Fil d'Ariane
Israël : le Comité des droits de l’homme s’interroge sur l’application du Pacte sur les droits civils et politiques dans le Territoire palestinien occupé
Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique soumis par Israël en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le Comité a regretté que l’État partie ne fournisse aucune information sur la situation dans le Territoire palestinien occupé dans un rapport périodique pourtant très détaillé, estimant que « l’application exclusivement territoriale du Pacte est une position qui n’est plus tenable juridiquement ». Les experts ont évoqué notamment la question de l’égalité et de la non-discrimination entre hommes et femmes et entre Juifs et non Juifs, l’usage létal de la force, la torture et les mauvais traitements, les conditions de détention, la législation antiterroriste, l’état d’urgence en vigueur depuis 1948, la colonisation.
Dans ses remarques liminaires, Mme Meirav Eilon Shahar, Représentante permanente d’Israël à Genève, a fait observer que, en vertu des principes de souveraineté, le Pacte ne s’appliquait pas à la Cisjordanie ni à la bande de Gaza. Présentant le rapport de son pays, M. Gil Limon, procureur général adjoint au Ministère de la justice d’Israël, a pour sa part voulu souligner quelques points saillants et progrès réalisés ces dernières années en matière de droits civils et politiques pour les populations de « toute origine ethnique et religieuse ». Il a notamment mentionné la promulgation de la loi portant sur la justice pénale, qui renforce les droits à un procès équitable, à être représenté et à la présomption d’innocence. Le Gouvernement a de son côté adopté un nouveau plan quinquennal pour la population arabe en Israël, visant à réduire les inégalités la concernant et à améliorer sa sécurité.
Répondant aux questions des membres du Comité, la délégation a mis en avant la lutte contre la violence domestique et les progrès réalisés pour une meilleure représentation des femmes dans les instances politiques. Au sujet de l’état d’urgence, elle a expliqué qu’Israël considérait qu’il reste nécessaire car la réalité est complexe et sensible, marquée notamment par les violentes attaques lancées par le Hamas depuis Gaza. Elle a rappelé que le terrorisme avait fauché la vie de milliers d’Israéliens. Elle a assuré que les forces de sécurité ne faisaient pas usage de la force létale, « sauf en cas de circonstances exceptionnelles et comme moyen de dernier recours », et que tout a été fait pour préserver l’accès aux terres et la liberté de mouvement. La Représentante permanente d'Israël a souligné l’équilibre délicat entre la sécurité et la défense des droits de l'homme.
Dans ses conclusions, la Présidente du Comité, Mme Photini Pazartzis, a expliqué que si le Comité a insisté sur certains points, c’est que l’État partie campe sur ses positions au regard de « l’interprétation toute personnelle » des différents types de droits, et a espéré que le Pacte sera pleinement mis en œuvre en Israël.
Le Comité tiendra cet après-midi une brève séance pour examiner une communication adressée au Comité par la Fédération de Russie indiquant que cet État partie ne serait pas en mesure de présenter son rapport au cours de la présente session en raison des restrictions de déplacement.
Examen du rapport d’Israël
Le Comité des droits de l'homme était saisi du cinquième rapport périodique d’Israël (CCPR/C/ISR/5), qui fournit des renseignements en réponse à une liste de points à traiter que lui avait adressée le Comité.
Présentation du rapport
MME MEIRAV EILON SHAHAR, Représentante permanente d’Israël auprès des Nations Unies à Genève, s’est félicitée de cet examen périodique qui fournit à la délégation israélienne l'occasion de débattre des efforts déployés par Israël pour mettre en œuvre ses obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de partager certains progrès réalisés et d’évoquer les défis qui se posent depuis l’élaboration du rapport en 2019. Israël reconnaît que la promotion de tous les droits de l'homme, y compris les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels, sont au fondement même de l’État, a fait assuré la représentante.
Mme Shahar a présenté la délégation, qui comptait des membres des Ministères de l’éducation, de la justice, de l’éducation, de la santé, des affaires sociales, des affaires étrangères, de l’intérieur ainsi que des représentants des forces armées, de la police et du système carcéral.
Malgré les défis auxquels il est confronté, Israël lutte pour une société ouverte et démocratique, où chaque personne est libre de jouir des droits de l'homme sans discrimination, a assuré Mme Shahar, ajoutant que ces principes sont inscrits dans le système juridique. Elle a ajouté que le nouveau gouvernement de coalition d’Israël reflétait la diversité et l’inclusivité de la société : «Mon pays est un pays où les docteurs arabes, les membres arabes du Parlement, les juges arabes et les ministres arabes servent aux côtés de leurs homologues juifs.»
La représentante a ensuite vanté l’indépendance de la justice en Israël et le rôle essentiel de la Cour suprême dans la protection des droits de l'homme, y compris pour les résidents des territoires palestiniens. Elle a assuré les membres du Comité de la volonté de la délégation de débattre de manière constructive et ouverte de la situation en Israël au regard des droits civils et politiques.
Mme Shahar a aussi fait observer que, en vertu des principes de souveraineté, le Pacte ne s’applique pas à la Cisjordanie ni à la bande de Gaza. Cela étant, elle a fait part de l’engagement d’Israël en faveur d’une solution qui permettra de parvenir à une «paix durable entre Israéliens et Palestiniens». Elle a par ailleurs dénoncé les attentats terroristes contre des citoyens israéliens mettant en cause des résidents de Gaza ou de la Cisjordanie. Elle a souligné la difficulté pour Israël de trouver un équilibre entre l’engagement pour les droits de l'homme et l’obligation de défendre ses citoyens contre le terrorisme.
M. GIL LIMON, procureur général adjoint au Ministère israélien de la justice, a rappelé que les droits de l'homme sont inscrits dans plusieurs lois fondamentales. De plus, au niveau judiciaire, la jurisprudence est bien établie dans la protection de ces droits.
Abordant la question de l'impact de la crise sanitaire qui a commencé en février 2020 en Israël, M. Limon a évoqué les mesures d’urgence et de restriction afin de protéger le droit à la vie et à la santé des citoyens, sans enfreindre la liberté de mouvement, le droit de manifestation ou la liberté d’expression et en accordant une attention particulière aux populations vulnérables. Il a notamment fait valoir que deux élections ont été organisées pendant la pandémie, dans le respect du droit de se faire une opinion et à voter de manière indépendante, et en installant des isoloirs séparés pour les personnes à l’isolement.
M. Limon a voulu souligner quelques points saillants et progrès réalisés ces dernières années en matière de droits civils et politiques pour les populations de toute origine ethnique et religieuse. Dans le domaine législatif, la Knesset a promulgué des lois sur des droits consacrés dans le Pacte, comme la loi portant sur la justice pénale, qui renforce les droits à un procès équitable, à être représenté et à la présomption d’innocence et fait référence aux droits des victimes de crimes, des mineurs ou des personnes handicapées. M. Limon a également cité la loi sur l’interdiction de la consommation de services de prostitution et un amendement qui définit le racisme comme une circonstance aggravante dans un crime de meurtre.
Du point de vue judiciaire, la Cour de justice a annulé une loi sur la procréation jugée discriminatoire pour les couples de même sexe et les hommes célibataires. Par ailleurs, la Haute Cour de justice a déclaré l’inconstitutionnalité et la nullité de l’obligation pour les personnes entrées illégalement en Israël par la frontière égyptienne de déposer 20% de leur salaire afin de les encourager à quitter le territoire. En outre, la Cour a décidé que la menace de mutilation génitale fait partie des persécutions contre les filles et les femmes qui peuvent être invoquées dans une demande du statut de réfugié.
Au niveau exécutif, le gouvernement a adopté un nouveau plan quinquennal (2022-2026) pour la population arabe en Israël, visant à réduire les inégalités la concernant et à améliorer sa sécurité.
Une attention particulière a été accordée à la représentation des femmes dans les postes de décision et des femmes ont été nommées à des postes à haute responsabilité dans l’administration. M. Limon a fait valoir que le taux de féminisation du Gouvernement et de la Knesset avaient augmenté. Une équipe interministérielle a par ailleurs proposé des solutions aux difficultés rencontrées par les personnes transgenre en Israël, comme une meilleure représentation de cette communauté dans la fonction publique.
Questions et observations des membres du Comité
D’emblée, le Comité a regretté qu’Isrël ne fournisse aucune information sur la situation dans le Territoire palestinien occupé dans son long rapport pourtant détaillé par ailleurs. Une experte a estimé que « l’application exclusivement territoriale du Pacte est une position qui n’est plus tenable juridiquement », précisant que « le Pacte peut avoir une portée extraterritoriale dans certaines conditions comme l’occupation militaire ».
Toute information relative à l’application du Pacte en droit interne a été considérée comme la bienvenue. En effet, si elle a reconnu qu’Israël fournit la liste d’un certain nombre de mesures législatives et administratives adoptées en application des recommandations précédentes du Comité formulées en 2014, telles que sa législation sur la prostitution ou le relèvement de l’âge du mariage, une experte du Comité a regretté que l’essentiel des recommandations ait été ignoré par l’État partie. Par exemple, rien n’est dit sur l’application des droits protégés par le Pacte par les tribunaux internes, ni sur sa diffusion ou la formation des forces de sécurité, de la police, de l’armée et des acteurs judiciaires.
Le Comité s’est aussi étonné qu’une institution nationale des droits de l’homme conforme aux principes de Paris n’ait toujours pas été mise en place en Israël. S’il s’est félicité de la meilleure implication de la société civile dans le domaine des droits de l'homme, le Comité a demandé si elle participait également à la mise en place d’une telle institution indépendante.
Autre question qui avait déjà été posée : l’État partie envisage-t-il de modifier sa position juridique concernant les interactions entre le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme, qui ne sont pas des corps de règles qui s’excluent mutuellement en situation de conflit armé et d’occupation militaire mais bien au contraire s’appliquent, se nourrissent et se complètent ? Des précisions ont été demandées sur le nombre de poursuites en cas de violation de ces droits mettant en cause les forces de sécurité israéliennes.
Au sujet de l’égalité et la non-discrimination, une experte a prié la délégation d’expliquer comment la loi fondamentale de 1992 protégeait ces droits, se disant préoccupée de voir que la discrimination fondée sur l’origine ethnique ou nationale semble omniprésente et matérialisée dans un nombre considérable de règles, lois et pratiques qui gouvernent « le quotidien et l’existence dans ses moindres aspects, de la naissance à la mort, des Arabes vivant en Israël et des Palestiniens ». À cet égard, elle a mentionné la réforme de 2018 érigeant Israël en État-nation du peuple juif, qui « creuse de manière encore plus profonde la différence entre les Juifs et les non-Juifs », les Arabes se voyant ainsi relégués à un « statut spécial » et les implantations de colonies israéliennes en Territoire palestinien occupé étant qualifiées de « valeur nationale ».
Concernant l’emploi de la force létale lors des opérations policières ou militaires en Territoire palestinien occupé, le Comité a regretté la réponse succincte de l’État partie et a voulu en savoir davantage sur les principes de nécessité et de proportionnalité, de même que sur les règles entourant l’usage des armes dans les opérations de maintien de l’ordre, en Israël et dans le Territoire palestinien occupé, et sur les garanties procédurales entourant cet usage.
À propos de la législation antiterroriste, une experte a fait part de préoccupations concernant la révocation d’un permis de séjour lorsque son titulaire agit de manière contraire à l’État d’Israël, ce qui est défini comme un acte terroriste, et a souhaité des explications sur les mesures que l’État partie entend adopter à ce sujet. Regrettant une attitude discriminatoire à l’encontre des citoyens palestiniens, elle a demandé dans quelle mesure la loi peut garantir la présence de Palestiniens à Jérusalem-Est et quelles mesures sont envisagées pour s’assurer que la définition du terrorisme soit précise et limitée à la lutte contre le terrorisme, conformément au Pacte.
Un autre expert a demandé quelles mesures Israël prenait pour mettre un terme à la construction et à l’expansion des colonies, conformément à la résolution 2334 du Conseil de sécurité, et pour cesser de mettre à mal le droit à la propriété des Palestiniens, s’inquiétant de la légalisation rétroactive pour des biens illégalement expropriés. En outre, les Palestiniens ont été privés de leur accès aux ressources naturelles, comme les voies fluviales, en raison de la construction du mur. La situation n’a cessé de se dégrader depuis deux ans, a insisté une experte. La violence perpétrée par des colons a également été évoquée et le Comité a regretté le manque d’information de l’État partie sur les mesures prises pour protéger la population palestinienne contre tous les actes ou menaces de violence et pour réduire les obstacles au dépôt de plainte, de même que sur la conduite d’enquêtes impartiales et indépendantes.
La liberté de mouvement entre le Territoire palestinien occupé et Israël a suscité des inquiétudes et un expert a demandé des informations sur les restrictions actuelles imposées aux Palestiniens, y compris à Jérusalem-Est et dans la bande Gaza, et si elles respectent l’article 12 du Pacte. Il s’est aussi interrogé sur les mesures prises pour garantir un système rapide d’approbation des permis pour traitement médical de patients de Gaza, en particulier les femmes et les enfants, et pour veiller à ce que le personnel et le matériel médical puissent entrer à Gaza sans obstacles dus à la COVID-19.
Le Comité s’est interrogé sur l’état d’avancement du projet de loi sur l’interdiction de la torture mentionné en 2017, s’étonnant qu’il n’ait pas encore fait l’objet de consultations publiques et qu’il n’ait pas été soumis au Parlement. Des circonstances exceptionnelles ne sauraient être invoquées pour justifier la torture, a souligné l’un des experts, demandant si les interrogatoires faisaient l'objet d'enregistrements audiovisuels. Des cas de torture et de mauvais traitements ont été communiqués, a insisté le Comité. Il s’est interrogé sur l’existence de mécanismes visant à prévenir la violation des droits des détenus, adultes ou mineurs, et sur la pleine mise en œuvre de la décision de la Cour suprême de juin 2017 de fournir dans un délai de dix-huit mois un espace minimal de 4,5 mètres carrés à chaque détenu. Un expert a voulu davantage d’informations sur les procédures d’enquête en cas de suspicion ou de plainte pour torture ou mauvais traitement de détenus.
Relevant que l’État partie n’avait pas répondu aux questions sur les différents aspects de la détention administrative de Palestiniens, y compris des enfants, le Comité a réitéré ses préoccupations au sujet des allégations selon lesquelles ces détenus peuvent être privés des garanties juridiques, notamment en étant détenus sans inculpation ni information quant à la durée ou la raison de leur détention et sans accès à l’assistance d’un conseil et à un mécanisme indépendant de plainte. Un expert a demandé à la délégation de confirmer ses sources faisant état de 500 détentions administratives actuellement, dont un enfant et une femme.
De plus, entre 2016 et 2021, plus de 150 enfants ont été placés en isolement cellulaire, s’est inquiétée une experte, demandant quelles étaient les mesures de substitution envisagées à la détention d’un enfant et comment l’État partie assurait le droit absolu à la dignité de l’enfant détenu.
S’agissant de la peine de mort, le Comité s’est inquiété de renseignements faisant état de 11 peines de mort prononcées, dont 7 par des cours militaires. Il a demandé à la délégation de fournir des informations précises à ce sujet.
Au chapitre du droit à la vie, une experte a évoqué le problème de la non-restitution de corps de Palestiniens tués par les forces de défense israéliennes et de l’absence d’autopsie. Elle a demandé comment Israël entend protéger, en droit et en pratique, les individus contre les traitements cruels et inhumains provoqués par un refus du droit à enterrer avec dignité ceux qui ont été tués par les « forces d’occupation israéliennes ».
Le Comité s’est ensuite interrogé sur les projets de l’État partie pour respecter l’article 4.3 du Pacte en ce qui concerne l’état d’urgence en vigueur depuis 1948 en Israël, et sur le cadre constitutionnel permettant sa reconduction indéfinie. Dans le contexte de la pandémie, un expert s’est étonné des mesures d’urgence permettant à la police d’avoir accès à des données sur des patients et s’est demandé si elles étaient compatibles avec l’article 17 du Pacte.
Le Comité a aussi réitéré sa question de savoir si et quand la réserve de l’État partie à l’article 23 relatif à l’égalité entre époux et au droit au mariage sera retirée. À ce propos, Israël met en avant le pluralisme religieux mais, selon le Comité, il ne peut pas être utilisé comme justification pour maintenir le statut personnel des femmes dans un état d’infériorité par rapport aux hommes, notamment en ce qui concerne le mariage, le divorce ou la garde des enfants.
L’égalité des sexes dans la fonction publique a également été abordée, un expert s’interrogeant sur le manque de femmes et de personnes issues des minorités dans les postes à responsabilité. S’il a salué la réforme imposant un quota minimum de femmes dans les conseils municipaux, il s’est demandé pourquoi ne pas appliquer ce principe aux conseils régionaux et aux élections nationales.
Par ailleurs, le Comité a souhaité des renseignements complémentaires sur la formation spécifique à la violence à l’égard des femmes pour les juges et les procureurs, ainsi que sur les mécanismes de prévention. Il a aussi souhaité savoir si les femmes palestiniennes étaient concernées par ces mécanismes et a demandé des chiffres ventilés sur cette question.
Au registre de la liberté d’expression, le Comité a réitéré ses questions sur les mesures en place pour assurer la sécurité des journalistes dans l’exercice de leur activité. Il s’est également interrogé sur les allégations faisant état de pressions du gouvernement et d’arrestations de journalistes critiques ou couvrant des sujets sensibles, citant les cas de deux journalistes palestiniens. Il a demandé à la délégation une mise à jour sur le projet de loi visant à interdire de photographier et consigner les actes des forces de défense et prévoyant des peines de cinq à dix ans de prison, s’interrogeant sur sa compatibilité avec l’article 19 du Pacte. Les restrictions plus générales à la liberté d’expression et d’opinion de nature politique ont suscité des inquiétudes, de même que le harcèlement et les menaces contre des défenseurs des droits de l'homme. Quant aux objecteurs de conscience, un expert s’est interrogé sur le comité chargé d’examiner les exemptions au service militaire, qui n’est composé que de militaires.
En ce qui concerne les réfugiés et les demandeurs d’asile, le Comité a relevé les informations indiquant qu’il n’existe pas de règles ni de critère cohérents et transparents pour déterminer le statut de réfugié et que le Ministère de l’Intérieur n’a reconnu que 83 réfugiés sur environ 80 000 demandes depuis 2009. Il a voulu en savoir plus sur la procédure d’asile et comment elle respecte le principe de non-refoulement tel qu’il figure aux articles 6 et 7 du Pacte. Quant à la réinstallation de réfugiés du Soudan et de l’Érythrée dans des pays tiers dits sûrs mais restés confidentiels, le Comité s’est inquiété d’informations faisant état d’un manque de garanties de protection et du secret entourant cette procédure de réinstallation. L’expert a demandé également des précisions sur la détention automatique de demandeurs d’asile.
S’agissant de la législation sur la citoyenneté et l’entrée en Israël en cours de discussion à la Knesset, le Comité a prié la délégation d’expliquer comment et quand l’État partie entendait révoquer l’ordonnance temporaire adoptée en 2003, qui crée une dépendance des femmes palestiniennes au statut de leur époux, afin de protéger le droit à une vie de famille et l’égalité dans le mariage. Il s’est également inquiété des obstacles au regroupement familial entre époux selon qu’ils sont enregistrés à Jérusalem-Est, en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.
Le Comité a souligné l’existence de deux systèmes judiciaires, l’un en Israël, l’autre dans le Territoire palestinien occupé, avec des règles sur la garantie d’un procès équitable qui ne sont pas toujours les mêmes. Il s’est interrogé sur le taux d’acquittement par les cours militaires dans des délits liés à la sécurité et sur l’indépendance des procureurs.
Réponses de la délégation
La délégation a d’abord fait savoir qu’une campagne sur la lutte contre la violence domestique avait été lancée en 2020, en hébreu et en arabe, et adaptée à tous les segments de la société. En outre, un centre d’urgence multidisciplinaire pour les victimes de violence domestique a été ouvert 24 heures sur 24 et trois nouveaux centres devraient ouvrir dans plusieurs villes au cours des prochains mois.
S'agissant de la question de la représentation des femmes, une représentante du Ministère de la justice a mis en avant la forte proportion de femmes dans les principales enceintes politiques. La faible représentation dans les autorités locales a été identifiée et la mise en œuvre de lois en la matière a été encouragée. Par exemple, chaque municipalité a l’obligation de nommer une conseillère pour la promotion de la femme et la lutte contre les stéréotypes sexistes. Le nombre de femmes arabes travaillant dans le système judiciaire israélien a également augmenté récemment, et une femme vient de nouveau d'être nommée juge à la Cour suprême.
Dans le cadre de la prévention du racisme, un forum de la société civile a été organisé et l’accès de la population arabe et bédouine à la fonction publique a été encouragé. De plus en plus de personnes d’origine éthiopienne rejoignent également le service public. Un représentant du Ministère de la santé a précisé que la couverture sanitaire universelle était une priorité et que les services de santé sont accessibles sans discrimination aucune, soulignant que la proportion de médecins arabes est supérieure à celle de la population arabe. Une représentante du Ministère de l’éducation a pour sa part défendu l’égalité des chances pour tous les enfants, indépendamment du sexe, de l’origine ethnique ou de la religion. La population arabe est de plus en plus nombreuse à accéder à un diplôme de fin d’études secondaires.
En ce qui concerne la population des bédouins, la politique actuelle consiste à reconnaître un certain nombre de localités et à mettre en place des unités de logement avec des infrastructures. Il existe un véritable dialogue entre le Gouvernement et les représentants des communautés bédouines afin de comprendre leurs besoins et de les rendre plus résilientes.
Pour répondre aux interrogations sur la mise en place d’une institution nationale des droits de l'homme, la délégation a indiqué que des réflexions se poursuivent sur cette question, tout en précisant qu’il était trop tôt pour parvenir à des conclusions. Elle a souligné que de très nombreuses associations œuvraient dans le domaine des droits de l'homme et que la liberté d’expression est garantie.
Au sujet de l’état d’urgence en vigueur depuis mai 1948, il a été prolongé à plusieurs reprises et la législation est en cours d’examen pour en préciser le cadre. Certaines lois ont été abrogées, d’autres amendées, mais Israël considère que le maintien de l'état d'urgence reste nécessaire car la réalité est complexe et sensible. L’état d’urgence actuel court jusqu’en août 2022.
S’agissant de la question de la révocation des titres de séjour, la délégation a fait savoir que le statut de résident est révoqué si son titulaire quitte Israël pendant une période supérieure à 7 ans ou s’il obtient la nationalité d’un autre pays. Un amendement autorise aussi le Ministère de l’intérieur à révoquer un titre de séjour s’il est convaincu que son titulaire a agi contre Israël ou a participé à des actes de terrorisme ou d’espionnage. Cela ne peut s’appliquer aux résidents de Jérusalem-Est dans des circonstances normales, a assuré la délégation. Quant à la révocation de la nationalité, elle n’est possible que sur décision de justice et à la demande du Ministère de l’intérieur, et des raisons précises doivent être invoquées, comme l’allégeance à un groupe terroriste. Si la personne n’a pas d’autre nationalité, elle obtiendra un titre de séjour provisoire en Israël. Pour les Palestiniens, la loi prévoit aussi des titres de séjour pour des raisons humanitaires, y compris pour des raisons médicales.
Israël a fait face à une déferlante de demandes d’asile ces dernières années et met tout en œuvre pour les traiter aussi rapidement que possible, en respectant la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Un demandeur ne saurait être expulsé jusqu’à ce que sa demande ait été traitée, a assuré la délégation, et il est possible de faire appel en cas de refus. Des dispositions ont été prises avec des pays tiers afin que les ressortissants du Soudan ou d’Érythrée entrés illégalement en Israël puissent retourner dans leur pays de manière sûre. Israël garantit que tout se fait conformément au droit international, a affirmé la délégation, ajoutant qu’aucun cas de violation du principe de non-refoulement n’a été enregistré.
M. Limon a indiqué que la position d’Israël sur l’applicabilité du droit international des droits de l'homme à l’extérieur de son territoire national n’a pas changé.
Pour répondre aux questions concernant les « dépouilles de terroristes » tués, M. Limon a indiqué que, depuis 2015, la loi antiterroriste permet aux autorités d’établir un équilibre des pouvoirs nécessaire pour lutter contre les violations des droits de l'homme. Si les funérailles des terroristes peuvent semer le trouble, la police peut garder les dépouilles pendant un certain nombre de jours fixé par la loi et donc retarder les funérailles pour maintenir l’ordre public. Les corps sont rendus aux familles dans des conditions déterminées, sauf si les terroristes étaient affiliés au Hamas ou si les actes terroristes ont eu lieu dans des circonstances exceptionnelles, a expliqué le procureur général adjoint. Le terrorisme a fauché la vie de milliers d’Israéliens, raison pour laquelle il a été décidé d’ériger un mur, a fait savoir la délégation.
Par ailleurs, il existe un règlement intérieur concernant les interrogatoires, qui doivent être confidentiels et ne peuvent être divulgués que sur décision d’un tribunal de district, a dit M. Limon, se disant dans l’incapacité de donner plus de renseignements mais assurant que toutes les procédures judiciaires répondent aux dispositions du droit israélien. Des pressions physiques dites excessives sont permises mais ne relèvent pas d’actes de torture, a assuré le procureur général adjoint.
Quant aux conditions de détention, l’isolement cellulaire n’est imposé que dans des circonstances très strictes et pour une période de 7 jours consécutifs au maximum. Le placement de mineurs à l’isolement n’est décidé que dans des cas extrêmes et en dernier recours, et supervisé par des travailleurs sociaux. La justice pour mineurs a été revue, y compris les règles en matière d’arrestation, la langue utilisée pour les interrogatoires, leur représentation devant les tribunaux militaires et les délais de prescription. Par ailleurs, tout détenu a accès à un mécanisme de plainte s’il veut se plaindre de comportements de gardiens de prison, y compris l’usage excessif de la force. L’espace mis à disposition des détenus a été élargi à 3 mètres carrés, avec l’objectif de parvenir à 4,5. La détention administrative est utilisée uniquement comme mesure préventive en cas de menace à la sécurité et peut être ordonnée pour une période de six mois reconductible. Seuls 3 mineurs se trouvent dans ce cas de figure, a indiqué la délégation.
S’agissant des activités dites hostiles, elles constituent un danger réel et imminent pour Israël à la frontière avec Gaza, a souligné un membre de la délégation. C’est dans le contexte d’un conflit armé que des attaques violentes ont été lancées par le Hamas depuis Gaza, ce qui a donné lieu à énormément de tensions, a-t-il poursuivi. Les forces de défense israéliennes ont dû contenir des manifestations, parfois violentes, de dizaines de milliers de personnes. De nombreuses mesures ont donc été prises pour éviter les passages à la frontière et la population a été sensibilisée aux dangers d’être dans cette zone. Israël s’est totalement retiré de Gaza, dont le Hamas a pris le contrôle, a dit un membre de la délégation, accusant le Hamas de tenter de faire entrer en Israël des terroristes déguisés en patients sollicitant un soutien médical.
Les forces de sécurité ont de nombreux moyens non létaux à leur disposition dans le contexte d’émeutes violentes, comme les gaz lacrymogènes, et les soldats les utilisant doivent être formés, a ajouté la délégation. L’usage de la force létale est interdit en Israël, sauf en cas de circonstances exceptionnelles et comme moyen de dernier recours, et en suivant les principes de proportionnalité.
En Cisjordanie, les forces de sécurité ne dispersent pas les manifestations. L’usage de la force n’est possible qu’en cas de manifestation violente. Lorsqu’un décès a lieu lors d’une intervention, Israël part du principe qu’un délit pénal a été perpétré et qu'une force excessive a été employée. Cependant, chaque cas est examiné de manière individuelle et si aucun fait n’étaye un usage excessif de la force, l’armée ou un mécanisme chargé de l’établissement des faits est chargé de l’enquête.
Récemment, Israël a pris des mesures pour empêcher les violences contre les Palestiniens de la part des colons et des enquêtes au pénal ont été diligentées contre les contrevenants. La grande majorité des Israéliens et des Palestiniens vivant en Cisjordanie respectent la loi, a fait observer la délégation, ajoutant que les délits à motivation idéologique sont majoritairement commis par des Palestiniens. Depuis janvier 2022, la police a déployé des équipes spéciales pour lutter contre ces crimes. En 2021, 87 cas ont fait l’objet d’enquêtes, dont 38 ont été classées.
S’agissant des obstacles à l’accès au foncier en Cisjordanie en raison de la présence du mur, des sous-zones ont été établies et tout a été fait pour préserver l’accès aux terres et la liberté de mouvement, a assuré la délégation. En 2021, 17 millions de Palestiniens ont passé les postes de contrôle dans un sens ou dans l’autre. En cas de construction sans permis de construire ou en conflit avec le zonage, les autorités doivent intervenir pour faire respecter le plan directeur et la loi sur le zonage. La Cour suprême rejette toute demande de mise en œuvre sélective de plans de démolition. La délégation a reconnu qu’il existe un grand écart entre le nombre de bâtiments illégaux et le nombre de bâtiments démolis.
La Représentante permanente a indiqué que les peines de mort mentionnées par le Comité n’avaient jamais été exécutées. La peine de mort n’a été exécutée qu'à deux reprises, en 1949 et en 1962, a souligné un membre de la délégation, ajoutant que le moratoire était maintenu.
Au sujet de l’objection de conscience, un délégué a dit que les exemptions de service militaire ne sont autorisées que si les croyances personnelles de la personne l’empêchent de participer à un conflit. Près de la moitié des demandes obtiennent une issue favorable.
Conclusions
En conclusion, M. Gil Limon a précisé que la loi sur l’État-nation du peuple juif va de pair avec les libertés fondamentales. Mme Eilon Shahar a pour sa part remercié le Comité pour son ouverture d’esprit dans ce dialogue et les membres de la délégation pour leurs efforts. Israël est attaché à l’état de droit et essaie de combler les disparités qui peuvent exister, comme dans toutes les démocraties, a fait observer la Représentante permanente d'Israël, évoquant l’équilibre délicat entre la sécurité et la défense des droits de l'homme.
La Présidente du Comité, Mme Photini Pazartzis, a remercié la délégation de s’être déplacée d’Israël pour ce dialogue constructif et a salué les efforts déployés pour améliorer la situation des droits de l'homme dans le pays. Si le Comité a insisté sur certains points, c’est que l’État partie campe sur ses positions au regard de « l’interprétation toute personnelle » des différents types de droits, a-t-elle expliqué, espérant que le Pacte sera pleinement mis en œuvre.
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