Fil d'Ariane
Le Comité des droits de l'homme examine le rapport du Togo
Il porte son attention sur la lutte contre la corruption des juges, les conditions de détention, l'inégalité entre hommes et femmes, la traite des enfants
Le Comité des droits de l'homme a examiné le rapport périodique du Togo au cours de trois séances qui se sont tenues par visioconférence du 29 juin au 1er juillet.
Le rapport sur la mise en œuvre les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été présenté par le Ministre togolais des droits de l'homme, M. Christian Eninam Trimua, qui a notamment indiqué que, depuis la soumission de ce rapport, le cadre normatif et institutionnel togolais avait beaucoup évolué et que des améliorations avaient notamment été apportées dans les domaines du droit des personnes et de la famille, de l'organisation judiciaire, de la justice pénale. Le Togo a par ailleurs ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ainsi que le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte et visant à abolir la peine de mort. M. Trimua a d'autre part assuré que l'incitation à la haine ethnique était punie par le nouveau code pénal et par la loi relative au code de la presse et de la communication, adoptée l'an dernier. La législation fait par ailleurs de la monogamie la règle au Togo et de la polygamie l'exception. Les disparités de traitement entre époux, résultant de certaines pratiques coutumières, ont également été réduites. Le ministre a ajouté que le Gouvernement togolais comptait actuellement 33% de femmes et était dirigé par une femme.
Le Chef de la délégation a fait valoir que la torture était strictement interdite au Togo et que ce crime était imprescriptible, y compris lorsqu'il est commis par un militaire. Par ailleurs, le corps des magistrats fait l'objet d'un vaste programme de moralisation dans le but de renforcer la spécialisation, l'indépendance de la justice et l'accès équitable à une justice de proximité. Le Togo n'envisage pas d'abroger les dispositions actuelles qui criminalisent les relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe, ceci en adéquation avec les valeurs sociales togolaises.
L'importante délégation togolaise était également composée du Ministre d'État de l'administration territoriale, de la décentralisation et du développement des territoires ; du Ministre de la justice et de la législation ; de la Ministre de l'action sociale, de la promotion de la femme et de l'alphabétisation ; du Ministre de la communication et des médias. Elle comprenait aussi le Premier substitut général près la Cour d'appel de Lomé, le Directeur de l'administration pénitentiaire, ainsi que d'autres hauts-fonctionnaires de divers ministères. Répondant à une question du Comité sur des allégations de torture sur la personne de Kpatcha Gnassingbé, frère du Président condamné à 20 ans de prison pour tentative de coup d'État, la délégation a affirmé qu'il n'avait jamais été victime d'actes de torture. Elle a ajouté que « toute pression mise sur cette affaire ne joue pas en la faveur du prisonnier et ne favorise pas la prise d'une décision de grâce présidentielle, qui reste possible dans cette affaire».
La Présidente du Comité, Mme Photini Pazartzis, a salué le dialogue productif, constructif et franc avec la délégation togolaise. Il est rare de recevoir une délégation de si haut-niveau, composée de plusieurs ministres. Cela témoigne de l'engagement du Togo à mettre en œuvre le Pacte et à dialoguer avec le Comité, s'est-elle réjouie. La Présidente a également relevé qu'en dépit des avancées présentées par le Togo, il reste encore de défis à relever dans divers domaines, touchant la lutte contre la corruption, l'indépendance de la justice, les droits des femmes ou encore la liberté d'expression.
Au cours des débats, d'autres membres du Comité ont félicité la délégation pour la clarté, la franchise, le détail, la précision et la qualité des réponses fournies par le Togo dans son rapport. Ils ont par ailleurs salué la ratification du Protocole facultatif sur l'abolition de la peine de mort. Les experts ont toutefois exprimé des préoccupations s'agissant notamment de la dépendance du système judiciaire et de la Haute Autorité de l'audiovisuel et de la communication à l'égard du pouvoir exécutif, d'informations sur la corruption des juges, ou encore du cadre législatif qui perpétue l'inégalité entre les hommes et les femmes au Togo. De même, le Togo semble ne pas avoir pas éliminé « structurellement » la torture, ont relevé des membres du Comité.
Le Comité doit adopter, en séance privée, des observations finales sur l'examen du rapport du Togo qui seront rendues publiques à la clôture de la session, le vendredi 23 juillet.
Le Comité des droits de l'homme tiendra sa prochaine séance publique (en ligne) le vendredi 16 juillet, de 16h00 à 17h00, pour entendre le rapporteur spécial chargé du suivi des observations finales adoptées par le Comité suite à l'examen des rapports d'États parties. Les séances publiques du Comité peuvent être suivies sur le canal audio de la salle XXIII du Palais des Nations. La documentation pour la session est disponible sur la page internet de la session.
Présentation du rapport du Togo
Le Comité des droits de l'homme était saisi du cinquième rapport périodique du Togo (CCPR/C/TGO/5), établi sur la base d'une liste de points à traiter que le Comité avait adressée aux autorités.
M. CHRISTIAN ENINAM TRIMUA, Ministre des droits de l'homme, de la formation à la citoyenneté et des relations avec les institutions de la République, et porte-parole du Gouvernement du Togo, a indiqué que depuis la soumission du présent rapport, qui couvre la période 2011-2018, le cadre normatif togolais avait beaucoup évolué, avec des modifications et améliorations dans divers domaines, allant du droit de la famille et des personnes, à la liberté d'expression, à l'organisation judiciaire, au droit foncier, au code pénal, à l'usage excessif de la force ou à la justice militaire. Le cadre institutionnel du pays a également évolué, en particulier avec l'adoption de la loi du 15 mai 2019 portant modification de la Constitution de 1992. Avec cette réforme constitutionnelle, les textes régissant certaines institutions ont aussi été révisés. Ainsi, les lois organiques régissant la Cour constitutionnelle, le Conseil économique et social, la Cour des comptes, le Médiateur de la République ou encore la Commission nationale des droits de l'homme et la Haute Autorité de l'audiovisuel ont, elles aussi, été amendées. Sur le plan politique, le Président de la République est désormais élu au suffrage universel direct à deux tours, au lieu d'un seul tour comme auparavant.
Le Togo a par ailleurs ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en 2014 et, en septembre 2016, le deuxième Protocole facultatif relatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.
S'agissant de la mise en œuvre des dispositions du Pacte, le Chef de la délégation a développé de nombreux points. Il a notamment assuré que l'incitation à la haine ethnique était punie par le code pénal de 2015, en son article 553, de même que par l'article 157 de la loi du 7 janvier 2020 relative au code de la presse et de la communication. Pour ce qui concerne la question des relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe, le Togo n'envisage pas d'abroger les dispositions actuelles qui criminalisent les auteurs, ceci en adéquation avec les valeurs sociales togolaises. Dans le domaine de la non-discrimination et de la violence à l'égard des femmes, l'article 11 de la Constitution de 1992 dispose que « Tous les êtres sont égaux en dignité et en droit ». De plus, les articles 311 à 313 du Code pénal prévoient des mesures pour prévenir et sanctionner toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes
Le Ministre togolais a aussi indiqué que l'article 42 du Code des personnes et de la famille avait pris en compte l'évolution sociale en ce qui concerne la polygamie. Au Togo, la monogamie est désormais la règle et la polygamie l'exception. La loi du 14 juin 2018 portant code foncier et domanial garantit en outre l'accès à la propriété foncière aux femmes au même titre qu'aux hommes. Deux modifications ont été apportées au Code des personnes et de la famille, en 2012 et 2014, pour réduire les disparités de traitement entre époux résultant de certaines pratiques coutumières.
Pour lutter contre les violences fondées sur le genre, le Togo a créé, dans dix localités, quinze centres d'écoute et de conseil. Par ailleurs, ces dernières années ont marqué un tournant décisif dans la promotion de la femme dans la gestion des affaires publiques. Plusieurs femmes sont à la tête d'institutions togolaises. Le Gouvernement, la Commission nationale des droits de l'homme, l'Assemblée nationale, le Haut-Commissariat à la réconciliation et à l'unité nationale ou encore le Secrétariat général de la Présidence sont dirigés par des femmes. De plus, 33% des membres du Gouvernement sont des femmes, s'est félicité le Ministre.
En ce qui concerne l'interdiction de la torture, le nouveau code pénal reprend la définition de l'article 7 du Pacte en plus de consacrer, dans son article 198, l'imprescriptibilité de ce crime. Par ailleurs, un vaste programme de moralisation du corps des magistrats a été entrepris depuis 2014 et le code de l'organisation judiciaire, adopté en 2019, établit une nouvelle organisation judiciaire plus moderne et plus accessible qui renforce la spécialisation, l'indépendance de la justice et l'accès équitable à une justice de proximité. Dans le domaine de la lutte contre l'usage excessif de la force par les forces de l'ordre et de sécurité, les formations initiales ou continues sont dispensées à tous les niveaux hiérarchiques dans les écoles de formation des forces de défense et de sécurité. De plus, un nouveau code de justice militaire, adopté en avril 2016, prévoit qu'aucun militaire auteur de torture ou d'actes cruels, inhumains ou dégradants ne puisse se soustraire aux poursuites pénales.
Le Ministre a aussi indiqué que la loi fixant les conditions d'exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques publiques a été modifiée en 2019 pour prendre en compte les défis sécuritaires liés au terrorisme et la protection des droits des riverains, a entre autres, indiqué le Ministre.
M. Trimua a reconnu qu'en dépit de ces progrès, il reste encore des efforts à faire, en particulier dans la poursuite de la mise en œuvre des recommandations des mécanismes des droits de l'homme, dans l'enracinement d'une culture individuelle et collective des droits de l'homme, et dans le renforcement du professionnalisme au sein des organisations de défense des droits de l'homme. À cette fin, le Gouvernement togolais est à l'écoute des avis et commentaires de ses partenaires, des organisations de la société civile et des citoyens, a assuré le Ministre.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Un membre du Comité a salué la clarté, la franchise, le détail, la précision et la qualité des réponses fournies par la délégation togolaise et le rapport du Gouvernement. Il a ensuite reconnu un progrès dans la réalisation des droits de l'homme au Togo, notamment avec la ratification du deuxième Protocole facultatif, visant à abolir la peine de mort. Il s'est aussi réjoui que le Togo, suivant les recommandations du Comité, avait, en 2015 et 2016 respectivement, révisé son code pénal et son code de procédure pénale pour les mettre en conformité avec le Pacte. Depuis lors, la torture, les mutilations génitales féminines et le viol conjugal sont érigés en crimes.
Cependant, d'autres problèmes restent en suspens, notamment la révision du code de procédure pénale. Il s'agit de le rendre plus conforme aux normes internationales concernant le droit à un procès équitable et les garanties juridiques contre la torture et les mauvais traitements. Dans ce contexte, il a souhaité avoir de plus amples explications sur la mise en œuvre du Pacte par les tribunaux togolais, y compris la Cour constitutionnelle. Il a également demandé à la délégation de dire dans quelle mesure le projet de loi de 2016 relatif à la liberté d'association, les lois récentes sur la cybersécurité, la sécurité nationale et la liberté de réunion sont conformes au Pacte.
L'expert s'est ensuite intéressé à la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), notant que ses rapports sont confidentiels, sauf si elle en décide autrement. Quelles sont les raisons de cette confidentialité, s'est interrogé l'expert, demandant aussi à la délégation de dire si cette commission avait le pouvoir de saisir les tribunaux ou la Cour constitutionnelle et si oui, dans quels cas.
Le Comité a également fait référence à l'affaire Kpatcha Gnassingbé, le frère du Président togolais, arrêté en 2009 et condamné en 2011 à 20 ans de prison pour tentative de coup d'État. Selon les informations en possession du Comité, le détenu a saisi la CNDH pour actes de torture et mauvais traitements à son encontre. Le Gouvernement avait par la suite fait publier un rapport attribué à la Commission, qui renie publiquement ce document sur son site internet et le qualifie même de « rapport travesti obtenu par la menace ». Le président de la Commission a dû quitter le pays, craignant pour sa sécurité, et n'est toujours pas rentré au Togo. L'expert a demandé à la délégation de donner sa position sur ce point, en particulier sur l'ingérence du Gouvernement dans les affaires de la Commission et les menaces sur son président. Il a aussi voulu savoir si des enquêtes avaient été ouvertes concernant ces menaces.
Il semble que le cadre législatif existant au Togo perpétue l'inégalité entre les hommes et les femmes, a relevé une experte, constatant que la polygamie, pratique profondément discriminatoire à l'égard des femmes, n'a pas disparu du droit interne togolais, contrairement aux recommandations du Comité des droits de l'homme et du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Elle a aussi noté que le remariage des femmes restait impossible avant un délai de 300 jours. Le droit d'entrer dans la fonction publique semble lui aussi restreint en raison de l'article 107 du code personnel et de la famille, qui accorde au mari le droit de s'opposer au choix d'exercer une profession au motif de l'intérêt de la famille. En droit coutumier persistent aussi des pratiques discriminantes envers les femmes, notamment en matière de succession et de possession de la terre, s'est aussi alarmée l'experte, avant de demander ce qui était fait pour assurer la conformité avec le droit international. Qu'en est-il par ailleurs de l'avortement au Togo, a-t-elle aussi demandé, invitant la délégation à élaborer sur ce que dit la loi sur ce sujet.
L'experte a ensuite déploré le manque d'informations fournies par le Togo concernant le viol conjugal. Il apparaît même qu'il soit puni d'une peine inférieure à celle du viol tout court, a encore déploré l'experte. Elle a aussi constaté que, selon les informations en possession du Comité, les mutilations génitales féminines étaient en recrudescence au Togo, notamment à cause des populations du nord du pays qui se rendent au Burkina Faso voisin pour effectuer cette pratique. Que fait l'État pour lutter contre ce phénomène, a questionné l'experte.
Concernant la liberté de la presse, l'experte a déclaré que le Comité est informé que la Haute Autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC) n'est pas indépendante du pouvoir exécutif. Elle ne protège pas suffisamment les journalistes et prend en outre un nombre « extrêmement élevé de sanctions », dont des fermetures et retraits de l'autorisation de diffuser, en raison d'articles et programmes critiques à l'égard du gouvernement. La HAAC est perçue comme protégeant l'exécutif, a-t-elle relevé, pointant du doigt les « très minces informations » fournies par le Togo dans son rapport à cet égard.
Il a été relevé que le système judiciaire togolais s'inspire du modèle napoléonien, à savoir que les magistrats du parquet sont nommés par décret pris en conseil des ministres et sont directement soumis au ministre de la justice, à qui ils doivent rendre compte. Le même ministre oriente l'action du parquet et a un droit de regard sur ses activités. La loi lui donne même le droit de donner des instructions aux magistrats du parquet en toute matière. Pour sa part, le président de la Cour suprême est nommé par le Président de la République. Les poursuites disciplinaires à l'encontre des juges sont déclenchées par le ministre de la justice. Les sanctions disciplinaires appliquées aux magistrats du siège peuvent faire l'objet de recours gracieux devant le Président de la République. Or une telle approche n'est pas conforme au principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire, a estimé un membre du Comité, avant de demander à la délégation si le Togo envisage, dans le cadre de la réforme de son système de justice, de se rallier aux pays qui considèrent que l'indépendance du parquet, ou du moins son autonomie, est une condition indispensable à l'indépendance et impartialité des tribunaux.
Les informations dont dispose le Comité, outre le nombre insuffisant de juges et la lenteur du système judiciaire, semblent indiquer une corruption active parmi les membres de la magistrature. Il existe une perception largement répandue dans le public selon laquelle les avocats soudoient les juges pour influencer l'issue des affaires, notamment dans les affaires de conflits fonciers. À tel point que, dans l'Indice de perception de la corruption 2020, le Togo est classé au 134e rang sur 180 pays. Selon le Baromètre mondial de la corruption (2019), 55% de Togolais pensent que la justice y est corrompue et 57% pensent que la corruption a augmenté dans les 12 derniers mois. Or, selon les différents rapports d'activités 2011-2016, le Conseil supérieur de la magistrature du Togo n'a prononcé que 14 sanctions disciplinaires contre des agents indélicats, ont observé des experts du Comité. Dans ce contexte, ils ont demandé à la délégation de dire les mesures prises pour lutter efficacement contre la corruption en général et les pratiques de corruption dans le système judiciaire en particulier. Il a été requis des données à jour sur la corruption d'agents de l'État, y compris le nombre d'affaires ayant fait l'objet d'enquêtes, de poursuites et de condamnations.
S'agissant de la justice transitionnelle dans le contexte des événements qui se sont déroulés pendant l' élection présidentielle de 2005, un autre membre du Comité a relevé que, selon le Gouvernement, aucune plainte n'avait été déposée contre les forces de sécurité. Il a alors voulu connaître les raisons pour lesquelles aucune enquête n'avait été menée et les bases juridiques de cette option. Il a demandé à la délégation de dire si des réparations avaient été octroyées aux victimes de ces événements. Il a toutefois été rappelé que, lorsqu'il y a violation des droits de l'homme, la réparation ne suffit pas; il faut également diligenter des enquêtes. Quelles mesures ont été prises pour que les victimes connaissent la vérité et accèdent à la justice ?
Le Comité a aussi abordé la question de la pratique de la torture, relevant notamment que le Sous-Comité contre la torture avait déjà constaté, en 2018, que le Togo n'avait pas éliminé structurellement la torture. À ce titre, il a voulu avoir des chiffres sur le nombre d'enquêtes ouvertes et de sanctions prononcées, en particulier contre des éléments des forces de police et de sécurité auteurs d'actes de torture. Est-ce que la complicité et la tentative de torture sont également punies par la loi, a-t-il aussi demandé.
S'agissant de la situation dans les prisons, le Comité a relevé que, selon les données du rapport, il y a 13 centres de détention au Togo, ayant une capacité de 2800 prisonniers. Or à ce jour, ils comptent environ 5000 prisonniers, soit une surpopulation de l'ordre de 180%. Ce qui a emmené l'expert à demander quelles mesures l'État envisageait de prendre pour réduire la surpopulation carcérale et pour favoriser les mesures alternatives à la détention. Par ailleurs, qu'a fait le Gouvernement togolais pour éviter la propagation de la COVID-19 dans les prisons, a-t-il aussi été demandé.
Le Comité a par ailleurs appris que 260 personnes sont mortes en prison entre 2012 et 2019, et que 26 autres sont décédées entre janvier et août 2020. La délégation a été invitée à fournir des explications sur les raisons et causes de ces décès, mais aussi des détails sur les mesures prises et envisagées pour que de tels décès en détention ne se produisent plus. Le Comité s'est aussi intéressé à la détention des mineurs, se demandant si leur détention était une mesure de premier ou de dernier ressort. Par ailleurs, les autorités judiciaires procèdent-elles à la vérification de l'âge des prévenus et tiennent-elles suffisamment en compte la situation des jeunes femmes enceintes ou jeunes mères, a demandé un membre du Comité.
Des questions ont également été posées sur les possibilités offertes à toute personne en garde à vue ou détenue de librement et facilement contacter sa famille et disposer d'un avocat ; de contester par des moyens légaux sa détention ou son bien-fondé ; de recevoir des visites régulières dans les lieux de détention. Le Gouvernement prend-il par ailleurs des mesures pour séparer les prévenus et condamnés dans les prisons ou pour mieux faire connaître à la population la loi de 2015 sur l'assistance juridique d'office. Une question a également été posée sur les frais de justice.
Un membre du Comité a observé que le plan national de lutte contre la traite d'enfants n'avait pas été mis à jour depuis 2008.
La délégation a demandé à la délégation de fournir des informations sur le phénomène émergeant de la vindicte populaire à l'encontre des personnes ayant commis des infractions et les raisons qui la sous-tendent, notamment les statistiques sur cette pratique et les mesures prises par l'État ou qu'il entend prendre pour l'enrayer.
Concernant la question de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre, et tenant compte du fait que les relations sexuelles entre adultes consentants restent punis au Togo, le Comité a souhaité savoir ce qui était fait pour sanctionner les auteurs de discriminations et de violences envers les personnes LGBTI, y compris les agents de l'État. Par ailleurs, que fait l'État pour assurer la formation de ses agents de sécurité et les sensibiliser à la non-discrimination à l'égard de cette population, a souhaité savoir le Comité.
Des questions ont également été posées sur les possibilités offertes à toute personne en garde à vue ou détenue de librement et facilement contacter sa famille et disposer d'un avocat ; de contester par des moyens légaux sa détention ou son bien-fondé ; de recevoir des visites régulières. Comment est assurée la séparation des prévenus et des condamnés dans les prisons. Le Gouvernement prend-il des mesures pour ou pour mieux faire connaître à la population la loi de 2015 sur l'assistance juridique d'office. Des statistiques ont été demandées sur le nombre d'organismes à caractère religieux ayant fait une demande d'enregistrement auprès du Ministère de l'intérieur au cours des cinq dernières années. Les experts se sont aussi intéressés à la situation des réfugiés et demandeurs d'asile, ainsi qu'à celle des associations à caractère politique
Réponses de la délégation
Répondant aux questions des membres du Comité, la délégation togolaise a notamment assuré que, depuis 2015, le crime de torture était strictement imprescriptible et puni de vingt à trente ans de réclusion au Togo. Les actes commis avant 2015 ont fait objet de poursuites pénales, a affirmé la délégation, reconnaissant toutefois que certains n'ont pas été qualifiés de torture. Les faits de torture allégués dans la prison civile de Kpalimé font objet d'enquêtes et les auteurs présumés ont été arrêtés. Les autorités se sont également saisies d'allégations de torture contre des militants pacifiques. La délégation a reconnu ne pas disposer de données concernant les actes de torture. Elle a toutefois indiqué que des mesures disciplinaires avaient été prises à l'encontre d'éléments de forces de sécurité, mais pas nécessairement en rapport avec des actes de torture. En matière de prévention, la délégation a indiqué que des organismes de surveillance et d'inspection avaient été mis en place dans les forces de police et de défense. Elle a aussi attiré l'attention sur le rôle de l'Inspection générale des services qui, sans coiffer les autres services d'inspection, peut être emmené à se rendre sur le terrain pour s'assurer que les forces de sécurité s'acquittent de leurs fonctions dans le cadre des règles et du droit. En 2020, environ 225 personnels des forces de sécurité, dont 88 policiers et 137 gendarmes ont fait l'objet de sanctions, allant de sanctions disciplinaires à la suspension sans solde, à l'arrêt de rigueur, à la radiation et même au déferrement devant la justice.
En ce qui concerne la conformité de la législation togolaise avec le Pacte, la délégation a notamment indiqué que la liberté de réunion et de manifestation pacifique publique était régie par l'article 30 de la Constitution et la loi du 16 mai 2011, ajoutant que le Togo n'avait jamais eu de problème sur ce point. Mais en 2017, des manifestations organisées par des partis politiques d'opposition ont occasionné des actes de violences comparables à une « guérilla urbaine » qui se sont soldées par 14 morts, dont sept par balles et deux par noyade. À cause de cette situation et du risque de terrorisme et d'extrémisme violent qui menace la région, le Gouvernement togolais a cru bon en 2017, de revoir la loi de 2011 afin de mieux protéger les citoyens et prévenir le terrorisme. Cela dit, la délégation reconnaît que la loi de 2017, en particulier son article 9-2 pose « un certain nombre de questions », en lien avec les restrictions prévues, avouant qu'il ne « rime pas trop exactement avec le Pacte », a dit un membre de la délégation. Le Gouvernement en a pris conscience et mène actuellement une réflexion sur ce point, a assuré la délégation.
Répondant à des questions sur la promotion des droits des femmes, la délégation a assuré que dans l'arsenal juridique togolais, le droit coutumier n'est pas au-dessus du droit positif. La polygamie est une exception au Togo. Le Gouvernement a lancé des programmes d'autonomisation des femmes visant à sécuriser la possession des terres par les femmes et leur permettre de mener leurs activités agricoles génératrices de revenus. D'autres programmes de travail et de formation des chefs traditionnels sont menés afin de les sensibiliser aux questions d'héritage de la terre. Le Togo est en outre en train de revoir son code des personnes et de la famille afin de réduire le délai de viduité et permettre aux femmes de se remarier rapidement.
Concernant les mutilations génitales féminines, avec un taux de seulement 0,3% de filles de moins de 14 ans en ayant été victimes, on peut dire que ce phénomène est en voie de disparition au Togo. Le Gouvernement reconnaît en revanche le phénomène de familles qui traversent la frontière pour aller pratiquer ces actes hors du Togo. Des campagnes de sensibilisation ont été lancées auprès des populations et des chefs et praticiens des villages frontaliers.
La question du mariage précoce et des grossesses précoces a bénéficié d'un programme national de lutte contre ces phénomènes. Il a pris fin en 2019 et le Gouvernement travaille actuellement à l'évaluation de ce plan. Des cours de « compétence de vie courante » sont en outre administrés dans les établissements scolaires afin d'éduquer les jeunes à la prévention des grossesses, a fait valoir la délégation. Une ligne téléphonique « ALLO 10-11 » est également mise à disposition des jeunes pour avoir des informations sur leur santé sexuelle. Le viol conjugal est pour sa part criminalisé depuis une loi de 2015. Il est sanctionné de la même manière qu'un viol tout court, a insisté la délégation, soulignant cependant la difficulté de prouver un viol conjugal devant les tribunaux. Mais une fois qu'il est constaté et prouvé, l'auteur est puni, a-elle assuré. Par ailleurs, la loi n'autorise pas pour l'instant l'interruption généralisée de grossesse, pour des questions sociologiques et philosophique. Mais le code de la santé le prévoit pour des raisons médicales.
En ce qui concerne les événements de 2005, le choix du Gouvernement a été de privilégier les réparations, laissant aux victimes le soin de saisir la justice. Le Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l'unité nationale (HCRRUN) a commencé, en 2017, le versement d'indemnisations pécuniaires. Toutes les victimes vulnérables bénéficient d'une prise en charge médico-chirurgicale et psychologique. Le Haut-Commissariat est également à même de proposer des mesures d'ordre législatif, réglementaire ou institutionnel concernant l'impunité, les garanties de non-répétition et la réparation.
S'agissant de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), un processus de réforme a été lancé afin de rendre son fonctionnement plus adapté aux nouvelles exigences internationales. Un projet de loi a été adoptée en conseil des ministres et transmis à l'Assemblée nationale à cet effet. Une fois adoptée, la nouvelle loi répondra à toutes les préoccupations du Comité, a assuré la délégation. En attendant, seule la Commission peut décider elle-même de la confidentialité ou non de ses rapports. Elle peut aussi saisir la justice et se constituer partie civile. Elle peut aussi saisir la Cour constitutionnelle pour contrôler la constitutionnalité d'une loi avant promulgation et la saisir aussi pour avis, notamment pour interpréter des dispositions constitutionnelles, a-t-il été expliqué.
Concernant la population carcérale et les conditions de détention, le Togo compte actuellement 4873 prisonniers, dont 58,73% sont en détention préventive contre 41,27% de personnes condamnées. La délégation a précisé que, sur ces chiffres, on ne compte que deux femmes enceintes. Afin de réduire la surpopulation carcérale, outre la grâce présidentielle, des mesures de diligence ont été demandées aux magistrats. Par ailleurs, afin de réduire la propagation de la COVID-19, 100% des prisonniers ont été testés et 75% sont vaccinés à ce jour, y compris dans les régions de l'intérieur du pays. Le Gouvernement espère vaincre les réticences des derniers prisonniers non vaccinés, notamment à Lomé. Par ailleurs, depuis 2020, les prisonniers peuvent compter sur deux repas par jour et une amélioration de la qualité. Enfin, le nouveau code de procédure pénale prévoit la création d'un poste de juge des libertés et de l'application des peines. Cette mesure devrait permettre de limiter le nombre de personnes envoyées en prison, a souligné la délégation.
Par ailleurs, toute personne arrivant en détention a des droits qui lui sont rappelés. Une ligne téléphonique est également mise à disposition pour appeler ses proches. Les étrangers ont la possibilité d'envoyer un courrier à leur représentation diplomatique. Un médecin est disponible. Le détenu peut en outre consulter un avocat. S'agissant du nombre de décès enregistrés en détention ces cinq dernières années, il y a en a eu respectivement 33, 33, 34, 23 et 46 entre 2016 et 2020, a chiffré la délégation. Les causes sont souvent le paludisme, les infections respiratoires, le VIH-Sida ou encore des troubles du métabolisme.
La délégation a également assuré que Kpatcha Gnassingbé n'avait jamais été victime d'acte de torture, ajoutant que ce dernier l'avait lui-même déclaré publiquement. Dans ce contexte, « toute pression mise sur cette affaire ne joue pas en la faveur du prisonnier et ne favorise pas la prise d'une décision de grâce présidentielle, qui reste possible dans cette affaire », a prévenu un membre de la délégation. La délégation a également assuré que les acteurs politiques qui font l'objet de poursuites judiciaires au Togo ne le sont pas pour leurs opinions ou leur appartenance politique, mais pour des activités de délinquance relevant du délit de droit commun. Un homme politique peut-il inciter à la haine ethnique et ne pas en subir les conséquences ? Les acteurs politiques, au même titre que les autres citoyens, sont soumis au même régime de droit commun lorsqu'il enfreignent la loi, a insisté le chef de la délégation.
Même si, pour l'heure, le Togo n'entend pas, pour des raisons sociales, dépénaliser les relations sexuelles entre personne du même sexe, la délégation a fait valoir que, depuis les années 1980, personne n'a jamais été emprisonné pour son orientation sexuelle. Par ailleurs, les personnes qui sont victimes de violences en raison de leur orientation sexuelle portent rarement plainte devant la justice, bien qu'elles le fassent parfois auprès d'associations.
La délégation a reconnu que la vindicte populaire était effectivement devenue un phénomène de société au Togo. Mais le phénomène reste contenu, avec respectivement 24, 27, 31, 26 et 20 cas recensés chaque année entre 2016 et 2020. Des campagnes de sensibilisation sont menées par les autorités pour demander à la population de ne pas faire justice elle-même mais de laisser les forces de sécurité faire leur travail.
Répondant à une question sur la traite et le travail des enfants, la délégation a indiqué que le Togo avait enregistré 252 cas d'enfants victimes de traite transfrontalière entre 2016 et 2020. Face à ce phénomène, le Togo a signé des accords de coopération avec les pays de destination de la traite, notamment le Gabon. Entre 2016 et 2018, pas moins de 125 personnes ont été poursuivies pour traite d'enfants, dont 46 ont été condamnées. La délégation a jouté que des campagnes de sensibilisation étaient menées contre le travail des enfants.
La délégation a également répondu aux questions portant sur les frais de justice, précisant qu'ils sont gratuits lorsque c'est le procureur qui se saisit d'une affaire. Si le plaignant saisit lui-même un juge d'instruction, il doit alors verser une caution auprès du greffe du tribunal, a dit la délégation, qui n'en a toutefois pas indiqué le montant.
Concernant l'indépendance du système judiciaire, la délégation a assuré que celle-ci était consacrée dans la Constitution. C'est également le Conseil supérieur de la magistrature, organe composé uniquement de magistrats qui procède à l'affectation de leurs pairs et recommande leur nomination en Conseil des ministres. Cependant, le Gouvernement n'a pas pour l'instant décidé d'ouvrir le débat concernant le lien entre les magistrats du parquet et le ministre de la justice.
Les associations au Togo sont toujours régies par la loi française de 1901. En 2020, on dénombrait 15 551 associations régulièrement enregistrées, dont 7651 disposaient d'un «récépissé ». Celui-ci est délivré après enquêtes et donne une capacité juridique à l'association. Celles qui en sont dépourvues peuvent cependant librement exercer leurs activités. Cela dit, le contrôle effectué auprès des associations est lié au fait que certaines d'entre elles servent aussi de canaux à des entreprises criminelles, y compris terroristes. Les associations à caractère religieux, culturel ou philosophique sont pour leur part au nombre de 8000. Certains lieux de culte servent malheureusement aussi de lieux d'abus en tous genres, dont la traite des personnes ou le viol, ce qui justifie le contrôle exercé sur les associations. Le Gouvernement reconnaît que la loi de 1901 est « dépassée ». C'est pour cette raison qu'il a été lancé un processus de réformes et de consultation de la société civile pour parvenir à une nouvelle loi sur les associations.
Le Togo ne dispose pas de loi de protection des lanceurs d'alerte ou des défenseurs des droit de l'homme. Mais un processus d'élaboration d'une loi est en cours, avec la coopération du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et de la société civile elle-même.
Sur la question de la liberté de la presse, l'article 497 du code pénal ne s'applique pas aux journalistes dans l'exercice de leurs fonctions. L'activité des journalistes est régie et protégée par le Code de la presse et de la communication. Le délit de presse n'existe plus au Togo et aucun journaliste n'y est emprisonné. Par ailleurs, depuis 2011, aucune plainte n'a été enregistrée en ce qui concerne les journalistes. Pour sept millions de Togolais, on compte 221 journaux (soit un journal pour trente mille habitants), 92 journaux radios, neuf chaînes de télévision, 4 web-télés, autant de web-radios, 28 sites d'information enregistrés et des centaines d'autres non enregistrés. Ces chiffres témoignent d'une vraie diversité. La critique, y compris des autorités, n'est pas interdite. La Haute Autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC) a prononcé une sanction en 2017, aucune en 2018 et 2019, quatre en 2020 et seulement deux en 2021. Il faut donc « relativiser », a dit un membre de la délégation, ajoutant qu'il y a quand même une limite et qu'il est « normal » que la loi « fasse son jeu » lorsque le journaliste « dépasse les faits sacrés en matière de journalisme. »
S'agissant de la lutte contre la corruption, le cadre législatif est « dense » aujourd'hui au Togo. Le Code des marchés, une autorité des marchés publics, le Code pénal, la Haute Autorité de prévention et de lutte contre la corruption, l'Autorité de régulation des marchés, l'Office togolais des recettes pour ne citer qu'eux, disposent de mécanismes de sanction pour faits et actes de corruption. Les hautes autorités et agents publics sont également obligés de déclarer leurs biens et avoirs aux termes de l'article 145 de la Constitution togolaise.
Conclusion
M. TRIMUA, Ministre togolais des droits de l'homme et chef de la délégation, a assuré le Comité de la volonté de son gouvernement de poursuivre les efforts en cours pour pleinement mettre en œuvre le Pacte. Le Togo souhaite continuer ses changements. Ce climat est favorisé aujourd'hui par les changements du contexte, des acteurs et de la philosophie politique au Togo. La contribution du Comité, « partenaire de choix », est un avantage que le Togo souhaite exploiter, a encore assuré le ministre, qui a sollicité l'avis consultatif du Comité concernant certains projets de réforme en cours d'élaboration.
MME PHOTINI PAZARTZIS, Présidente du Comité, a exprimé à la délégation les remerciements du Comité. Le dialogue a été productif, constructif et franc. Il est rare de recevoir une délégation de si haut-niveau, composée de plusieurs ministres d'État. Cela témoigne de l'engagement du Togo à mettre en œuvre le Pacte et à dialoguer avec le Comité, s'est-elle réjouie. La Présidente a également relevé qu'en dépit des avancées présentées par le Togo, il reste encore de défis à relever dans divers domaines, touchant la lutte contre la corruption, l'indépendance de la justice, les droits des femmes ou encore la liberté d'expression.
CCPR21.006F