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Examen de la Türkiye au Comité contre la torture : les experts du Comité évoquent des questions en lien avec l’état d’urgence, la définition de la torture et des allégations de torture
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et ce matin, le cinquième rapport périodique présenté par la Türkiye au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Au cours du dialogue qui s’est noué entre les experts membres du Comité et une délégation conduite par Mme Kıvılcım Kılıç, Directrice générale des relations multilatérales au Ministère des affaires étrangères de la Türkiye, un expert a d’abord jugé positives la levée de l'état d'urgence le 19 juillet 2018 ainsi que la révocation des dérogations au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention européenne des droits de l'homme.
Pour cet expert, la levée de l'état d'urgence il y a six ans aurait dû donner à la République suffisamment de temps pour revenir à la normale. Or, a-t-il dit, le Comité est préoccupé par les informations de certaines sources au sein des Nations Unies et au-delà affirmant que « l'état d'urgence, apparemment temporaire, qui a été déclaré après la tentative de coup d'État, est devenu de facto permanent ».
Le même expert a relevé que la définition de la torture dans le Code pénal turc n'incluait pas tous les éléments de l'article premier de la Convention. Il a aussi rappelé que la Cour européenne des droits de l'homme s’était prononcée sur plusieurs plaintes contre la Türkiye, la Cour constatant des violations de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la torture et les traitements dégradants ou inhumains. L’expert s’est enfin inquiété des peines d'emprisonnement à perpétuité et d'emprisonnement à perpétuité aggravé qui, a-t-il mis en garde, peuvent constituer une peine ou un traitement cruel et dégradant.
Une experte a exprimé des préoccupations du Comité sur le fait que la Türkiye n'a pas fourni suffisamment d'informations sur les poursuites engagées pour torture, bien que le Comité ait connaissance d'un grand nombre d'allégations de torture. La « torture intensive dans des lieux de détention secrets » gérés par les services de renseignement serait également préoccupante, a relevé l’experte.
D’autres questions ou préoccupations des experts ont porté sur des violences physiques contre des journalistes et professionnels des médias, sur la fermeture de trente-quatre associations d’avocats, des allégations de mauvais traitements commis par les forces de l’ordre lors de manifestations pacifiques, la persistance des féminicides et crimes d’honneur en Türkiye ou encore la surpopulation dans certaines prisons.
Présentant le rapport de son pays, Mme Kılıça déclaré d’emblée que le processus de réforme entrepris par son pays depuis le début des années 2000 démontrait clairement son engagement dans la promotion et la protection des droits de l’homme. La politique de tolérance zéro à l'égard de la torture, adoptée en 2003, a été la pierre angulaire des efforts de réforme, a-t-elle précisé : conformément à cette politique, la Türkiye a promulgué une législation complète et met en œuvre des mesures énergiques pour prévenir et punir tous les actes de torture et les mauvais traitements. La Türkiye est l'un des rares pays au monde à avoir aboli le délai de prescription pour le crime de torture, a aussi souligné la Directrice générale.
Mme Kılıç a mentionné le Plan d'action pour les droits de l'homme (2021-2023), mis en œuvre dans le cadre de la vision « Individu libre, société forte : une Türkiye plus démocratique », vision qui contenait des objectifs importants pour lutter contre toutes les formes de torture. La cheffe de la délégation a présenté plusieurs progrès réalisés dans le cadre des réformes judiciaires et du Plan. Elle a notamment relevé que, dorénavant, le fait que la victime du crime de torture soit une femme est considéré comme une circonstance aggravante et que lesfemmes victimes de violence bénéficient, si elles en font la demande, d'une aide juridique gratuite et de l'assistance d'un avocat.
Mme Kılıç a assuré que les autorités turques veillaient à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements soient immédiatement portées à l'attention des autorités et à ce que les organes judiciaires et administratifs concernés mènent des enquêtes. Les affaires pénales engagées pour torture contre des agents des forces de l'ordre sont considérées comme urgentes par les tribunaux et ont donc la priorité sur les autres procédures, a-t-elle précisé. La Commission de surveillance de l'application de la loi, qui a été créée en 2019, est un mécanisme de plainte efficace et rapide, a souligné Mme Kılıç.
La délégation était composée, entre autres, de M. Burak Akçapar, Représentant permanent de la Türkiye auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants des Ministères des affaires étrangères, de l’intérieur, de la justice, de la défense nationale, de la famille et des services sociaux, et de la santé. La police et la gendarmerie turques étaient aussi représentées.
Pendant le dialogue avec le Comité, la délégation a indiqué que les autorités mettaient en œuvre la tolérance zéro vis-à-vis de la torture : toutes les allégations sont prises au sérieux et, pour chacune, d’entre elles, dans enquêtes sont menées, a-t-elle insisté. La délégation a aussi affirmé qu’il n’existait pas de lieux de détention secrets en Türkiye et que les dispositions du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) s’appliquaient dans tout le pays.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Türkiye et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 26 juillet.
Le Comité tiendra mardi prochain à 10 heures une réunion publique avec la Présidente du Sous-Comité pour la prévention de la torture.
Examen du rapport de la Türkiye
Le Comité est saisi du cinquième rapport périodique de la Türkiye (CAT/C/TUR/5), établi sur la base d’une liste de points à traiter qui avait été soumise au pays par le Comité.
Présentation
Présentant ce rapport, Mme KIVILCIM KILIÇ, Directrice générale des relations multilatérales au Ministère des affaires étrangères de la Türkiye, cheffe de la délégation turque, a déclaré d’emblée que le processus de réforme entrepris par son pays depuis le début des années 2000 démontrait clairement son engagement dans la promotion et la protection des droits de l’homme. La politique de tolérance zéro à l'égard de la torture, adoptée en 2003, a été la pierre angulaire des efforts de réforme, a-t-elle précisé : conformément à cette politique, la Türkiye a promulgué une législation complète et met en œuvre des mesures énergiques pour prévenir et punir tous les actes de torture et les mauvais traitements. La Türkiye est l'un des rares pays au monde à avoir aboli la prescription pour le crime de torture, a aussi souligné la Directrice générale.
Mme Kılıç a mentionné le Plan d'action pour les droits de l'homme (2021-2023), mis en œuvre dans le cadre de la vision « Individu libre, société forte : une Türkiye plus démocratique », vision qui contenait des objectifs importants pour lutter contre toutes les formes de torture. La cheffe de la délégation a présenté plusieurs progrès réalisés dans le cadre des réformes judiciaires et du Plan. Ainsi, dorénavant, le fait que la victime du crime de torture soit une femme est considéré comme une circonstance aggravante et que lesfemmes victimes de violence bénéficient, si elles en font la demande, d'une aide juridique gratuite et de l'assistance d'un avocat.
Mme Kılıç a indiqué que les institutions compétentes travaillaient actuellement au nouveau plan d'action en matière de droits de l'homme 2024-2028. Elle a aussi précisé que, depuis octobre 2020, un total de 150 717 membres du personnel de la police nationale et 22 463 agents de la gendarmerie avaient reçu une formation dans le domaine des droits humains, y compris l'interdiction de la torture et des mauvais traitements.
Pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de détention, les capacités matérielles et les normes des établissements pénitentiaires et centres de détention sont constamment réexaminées, a souligné la cheffe de la délégation. Il est prévu de construire, d'ici à la fin 2026, 58 nouveaux établissements pénitentiaires d'une capacité totale de plus de 48 000 personnes, a-t-elle ajouté.
Mme Kılıç a assuré que les autorités turques veillaient à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements soient immédiatement portées à l'attention des autorités et à ce que les organes judiciaires et administratifs concernés mènent des enquêtes. Les affaires pénales engagées pour torture contre des agents des forces de l'ordre sont considérées comme urgentes par les tribunaux et ont donc la priorité sur les autres procédures, a-t-elle précisé. La Commission de surveillance de l'application de la loi, qui a été créée en 2019, est un mécanisme de plainte efficace et rapide, a souligné Mme Kılıç.
Les établissements pénitentiaires sont contrôlés par des inspecteurs du Ministère de la justice, outre les procureurs chargés des établissements pénitentiaires, a relevé la cheffe de la délégation. L'Institution du médiateur et l'Institution des droits de l'homme et de l'égalité de Türkiye enquêtent, sans autorisation préalable des autorités, sur les plaintes pour torture et mauvais traitements, et surveillent tous les lieux de privation de liberté. L'Institution des droits de l'homme et de l'égalité est aussi le mécanisme national de prévention (MNP) de la torture.
Mme Kılıç a insisté sur le fait que la lutte contre la violence à l'égard des femmes était un élément important de la politique de « tolérance zéro » à l'égard de la torture et des mauvais traitements :la Türkiye à cet égard dispose d'une législation complète et d'une forte capacité institutionnelle, a-t-elle souligné. L'une des mesures prises pour lutter plus efficacement contre la violence à l'égard des femmes est l’aggravation, en 2022, des peines pour l'homicide intentionnel, les blessures intentionnelles, la menace et la torture à l'égard des femmes, a-t-elle précisé.
D’autre part, en raison [notamment] des conflits armés et des difficultés économiques dans la région, la Türkiye subit une forte pression migratoire de la part de ses voisins et des pays de la région, a expliqué la cheffe de la délégation. Le pays accueille actuellement la plus grande population de réfugiés au monde, soit près de quatre millions de réfugiés et demandeurs d'asile. Cette situation n'étant pas tenable, les autorités poursuivent leurs efforts pour créer les conditions nécessaires à des retours volontaires, tout en respectant strictement le principe de non-refoulement, a assuré Mme Kılıç. Dans l'intervalle, les autorités luttent sans relâche contre le trafic de migrants et contrôlent la migration irrégulière.
Questions et observations des membres du Comité
M. BAKHTIYAR TUZMUKHAMEDOV, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la Türkiye, a d’abord jugé positives la levée de l'état d'urgence le 19 juillet 2018 ainsi que la révocation des dérogations au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention européenne des droits de l'homme. Néanmoins, l’expert a relevé que l'état d'urgence a été levé il y a six ans, ce qui, a-t-il estimé, aurait dû donner à la République et à la société suffisamment de temps pour revenir à la normale. Or, le Comité est préoccupé par les informations de certaines sources au sein des Nations Unies et au-delà, affirmant que « l'état d'urgence, apparemment temporaire, qui a été déclaré après la tentative de coup d'État, est devenu de facto permanent », a mis en garde l’expert.
L’expert a aussi souligné que la Constitution turque semblait ne traiter que de la torture, à l’exclusion des autres infractions couvertes par la Convention. Il a relevé que la définition de la torture dans le Code pénal turc n'incluait pas tous les éléments de l'article premier de la Convention. De plus, la définition donnée à l'article 94 du Code pénal ne mentionne pas l'interdiction de tenir compte des aveux obtenus sous la torture et de les présenter comme éléments de preuve devant un tribunal, s’est inquiété l’expert.
M. Tuzmukhamedov a relevé que la Cour européenne des droits de l'homme s’était prononcée sur plusieurs plaintes contre la Türkiye, la Cour constatant des violations de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la torture et les traitements dégradants ou inhumains.
L’expert a aussi mentionné la situation de l'ancien juge au Tribunal pénal international des Nations Unies pour le Rwanda, M. Aydin Sefa Akay, arrêté à la suite de la tentative de coup d'État. Malgré plusieurs appels pour que le juge Akay soit libéré en vertu de son immunité diplomatique en tant que magistrat de l'ONU, il a été jugé, condamné et purge actuellement une peine, a regretté l’expert.
M. Tuzmukhamedov s’est aussi inquiété des peines d'emprisonnement à perpétuité et d'emprisonnement à perpétuité aggravé qui, a-t-il mis en garde, peuvent constituer une peine ou un traitement cruel et dégradant.
D’autre part, compte tenu des liens étroits entre la Türkiye et la République turque de Chypre du Nord, l’expert a demandé comment la délégation évaluait le respect par cette dernière de la norme et du principe fondamentaux de l'interdiction de la torture.
M. Tuzmukhamedov a enfin demandé comment les mesures prises en vertu de la loi antiterroriste de 1991 avaient affecté les garanties relatives aux droits de l'homme, en droit et en pratique.
S’agissant des garanties juridiques fondamentales, MME NAOKO MAEDA, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de la Türkiye, a fait part de la préoccupation du Comité devant le recours excessif à la détention provisoire et par les restrictions au droit de consulter un avocat.
Mme Maeda s’est inquiétée de ce que l'accès des membres des familles aux détenus ait été restreint par le décret 667, lequel prévoit que les détenus ne peuvent recevoir la visite que de leurs parents les plus proches et ne sont autorisés à utiliser un téléphone que dix minutes tous les quinze jours.
Le Comité, a ajouté Mme Maeda, est préoccupé par le fait que la Türkiye n'a pas fourni suffisamment d'informations sur les poursuites engagées pour torture, bien que le Comité ait connaissance d'un grand nombre d'allégations de torture. Elle a aussi demandé ce qui en était des politiques et mesures destinées à dissuader les militaires de recourir à la torture et aux mauvais traitements, et à lutter contre l'impunité dans ce domaine.
Le Comité, a ajouté l’experte, a reçu des allégations d'organisations de la société civile au sujet de transfèrements illégaux et d'extraditions de citoyens turcs affiliés au mouvement Hizumet/Güllen dans le cadre de mesures antiterroristes.
La « torture intensive » dans les lieux de détention secrets gérés par les services de renseignement serait également préoccupante, a relevé l’experte. Tous les cas d'enlèvements et de transfèrements illégaux donneraient lieu à des « tortures massives » et à des détentions au secret, équivalant à une disparition forcée, a-t-elle insisté. On craint que les enlèvements, les disparitions forcées et la torture commis par les services de renseignement ne soient souvent impunis, a relevé Mme Maeda.
Mme Maeda a indiqué que le Comité avait reçu des informations selon lesquelles plus de 200 journalistes et professionnels des médias ont été victimes de violences physiques entre 2019 et 2023. Dans au moins 97 de ces incidents, les auteurs étaient des agents des forces de l'ordre, a-t-elle précisé.
L’experte a rappelé que le rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats avait noté qu'en Türkiye, plus de 34 associations d'avocats avaient été fermées par des décrets présidentiels et avaient vu leurs biens confisqués sans indemnisation à la suite de la déclaration de l'état d'urgence en juin 2016. De plus, le Comité reçoit des informations faisant état d'un grand nombre de juges et d'avocats arrêtés, non seulement après l'état d'urgence, mais aussi récemment.
S’agissant des conditions de détention, Mme Maeda relevé que certains établissements pénitentiaires connaissaient un problème de surpopulation. Le Comité s'interroge de plus sur le fait qu'aucun cas de décès en détention n'ait été signalé depuis la présentation du rapport.
S’agissant de la prison de haute sécurité d’Imralı, où sont détenus trois personnes outre M. Öcalan, personnes condamnées à la réclusion à perpétuité aggravée ou à la prison à vie, Mme Maeda a déploré que depuis le 25 mars 2021, il n'y a eu aucune communication de la part de ces quatre prisonniers. Elle a rappelé que, dans l'affaire Öcalan, la Cour européenne des droits de l'homme avait conclu à l'unanimité que l'imposition de la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle constituait une violation de l'article 3 de la Convention.
Mme Maeda s’est aussi inquiétée de nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements commis par des agents des forces de l'ordre dans le contexte de manifestations pacifiques.
Mme Maeda s’est enfin inquiétée de la persistance des féminicides et des crimes d’honneur en Türkiye. Elle a souhaité savoir pourquoi le pays s’était retiré de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul).
D’autres experts du Comité ont demandé si les forces turques déployées à l’étranger étaient formées aux normes de comportement pour prévenir la torture et ont exprimé des préoccupations s’agissant d’informations selon lesquelles des déclarations de suspects obtenues sous la torture seraient recevables comme éléments de preuve devant les tribunaux.
Il a enfin été demandé ce qu’il en était des rumeurs de rétablissement de la peine de mort en Türkiye en conséquence de la tentative de coup d’État de 2016.
Réponses de la délégation
La délégation a indiqué que la Constitution turque prévoit la primauté du droit international sur la législation interne : en cas de conflit avec la législation interne, ce sont les dispositions des traités qui l’emportent, a-t-elle précisé. Elle a estimé, d’autre part, que la définition de la torture dans la législation turque était plus large que celle de la Convention, car indépendante des motifs qui auraient poussé à l’acte de torture. Quant aux aveux obtenus sous la torture, ils sont nuls dans toutes les circonstances, a aussi indiqué la délégation.
La délégation a aussi insisté sur le fait que les efforts de son pays dans le domaine des droits de l’homme étaient soutenus par les plus hautes autorités de l’État. Ainsi, le Plan d’action national pour les droits de l’homme a été annoncé par le Président lui-même en 2021 ; c’est aussi le Président qui est à l’initiative de la rédaction du nouveau plan d’action pour les années à venir.
La délégation a ensuite indiqué que les centres de privation de liberté étaient supervisés par des institutions indépendantes, notamment l’institution nationale des droits de l’homme, qui agit comme mécanisme national de prévention. Cette institution s’est vu attribuer le statut B conformément aux Principes de Paris en 2022, a précisé la délégation. Le mécanisme a visité plus de 260 lieux de privation de liberté ou de protection en 2020 et a remis des rapports aux institutions concernées dans chaque cas. Quelque 3903 plaintes ont été portées devant cette institution entre 2021 et 2024. Pour sa part, l’Ombudsman reçoit notamment les plaintes pour torture ou mauvais traitements commis par les forces de l’ordre ; cette institution a reçu plus de 5000 plaintes ces trois dernières années.
La délégation a aussi décrit le fonctionnement des 121 « conseils de surveillance civile », dont les membres indépendants ont effectué, en 2023, 2119 visites et préparé plus d’un millier de rapports. Les conseils sont chargés de suivre la situation dans les prisons au minimum tous les deux mois ; leurs membres n’ont pas à être accompagné de personnel pénitentiaire lors de leurs visites. Ces conseils exercent, eux aussi, le mandat de mécanisme national de prévention.
S’agissant de la surpopulation carcérale, la délégation a relevé qu’au cours des dernières années le secteur pénitentiaire avait connu de profondes réformes, notamment concernant l’amélioration des conditions de détention. Le processus de réforme s’est essentiellement concentré sur les infrastructures : de 2022 jusqu’à aujourd’hui, 394 centres pénitentiaires ont été fermés et remplacés par de nouvelles institutions répondant aux normes modernes internationales. La délégation a indiqué qu’entre 2024 et 2026, il y aurait plus de 48 000 places supplémentaires dans les prisons.
Les autorités donnent aussi la priorité aux peines alternatives à la privation de liberté ; en outre, près de 114 000 détenus vont être prochainement libérés pour leurs 3 à 5 dernières années détention, a encore fait savoir la délégation.
La délégation a précisé qu’il y avait deux types de garde à vue en Türkiye prévus par la loi, selon qu’il s’agisse d’un crime individuel ou d’un crime collectif. Pour les crimes individuels, la période de garde à vue ne peut pas dépasser 36 heures à partir du moment de l’arrestation, y compris le temps du transfèrement ; s’agissant des crimes collectifs, commis par trois personnes ou plus, et pour lesquels les enquêtes sont plus longues, la période de garde à vue est prolongée à quatre jours au maximum.
S’agissant de sites non officiels de privation de liberté, mentionnés par un expert du Comité, la délégation a indiqué que les centres de détention étaient officiels et gérés par l’autorité carcérale. Il n’existe pas de lieux de détention secrets en Türkiye, a-t-elle affirmé.
La délégation a ensuite indiqué que les mineurs en conflit avec la loi n’étaient jamais détenus dans des centres de détention pour adultes, mais dans l’un des neuf centres ouverts à leur intention. Le but de de la détention de mineurs est de permettre leur réintégration dans la société. Tous les mineurs disposent d’une chambre individuelle, a-t-elle précisé. Seuls neuf mineurs sont actuellement privés de liberté en Türkiye, a-t-elle aussi souligné.
S’agissant des condamnations à vie incompressibles, la délégation a indiqué qu’il n’y avait pas de discrimination contre quiconque. La sanction de la prison à vie incompressible est décrétée pour les crimes les plus graves. Cette sanction n’impose pas de régime d’isolement et les détenus condamnés à cette peine ont les mêmes droits que les autres détenus.
S’agissant d’Abdullah Öcalan, la délégation a indiqué qu’il avait été déclaré coupable de tentative de séparation d’une partie du territoire turc et condamné à une peine de prison à vie incompressible dans une prison de haute sécurité. Lui et les autres condamnés dans cette affaire sont tenus de se conduire conformément à la loi, faute de quoi les autorités carcérales peuvent décider de sanctions disciplinaires, comme l’interdiction des visites. La justice a ainsi décidé d’interdire la visite des avocats de M. Öcalan pour six mois, a précisé la délégation.
La délégation a aussi précisé que, lorsque la peine de prison imprescriptible est prononcée pour les trois types de crime les plus graves, les dispositions relatives à la libération conditionnelle ne s’appliquent pas.
S’agissant d’allégations de mauvais traitements et de torture dans les prisons, la délégation a assuré que les autorités appliquaient une « tolérance zéro » vis-à-vis de la torture. Toutes les allégations sont prises au sérieux dans ce domaine et chacune d’entre elles entraîne le une enquête, a insisté la délégation.
La délégation a ajouté que les dispositions du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) s’appliquaient dans tout le pays. Le Plan d’action sur les droits de l’homme a prévu des formations pour les médecins et médecins légistes, pour garantir l’uniformité des procédures de rapport et d’enquêtes et les aligner sur les normes internationales. Tout médecin est tenu de faire rapport au Procureur public en cas de soupçons d’actes de torture ou de mauvais traitements sur un détenu.
Chaque décès survenu en détention entraîne l’ouverture d’une enquête par le parquet, a aussi précisé la délégation.
Répondant à plusieurs autres questions des experts du Comité, la délégation a relevé que les fouilles qui sont pratiquées dans les centres de privation de liberté étaient essentielles pour y maintenir la sécurité, l’objectif étant d’empêcher de laisser rentrer des objets dangereux. Après un amendement à la loi en 2021, la fouille corporelle a été abandonnée au profit d’une « fouille détaillée » qui reste exceptionnelle, motivée et décidée par la direction des prisons, a-t-il été précisé.
S’agissant de l’accès à un avocat, la délégation a indiqué que la loi prévoit que les détenus peuvent avoir accès à leur avocat sans limite de temps n’importe quel jour de la semaine. Il s’agit d’une des garanties à un procès équitable. Par ailleurs, la délégation a indiqué que les avocats ne peuvent faire l’objet d’enquête par le Procureur général qu’avec l’autorisation du Ministère de la justice.
Les victimes de torture ou de mauvais traitements peuvent demander réparation et indemnisation auprès de l’institution à laquelle l’auteur est rattaché. La victime peut aussi faire des démarches auprès de la justice civile pour obtenir réparation et avoir accès au système d’aide juridictionnel.
S’agissant de l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre, la délégation a indiqué que les formations aux droits de l’homme à l’intention de la police et de la gendarmerie étaient chaque année plus poussées. Elles portent notamment sur l’utilisation proportionnée de la force et les techniques de fouille. Ces dernières années, plus de 400 000 personnes ont suivi ces formations dans le cadre de leur parcours professionnel, a-t-il été précisé.
Concernant les poursuites contre des policiers qui auraient commis des actes de torture, la délégation a affirmé qu’il n’y avait aucune exception dans la poursuite de ce crime. Le fait d’infliger des blessures volontairement dans le cadre de fonctions officielles est un motif de poursuites, a-t-elle précisé. En 2019, une loi a été promulguée portant création d’une commission de supervision des agents des forces de l’ordre afin qu’ils ne commettent pas d’actes de torture ou de mauvais traitements. Dès lors, s’il existe des plaintes visant des agents des forces de l’ordre, il est certain que, grâce à cette instance, une enquête sera menée.
La délégation a indiqué que les forces de l’ordre n’étaient autorisées à recourir à la force que dans des conditions très limitées et que le droit d’utiliser une arme à feu était strictement encadré, en général à des fins dissuasives.
La délégation a affirmé que le retrait de la Convention d’Istanbul n’était en rien un recul en matière des droits des femmes. Un programme de soutien urgent pour les femmes victimes de violence a été lancé, sous la forme d’une application qui permet un contact immédiat avec les autorités : plus de six millions de personnes l’ont d’ores et déjà téléchargée et des dizaines de milliers de plaintes ont été déposées par ce système, a précisé la délégation. Les autorités appliquent une « tolérance zéro » envers les violences envers les femmes, notamment par le biais d’une nouvelle loi adoptée en 2023 qui vise à prévenir ces violences.
La délégation a par ailleurs relevé que les crimes d’honneur étaient considérés comme des crimes graves en Türkiye, passibles de la prison à vie.
Ont aussi été mentionnées les formations dispensées au personnel judiciaire dans le domaine des droits des réfugiés et des demandeurs d’asile.
La délégation a aussi tenu à préciser que la Türkiye remplissait toutes ses obligations en matière de protection des droits et libertés fondamentaux et estimait que, dans ce contexte, les défenseurs des droits de l’homme sont des éléments indispensables d’une société civile active. En Türkiye, l’environnement est pluriel et libre, avec une variété de médias indépendants. Toutefois, le fait que l’auteur d’un délit ou d’un crime est un journaliste ou un défenseur des droits de l’homme ne l’exempte pas de poursuites, a souligné la délégation.
La délégation a aussi fait savoir que la peine de mort avait été abolie il y a très longtemps mais que la Türkiye était un pays libre et que la question du retour à la peine de mort était une question de société, qui s’est posée en réaction à certains crimes odieux. Il faut voir cette question sous le prisme de la liberté d’expression, a demandé la délégation.
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