Fil d'Ariane
LE COMITÉ EXAMINE LE RAPPORT SOUMIS PAR L’ALGÉRIE AU TITRE DU PROTOCOLE SUR L’IMPLICATION D’ENFANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Le Comité des droits de l’enfant a examiné, ce matin, le rapport initial présenté par l’Algérie sur les mesures prises par ce pays pour donner effet aux dispositions du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant qui traite de l’implication d’enfants dans les conflits armés.
Présentant ce rapport, M. Toufik Djouama, Chargé d’affaires par intérim à la Mission permanente de l’Algérie auprès des Nations Unies à Genève, a expliqué que la législation algérienne interdisait le recrutement des enfants et l’incorporation de citoyens avant l’âge de 18 ans révolus et que l’incorporation des citoyens au titre du service national se faisait à partir de 19 ans révolus. M. Djouama a en outre souligné que la loi interdisait le recrutement dans l’Armée nationale populaire au titre de la carrière ou en vertu d’un contrat si le candidat ne satisfait pas aux conditions d’âge requises. Il a d’autre part précisé que l’enseignement à l’École des cadets de la Nation était assuré par des enseignants détachés par le Ministère de l’éducation nationale, et que ses élèves n’étaient pas assujettis à la loi ni à la discipline militaires.
La délégation algérienne était également composée de M. Hocine Amalou, magistrat militaire, et de deux autres membres de la Mission permanente de l’Algérie auprès des Nations Unies à Genève. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de l’éventuelle adhésion du pays au troisième Protocole facultatif à la Convention (qui établit une procédure de plainte) ; de l’incrimination des faits relevant du Protocole ; de la loi-cadre de 2015 sur l’enfance ; de l’Organe national de la protection et de la promotion de l’enfance ; de l’École des cadets de la Nation ; de la position de l’Algérie vis-à-vis du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ; ou encore de la prévention de la radicalisation de la jeunesse.
La corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l’Algérie, Mme Suzanne Aho Assouma, a fait observer que le processus de sélection et de recrutement des jeunes pour le service militaire pouvait être considéré comme la première étape de la création d’une classe de réservistes. Elle a en outre fait état d’informations en possession du Comité selon lesquelles l’Algérie transfèrerait des armes à des pays en guerre où des enfants sont recrutés comme soldats.
M. Bernard Gastaud, corapporteur pour l’examen de ce rapport, a regretté que la loi de 2015 sur l’enfance ne transpose pas les dispositions du Protocole, notamment pour ce qui est de l’obligation de prendre des mesures pour définir, au pénal, les infractions relevant du Protocole. L’expert a en effet regretté que la loi algérienne n’incrimine pas explicitement le recrutement d’enfants de moins de 18 ans que ce soit par les forces armées, par les acteurs non étatiques ou par les sociétés militaires et de sécurité privées.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Algérie, qu’il rendra publiques à l’issue de la session, le 1er juin prochain.
Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l’examen du rapport du Monténégro au titre de la Convention.
Présentation du rapport
Le Comité était saisi du rapport initial présenté par l’Algérie (CRC/C/OPAC/DZA/1) au titre du Protocole facultatif sur l’implication d’enfants dans les conflits armés.
Présentant ce rapport, M. TOUFIK DJOUAMA, Chargé d’affaires par intérim à la Mission permanente de l’Algérie auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que son pays avait ratifié, outre la Convention relative aux droits de l’enfant et ses deux Protocoles facultatifs, de nombreux instruments juridiques internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’enfant, parmi lesquels la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et le Protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée.
L’État algérien, a d’autre part fait valoir M. Djouama, a entrepris un processus de consolidation de sa législation nationale en matière de protection de l’enfant, tout en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce processus a abouti à l’adoption de la loi de 2015 sur l’enfance, a-t-il indiqué. Cette loi-cadre a créé l’Organe national de la protection et de la promotion de l’enfance, doté de larges pouvoirs, a-t-il précisé, ajoutant qu’elle fait référence à la Convention et à ses deux Protocoles facultatifs. La loi inclut dans la catégorie des enfants en danger « l’enfant victime des conflits armés ou de tout autre cas de trouble et d’insécurité », garantissant ainsi une large protection aux enfants (susceptibles d’être) impliqués dans des conflits.
D’autre part, a poursuivi M. Djouama, la législation algérienne interdit le recrutement des enfants et l’incorporation de citoyens avant l’âge de 18 ans révolus. L’incorporation des citoyens au titre du service national se fait à partir de 19 ans révolus. Quant à l’âge minimal pour la défense civile, il est de 18 ans. La loi interdit le recrutement dans l’Armée nationale populaire au titre de la carrière ou en vertu d’un contrat si le candidat ne satisfait pas aux conditions d’âge requises, a insisté M. Djouama.
En ce qui concerne l’école militaire dite « École des cadets de la Nation », le Chargé d’affaires par intérim a indiqué qu’il s’agit d’un établissement public dont la tutelle pédagogique est assurée conjointement par les Ministères de l’éducation et de la défense. L’enseignement y est assuré par des enseignants détachés par le Ministère de l’éducation nationale ; les élèves ne sont pas assujettis à la loi ni à la discipline militaires et ne suivent pas de formation à l’utilisation des armes, a souligné M. Djouama.
S’agissant des enfants victimes du terrorisme durant la tragédie nationale des années 1990, M. Djouama a fait valoir qu’ils ont bénéficié d’une prise en charge matérielle et psychologique à travers des dispositifs mis en place en leur faveur. Les actions déployées ont été menées par des psychologues et d’autres personnels spécialisés formés pour la circonstance, a-t-il précisé.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
La corapporteuse pour l'examen du rapport de l’Algérie, MME SUZANNE AHO ASSOUMA, a prié la délégation de dire comment les autorités veillent à ce que les jeunes et leurs parents sachent exactement à quoi s’en tenir au sujet de l’École des cadets de la Nation, en particulier pour ce qui est de la possibilité pour un élève de quitter l’établissement. Elle a en outre souhaité savoir si le recrutement de filles était possible dans les écoles militaires algériennes et si les élèves (de ces écoles) avaient la possibilité de déposer plainte en cas de non-respect de leurs droits. Elle a par ailleurs fait observer que le processus de sélection et de recrutement des jeunes pour le service militaire pouvait être considéré comme la première étape de la création d’une classe de réservistes.
La corapporteuse a ensuite voulu savoir quelles mesures l’Algérie avait prises pour éviter le recrutement de jeunes de moins de 18 ans et comment l’État veillait à ce que des mineurs ne soient pas recrutés par des groupes non étatiques. Elle a demandé si une loi fixait l’âge minimal du recrutement sans aucune exception.
L’experte a d’autre part relevé que l’Algérie avait participé à de nombreuses conférences sur la protection des écoles et elle a donc regretté que le pays n’ait pas entériné la Déclaration de l’UNESCO sur la sécurité dans les écoles.
Mme Aho Assouma a par ailleurs demandé ce qu’il était advenu de 22 enfants syriens requérants d’asile en Algérie et d’un certain nombre de réfugiés nigériens.
Mme Aho Assouma a ensuite voulu savoir ce que les autorités algériennes faisaient pour améliorer le sort des enfants vivant dans les camps de Tindouf.
La corapporteuse a en outre demandé si les élèves des écoles de cadets disposaient de voies de recours s’ils veulent se plaindre de leurs enseignants.
Mme Aho Assouma a d’autre part demandé des explications sur les méthodes de dé-radicalisation de mineurs en Algérie.
Mme Aho Assouma a fait état d’informations en possession du Comité selon lesquelles l’Algérie transfèrerait des armes à des pays en guerre où des enfants sont recrutés comme soldats. Elle a demandé si l’Algérie entendait ratifier le Traité sur le commerce des armes.
M. BERNARD GASTAUD, corapporteur du Comité pour l’examen de ce rapport, a souhaité savoir si l’Algérie envisageait d’adhérer au troisième Protocole facultatif à la Convention, qui établit une procédure de plainte (communication) devant le Comité. L’expert a ensuite regretté que la loi de 2015 sur l’enfance ne transpose pas les dispositions du Protocole facultatif sur l’implication d’enfants dans les conflits armés, notamment pour ce qui est de l’obligation de prendre des mesures pour définir, au pénal, les infractions relevant du Protocole. L’expert a en effet regretté que la loi algérienne n’incrimine pas explicitement le recrutement d’enfants de moins de 18 ans que ce soit par les forces armées, par les acteurs non étatiques ou par les sociétés militaires et de sécurité privées. Il a demandé si les tribunaux algériens avaient une compétence extraterritoriale pour poursuivre les responsables de recrutement de mineurs.
M. Gastaud s’est ensuite interrogé sur les modalités de coordination et de contrôle de l’application du Protocole facultatif. Il a regretté que le rapport ne fournisse que peu d’informations statistiques concernant les enfants requérants d’asile qui auraient pu avoir été recrutés comme enfants soldats dans des pays voisins de l’Algérie. M. Gastaud a en outre voulu savoir si l’Algérie exportait des armes.
M. Gastaud a déploré que le rapport ne fournisse aucune donnée statistique.
Un autre expert a demandé si le Délégué national à la protection de l’enfance était indépendant du Gouvernement et s’il pouvait recevoir des plaintes. Cet expert a par ailleurs fait observer que l’âge minimal de la responsabilité pénale en Algérie reste fixé à dix ans. Il a en outre voulu savoir si la loi algérienne incriminait le recrutement de mineurs par des acteurs non étatiques.
Plusieurs experts ont demandé à la délégation d’expliquer la position de l’Algérie s’agissant du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Une experte a souligné que l’Union africaine, si elle a exprimé des réserves au sujet de la Cour pénale internationale, n’en défend pas pour autant l’impunité.
Réponses de la délégation
La délégation a expliqué que l’Algérie avait soumis des propositions d’amendement concernant le projet final de déclaration sur la protection des écoles et que, ces amendements n’ayant pas été pris en compte, elle n’a pas été en mesure d’entériner cette déclaration pour l’instant. Les écoles en Algérie ne sont pas utilisées à des fins militaires, a néanmoins assuré la délégation.
La réhabilitation des enfants victimes du terrorisme s’est faite grâce aux structures créées par l’État algérien, à savoir des équipes composées de médecins, de psychologues et de psychiatres, qui fournissent l’assistance et l’accompagnement nécessaires dans ce contexte, a d’autre part indiqué la délégation.
L’Algérie est consciente de la nécessité de créer des mécanismes pour prémunir la jeunesse de la tentation terroriste ou radicale, a par la suite indiqué la délégation. Les autorités ont donc lancé des politiques simultanées d’isolement des groupes terroristes et de lutte contre les causes profondes de la radicalisation, a-t-elle expliqué. L’effort porte notamment sur la promotion d’un islam traditionnel, conforme à la tradition algérienne, a précisé la délégation.
Depuis son indépendance, l’Algérie est un pays d’accueil pour tous les réfugiés, a poursuivi la délégation, avant d’ajouter que le pays s’était doté des moyens de prendre en charge ces personnes. Les enfants réfugiés bénéficient de la même scolarisation et des mêmes soins que les enfants algériens, a-t-elle souligné. Aucun document officiel n’est réclamé pour scolariser les enfants réfugiés, a-t-elle insisté. Les 22 réfugiés mentionnés par une experte du Comité se trouvent en réalité au Maroc et relèvent donc de la responsabilité de ce dernier pays, a ajouté la délégation.
Pour ce qui est des migrants, la délégation a expliqué que l’Algérie fait face depuis plusieurs années à un flux de migrants qui dépasse ses moyens. Ce problème doit donc être réglé par une coopération internationale accrue.
Les réfugiés nigériens n’ont pas été refoulés : un accord avec le Gouvernement du Niger a permis d’organiser leur rapatriement volontaire, a par ailleurs déclaré la délégation.
À Tindouf, les réfugiés sont pris en charge, depuis quarante ans, par l’Algérie avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme alimentaire mondial et des organisations de la société civile, a ensuite indiqué la délégation. L’Algérie soutient le règlement définitif de cette question, un règlement qui permette au peuple sahraoui d’exercer son droit à l’autodétermination et aux réfugiés de rentrer dans leur pays.
La délégation a rappelé que la définition d’un « enfant en danger » donnée par la loi-cadre de 2015 sur l’enfance inclut les enfants pris dans les conflits.
La loi-cadre de 2015, disponible sur Internet, décrit étape par étape les procédures à suivre pour la prise en charge des mineurs victimes ou témoins de violations des droits de l’homme. La même loi interdit la garde à vue des enfants de moins de 13 ans et le placement sous mandat de dépôt de jeunes de 13 à 18 ans, a précisé la délégation.
Il a ensuite été précisé que la loi fixait à 19 ans l’âge minimal de l’incorporation dans le service national et que l’engagement volontaire dans l’Armée nationale se faisait à partir de 18 ans uniquement. La loi interdit le recrutement avant 18 ans révolus et l’Armée nationale populaire ne compte aucun soldat de moins de 18 ans, a insisté la délégation.
Un membre du Comité ayant demandé ce qu’il se passerait, au plan juridique, si un officier algérien recrutait des enfants de moins de 18 ans, la délégation a précisé que le Code pénal traitait de ce cas de figure dans son article 303. Cet article ne mentionne pas le recrutement forcé, a alors fait observer l’expert, avant de demander ce qu’il adviendrait si un groupe terroriste recrutait un enfant de moins de 18 ans. La délégation a alors répondu que l’Algérie n’avait encore jamais été confrontée à un tel cas, mais que les personnes responsables relèveraient alors incontestablement de la loi antiterroriste. L’expert a alors souligné qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’Algérie d’attendre qu’un cas se présente pour combler ce qui apparaît d’ores et déjà comme une lacune. La délégation a indiqué qu’elle prenait bonne note de ces observations de l’expert.
L’École des cadets de la Nation dispense aux garçons et filles à partir de l’âge de 12 ans une formation paramilitaire, basée entre autres sur la discipline et l’amour de la patrie, a ensuite indiqué la délégation. La formation est sanctionnée par le baccalauréat. Un cadet peut être exclu pour inaptitude, pour faute ou sur demande de son tuteur légal. Les élèves qui obtiennent leur baccalauréat à 16 ans seront orientés à leur majorité vers les universités, a fait observer la délégation. Sept Écoles de cadets sont ouvertes en Algérie, a-t-elle en outre indiqué. La loi algérienne interdisant de donner des armes à un mineur, l’enseignement se fait sans armes, a-t-elle par ailleurs précisé. Chaque cadet bénéficie de toutes les protections et des droits de recours prévus par la loi en vigueur, a-t-elle ajoutà.
En ce qui concerne la ratification du troisième Protocole facultatif, un processus de consultation est en cours en Algérie, a indiqué la délégation. L’engagement de l’Algérie en faveur des droits des enfants est sans faille, a-t-elle ajouté.
Le nouvel Organe national de la protection et de la promotion de l’enfance, créé par la loi de 2015, est chargé de protéger les enfants dans tous les domaines, y compris pour ce qui est de la santé et de l’éducation. De par ses statuts, cet Organe agit en collaboration avec les pouvoirs publics et avec les institutions internationales ; il est dirigé par un comité permanent composé de représentants des autorités et de la société civile. L’Organe a mis en place sur l’ensemble du territoire un dispositif pour aider les victimes à porter plainte. Le fait que, le cas échéant, l’Organe transmette ensuite au Ministère de la justice les plaintes reçues ne veut pas dire que le Ministère exerce sa tutelle sur cet Organe, a assuré la délégation. Les enfants victimes peuvent aussi saisir le Conseil algérien des droits de l’homme, a-t-elle en outre souligné.
La délégation a par ailleurs précisé que l’Organe était chargé de collecter des statistiques – une activité qu’il a déjà commencé à planifier. Le Comité sera informé des résultats de ces travaux.
Quant au Délégué national à la protection de l’enfance, il est indépendant au plan financier et ne relève d’aucun département ministériel, a souligné la délégation. Le poste de Délégué est actuellement occupé par une femme très engagée dans les activités de formation et de sensibilisation au plan local.
Deux organisations de la société civile, y compris l’organisation des scouts algériens, ont participé aux travaux du groupe de travail chargé de la rédaction du rapport, a indiqué la délégation.
Une experte ayant prié la délégation de dire si elle avait connaissance de l’étude mondiale sur les enfants privés de liberté et de ses objectifs, la délégation a assuré avoir transmis ce document aux autorités à Alger.
Pour ce qui concerne le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, l’Algérie s’en tient à la position de l’Union africaine sur cette question, a fait savoir la délégation. Cela n’empêche pas l’Algérie d’être contre toute forme de crime de guerre ou de crime contre l’humanité, a-t-elle souligné.
La délégation a dit n’avoir aucune information concernant d’éventuels transferts d’armes par l’Algérie vers des pays où des enfants participent à des conflits. L’Algérie n’exporte pas d’armes, a-t-elle conclu.
Remarques de conclusion
M. GASTAUD a remercié la délégation algérienne pour les compléments d’information qu’elle a fournis. Ce dialogue a toutefois montré que le Protocole facultatif n’est pas encore pleinement appliqué par l’Algérie, a-t-il souligné, avant d’inviter le pays à prendre les mesures nécessaires à cet égard.
M. DJOUAMA s’est félicité de l’occasion qui lui a été donnée d’appréhender les difficultés liées à l’application du Protocole facultatif. Il a assuré le Comité de l’engagement de l’Algérie à mettre en œuvre le Protocole facultatif, comme tous les autres instruments de droits de l’homme qu’elle a ratifiés.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
CRC18/016F