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LE CONSEIL SE PENCHE SUR LA PROMOTION ET LA PROTECTION DU DROIT À LA LIBERTÉ D'OPINION ET D'EXPRESSION
Il achève également le dialogue sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme
Le Conseil des droits de l’homme a entendu, cet après-midi, la présentation du dernier rapport de M. David Kaye, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, dont le mandat s’achève. Il a ensuite engagé avec lui un dialogue auquel ont pris part de nombreuses délégations**. En début de séance, le Conseil avait auparavant conclu son dialogue, entamé hier , avec la Présidente du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, Mme Anita Ramasastry, en entendant les déclarations de quelques organisations non gouvernementales*.
Présentant son rapport, M. Kaye a notamment insisté sur le fait que les autorités doivent toujours démontrer la nécessité et la proportionnalité des restrictions qu’elles entendent imposer à la liberté d’opinion et d’expression. Les gouvernements ne jouissent pas d'un pouvoir discrétionnaire illimité pour imposer ces restrictions : leurs choix dans ce domaine sont bornés par le droit relatif aux droits de l'homme, a rappelé le Rapporteur spécial.
S’agissant de son rapport thématique, M. Kaye a noté qu’en période de pandémie, les restrictions illégales à la liberté l'expression menacent la vie et la santé. Les gouvernements doivent au contraire, face à l’«infodémie» et à la désinformation qui sévissent actuellement, diffuser des informations honnêtes concernant l'évolution de la COVID-19 et les outils pour s’en protéger. Ils doivent, en même temps, mettre fin à la pratique des fermetures d'Internet et s'abstenir d’attaquer les médias, a recommandé le Rapporteur spécial. Il a en outre plaidé pour que les pouvoirs publics, plutôt que de sanctionner les discours de haine, les dénoncent publiquement.
Après que le Rapporteur spécial eut rendu compte de sa visite en Éthiopie, la délégation de ce pays a fait une déclaration.
Les délégations suivantes ont exercé leur droit de réponse à la fin de la séance : Inde, Éthiopie, Azerbaïdjan, Chine, Cuba, Brésil et Pakistan.
Lundi 13 juillet, à partir de 10 heures, le Conseil tiendra sa discussion annuelle sur les droits des femmes.
Les séances de la quarante-quatrième session du Conseil sont retransmises sur le site UN Web TV .
Fin du dialogue avec le Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises
Aperçu du dialogue
Plusieurs intervenants de la société civile ont souligné que la corruption sapait les fondements mêmes des institutions et affaiblissait l'état de droit. Dans un tel contexte, il ne faut pas se contenter de réglementer les entreprises privées ; il faut aussi se pencher sur le rôle des gouvernements, en particulier dans les économies contrôlées par l'État, a-t-il été déclaré. La corruption est l'un des principaux facteurs qui facilitent la mainmise des entreprises sur l'État en Asie, a-t-on aussi affirmé. L'industrie minière, en particulier, a été présentée comme un secteur mal réglementé et rongé par la corruption.
Les effets de la COVID-19 sur les travailleurs migrants ont été jugés particulièrement inquiétants : des gouvernements et entreprises se sont soustraits à leurs responsabilités, avec pour effet de laisser des travailleurs migrants bloqués dans leur pays d'accueil, a-t-il été rappelé.
*Liste des intervenants : Forum asiatique pour les droits de l'homme et le développement, Institute for NGO Research, Société pour les peuples menacés, Institut International pour les Droits et le Développement , China Society for Human Rights Studies (CSHRS), Iraqi Development Organization.
Réponses et conclusion de la Présidente du Groupe de travail
MME ANITA RAMASASTRY a déclaré que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme fournissent un cadre pour aider tous les acteurs – États, entreprises et société civile – à défendre les droits de l’homme. Il n’en reste pas moins qu’il demeure de la responsabilité explicite des gouvernements de faire respecter les droits de l’homme. Les Principes, qui sont d’application volontaire, font partie du « paquet » composé également des traités, conventions et autres règlements ayant force de loi, a souligné la Présidente du Groupe de travail.
Mme Ramasastry a précisé que le Groupe de travail mettait l’accent non seulement sur les acteurs étatiques coupables de corruption, mais aussi sur la corruption des entreprises, avec ses effets sur les droits de l’homme.
Dialogue avec le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression
Présentation du rapport
Le Conseil était saisi du dernier rapport de M. DAVID KAYE, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression (A/HRC/44/49), intitulé « Pandémies et liberté d’opinion et d’expression ». Un additif au rapport traite de la visite du Rapporteur spécial en Éthiopie ( Add.1)
S’agissant du rapport thématique, M. Kaye a noté qu’en période de pandémie, les restrictions illégales à la liberté d'expression menacent la vie et la santé. Des personnes sont en effet mortes parce que des gouvernements ont menti, caché des informations, détenu des journalistes, n'ont pas été à l'écoute de la population, s’agissant de la nature de la menace, et ont criminalisé des individus en arguant qu’ils diffusaient de fausses informations.
Le Rapporteur spécial a indiqué que son rapport insiste sur la nécessité pour les gouvernements de partager un maximum d'informations concernant l'évolution de la COVID-19 et les outils pour s’en protéger. En outre, les gouvernements doivent en tout temps – pendant comme avant la pandémie – non seulement mettre fin à la pratique des fermetures d'Internet, mais aussi s'abstenir d’attaquer les médias et libérer les journalistes détenus.
Le Rapporteur spécial a aussi noté que les gouvernements pourraient être tentés de combattre la désinformation en matière de santé publique (que l’OMS qualifie d'« infodémie ») par des mesures sévères étant donné le tort qu’elle peut causer. Or, a mis en garde M. Kaye, les sanctions, si elles peuvent remédier à certaines désinformations, limitent également la volonté des gens de partager des informations utiles.
D’autre part, les tests, la recherche des contacts et la notification sont aujourd’hui essentiels pour contrôler la propagation de la maladie, a reconnu l’expert ; mais toute mesure de surveillance doit être conforme aux normes de nécessité et de proportionnalité et ne doit jamais être utilisée pour criminaliser des individus, a-t-il insisté.
Rendant compte de sa visite en Éthiopie, M. Kaye a relevé que le Gouvernement actuel avait libéré les journalistes, les militants politiques et les défenseurs des droits de l'homme détenus arbitrairement par le gouvernement précédent et s’était engagé à éviter la surveillance illégale du passé. Le Gouvernement a aussi commencé à réformer le cadre juridique régissant les médias et le travail de l'Autorité de diffusion, pour créer un environnement favorable aux médias indépendants, a ajouté le Rapporteur spécial.
Mais les dernières semaines ont mis en évidence les risques posés par certaines forces sociales et politiques en Éthiopie, a poursuivi M. Kaye. Il s’est dit très préoccupé par l’assassinat, fin juin, du chanteur populaire Hachalu Hundessa. Il a recommandé que le Gouvernement réduise les tensions en construisant un environnement protecteur de la liberté d'expression, notamment en veillant à ce que la nouvelle proclamation sur la prévention et la suppression des discours de haine et de la désinformation, critiquée dans le rapport, n'exacerbe pas les tensions.
Pour conclure, M. Kaye, dont le mandat de Rapporteur spécial s’achève, a insisté sur le fait que les autorités doivent toujours démontrer la nécessité et la proportionnalité des restrictions qu’elles entendent imposer à la liberté d’opinion et d’expression. Les gouvernements ne jouissent pas d'un pouvoir discrétionnaire illimité pour imposer des restrictions : leurs choix dans ce domaine sont bornés par le droit relatif aux droits de l'homme.
Il est impossible, d'ignorer le fait que les gouvernements ne respectent pas ces normes, a regretté le Rapporteur spécial, citant des violations commises par l'Arabie saoudite, le Bélarus, la Chine, l'Inde, la Turquie et l'Égypte.
Pays concerné
Le représentant de l’Éthiopie a indiqué que ces deux dernières années, son pays avait entrepris des réformes audacieuses ayant conduit à l'élargissement de l'espace démocratique et politique et donné aux citoyens la possibilité de s'impliquer dans les affaires du pays. Outre des mesures législatives favorables à la liberté des médias et à l'accès à l'information, le Gouvernement a ainsi autorisé l'accès à plus de 246 sites web et chaînes de télévision, y compris des organes d'information et des blogs qui étaient auparavant bloqués en raison de leur contenu politique.
Malgré toutes ces mesures de réforme, les discours de haine et la désinformation ont augmenté, a poursuivi le représentant. En conséquence, le Conseil consultatif pour la justice et les affaires juridiques a rédigé une proclamation visant à mettre en garde contre les discours de haine et la désinformation par divers moyens, a-t-il indiqué.
Le représentant a par ailleurs mis en garde contre toute référence à de prétendus « affrontements interethniques » en Éthiopie : il ne faut pas exagérer inutilement quelques incidents localisés, à l’initiative de groupes mécontents déterminés à perturber les réformes actuellement en cours et à perpétuer les tensions politiques dans le pays, a-t-il déclaré.
Aperçu du dialogue
Il a été rappelé que le respect de la liberté d'opinion et d'expression est une condition de la protection et de la promotion de tous les droits de l'homme. Le respect de ce droit permet aux journalistes et autres travailleurs des médias, aux défenseurs des droits de l'homme et aux organisations de la société civile, entre autres, de fournir les informations dont nous avons besoin pour protéger la démocratie, lutter contre la corruption, participer efficacement à la vie publique et veiller à ce que les pratiques commerciales respectent les droits de l'homme, a-t-il été souligné.
Des délégations ont insisté sur le fait que la liberté d'opinion et d'expression en ligne et hors ligne – qui comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations – est essentielle pour lutter contre la crise sanitaire et économique mondiale actuelle. Elles ont dit partager la préoccupation du Rapporteur spécial selon laquelle les efforts déployés pour lutter contre la pandémie de COVID-19 ne répondent pas toujours aux normes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et de non-discrimination.
Plusieurs délégations ont fait part de leur préoccupation devant l’«infodémie» qui se répand par le biais des médias numériques et des réseaux sociaux et sous-tendue par «des intérêts politiques clairs». Le Rapporteur spécial a été prié de s’intéresser à ce qui se passe sur ces réseaux électroniques et sociaux par lesquels se répand la désinformation, de même qu’aux dérives possibles des lois contre les fausses nouvelles.
L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a dit combattre la désinformation en matière de santé publique en produisant des supports pédagogiques et des fiches d’information sur la «désinfodémie» entourant la COVID-19, entre autres initiatives.
Il a été rappelé, également, que la liberté d’expression et d’opinion ne doit pas servir de justification à la diffusion de fausses nouvelles, de discours de haine ou à l'incitation à la haine et à la violence, mais doivent être exercés avec la plus grande responsabilité, dans l'intérêt d'une paix et d'une sécurité durables, et en particulier en cette période difficile de pandémie.
Une autre délégation a regretté que, même dans la situation actuelle où il importe de sauver des vies, certains États reproduisent leurs attaques sans fondement contre d’autres pays et organisations internationales, en essayant de leur faire porter l'entière responsabilité de la crise épidémiologique actuelle. Cela se fait souvent par la diffusion d'informations sciemment fausses sur les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, a dit cette délégation.
Un autre intervenant a dénoncé les « avalanches d'informations » mensongères diffusées contre son pays par des plateformes numériques basées et financées dans un pays tiers.
Des violations de la liberté d’expression et des droits des journalistes ont en outre été dénoncées dans plusieurs pays et dans des régions sous occupation.
Une ONG a fait remarquer que le coronavirus était apparu dans un contexte déjà marqué par la censure et le dénigrement de la dissidence ou de l'opposition politique. Trop d'États ont pris le mauvais chemin et ont profité de la pandémie pour intensifier la répression de la liberté d'expression : d’arrestations massives de journalistes en blocages d'Internet, l’ONG a dit craindre que le virus ne soit devenu un « agent pathogène de la répression », pour reprendre une expression du Rapporteur spécial.
Enfin, une ONG a constaté avec inquiétude que de nombreux gouvernements ou employeurs interdisent aux personnels de santé d'exprimer leurs préoccupations, notamment en ce qui concerne le manque d'équipements de protection et les conditions de travail dangereuses.
Certaines délégations ont dénoncé ce qu’elles ont qualifié d’«affirmations dangereuses» voire d’accusations infondées de la part du Rapporteur spécial.
Réponses et conclusion du Rapporteur spécial
Le risque de désinformation existe toujours et il y aura toujours des personnes pour refuser de croire les pouvoirs publics, a affirmé M. KAYE. Contre la désinformation sur la COVID-19, le Rapporteur spécial a donc recommandé que les États jouent un « rôle proactif » en donnant au public des informations honnêtes et en évitant de cacher certains éléments. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), bien avant cette pandémie, avait mis en garde les gouvernements quant à l’importance d’écouter le public et, le cas échéant, de corriger les fausses informations, a-t-il relevé. Internet et les médias doivent être disponibles pour diffuser ces informations, a-t-il ajouté.
Pour ce qui est de la lutte contre la diffusion de fausses informations en ligne, il serait utile de réfléchir à la manière d’imposer des obligations de transparence aux entreprises de médias sociaux, a recommandé M. Kaye. Il a plaidé pour que les pouvoirs publics, plutôt que de sanctionner les discours de haine, les dénoncent publiquement.
M. Kaye a demandé à l’Inde de s’abstenir de couper l’accès à Internet et d’inviter son successeur (c’est-à-dire le prochain Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression) à se rendre dans le pays. S’agissant de la Chine – dont il a salué par ailleurs les progrès dans le domaine économique et social –, le Rapporteur spécial a fait observer que certaines informations, et même certains mots, sont interdits dans les médias de ce pays.
M. Kaye a également déploré l’impunité dont bénéficient encore les auteurs de crimes contre des journalistes. Il a insisté sur l’obligation qu’ont les gouvernements de prouver que les restrictions qu’ils entendent imposer à la liberté d’expression respectent bien les critères de légalité, de nécessité et de proportionnalité. L’expert s’est enfin dit préoccupé par les attaques, dans certains pays, contre les artistes et contre les personnes LGBTI qui s’expriment publiquement.
**Liste des intervenants : Canada, Union européenne, Burkina Faso (au nom du Groupe africain), Suède (au nom d’un groupe de pays), Costa Rica, Paraguay, Qatar, État de Palestine, Sierra Leone, Fédération de Russie, Pays-Bas, Libye, Chine, Équateur, Arabie saoudite, France, Cuba, Pakistan, Monténégro, Arménie, Venezuela, Tunisie, Lettonie, Inde, Philippines, Australie, Jordanie, Indonésie, Luxembourg, Afrique du Sud, Bahreïn, République tchèque, Belgique, Liban, Grèce, Irlande, Autriche, Égypte, Viet Nam, Népal, Nigéria, Slovaquie, Suisse, Géorgie, Ukraine, Niger, Slovaquie, UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture), Soudan du Sud, Tchad, Singapour, Bélarus, Afghanistan, Malaisie, Myanmar, Cambodge, Helsinki Foundation for Human Rights,Article 19 - Centre international contre la censure, The International Humanist and Ethical Union, Service international pour les droits de l'homme, International Bar Association, Association internationale des avocats et juristes juifs, Institut du Caire pour les études sur les droits de l’homme, Fondation de la Maison des droits de l'homme, Conectas et Amnesty International.
HRC20.070F