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La Conférence du désarmement entend les déclarations des ministres de Russie, du Bélarus, de la Jordanie, du Portugal et du Saint-Siège

Compte rendu de séance
Sont également intervenus des représentants de la Norvège et de la République islamique d'Iran

 

La Conférence du désarmement a entendu ce matin, dans le cadre d'un débat de haut niveau qui se déroule par visioconférence depuis lundi et se termine cet après-midi, les ministres des affaires étrangères de la Fédération de Russie, du Bélarus, de la Jordanie et du Portugal, ainsi que le Secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les États, un secrétaire d'État au ministère des affaires étrangères de la Norvège et le Représentant permanent de la République islamique d'Iran.

Les intervenants ont réaffirmé le rôle indispensable de la Conférence du désarmement en tant qu’unique plateforme de négociations multilatérales dans le domaine du désarmement sous tous ses aspects, en s’inquiétant néanmoins d’une certaine tendance à « l’érosion » des efforts multilatéraux pour le désarmement. À cet égard, le Ministre russe des affaires étrangères, M. Sergueï Lavrov, a déploré que les États-Unis continuent de prendre des mesures visant à substituer au droit international et au rôle central des Nations Unies un ordre mondial «fondé sur des règles», imposé par Washington. La Russie juge par ailleurs inadmissible le «partage nucléaire» au sein de l’OTAN et insisté pour que les armes nucléaires américaines se situent uniquement sur le seul territoire des États-Unis. M. Lavrov a néanmoins relevé des signes encourageants cette année, en particulier la prolongation récente du traité new START de réduction des armes stratégiques nucléaires entre la Russie et les États-Unis. Le ministre russe a d'autre part déclaré que la Russie s'opposait à la pratique consistant à utiliser l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques pour exercer des pressions sur des États «indésirables» au moyen de sanctions fondées sur des allégations infondées d’utilisation d’armes chimiques. Elle prône en outre un dialogue objectif et professionnel fondé sur le respect honnête des dispositions de la Convention et non sur des «théories du complot».

S'agissant de la Conférence d'examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires qui doit se tenir cet été, M. Lavrov a notamment préconisé une approche constructive en vue de la création d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient, ainsi que dans le traitement de la situation liée au programme nucléaire de l’Iran. À cet égard, le Représentant iranien a réaffirmé que son programme nucléaire avait un caractère purement pacifique, ajoutant qu'il était absurde de demander à l'Iran de revenir au plein respect de l'accord alors que les États-Unis s'en sont retirés en mai 2018 et n'ont pas renoncé à l'«héritage criminel et illicite de l'administration précédente».

La Conférence du désarmement prévoit de conclure cet après-midi son débat de haut niveau avec les interventions de dignitaires de la Syrie, du Pakistan, du Cameroun, du Brésil, du Maroc, de l'Indonésie, de la Turquie et de l'Azerbaïdjan.

Débat de haut niveau

M. SERGEY LAVROV, Ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, a dénoncé une forte tendance à l’effondrement des régimes internationaux existants de contrôle d’armes, de désarmement et de non-prolifération, aux tensions croissantes et à une méfiance entre les États membres de l’ONU. Malheureusement, les États-Unis continuent de prendre des mesures visant à substituer au droit international et au rôle central des Nations Unies un ordre mondial «fondé sur des règles» imposé par Washington. On observe néanmoins quelques signes encourageants en 2021, d'abord et avant tout la prolongation récente du traité new START qui demeure une composante essentielle du maintien de la stabilité stratégique et de la sécurité internationales. Ce renouvellement garantit un degré adéquat de prévisibilité pour les prochaines années dans les relations entre la Russie et les États-Unis, qui sont les deux pays ayant les plus importants arsenaux nucléaires. Il a salué les ponts jetés pour de futures négociations sur le contrôle des armes en prenant en considération tous les facteurs affectant la stabilité stratégique. Il a rappelé, suite à l'expiration du Traité sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire, la proposition russe de ne pas déployer de missiles terrestres à moyenne et courte portée dans une région donnée à moins que des missiles de fabrication américaine y soient déployés. La Russie exhorte les pays de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord à prendre des mesures réciproques similaires.

M. Lavrov a ensuite attiré l'attention sur la menace croissante de la course aux armements dans l’espace extra-atmosphérique et sur la politique des États-Unis et de leurs alliés tendant à utiliser l’espace près de la Terre pour des opérations de combat et le déploiement de systèmes d’armes d’attaque. La Russie, pour sa part, est fidèle à ses engagements d’utilisation non-discriminatoire et d’exploration de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques; il est encore possible de convenir de mesures juridiquement contraignantes acceptables visant à prévenir une confrontation violente dans l’espace. Le projet de traité russo-chinois sur la prévention du déploiement des armes dans l’espace extra-atmosphérique, la menace ou l’utilisation de la force contre des objets dans cet espace, soumis aujourd’hui-même à la Conférence du désarmement, pourrait servir de base à cet égard.

De nouveaux progrès dans le domaine de la limitation des missiles nucléaires nécessitent la participation de tous les États dotés de capacités nucléaires militaires, en particulier le Royaume-Uni et la France. La Russie est ouverte au dialogue multilatéral, qui devrait se tenir sur la base du consensus et du respect des intérêts légitimes de toutes les parties, ainsi que sur leur consentement. La Russie a constamment plaidé pour le réengagement de la Russie et des États-Unis, ainsi que des autres membres du P5 en faveur du désarmement nucléaire, et M. Lavrov a de nouveau présenté cette approche lors de son entretien téléphonique avec le secrétaire d'État des Union européenne, M. Antony Blinken, le 4 février dernier.

La Russie juge inadmissible la pratique du «partage nucléaire» adoptée par l’OTAN, tant elle contrevient aux dispositions du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), et insisté pour que les armes nucléaires américaines retournent sur le seul territoire des États-Unis et que soit démantelée l’infrastructure pour son déploiement à l'étranger. Pour toutes ces raisons, la Conférence d’examen du TNP constituera l’événement central de cette année. La Conférence d’examen devrait se caractériser par une approche constructive en vue de la création d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient, ainsi que dans le traitement de la situation liée au programme nucléaire de l’Iran.

La situation actuelle à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques doit être corrigée, a poursuivi le Ministre russe des affaires étrangères. La Russie s'oppose à la pratique consistant à utiliser l’Organisation pour exercer des pressions sur des États «indésirables» au moyen de sanctions fondées sur des allégations non fondées d’utilisation d’armes chimiques. Elle prône un dialogue objectif et professionnel fondé sur le respect honnête des dispositions de la Convention par le Secrétariat technique, et non sur des «théories du complot». La Russie est par ailleurs favorable au renforcement du régime de la Convention sur les armes biologiques et à toxines (BTWC) en tant que tâche prioritaire pour la communauté internationale. Il a aussi encouragé toutes les parties à prendre en compte l’initiative russe suggérant que la Conférence du désarmement prépare une convention internationale pour la suppression de tous les actes de terrorisme chimique et biologique.

M. VLADIMIR MAKEI, Ministre des affaires étrangères du Bélarus, a fait remarquer que nous assistons aujourd'hui à une dégradation des fondements systémiques de la sécurité internationale. Les mécanismes multilatéraux de non-prolifération, de maîtrise des armements et de désarmement « s'effondrent et tombent en ruine », devenant les otages d'approches politisées, de revendications mutuelles et d'un désir d'obtenir des avantages militaires unilatéraux. Alors que l'on se trouve au milieu d’une crise de sécurité, de turbulences et de contradictions croissantes entre les principaux acteurs mondiaux, le programme de désarmement est d’une « importance capitale » pour l’ensemble de la communauté internationale. Le non-respect des accords internationaux sur le désarmement et la maîtrise des armements contribue à renforcer la méfiance et les tensions, à favoriser la menace d'un affrontement militaire et à créer les conditions préalables à l'éclatement de conflits.

Le Bélarus a proposé des initiatives pour élaborer une déclaration politique multilatérale sur le non-déploiement des missiles à courte portée à portée intermédiaire afin de combler le vide juridique créé après l'expiration du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Il a espéré que la prorogation par la Russie et les États-Unis du traité de réduction des armes stratégiques nucléaires jettera une base solide tant pour le renforcement des mécanismes existants dans le domaine de la maîtrise des armements et du désarmement en vue de l’élaboration de nouveaux accords dans ce domaine. Le Ministre bélarussien des affaires étrangères a appelé à redoubler d’efforts pour surmonter les divergences qui persistent et à lancer, dès que possible, les activités de fond de la Conférence du désarmement sur la base d’un programme de travail complet et équilibré dans le cadre de son mandat.

M. AUDUN HALVORSE, Secrétaire d’État au Ministère des affaires étrangères de la Norvège, a exhorté au compromis au sein de la Conférence du désarmement. Il a estimé que, cette année, la dixième Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires offrait l’occasion de le consolider, compte tenu du succès de cet instrument dans l’amélioration de la sécurité mondiale. M. Halvorse a ensuite encouragé tous les États à étudier les propositions issues de la réunion ministérielle qui a eu lieu l’an dernier à Berlin et au cours de laquelle un groupe de 16 pays provenant de régions diverses avait dégagé 22 mesures concrètes, pour faire avancer le désarmement nucléaire. Il a ajouté que l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction des essais nucléaires, les négociations autour d'un traité sur l’interdiction de la production de matières fissiles, et les progrès accomplis en matière de vérification du désarmement nucléaire constituaient des jalons de taille sur la voie du désarmement nucléaire. Il a rappelé que, dans ses recommandations à l’Assemblée générale à l'automne 2019, le Groupe d’experts gouvernementaux sur la vérification du désarmement nucléaire, présidé par la Norvège, avait mis l’accent sur le rôle fondamental de la vérification. Un nouveau groupe d’experts entamera ses travaux cette année, a-t-il annoncé, ajoutant que la Norvège était disposée à continuer à diriger cet effort.

Saluant l’accord entre les Présidents Biden et Poutine sur la prolongation du traité new START, le Secrétaire d'État norvégien a encouragé à mener des discussions sur d’autres accords de désarmement et a invité tous les États à devenir parties à tous les instruments dans le domaine du désarmement, dont la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel et celle sur les armes à sous-munitions.

M. ESMAEIL BAGHAEI HAMANEH, Représentant permanent de la République islamique d’Iran auprès des Nations Unies à Genève, a aussi mis en relief les avancées enregistrées cette année dans le domaine du désarmement, dont l’entrée en vigueur le 22 janvier dernier du Traité d’interdiction des armes nucléaires, preuve du désir collectif de la communauté internationale d’arriver à un désarmement nucléaire total. Mais le désarmement nucléaire ne sera possible que si les pays dotés de l’arme nucléaire font preuve de bonne volonté et de responsabilité dans le respect de leurs engagements. Les pays non dotés du nucléaire ont, quant à eux, le plein droit de ne pas subir la menace de l’utilisation de telles armes. Le représentant iranien a par ailleurs rappelé le soutien de son gouvernement à la création d’une zone exempte de l’armes nucléaires au Moyen-Orient, critiquant vivement au passage le blocage de la part des États-Unis et, dans une certaine mesure, de ses alliés européens. Ces pays doivent exhorter Israël à se défaire de l’arme nucléaire.

Pour ce qui est de l’Iran, son programme nucléaire est fondé sur une utilisation purement pacifique et le pays s’est engagé dans le cadre du Plan d’action global commun en toute bonne foi. Mais il est absurde de demander aujourd'hui à l'Iran de revenir au plein respect de l'accord alors que les États-Unis se sont retirés en mai 2018 et ont exercé des pressions sur d’autres pays pour faire de même, et qu'ils sont en violation substantielle des termes de l'accord ou continuent de ne pas respecter leurs engagements à l'égard des principaux contrevenants. Les États-Unis ne participent toujours pas au Plan d'action global commun et n'ont pas renoncé à l'héritage criminel et illicite de l'administration précédente. L'Iran appelle le gouvernement Biden à se conformer à toutes les dispositions du Plan d’action global commun d'origine. Faute de quoi, l’Iran se réserve le droit d’appliquer les paragraphes 26 et 36 dudit plan.

M. PAUL GALLAGHER, Secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les États, a déclaré qu’en cette période où la communauté internationale est confrontée à de nombreux défis en matière de sécurité, il est essentiel que la Conférence du désarmement admette qu’il faille aller au-delà des intérêts individuels étroits pour le bien commun. Il a déploré le climat de profonde méfiance et l’érosion du multilatéralisme, et mis l’accent sur la responsabilité des États s'agissant de questions comme l’armement nucléaire, chimique et biologique, ainsi que la course aux armements dans l’espace, ou dans les domaines du cyberespace et de l’intelligence artificielle, notamment les systèmes d’armes létales autonomes.

Le Saint-Siège est également préoccupé par le trafic illégal d’armes légères et de petit calibre et d’engins explosifs dans les zones peuplées qui sont devenus, selon l’Archevêque Gallagher, de moins en moins «classiques» et de plus en plus des «armes de destruction massive», causant des déplacement de populations et la destruction d’infrastructures essentielles comme les écoles, les hôpitaux et les lieux de culte. Soulignant l’interdépendance entre désarmement, développement et paix, il a qualifié de «fausse logique» et de «scandale» le fait d’établir un lien entre la sécurité nationale et l’accumulation d’armes, et affirmé qu’un monde exempt d’armes serait « possible et indispensable ». Le Saint-Siège encourage la Conférence du désarmement à entreprendre une étude d’experts sur la vérification, qui serait source d’information pour d’éventuelles négociations sur le désarmement et le contrôle des armes.

M. AYMAN SAFADI, Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères et des expatriés de la Jordanie, a rappelé que la pandémie de COVID-19 et ses répercussions multiples montrent à quel point la communauté internationale est interdépendante. Dans ce contexte, il convient de garder à l’esprit que la Conférence du désarmement est l’un des canaux de l’action collective pour l’instauration de la paix et de la sécurité internationales. M. Safadi a exhorté à ne ménager aucun effort pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve la Conférence et de se mettre d’accord, dans les meilleurs délais, sur un programme de travail, ce qui permettrait de progresser vers l’adoption de plusieurs instruments internationaux juridiquement contraignants en matière de désarmement. Il a souligné la nécessité d’élargir la participation aux travaux de la Conférence du désarmement, qui favoriserait une prise de décision et une acceptation plus large. La Jordanie est un membre fondateur de l’Initiative de Stockholm dont elle a accueilli la dernière réunion, a-t-il rappelé, engageant la Conférence à s'inspirer des recommandations adoptées.

Quant à la situation dramatique au Moyen-Orient, le ministre jordanien a déclaré qu'il fallait trouver des solutions durables aux conflits actuels dans une région « à la croisée des chemins » : ou bien elle multiplie les conflits, et donc l’armement ; ou bien elle jette les bases d’une plateforme régionale caractérisée par la coopération, le dialogue et la paix.

M. AUGUSTO SANTOS SILVA, Ministre d’État et des affaires étrangères du Portugal, a déclaré que son pays croit fermement en la puissance d’un multilatéralisme et d’une coopération internationale efficaces, exprimant son vif regret qu’un État membre de l’Union européenne et quatre autres États membres des Nations Unies se soient vu refuser le statut d’observateur dans les travaux de la session de cette année de la Conférence du désarmement. Il a invité la Turquie et la République islamique d’Iran à revenir sur leur décision.

Le Ministre portugais des affaires étrangères a souligné qu'il était important que la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération – qui doit avoir lieu cet été –s'efforce d'engager un processus axé sur les résultats, favorisant l’universalisation et le renforcement de sa mise en œuvre. M. Santos Silva a vivement appuyé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires comme étant le meilleur moyen de parvenir à un monde exempt d’armes nucléaires. Le Portugal, a poursuivi son ministre, est alarmé par l’utilisation répétée d’armes chimiques contre des civils dans des zones peuplées, ainsi que par la tendance de certains États à un relâchement des restrictions sur l’utilisation des mines antipersonnel. Le Portugal rappelle enfin sa requête pour devenir membre de la Conférence du désarmement, et jugé qu’il n’existait «aucune raison légitime ou justification morale pour prolonger ce maintien dans les limbes».

 

DC21015F