Gouvernement crée des partenariats avec les communautés les plus touchées afin de garantir qu’une démarche sensible aux cultures est utilisée pour diffuser des messages contre la consommation de stupéfiants, a-t-elle précisé.
Singapour est un pays qui applique le système dualiste, c’est-à-dire que les dispositions de la Convention doivent être transposées dans le droit interne pour être intégrées dans l’ordre juridique du pays.
Au fil des ans, Singapour a mis en place un système efficace pour préserver les droits et promouvoir le bien-être des travailleurs migrants domestiques, a d’autre part assuré la délégation. Tous les travailleurs domestiques, qu’ils soient étrangers ou locaux, sont exclus de la loi sur l’emploi, a-t-elle souligné ; mais les travailleurs migrants domestiques sont protégés au titre de la loi sur la main-d’œuvre étrangère, a-t-elle précisé.
D’une manière générale les travailleurs migrants contribuent pour beaucoup à l’économie du pays et durant la pandémie, des mesures ont été prises pour assurer leur bien-être, a ensuite déclaré la délégation, avant d’ajouter qu’il n’est pas vrai que les travailleurs migrants feraient l’objet de mesures plus restrictives quant à leur liberté de mouvement. Expliquant que certains de ces travailleurs vivent dans des dortoirs où il a pu arriver que la COVID-19 se propage rapidement, la délégation a notamment souligné que les autorités singapouriennes ont accordé la priorité à la vaccination de ce groupe de population.
A Singapour, les étudiants apprennent l’anglais et leur langue maternelle et pour toutes les autres matières, l’enseignement se fait en anglais, a d’autre part indiqué la délégation.
En ce qui concerne le port du voile, la délégation a rappelé que Singapour s’efforce de garantir l’harmonie au sein d’une société harmonieuse où l’identité nationale est forte. Les signes religieux distinctifs peuvent être portés sur les lieux de travail et dans l’espace public mais dans certains secteurs, cette possibilité est limitée, notamment pour des questions de sécurité ou encore pour garantir la représentation laïque dans les services publics.
Les mariages musulmans impliquant des mineurs de moins de 18 ans ne sont acceptés que dans des cas très exceptionnels, a par ailleurs assuré la délégation. Les femmes musulmanes bénéficient à Singapour de la même protection que les hommes, a-t-elle ajouté.
Historiquement, l’avancement de la communauté malaise à Singapour est le résultat du multiracialisme et de la méritocratie, a d’autre part expliqué la délégation. Cette communauté continue d’avancer, comme en témoignent notamment les statistiques dans le domaine de l’éducation ou encore la représentation des Malais dans les postes à responsabilité, a-t-elle fait valoir. Nous reconnaissons néanmoins que certains membres de cette communauté sont encore aujourd’hui en retard, a ajouté la délégation, avant d’indiquer que les Malais ayant réussi sont encouragés à jouer le rôle de mentors pour les plus jeunes. Par la méritocratie, nous garantissons l’égalité des chances mais nous ne pouvons pas garantir l’égalité des résultats, a expliqué la délégation.
Remarques de conclusion
M. BOSSUYT a jugé franc et constructif le dialogue que le Comité a noué avec la délégation singapourienne. Rappelant que c’était là la première fois que le Comité examinait un rapport de Singapour, il a exprimé l’espoir que cette expérience aura été utile pour la délégation. Il n’y a jamais aucune bonne raison de tuer quelqu’un, sans compter que subsiste toujours un risque d’erreur judiciaire, a par ailleurs souligné le rapporteur. Singapour devrait adopter un moratoire sur la peine de mort pour découvrir si en résultera ou non une augmentation de la criminalité, a-t-il recommandé, avant de rappeler qu’un moratoire n’est pas quelque chose de définitif.
M. MOHAMAD MALIKI BIN OSMAN a jugé fructueuse la discussion que sa délégation a eue avec les membres du Comité, dans le cadre d’un dialogue qu’il a jugé franc et au cours duquel a notamment pu être montrée la protection accordée aux minorités à Singapour. Le pays est déterminé à éliminer la discrimination raciale, a conclu le Ministre.
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