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Ce que la Serbie a manqué de traiter correctement ces dernières années, c’est la surpopulation carcérale, souligne une experte du Comité contre la torture
Ce que la Serbie a manqué de traiter correctement ces dernières années, c’est la surpopulation carcérale. Selon les statistiques du Conseil de l’Europe, la Serbie a l’un des taux de mortalité carcérale les plus élevés d’Europe (51,5 pour 10 000 détenus). En outre, le système pénitentiaire serbe est confronté à une pénurie de personnel. D’autre part, selon les informations fournies par différentes organisations de la société civile, le Comité peut conclure que la grande majorité des plaintes pénales déposées contre des policiers, des agents pénitentiaires et d’autres agents de l’État n’atteignent jamais la phase d’inculpation de la procédure pénale et ne sont donc jamais examinées par le tribunal compétent.
Tel est le constat dressé par une experte du Comité contre la torture, Mme Ana Racu, à l’ouverture du dialogue que le Comité a noué, hier et aujourd’hui, avec une délégation serbe venue présenter le rapport soumis par la Serbie au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette experte, qui faisait office de corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de la Serbie, a par ailleurs rappelé qu’à l’issue de sa visite en Serbie [effectuée en novembre 2017], le Rapporteur spécial sur la torture avait conclu qu’il existait des indices crédibles d’actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants survenus en garde à vue en Serbie, en liaison avec l’absence d’un contrôle indépendant effectif et avec une expertise insuffisante du personnel médical dans la détection et l’interprétation des signes de torture et de mauvais traitements.
Relevant que le Défenseur des citoyens (Médiateur) remplit le mandat du mécanisme national de prévention, Mme Racu a par ailleurs fait observer que le rapport de la société civile concernant l’analyse du travail du Médiateur pour la période 2015-2019 avait conclu que cette institution n’était pas conforme aux Principes de Paris en ce qui concerne deux principes importants : l’indépendance et les compétences.
M. Bakhtiyar Tuzmukhamedov, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la Serbie, a pour sa part regretté qu’il n’y ait pas eu d’amendement dans le Code pénal serbe s’agissant de la définition de la torture durant la période considérée. Une définition détaillée dans la législation, conforme à l’un des principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, contribuerait à renforcer la protection contre la torture, donc le respect de la Convention, dans ce pays, a-t-il expliqué.
Présentant le rapport de son pays, Mme Gordana Čomić, Ministre des droits de l’homme et des minorités et du dialogue social de la Serbie, a notamment indiqué que la question la plus importante au cours de la période considérée a été la modification du Code pénal qui est entrée en vigueur le 1er décembre 2019 et selon laquelle la peine d’emprisonnement encourue pour l’infraction pénale de mauvais traitements et de torture en vertu de l’article 137, paragraphe 3, du Code pénal a été portée de 2 à 10 ans d’emprisonnement (au lieu de 1 à 8 ans auparavant), si l’acte a été commis par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Cette modification active la conduite obligatoire d’enquêtes par les procureurs pour de tels actes, a souligné la Ministre.
En mai dernier, a poursuivi Mme Čomić, le Ministre de la justice a décidé d’établir un groupe de travail chargé d’analyser l’efficacité du système de justice pénale et de rédiger le projet de loi portant modification du Code pénal. Lors d’une réunion tenue le 8 novembre 2021, les membres du groupe de travail ont décidé, entre autres, que les dispositions des articles 136 (extorsion d’aveux) et 137 (mauvais traitements et torture) du Code pénal actuel devaient faire l’objet d’une analyse et d’éventuelles modifications conformément aux normes juridiques internationales.
Mme Čomić a par ailleurs déclaré que la République de Serbie applique pleinement l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement. Les capacités d’hébergement dans les prisons sont passées de 10 300 à 11 450 places, alors que le nombre actuel de personnes privées de liberté s’établit à 10 410, a-t-elle indiqué. La Ministre a également fait état de la nouvelle Stratégie nationale de poursuites des crimes de guerre qui a été adoptée le 14 octobre dernier pour la période 2021-2026 et qui est assortie d’un plan d’action. Entre le 20 novembre 2018 et le 1er novembre 2021, le Bureau du Procureur chargé des crimes de guerre a déposé vingt actes d'accusation contre vingt et une personnes ; parmi ces actes d'accusation, figurent ceux liés à des auteurs de haut rang et à des événements ayant fait des centaines de victimes, a précisé la Ministre serbe.
La délégation serbe était également composée de M. Dejan Zlatanović, Représentant permanent de la Serbie auprès des Nations Unies à Genève ; Mme Mina Rolović Jokić, Secrétaire d’État au Ministère des droits de l’homme et des minorités et du dialogue social; ainsi que de représentants du Ministère de l’intérieur, du Ministère de la justice, de la Cour suprême de cassation, du Procureur de la République, du Commissariat pour les réfugiés et les migrations et du Bureau du Procureur pour les crimes de guerre.
Le Comité adoptera ultérieurement ses observations finales sur la Serbe et les rendra publiques à l’issue de sa session, vendredi 3 décembre prochain.
Demain après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de la Bolivie.
Examen du rapport de la Serbie
Le Comité était saisi du troisième rapport périodique de la Serbie (CAT/C/SRB/3), établi sur la base d’une liste de points à traiter préalablement soumise par le Comité.
Présentant ce rapport, MME GORDANA ČOMIĆ, Ministre des droits de l’homme et des minorités et du dialogue social de la Serbie, a souligné que selon la Constitution du pays, les règles généralement acceptées du droit international et les traités internationaux ratifiés par le pays font partie intégrante de l’ordre juridique interne et sont directement applicables en Serbie. Elle a assuré que le pays veillait à construire un cadre global afin que tous les cas de torture puissent être signalés, faire l’objet d’une enquête et voir les responsables sanctionnés.
Bien que le Kosovo-Metohija fasse partie intégrante du territoire de la République de Serbie, en tant qu’État contractant, la République de Serbie n’a pas la possibilité d’y surveiller l’application de la Convention étant donné que, conformément à la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies, la gestion de la province est entièrement confiée à la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo, a souligné la Ministre.
Mme Čomić a ensuite déclaré que la République de Serbie applique pleinement l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, dans le cadre de la législation nationale en tant que principes fondamentaux pour le traitement des personnes privées de liberté.
La Ministre a aussi souligné que la question la plus importante au cours de la période considérée a été la modification du Code pénal qui est entrée en vigueur le 1er décembre 2019 et selon laquelle la peine d’emprisonnement encourue pour l’infraction pénale de mauvais traitements et de torture en vertu de l’article 137, paragraphe 3, du Code pénal a été portée de 2 à 10 ans d’emprisonnement (au lieu de 1 à 8 ans auparavant), si l’acte a été commis par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Cette modification active la conduite obligatoire d’enquêtes par les procureurs pour de tels actes, a ajouté la Ministre, faisant valoir que cela lève les objections qu’avait exprimées le Comité au sujet de l’absence d’obligation d’enquêter sur ces actes.
En mai dernier, a poursuivi Mme Čomić, le Ministre de la justice a décidé d’établir un groupe de travail chargé d’analyser l’efficacité du système de justice pénale et de rédiger le projet de loi portant modification du Code pénal. Lors d’une réunion tenue le 8 novembre 2021, les membres du groupe de travail ont décidé, entre autres, que les dispositions des articles 136 (extorsion d’aveux) et 137 (mauvais traitements et torture) du Code pénal actuel devaient faire l’objet d’une analyse et d’éventuelles modifications conformément aux normes juridiques internationales.
Mme Čomić a d’autre part indiqué qu’en octobre 2019, la mise en œuvre de la loi sur l’aide juridictionnelle gratuite a commencé, ouvrant droit à une aide juridictionnelle gratuite aux personnes qui bénéficient d’une protection légale contre la torture, les peines ou traitements inhumains ou dégradants ou la traite des êtres humains.
La Ministre a par ailleurs attiré l’attention sur l’adoption de la Stratégie nationale sur la réalisation des droits des victimes et des témoins de crime pour la période 2020-2025, qui prévoit la création d’un réseau national de services d’aide aux victimes et aux témoins pendant les procédures judiciaires, afin de se conformer aux normes de l’Union européenne.
Les principes de l’éthique médicale relatifs au rôle du personnel médical dans la protection des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ont également été incorporés dans le droit national, a fait valoir Mme Čomić. L’Administration chargée de l’exécution des sanctions pénales est tenue d’enregistrer tous les cas éventuels de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’établir immédiatement les faits, d’engager sans délai une procédure disciplinaire contre un employé et de déposer une plainte pénale auprès du parquet compétent s’il y a des motifs de soupçonner qu’il existe des éléments d’une infraction pénale dans la conduite d’un employé, a ajouté la Ministre.
Les capacités d’hébergement dans les prisons sont passées de 10 300 à 11 450 places, alors que le nombre actuel de personnes privées de liberté s’établit à 10 410, a par ailleurs indiqué Mme Čomić. Des mesures préventives efficaces ont permis de protéger un grand nombre de personnes privées de liberté contre l’infection à la COVID-19, les soins de santé étant de la même qualité que dans les cliniques civiles, a-t-elle en outre fait valoir, précisant qu’au 1er octobre dernier, quelque 6671 personnes privées de liberté avaient été vaccinées.
Conformément aux recommandations du mécanisme national de prévention de la torture, la procédure a commencé pour équiper tous les locaux du pays destinés aux interrogatoires de la police en matériels de surveillance audiovisuelle, a ajouté Mme Čomić. D’autre part, les capacités du Centre pour la protection des victimes de la traite d’êtres humains ont été renforcées, a-t-elle souligné. En outre, a été adoptée en avril dernier la Stratégie de prévention et de lutte contre la violence contre les femmes fondée sur le genre et contre la violence domestique pour la période 2021-2025. La Ministre a également fait état de la nouvelle Stratégie nationale de poursuites des crimes de guerre qui a été adoptée le 14 octobre dernier pour la période 2021-2026 et qui est assortie d’un plan d’action.
Entre le 20 novembre 2018 et le 1er novembre 2021, le Bureau du Procureur chargé des crimes de guerre a déposé vingt actes d'accusation contre vingt et une personnes. Parmi ces actes d'accusation, figurent ceux liés à des auteurs de haut rang et à des événements ayant fait des centaines de victimes, a précisé la Ministre serbe.
Questions et observations des membres du Comité
M. BAKHTIYAR TUZMUKHAMEDOV, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la Serbie, a regretté qu’il n’y ait pas eu d’amendement dans le Code pénal serbe s’agissant de la définition de la torture durant la période considérée. Une définition détaillée dans la législation, conforme à l’un des principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, contribuerait à renforcer la protection contre la torture, donc le respect de la Convention, dans ce pays, a expliqué le corapporteur.
M. Tuzmukhamedov a ensuite relevé que malgré le principe [moniste] d’intégration directe des traités internationaux ratifiés par la Serbie dans l’ordre juridique interne du pays, la Constitution habilite la Cour constitutionnelle à se prononcer sur « la conformité des traités internationaux ratifiés avec la Constitution ». L’expert a dès lors demandé si la Cour pourrait être amenée à déclarer certaines des dispositions de la Convention inconstitutionnelles, tout en estimant qu’il s’agissait là d’un scénario hautement improbable – en particulier à la lumière d’une affaire récemment portée en justice au nom de 17 migrants en provenance d’Afghanistan et de la citation de la Convention par la Cour constitutionnelle. Le corapporteur s’est néanmoins enquis de la jurisprudence s’agissant de toute référence faite à la Convention par des tribunaux, voire de décisions de tribunaux directement fondées sur cet instrument.
Le corapporteur a d’autre part voulu savoir si les protections garanties par la Constitution serbe, y compris la protection contre la torture, peuvent être étendues au-delà du territoire de la République, et même couvrir un étranger. Si tel est le cas, comment de telles protections sont-elles mises en œuvre ? Le corapporteur s’est en outre enquis des motifs d’extradition et/ou de remise de citoyens serbes à des États étrangers.
M. Tuzmukhamedov a estimé que le Comité devrait être préoccupé par la déclaration [figurant au paragraphe 127 du rapport] dans laquelle la Serbie affirme « que les crimes de guerre sont des crimes complexes, comprenant parfois des exécutions, et que les autorités serbes ne disposent pas de statistiques précises permettant de savoir si des actes de torture ont été perpétrés à ce titre ». L’expert a notamment rappelé que la torture en tant qu’élément de crimes de guerre est connue du droit international depuis l’acte d’accusation et le jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg ; elle est également connue en tant que telle dans le Statut et la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
S’agissant des actes d’accusation déposés par le Bureau du Procureur pour les crimes de guerre contre 21 personnes de haut rang, M. Tuzmukhamedov a demandé si l’une de ces affaires comprenait des accusations de torture ou de mauvais traitements et si le Procureur avait invoqué la Convention. Il s’est en outre enquis des résultats de la première Stratégie nationale de poursuites des crimes de guerre qui s’est achevée cette année, en particulier pour ce qui est des crimes comportant un élément de torture ou de traitement inhumain.
S’agissant de la coopération avec le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, M. Tuzmukhamedov a prié la délégation de faire le point sur tous les développements et questions en suspens dans la coopération de la Serbie avec le Mécanisme, s’agissant notamment du nouveau procès contre Jovica Stanišić et Franko Simatović, anciens hauts fonctionnaires du Ministère de l’intérieur accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
M. Tuzmukhamedov a d’autre part demandé des informations s’agissant de : la formation des agents d’immigration à la communication interculturelle ; l’accès aux interprètes pour les demandeurs d’asile ; et la formation du personnel militaire serbe pour les déploiements à l’étranger.
Il a en outre souhaité connaître toute mesure prise par la Serbie pendant la pandémie de COVID-19 pour s’assurer que les politiques et actions prises dans ce contexte, notamment dans le milieu carcéral ; soient conformes aux obligations qui incombent au pays en vertu de la Convention.
MME ANA RACU, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de la Serbie, a déclaré que bien que certains changements intervenus dans le pays depuis l’examen du précédent rapport soient positifs, certaines des recommandations qui avaient alors été adressées au pays n’ont pas été entièrement mises en œuvre, ou même n’ont pas été du tout mises en oeuvre.
S’agissant de l’institution nationale des droits de l’homme, la corapporteuse a relevé que le Défenseur des citoyens (Médiateur) remplit le mandat du mécanisme national de prévention (MNP). Elle a en outre relevé que le rapport de la société civile concernant l’analyse du travail du Médiateur pour la période 2015-2019 a conclu que cette institution n’était pas conforme aux Principes de Paris en ce qui concerne deux principes importants : l’indépendance et les compétences. Il a été ajouté qu’il y avait un déclin important de la coopération avec la société civile et que la capacité de l’institution à retenir du personnel qualifié et expérimenté avait également diminué. Mme Racu a estimé qu’il s’agissait là de conclusions très sérieuses et que le Comité souhaitait clarifier ces questions.
Certains rapports indiquent que le nombre de visites aux postes de police effectuées par le MNP entre 2014 et 2018 a diminué d’année en année, a poursuivi Mme Racu. Elle a dès lors souhaité savoir combien de centres de détention, y compris les commissariats, les centres de migrants et les institutions psychiatriques, sont visités par le Médiateur chaque année et pourquoi le nombre de visites a diminué ces dernières années. Elle a également souhaité savoir si les ONG de défense des droits de l’homme avaient accès à tous les lieux de détention.
S’agissant des garanties juridiques fondamentales, Mme Racu a relevé que la législation serbe contient des dispositions spécifiques garantissant notamment les droits d’accès à un avocat et à un médecin dès le début de la privation de liberté. Elle a toutefois jugé nécessaire d’améliorer la mise en œuvre pratique de toutes ces normes importantes. Elle a notamment souligné que la détention prolongée avant procès demeurait un problème. De même, s’agissant des garanties contre les mauvais traitements, la corapporteuse a souhaité savoir ce qui se passe dans la pratique, en dépit des dispositions légales en vigueur. Elle a ainsi relevé que le Comité européen pour la prévention de la torture avait conclu en 2018 que de nombreuses personnes arrêtées n’avaient pas été en mesure de contacter un membre de leur famille pendant les premières étapes de la détention. Dans la pratique, a insisté Mme Racu, il est apparu que la plupart des personnes ont vu un avocat pour la première fois lorsqu’elles ont été traduites devant le procureur. En outre, a-t-elle ajouté, très peu de personnes détenues avaient un avocat présent pendant qu’elles étaient interrogées par les enquêteurs. D’autres plaintes ont par ailleurs été reçues au sujet de la compétence des avocats commis d’office affectés aux personnes détenues, a-t-elle également souligné.
Mme Racu a ensuite souhaité savoir si le système électronique unifié est pleinement fonctionnel et contient un dossier complet concernant la garde. Elle s’est inquiétée que selon certains rapports, des examens médicaux de personnes privées de liberté étaient effectués en présence des policiers, qui étaient souvent les mêmes policiers qui auraient pu avoir maltraité la personne détenue.
Ce que la Serbie a manqué de traiter correctement ces dernières années, c’est la surpopulation carcérale, a poursuivi Mme Racu, faisant état d’informations selon lesquelles la surpopulation reste un grave problème – en particulier pour ce qui est des personnes placées en détention provisoire, car elles sont enfermées dans leur cellule 22 heures voire plus par jour durant des mois, sans accès à des activités ciblées et avec des restrictions imposées tout au long de la période précédant le procès. En outre, la surpopulation reste un problème majeur dans l’établissement pénitentiaire de Sremska Mitrovica, avec un taux d’occupation allant jusqu’à 150 % de la capacité réelle. Mme Racu a par ailleurs relevé que selon les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, la Serbie a l’un des taux de mortalité carcérale les plus élevés d’Europe (51,5 pour 10 000 détenus).
D’autre part, le système pénitentiaire serbe est confronté à une pénurie de personnel, a poursuivi la corapporteuse, avant de s’enquérir des mesures prises par la Serbie pour améliorer la formation de ce personnel, y compris pour ce qui est de la gestion des crises, de la prévention de la violence ou encore de la gestion des détenus vulnérables.
La corapporteuse a par ailleurs indiqué qu’au cours de sa visite en Serbie, le Rapporteur spécial sur la torture avait noté avec une vive préoccupation les nombreuses allégations constantes de torture et de mauvais traitements de la part de la police, notamment pour contraindre des individus à faire des aveux pendant les interrogatoires en garde à vue, ainsi que le fait que des détenus avaient déclaré avoir été giflés et battus à coups de poing et de matraque, frappés à coups de pied et menacés avec des armes à feu. En outre, le Rapporteur spécial avait fait état de nombreux rapports crédibles de torture et de mauvais traitements et d’une absence d’efforts pour enquêter de manière approfondie sur ces actes. Le Rapporteur spécial avait ainsi conclu qu’il existait des indices crédibles d’actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants survenus en garde à vue en Serbie, en liaison avec l’absence d’un contrôle indépendant effectif et avec une expertise insuffisante du personnel médical dans la détection et l’interprétation des signes de torture et de mauvais traitements.
Mme Racu a déclaré que, selon les informations fournies par différentes organisations de la société civile, le Comité pouvait conclure que la grande majorité des plaintes pénales déposées contre des policiers, des agents pénitentiaires et d’autres agents de l’État n’atteignent jamais la phase d’inculpation de la procédure pénale et ne sont donc jamais examinées par le tribunal compétent. L’experte a fait part de ses préoccupations quant au manque d’indépendance des organismes de surveillance, qui ne permet pas une surveillance et un contrôle vraiment fiables et impartiaux sur les allégations de mauvaise conduite imputable à la police et aux autorités correctionnelles.
Mme Racu s’est en outre enquise de la position actuelle de la Serbie concernant l’emprisonnement à vie ; elle a souhaité savoir combien de prisonniers sont actuellement condamnés à perpétuité.
La corapporteuse a d’autre part demandé des informations sur la prévention des violences entre prisonniers, sur la prévention du suicide en prison, sur l’isolement – y compris celui des mineurs –, ainsi que sur les peines alternatives à la détention des mineurs.
Il semble que le Ministère de la santé n’ait pas encore procédé à des inspections concernant le fonctionnement général des services de soins de santé dans les prisons, comme le prévoit pourtant l’article 276 de la loi sur l’exécution des sanctions pénales, a fait observer Mme Racu.
Comme il ressort de diverses sources, a poursuivi la corapporteuse, il est nécessaire de prendre des mesures pour améliorer et accélérer le traitement des demandes d’asile, notamment en établissant un mécanisme sensible à la protection dans le cadre du processus de détermination du statut de réfugié, afin d’identifier les personnes ayant des besoins spécifiques.
Mme Racu a relevé que selon les déclarations publiques de différents responsables de l’État, entre 2016 et 2020, au moins 95 000 réfugiés et migrants ont été empêchés de traverser « illégalement » la frontière serbe. Elle a regretté que les autorités serbes n’aient pas encore mis en place un mécanisme indépendant de surveillance des frontières en coopération avec la société civile et les organisations internationales.
Enfin, Mme Racu s’est inquiétée de rapports faisant état, dans les centres psychiatriques, de l’utilisation de mesures coercitives, y compris des contraintes physiques et chimiques, et d’un traitement antipsychotique excessif, ainsi que de l’isolement prolongé d’adultes et d’enfants souffrant de handicaps psychosociaux et/ou intellectuels.
Un autre membre du Comité s’est enquis des mesures prises par la Serbie pour protéger les défenseurs des droits de l’homme.
Réponses de la délégation
S’agissant de la jurisprudence qui intéresse le Comité, la délégation a notamment indiqué que dans ces arrêts, la Cour constitutionnelle fait davantage référence à la Convention européenne des droits de l’homme qu’à la Convention contre la torture. Il n’en demeure pas moins qu’à plusieurs reprises, la Cour constitutionnelle a fait référence à la Convention contre la torture dans ces décisions, a-t-elle par la suite ajouté.
Pour enquêter sur toute allégation de mauvais traitements commis par la police, il existe un service de contrôle spécifique au sein du parquet et un service de contrôle interne au sein du Ministère de l’intérieur, a par ailleurs indiqué la délégation. Lors d’une enquête visant un agent de police pour allégation de torture, toutes les activités de recherche de preuves sont menées sous la direction du procureur et non du service de police concerné, a fait valoir la délégation.
La délégation a par ailleurs indiqué que la Serbie avait établi un groupe de travail composé de membres du parquet et du service de contrôle interne du Ministère de l’intérieur chargé d’élaborer une méthodologie pour mener les enquêtes dans les cas de torture. Cette méthodologie est destinée aux procureurs et agents de police et son contenu est fondé sur des textes juridiques internationaux et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ; elle doit être utilisée dans tous les cas qui concernent des atteintes commises par des responsables, y compris dans les centres de détention. L’objectif ultime de cette méthodologie est d’assurer des enquêtes efficaces au sens de la Convention en mettant en œuvre les principes d’indépendance et d’impartialité, ce qui signifie que la personne dont les activités sont analysées ne peut participer à la conduite de l’enquête.
La délégation a ensuite expliqué que de nombreux textes juridiques avaient été amendés afin d’aboutir à une tolérance zéro concernant les mauvais traitements ou la torture imputables aux forces de police. Un manuel décrit de manière détaillée le comportement que les forces de police doivent avoir avec les personnes détenues, s’agissant notamment de la contrainte. Un autre manuel décrit le traitement d’affaires qui touchent des mineurs.
Suite aux violentes manifestations à Belgrade en juillet dernier, le Médiateur a soumis un rapport pour prévenir l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre, qui recommande notamment que l’identité de l’agent soit visible, y compris lorsqu’il a des vêtements de protection particulier, a ensuite souligné la délégation. D’autres mesures de prévention ont également été prises suite aux recommandations du MNP, comme la mise en place de caméra dans les salles d’interrogatoire.
En janvier 2022, un registre national devrait être établi concernant les auteurs et les victimes d’actes de torture, a d’autre part souligné la délégation.
La Serbie a adopté des directives en matière de poursuites pénales pour les crimes de haine, a ensuite indiqué la délégation. Cela a été ajouté en 2012 à la législation serbe et sert de base à des sanctions plus lourdes pour les auteurs de ce type de crimes, a-t-elle précisé. Ces directives ont été élaborées par un groupe de travail composé de représentants du parquet, d’organisations non gouvernementales et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). De nombreuses affaires ont été portées devant la justice pour des crimes de haine commis à l’encontre de personnes LGBTI ou de personnes issues de minorités raciales, a ajouté la délégation.
S’agissant de la protection des journalistes, la délégation a indiqué qu’un accord de coopération, datant de 2016, entre les services du parquet et le Ministère de l’intérieur énonce l’obligation de mener des actions et des procédures urgentes dans tous les cas où des journalistes sont en péril. Un autre important accord de coopération, signé par le procureur, le Ministère de l’intérieur et différentes associations de journalistes et de médias, a également été conclu en 2016 pour améliorer la sécurité des journalistes. L’objectif essentiel de cet accord est d’assurer de manière efficace la protection juridique des journalistes ; il recense une trentaine d’actes criminels mettant en danger la sécurité des journalistes.
Pour pouvoir répondre à la préoccupation exprimée par Mme Racu au sujet de plaintes qui auraient été reçues au sujet de la compétence des avocats commis d’office, la délégation a affirmé qu’il lui faudrait davantage d’informations sur ces cas et qu’en tout état de cause, selon elle, il ne peut s’agir que de cas isolés et non d’un problème systémique en Serbie.
Pour ce qui est de la violence sexiste, des avancées majeures sont enregistrées en Serbie en matière de protection des victimes, a ensuite fait valoir la délégation. Tout type de violence est une forme de torture ou de mauvais traitement, a-t-elle rappelé. La loi sur la [prévention de la] violence familiale est d’ordre préventif, a-t-elle souligné, avant d’attirer l’attention sur la loi relative à l’égalité entre hommes et femmes qui a été adoptée cette année.
S’agissant de la surpopulation carcérale, la délégation a indiqué que l’analyse de la situation qui a été menée a permis de constater que des progrès avaient pu être atteints grâce à la rénovation de bâtiments et à la construction de nouveaux établissements. Une nouvelle stratégie prévoit la construction de trois nouvelles unités pénitentiaires d’ici 2026, a précisé la délégation. En outre, pour lutter contre la surpopulation carcérale, la Serbie met en œuvre un programme de libération anticipée, a-t-elle ajouté. Un autre programme vise à accroître le recours aux peines [purgées] à domicile.
La délégation a par ailleurs souligné que de nouveaux postes avaient été ouverts afin de renforcer le personnel pénitentiaire.
Le Comité européen pour la prévention de la torture a salué les bonnes pratiques de certaines prisons serbes dans lesquelles a notamment été abandonnée l’utilisation des matraques, a en outre fait valoir la délégation. Elle a d’autre part indiqué que la direction des prisons avait développé un manuel à l’intention des personnels de santé, qui vise à prévenir la torture et établit des procédures de détection d’éventuels cas. Il est également prévu dans le cadre de ce manuel de consigner dans un registre l’ensemble des remarques relatives à la santé des détenus. Par ailleurs, un programme a été mis en œuvre en matière de prévention de la toxicomanie et de l’hépatite C en prison.
L’administration pénitentiaire a aussi organisé des ateliers en vue d’assurer un traitement individuel pour les détenus ayant un handicap mental. Un autre programme est mis en œuvre en vue de préserver la santé mentale en prison. Conformément aux recommandations du Comité contre la torture, des infrastructures vont aussi être créées dans certaines prisons afin d’accueillir des détenus ayant un handicap mental, a indiqué la délégation.
Un manuel a également été édité afin de prévenir les cas de suicide en prison, a-t-elle ajouté.
À l’intention des gardiens, un nouveau programme de formation a été mis en œuvre en 2021 pour prévenir les violences entre détenus ainsi que pour identifier et traiter tous les cas de ce type de violences.
La durée moyenne de détention des mineurs est de trois mois, a ensuite indiqué la délégation, avant d’ajouter que les mineurs bénéficient d’un programme de formation.
Différentes organisations non gouvernementales ont l’autorisation de se rendre en prison pour rencontrer les détenus ou pour soutenir ceux qui se trouvent en fin de peine en vue de leur réintégration dans la société.
Le mécanisme national de prévention a effectué 17 visites dans les prisons serbes en 2020, dont plusieurs pour vérifier d’éventuels cas de torture, a précisé la délégation.
S’agissant des questions d’asile, la délégation a indiqué que de nombreuses formations avaient été dispensées dans le pays par le Bureau européen d’appui en matière d’asile. Ces formations portaient notamment sur les interviews, en particulier celles des enfants et des personnes victimes de la traite d’êtres humains. La loi serbe sur l’asile est alignée sur les directives de l’Union européenne, a ensuite souligné la délégation, avant de préciser que la procédure prévoit des garanties en matière d’accueil pour les mineurs non accompagnés, les victimes de traite et les personnes âgées. Pour toute demande d’asile, la décision est adoptée au plus tard trois mois après le dépôt de la demande, a d’autre part indiqué la délégation.
Pour ce qui est des crimes de guerre, la délégation a signalé que l’extradition n’est pas possible pour les citoyens serbes ; aucun état de la région ne procède à ce type d’extraditions, a-t-elle ajouté. Des traités bilatéraux prévoient malgré tout de possibles extraditions de citoyens serbes avec certains pays voisins comme la Bosnie-Herzégovine ou la Croatie, mais ces traités ne concernent pas les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou le génocide, a précisé la délégation.
S’agissant des conditions pour livrer ses propres citoyens à des tribunaux internationaux, la délégation a rappelé qu’il y avait un accord de 2003 entre la Serbie et le Tribunal de La Haye et que dans chaque cas, la justice [serbe] évaluait s’il était justifié de procéder à l’extradition.
Remarques de conclusion
Mme Čomić a remercié le Comité pour ce dialogue et a assuré que la Serbie ferait son possible pour mettre en œuvre ses recommandations. Elle a en outre indiqué que la délégation serbe allait fournir des réponses supplémentaires par écrit pour toutes les questions qui n’ont pas obtenu ici de réponses. La Ministre a rappelé que la Serbie s’était engagée à promouvoir la protection et la promotion des droits de l’homme en coopérant étroitement avec l’ensemble des mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies, ce dont témoigne notamment la création d’un mécanisme de suivi de la mise en œuvre des recommandations desdits mécanismes.
M. CLAUDE HELLER, Président du Comité, a remercié la délégation pour ce dialogue interactif et a exprimé sa reconnaissance aux deux corapporteurs pour leur examen minutieux du rapport serbe.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel.
Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.
CAT21.013F