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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE TIENT UN DÉBAT GÉNÉRAL SUR LE MULTICULTURALISME

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a tenu, ce matin, un débat général sur le thème du multiculturalisme en présence du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, M. Doudou Diène, et sur la base d'un document de travail sur la question du multiculturalisme présenté par l'un de ses membres, M. José A.Lindgren Alves.

Dans sa déclaration liminaire, M. Doudou Diène a souligné que les conflits culturels - qui ont pour point commun le refus du multiculturalisme - deviennent les conflits dominants de notre époque. Deux données lourdes se trouvent au centre du débat sur le multiculturalisme, a-t-il observé: d'une part, tous les pays sont multiculturels et, de l'autre, on assiste à un refus de reconnaître ce fait. Il faut promouvoir la connaissance réciproque que les différentes communautés et les différents groupes ont les uns des autres et promouvoir l'interaction entre eux, a souligné le Rapporteur spécial. Il faut en outre lier le combat contre le racisme à la construction d'un multiculturalisme interactif et dynamique, a-t-il conclu.

Il ne fait aucun doute que le Comité doive insister sur le respect des valeurs originales des immigrants, a déclaré M. Lindgren Alves dans son intervention. Néanmoins, faut-il dire aux États qu'ils doivent traiter ces valeurs comme des valeurs intouchables alors même que l'on sait que certaines pratiques traditionnelles, comme la polygamie ou les mutilations génitales féminines, violent les lois ou sont contraires aux valeurs des pays d'accueil, s'est-il interrogé? Ne serait-il pas plus avisé pour le Comité de recommander aux pays d'émigration que les émigrants respectent mieux les lois et valeurs des pays d'accueil?

Nombre de membres du Comité sont intervenus dans le cadre de ce débat.

En fin de séance, le Comité a par ailleurs brièvement poursuivi l'examen de ses méthodes de travail s'agissant de la présentation des rapports par les États parties et, plus particulièrement, de la question d'un document de base élargi. Des experts ont fait des commentaires au sujet du document, transmis par M. Luis Valencia Rodríguez, présentant les éventuels éléments d'un tel document de base élargi.

Le Comité examinera cet après-midi, à 15 heures, la situation en Papouasie-Nouvelle-Guinée au titre de la procédure de bilan, applicable aux pays dont les rapports accusent un retard trop important.

Déclarations

Présentant son document de travail (CERD/C/66/Misc.8) sur la question du multiculturalisme, M. JOSÉ A. LINDGREN ALVES, membre du Comité, a souligné que cela fait des années qu'il étudie cette question. Il a précisé que ce qui l'a amené à introduire ce débat au sein du Comité, c'est la crainte que certaines des recommandations faites par cet organe, au lieu de servir la cause de la non-discrimination, ne finissent par favoriser chez certains la propension à rechercher des boucs-émissaires dans les sociétés et, par là même, l'intolérance voire la violence à l'égard de certains groupes. La perception de la notion de multiculturalisme diffère selon que l'on est, par exemple, au Brésil ou aux États-Unis. Pour un Brésilien, le multiculturalisme est une façon d'aborder la différence de manière à permettre l'intégration dans un ensemble plus grand alors que pour un citoyen des États-Unis, ou encore du Canada, l'idée qui préside au concept de multiculturalisme est que les cultures ne sauraient être mélangées et qu'il ne faut pas qu'une culture influence l'autre. M. Lindgren Alves a rappelé que dans une intervention devant le Comité l'an dernier, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, M. Doudou Diène, avait lui-même déclaré que le multiculturalisme était une lame à double tranchant.

M. Lindgren Alves a mis l'accent sur la nécessité de veiller à ne pas faire d'amalgame entre les droits des minorités et les droits des autochtones. Il faut en effet se rappeler qu'actuellement, la notion de droits des minorités n'a pas encore été définie dans un instrument autre que régional, a-t-il souligné.

Le Comité, dans le cadre de l'examen des rapports qui lui sont présentés par les États parties, a l'obligation de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas. S'il ne fait aucun doute qu'en Europe, on attend d'un pays qu'il reconnaisse comme minorités les groupes ethniques qui vivent sur son territoire, M. Lindgren Alves a émis des doutes quant à l'opportunité de voir les mêmes règles s'appliquer en Afrique, où les frontières ont été dessinées par les anciennes puissances impériales sans tenir compte des cultures et nations pré-existantes. Ces pays doivent créer leur unité nationale sur les fragments de cultures et de nations disparates qui furent souvent des antagonistes ancestraux. Leur imposer, dans ce contexte, la reconnaissance de minorités en tant qu'entités dont les valeurs ne doivent pas être touchées revient à encourager la fragmentation et les guerres, a affirmé M. Lindgren Alves.

Il ne fait aucun doute que le Comité doive insister sur le respect des valeurs originales des immigrants, a poursuivi M. Lindgren Alves. Néanmoins, faut-il dire aux États qu'ils doivent traiter ces valeurs comme des valeurs intouchables alors même que l'on sait que certaines pratiques traditionnelles, comme la polygamie ou les mutilations génitales féminines, violent les lois ou sont contraires aux valeurs des pays d'accueil? Ne serait-il pas plus avisé de recommander, dans les pays d'émigration, que les émigrants respectent mieux les lois et valeurs des pays d'accueil.

M. Lindgren Alves a indiqué qu'il n'attend pas de ce débat qu'il justifie l'adoption d'une recommandation générale par le Comité. Il n'en demeure pas moins que le Comité devrait garder à l'esprit tous les éléments d'un tel débat lorsqu'il adopte ses recommandations aux États. Si les membres du Comité venaient à estimer que ce thème mérite d'être examiné plus avant, le Comité pourrait revenir sur ce débat au mois d'août en lui consacrant une journée entière, a-t-il suggéré.

Le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, M. DOUDOU DIÈNE, a attiré l'attention sur un proverbe africain qui rappelle que, dans la forêt, lorsque les branches des arbres se querellent, les racines s'enlacent. La nation et les valeurs profondes, ce sont les racines, et les branches ce sont les ethnies, a-t-il expliqué. Aussi, le problème consiste à faire en sorte que les racines nourrissent les branches, a-t-il indiqué.

Les conflits culturels deviennent les conflits dominants de notre époque, a souligné le Rapporteur spécial. Ces conflits ont pour point commun le refus du multiculturalisme et la perception du multiculturalisme comme un danger. Après celle du choc des civilisations, qui lui est due, la dernière théorie de Samuel Huntington, exprimée dans son livre «Who are we?» (Qui sommes-nous?), est que l'identité américaine est menacée par la présence physique et culturelle des Latinos. Derrière cela, il y a le refus du multiculturalisme, a souligné M. Diène.

Faisant observer que l'on peut apprécier l'art nègre ou l'art arabo-andalou et être raciste à l'égard des Noirs ou des Arabes, M. Diène a souligné qu'historiquement, l'émergence de la discrimination et du rejet de l'autre s'inscrit dans le deuxième niveau de la culture, qui est celui non plus de l'esthétique mais de l'éthique. Le spirituel est le troisième niveau de la culture, a-t-il rappelé. Chaque fois que le multiculturalisme devient conflictuel, on se trouve en présence de constructions identitaires qui se sont faites sur la base d'une ethnie, d'une religion ou d'un groupe et qui se sont accompagnées de la diabolisation voire de la négation de l'identité d'autres groupes, communautés ou religions, a déclaré le Rapporteur spécial.

À l'époque des grands travaux scientifiques des XVIIe et XVIIIe siècle, la réflexion sur la diversité a été instrumentalisée pour aboutir à la hiérarchisation des races et des espèces, a rappelé M. Diène. L'Histoire a vu la «multiculturalisation» de fait de tous les pays, a souligné le Rapporteur spécial, attirant l'attention sur l'interaction qui s'est opérée, au cours de l'Histoire, entre toutes les cultures et toutes les religions. Le multucultarisme est, de fait, la caractéristique de fond de tous les pays du monde, a-t-il insisté. Dans le cadre du débat sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, a poursuivi M. Diène, l'argument de fond des opposants a été de dire qu'il fallait refuser l'entrée de ce pays dans l'Union sous prétexte que les Turcs ont des valeurs différentes. Derrière ce discours et ce refus, se trouve le refus de reconnaître le multiculturalisme de fait de l'Europe, a-t-il fait observer. Ainsi, deux données lourdes se trouvent au centre du débat sur le multiculturalisme, a souligné le Rapporteur spécial: d'une part, tous les pays sont multiculturels et, de l'autre, on assiste à un refus de reconnaître ce fait.

M. Diène a ensuite mis en avant le principe de diversité. De ce point de vue, a-t-il expliqué, il ne s'agit pas de dire que l'immigrant doit se soumettre aux valeurs du pays d'accueil et perdre son identité, ce qui serait contraire aux droits de l'homme; il s'agit plutôt de voir comment, dans un ensemble multiculturel de fait, il est possible de respecter et de promouvoir les spécificités et singularités de chacun des groupes et religions, tout en favorisant l'interaction et l'unité de tous les groupes qui composent la communauté. Pour que l'arbre vive, il faut que les branches, dans leur diversité, vivent, a souligné M. Diène, revenant au proverbe africain évoqué au début de son intervention. On ne peut pas construire une communauté nationale en coupant les branches, a-t-il insisté.

Il faut promouvoir la connaissance réciproque que les différentes communautés et les différents groupes ont les uns des autres et promouvoir l'interaction entre eux, a affirmé M. Diène en guise de conclusion. Il faut en outre lier le combat contre le racisme à la construction d'un multiculturalisme interactif et dynamique, a-t-il également souligné. Si on combat le racisme en isolant les communautés, on risque de créer des identités-ghettos et donc de créer une culture et une mentalité de conflit des cultures, a-t-il averti.

Débat général


Dans le cadre de la discussion qui a suivi ces deux déclarations liminaires, un membre du Comité a souligné que les pratiques multiculturelles ne peuvent être tolérées que dans la mesure où elles n'enfreignent pas les normes de droits de l'homme énoncées et reconnues au niveau international.

Les démocraties modernes ne seront viables que si l'on reconnaît les valeurs culturelles de chacun des éléments qui les composent, a souligné un autre expert. Il faut reconnaître la réalité du multiculturalisme, a insisté cet expert, en écho aux propos tenus par M. Diène.

Un autre membre du Comité a fait observer que la théorie de l'assimilation persiste dans nombre de sociétés; sous ses diverses formes, elle est la réponse politique de groupes qui ont souhaitent maintenir leur position dominante. S'il prend certes l'engagement de respecter la législation du pays d'accueil, un émigrant, au fond de son cœur, porte la culture qui lui est propre, a souligné l'expert; le maintien de ces caractéristiques propres dans le pays d'accueil est à la base du concept de multiplicité dans l'unité, qui est au cœur du multiculturalisme. L'intégration ne doit pas être confondue avec l'assimilation, a-t-il insisté.

Un membre du Comité a souligné qu'il incombe à tout État d'assurer le respect des droits de l'homme des populations relevant de sa juridiction; de ce fait, l'État doit respecter la volonté de toute personne de se marier avec qui elle veut ou de porter un foulard si elle le souhaite, y compris dans les lieux publics.

Un autre expert a souligné que le débat sur le multiculturalisme rejoint le débat sur l'universalisme et le particularisme des droits de l'homme. Il a relevé que la rencontre - et non le choc - des cultures est un fait sociologique indiscutable aujourd'hui; de nos jours, tout conduit à ce multiculturalisme généralisé. Il faut donc accepter et faire comprendre les richesses qu'apporte ce phénomène. Aussi, est-il important de promouvoir une meilleure compréhension réciproque entre les différentes cultures, a poursuivi cet expert. Il convient aussi de prévenir les risques d'une radicalisation du communautarisme, a-t-il souligné. Il n'y a pas de vie commune sans acceptation de règles communes, a-t-il rappelé. Un pays d'accueil ne saurait se voir imposer de promouvoir toutes les religions, toutes les cultures, toutes les langues de la population qui vit sur son territoire, a-t-il ajouté. L'un des risques les plus grands qu'encourent nos sociétés n'est-il pas le séparatisme, s'est interrogé cet expert?

L'enjeu de multiculturalisme est l'enjeu central de notre temps, a souligné en guise de conclusion du débat le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, M. Diène.

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel


CRD05016F