Fil d'Ariane
LE CONSEIL EXAMINE LES RAPPORTS SUR LA VIOLENCE À L’ÉGARD DES FEMMES ET SUR LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS
Le Conseil des droits de l’homme a entamé, cet après-midi, son débat interactif groupé avec la Rapporteuse spéciale sur la violence à l’égard des femmes, ses causes et ses conséquences, Mme Dubravka Šimonović, et avec la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, Mme Maria Grazia Giammarinaro, qui ont toutes deux présenté leurs rapports.
Mme Šimonović a rappelé que son mandat avait été créé il y a 25 ans, à une période où la violence à l'égard des femmes n'était pas reconnue comme une violation des droits humains. Aujourd’hui, cette violence est reconnue comme une violation des droits fondamentaux des femmes et une forme de discrimination à leur égard, un processus de normalisation dans lequel le mandat a joué un rôle important, a-t-elle souligné. Mais, si le contexte mondial est marqué par une montée en puissance de mouvements féministes tels que #MeToo, #NiUnaMenos et Break the Silence, le monde assiste au même moment à la mise en cause des droits des femmes et à une montée de mouvements rétrogrades, a regretté Mme Šimonović.
La Rapporteuse spéciale a ensuite rendu compte de ses visites au Canada et au Népal. La délégation ainsi que l’institution nationale des droits de l'homme du Canada et la délégation du Népal ont fait des déclarations.
Présentant son rapport, Mme Giammarinao a, quant à elle, indiqué qu’il se concentrait sur des modèles novateurs d'inclusion sociale des victimes et survivants de la traite des êtres humains. Les États, a-t-elle recommandé, doivent prendre des mesures permettant aux victimes de la traite de reconstruire leur vie à long terme. Elle a insisté sur l’importance de l'inclusion sociale pour cette démarche. Mme Giammarinaro s’est en outre dite extrêmement préoccupée par le fait que de nombreux pays n'ont pas encore mis en œuvre le principe international de non-condamnation des personnes victimes de la traite pour leur implication dans des activités illicites, dans la mesure où cette implication est une conséquence directe de leur situation de victimes de la traite.
La Rapporteuse spéciale a ensuite présenté son rapport de visite au Nigéria, après quoi la délégation de ce pays a fait une déclaration.
De nombreuses délégations* ont ensuite participé au débat avec les deux expertes.
En fin de séance, le Brésil a exercé son droit de réponse.
Demain matin à 9 heures, le Conseil tiendra la deuxième partie de sa journée annuelle de discussion sur les droits des femmes. Il achèvera ensuite le débat engagé cet après-midi avec Mmes Šimonović et Giammarinaro.
Débat interactif groupé sur la violence à l’égard des femmes et sur la traite des êtres humains
Présentation de rapports
Le Conseil est saisi du rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence à l’égard des femmes, ses causes et ses conséquences (A/HRC/41/42), Mme Dubravka Šimonović, accompagné de deux additifs relatifs à ses visites au Canada (Add.1) et au Népal (Add.2).
MME Dubravka Šimonović a expliqué que son rapport thématique annuel analyse les 25 ans de mandat, les défis auxquels il est confronté et la voie à suivre et a précisé que des additifs au rapport traitent des visites qu’elle effectuées au Canada et au Népal.
La Rapporteuse spéciale a rappelé que ce mandat avait été établi il y a 25 ans à une période où la question de la violence à l'égard des femmes était une nouveauté dans l'agenda des droits de l’homme et n'était pas reconnue comme une violation des droits de l’homme. Aujourd’hui, au niveau normatif, la violence à l’égard des femmes est reconnue comme une violation des droits fondamentaux des femmes et une forme de discrimination à leur égard. Ce mandat a joué un rôle important dans ce processus de normalisation et a permis de rappeler aux États leur obligation de combattre et de prévenir la violence contre les femmes et les filles, a souligné Mme Šimonović.
Aujourd’hui, le contexte mondial des droits des femmes est marqué par une montée en puissance de divers mouvements féministes tels que #MeToo, #Ni Una Menos et Break the Silence, et leurs diverses manifestations à travers le monde ; ces mouvements appellent à la fin de la violence sexiste contre les femmes et les filles. Cependant, le monde assiste au même moment également à une montée de la remise en cause des droits des femmes et à une montée des mouvements rétrogrades, a fait observer la Rapporteuse spéciale.
Mme Šimonović a précisé que son rapport contient des recommandations visant le renforcement de son mandat et d’autres mécanismes indépendants, notamment pour ce qui a trait à la nécessité de mettre en place une approche plus coordonnée du système de lutte contre la violence à l’égard des femmes. En tant que tel, il vise également à contribuer à l’examen à venir des 25 ans du Programme d’action de Beijing, a-t-elle ajouté.
S’agissant de sa visite au Canada, Mme Šimonović a indiqué avoir observé toute une gamme d'initiatives et de bonnes politiques qui pourraient être signalées comme des exemples de bonnes pratiques et qui pourraient être reproduites dans d’autres provinces et territoires du Canada et au niveau mondial. La Rapporteuse spéciale a ajouté son rapport recommande des mesures visant à prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes dans le pays, en particulier en ce qui concerne la situation des femmes et des filles autochtones et d'autres catégories de femmes victimes de multiples formes de discrimination.
S’agissant de sa visite au Népal, la Rapporteuse spéciale a relevé que les élections locales, provinciales et fédérales de 2018 ont marqué un tournant dans l’histoire politique du pays ; elles ont abouti à un nombre record de femmes élues, notamment de femmes des communautés dalits et autochtones. Malgré des avancées positives, Mme Šimonović a mis en lumière les défis majeurs auxquels le Népal reste confronté pour ce qui est d’éliminer la violence à l'égard des femmes et atteindre l'égalité entre les sexes conformément à ses engagements constitutionnels et internationaux. Les normes sociales patriarcales, ainsi que la persistance de pratiques discriminatoires préjudiciables telles que le chhaupadi, le mariage d'enfants, la sorcellerie, la dot et la polygamie, sont enracinées dans les stéréotypes sociaux et patriarcaux qui contribuent à la normalisation de la violence qui affecte de manière disproportionnée les femmes et les filles, en particulier celles issues de groupes marginalisés, confrontées à des formes de discrimination croisées, a souligné Mme Šimonović.
Le Conseil est également saisi du rapport thématique de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants (A/HRC/41/46), Mme Maria Grazia Giammarinaro, ainsi que de l’additif au rapport portant sur sa visite au Nigéria (Add.1).
MME MARIA GRAZIA GIAMMARINARO a déclaré que son rapport se concentrait cette année sur des modèles novateurs d'inclusion sociale des victimes et des survivants de la traite des êtres humains. La protection ne se limite pas à l'identification et à l'orientation vers les services appropriés, ni à la fourniture d'une assistance immédiate et à court terme. Au contraire, les États doivent prendre des mesures énergiques et efficaces permettant aux victimes de la traite de reconstruire leur vie à long terme, a insisté la Rapporteuse spéciale. L'inclusion sociale est le contraire de l'exclusion sociale, qui est l'une des causes fondamentales de la traite des êtres humains, a-t-elle souligné.
Au cours de ses consultations, la Rapporteuse spéciale a indiqué avoir identifié de multiples défis structurels entravant l’inclusion sociale, s’agissant notamment de l’accès à une indemnisation. Dans les pays de destination, elle a constaté combien il était bénéfique de collaborer avec les survivantes, à titre volontaire, dans la conception, la mise en œuvre et l'évaluation d'actions conduisant à l'inclusion sociale. L'inclusion sociale signifie la restauration intégrale des droits violés au cours de la traite, a souligné Mme Giammarinaro. Les États ont l'obligation de veiller à ce que les victimes et les survivants aient accès à ces droits à long terme.
Mme Giammarinaro s’est en outre dite extrêmement préoccupée par le fait que de nombreux pays n'ont pas encore mis en œuvre le principe international de non-condamnation des personnes victimes de la traite pour leur implication dans des activités illicites, dans la mesure où cette implication est une conséquence directe de leur situation de victimes de la traite. Une telle disposition (concernant le principe de non-condamnation des victimes de la traite) devrait figurer d'urgence dans la législation nationale et son champ d'application ne devrait pas être restreint, a-t-elle insisté.
La Rapporteuse spéciale a ensuite rendu compte de sa visite au Nigéria, un pays de transit et de destination pour les victimes de la traite. L'identification des personnes victimes de la traite reste rare au Nigéria, a-t-elle déploré. Elle a demandé que ne soit pas oubliées les centaines de filles qui ont été enlevées par Boko Haram, dont le sort est inconnu mais qui sont peut-être victimes d’exploitation sexuelle. La Rapporteuse spéciale a cependant félicité le Nigéria pour avoir mis sur pied l'Agence nationale pour l'interdiction de la traite des personnes (NAPTIP), un modèle unique d'entité publique spécialisée dont la responsabilité première est de mener des enquêtes et de poursuivre les auteurs, ainsi que de conseiller et de réhabiliter les victimes.
Pays concernés
Le Canada a indiqué avoir accepté beaucoup de recommandations qui figurent dans le rapport de visite de la Rapporteuse spéciale. Le pays a précisé avoir prévu des soutiens pour les travailleurs migrants qui quittent un travail dégradant. Au Canada, une ligne d’appel d’urgence a été mise en service pour lutter contre la traite, a ajouté la délégation canadienne. Le pays s’est en outre engagé à s’attaquer à toutes les causes endémiques de la violence. Le Premier Ministre canadien s’est engagé à mettre en œuvre un Plan d’action contre les violences à l’encontre des peuples autochtones, a rappelé la délégation. Il reste beaucoup de travail à accomplir s’agissant de la lutte contre les violences à l’encontre des personnes vulnérables, a-t-elle néanmoins reconnu.
La Commission des droits de l’homme du Canada a déclaré que la violence faites aux femmes et aux filles autochtones au Canada est une question pressente qui nécessite des mesures d’urgence. En 2015, la Commission a accueilli favorablement la décision du Gouvernement de lancer un rapport d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées – rapport dont les conclusions viennent d’être présentées et dont la Commission appuie les appels à la justice. Il faut être à la hauteur des maux des familles et des survivants, a insisté l’institution nationale des droits de l'homme du Canada.
Le Népal a rappelé être partie à tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Le Népal respecte notamment toutes les dispositions de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et met en œuvre les recommandations du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Le Népal poursuit l’objectif de mettre fin à toutes les violences à l’encontre des femmes. Le droit foncier est garanti pour les femmes, a notamment fait valoir la délégation népalaise. La responsabilisation des femmes est essentielle pour promouvoir l’égalité des sexes, a-t-elle ajouté. Le Gouvernement népalais lutte contre les pratiques nocives à l’encontre des femmes, des filles et des enfants, a-t-elle assuré.
Le Nigéria a affirmé que son Gouvernement avait redoublé d’efforts pour lutter contre le fléau de la traite et a rappelé qu’avait été promulguée en 2015 une loi qui prévoit une sanction minimale de cinq ans de prison pour quiconque est jugé coupable de traite de personnes. Le pays continue de s’assurer que les opérations de lutte contre la traite sont conformes aux normes internationales des droits de l’homme. Le pays fait de son mieux pour faire en sorte de lutter contre les perceptions négatives des victimes de la traite, notamment grâce à des campagnes de sensibilisation, a ajouté la délégation nigériane.
Aperçu du débat
S’agissant de la violence à l’égard des femmes, ses causes et ses conséquences, une délégation a souligné que l’élimination de cette violence devait passer par la prévention, la sensibilisation et une protection assurée par des représentants de plusieurs professions ; les victimes, a ajouté la délégation, doivent être au cœur des activités et savoir qu’elles ne sont pas seules.
Un groupe de pays a déclaré que le harcèlement sexuel devait être reconnu dans tous les cas comme une agression sexuelle. Un autre groupe de pays a souligné que l’Afrique avait fait de grands progrès dans le domaine de la lutte contre les violences à l’encontre des femmes.
Une délégation s’est dite préoccupée par le fait que le rapport de Mme Šimonović ait été publié trop tard et dans une seule langue officielle de travail ; cette délégation a en outre regretté que ce document contienne des notions qui ne sont pas universellement acceptées, en particulier le mot « féminicide », qui n’est utilisé que dans une région.
D’autres délégations ont estimé que le 25e anniversaire du mandat sur la violence à l’égard des femmes était l’occasion de mesurer les progrès accomplis et ceux qui restent à faire pour éliminer cette violence. Elles ont jugé fondamentale l’institutionnalisation de la coopération entre les mécanismes nationaux et internationaux chargés de défendre les droits des femmes.
Il a été rappelé que la résolution 2467 du Conseil de sécurité (sur les femmes, la paix et la sécurité) affirme que la violence sexuelle en période de conflit s’inscrit dans une continuité de formes interdépendantes et récurrentes de violence contre les femmes et les filles. La Rapporteuse spéciale a été priée de dire quels pourraient être les avantages d’aligner la résolution et l’obligation de protéger qui incombe aux États afin de prévenir la violence sexuelle pendant les conflits.
S’agissant de la traite des êtres humains, un groupe de pays a insisté sur la nécessité d’adopter des politiques complètes visant à rétablir le bien-être physique et psychologique des victimes de la traite. Ce groupe de pays a regretté que la perception des victimes puisse être ternie par les politiques migratoires de certains pays.
Les délégations ont généralement insisté sur l’importance de la protection des victimes de la traite. Une délégation a regretté que le soutien aux victimes de la traite soit de court terme et a recommandé que les États prévoient une réinsertion sociale sur le long terme. Une autre délégation a recommandé aux États de créer des mécanismes de réinsertion des victimes en utilisant les ressources prises aux trafiquants. Une délégation s’est enquise des principaux obstacles à une inclusion plus rapide des victimes de la traite. Plusieurs intervenants ont fait observer que l’inclusion des victimes ne passe pas uniquement par leur autonomisation individuelle, mais aussi par leur acceptation au sein de leurs propres familles.
Une délégation s’est dite d’accord avec la Rapporteuse spéciale pour dire que la réinsertion à long terme des victimes ne devrait pas dépendre de leur coopération aux procédures judiciaires, ni de leur statut au regard des lois relatives au séjour des étrangers. La réinsertion, a ajouté la délégation, devrait inclure des activités rémunératrices, une formation, un dédommagement financier et un soutien psychosocial.
Une délégation a décrit des initiatives régionales contre la traite des êtres humains prises en Asie du Sud-Est. Plusieurs délégations ont présenté prises par leurs pays pour venir en aide aux victimes de la traite sous toutes ses formes, évoquant notamment l’ouverture de guichets uniques destinés aux victimes ; la formation des policiers et l’intégration de davantage de femmes dans les forces de l’ordre ; ou encore l’adoption de plans d’action impliquant la responsabilisation des entreprises du cyberespace.
L’importance de la coopération internationale pour faire face aux problèmes induits par la nature transfrontalière de la traite a également été soulignée.
Réponses et conclusions des expertes
MME ŠIMONOVIĆ a insisté pour que les gouvernements appliquent les recommandations qui leur sont adressées à l’issue des visites effectuées par les titulaires de mandat dans leur pays. La Rapporteuse spéciale a également insisté sur l’importance des synergies entre les différents organismes et mécanismes axés sur les droits des femmes, ainsi que sur la nécessité de tirer parti des instruments juridiques régionaux et internationaux existants. Mme Šimonović a plaidé à cet égard pour la ratification universelle de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de son Protocole facultatif.
MME GIAMMARINARO a relevé que, du côté du secteur privé, l’action avait jusqu’ici essentiellement porté sur la détection de l’esclavage dans la chaîne de l’offre, en particulier dans le secteur de l’extraction minière. La Rapporteuse spéciale a ensuite rappelé que le droit au recours est garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques : c’est pourquoi les victimes de la traite doivent faire valoir ce droit fondamental. Au chapitre des bonnes pratiques, Mme Giammarinaro a cité l’octroi de permis de séjour sans condition aux victimes de la traite et a salué l’action des organisations non gouvernementales qui assurent un soutien à long terme.
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*Délégations ayant participé au débat sur la violence à l’égard des femmes et sur la traite des êtres humains: ; Union européenne; Finlande (au nom d'un groupe de pays); Uruguay (au nom d'un groupe de pays); Angola (au nom du Groupe africain); Rwanda (au nom d'un groupe de pays); Fédération de Russie; ONU Femmes; Pakistan; Togo; Lybie; Saint Siège; Liechtenstein; Australie; État de Palestine; Tunisie; Belarus; Inde; Lituanie; Croatie; Emirats arabes unis; Burkina Faso; Israël; Uruguay; Algérie; Cuba; Italie; Thaïlande; Monténégro; Paraguay; Espagne; Bahreïn; Venezuela; Allemagne; Égypte; et l'Ordre Souverain de Malte.
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