Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE DES RAPPORTS SUR LA TORTURE ET SUR LA SITUATION DES DÉFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME
Le Conseil des droits de l'homme a entamé, cet après-midi, l'examen des rapports du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Juan Ernesto Méndez, et du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, M. Michel Forst.
M. Méndez a centré son rapport sur les normes internationales relatives à la protection contre la torture des enfants privés de liberté. Il souligne qu'une période de détention même très brève risque de compromettre le bien-être psychique et physique de l'enfant de même que son développement cognitif. Selon lui, la détention doit être considérée comme une mesure d'ultime recours, être la plus brève possible et limitée à des cas exceptionnels. Le Rapporteur spécial constate en outre que «le fait d'infliger à des mineurs des peines de détention à vie ou sans sursis constitue un châtiment cruel, inhumain ou dégradant». Le Mexique, le Tadjikistan et la Tunisie sont intervenus en tant que pays concernés par le rapport.
Parmi les délégations 1 qui ont participé au débat interactif avec M. Méndez, plusieurs ont jugé essentiel, à l'instar du Rapporteur spécial, de protéger les enfants de la torture, l'une d'entre elle soulignant l'importance d'appliquer en toute circonstance le principe d'intérêt supérieur de l'enfant. L'Autriche a regretté que la détention de mineurs soit la règle plutôt que l'exception. D'où la nécessité de former convenablement les personnels chargés d'encadrer les enfants concernés, a convenu un groupe d'États, tandis que le groupe africain soulignait que les enfants en détention devaient bénéficier d'une éducation ou d'une formation professionnelle afin de les préparer à une réinsertion sociale réussie.
Présentant son premier rapport annuel en tant que Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, M. Forst a fait part de sa préoccupation face au faible taux de mise en œuvre des recommandations des mécanismes des droits de l'homme des Nations Unies. Il juge essentiel de renforcer la coopération avec d'autres rapporteurs spéciaux et s'est dit «un partisan convaincu de la coopération permanente et du dialogue constructif avec les gouvernements. Il a par ailleurs indiqué avoir envoyé des communications à 22 pays concernant des cas de représailles contre des groupes ou des personnes à cause de leur coopération avec l'ONU, y compris au sein même du Conseil des droits de l'homme.
Les délégations 2 qui sont intervenues au sujet du rapport de M. Forst ont estimé essentiel la reconnaissance de la légitimité des défenseurs des droits de l'homme afin d'en finir avec l'impunité. Un représentant a constaté que la société civile disposait d'une marge de manœuvre réduite dans plusieurs pays. Un autre a demandé à la communauté internationale d'œuvrer de manière plus résolue pour assurer la protection des défenseurs des droits de l'homme, en particulier les militantes des droits des femmes. Toutefois, certaines délégations ont émis des réserves, soulignant que les défenseurs des droits de l'homme devaient militer dans le cadre juridique des États.
Demain matin, le Conseil doit conclure ses débats interactifs sur la torture et les défenseurs des droits de l'homme avant d'entamer l'examen d'un rapport sur les droits des personnes handicapées, puis sur la liberté de religion et de conviction, avant de tenir dans l'après-midi son débat annuel sur les droits des personnes handicapées.
Présentation des rapports
M. JUAN ERNESTO MÉNDEZ, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a déclaré que le volet thématique de son rapport portait sur le cadre et les normes internationaux relatifs à la protection contre la torture des enfants privés de liberté. Le Rapporteur spécial y montre que l'obligation des États de prévenir la torture ne s'applique pas seulement aux fonctionnaires de police, mais aussi aux personnels médicaux et aux travailleurs sociaux, notamment ceux qui sont employés dans les institutions qui accueillent des enfants, y compris les institutions privées. Le rapport conclut que la détention d'enfants – que ce soit au sein du système de justice pénale, le placement en institutions spécialisées ou la rétention administrative dans le cadre des migrations – est inextricablement liée, en fait sinon en droit, à l'infliction de mauvais traitements aux enfants. De fait, une période de détention même très brève risque de compromettre le bien-être psychique et physique de l'enfant de même que son développement cognitif, a mis en garde l'expert.
C'est pourquoi les États doivent assurer aux enfants une protection plus étendue contre la torture et les mauvais traitements et prendre des mesures supplémentaires pour garantir leurs droits à la vie, à la santé, à la dignité et à l'intégrité physique et mentale. La détention doit être considérée comme une mesure d'ultime recours, être la plus brève possible et, limitée à des cas exceptionnels, répondre uniquement aux intérêts de l'enfant et non pas à la commodité des États. Le Rapporteur spécial constate à cet égard que «le fait d'infliger à des mineurs des peines de détention à vie ou sans sursis constitue un châtiment cruel, inhumain ou dégradant». De même, le châtiment corporel sous toutes ses formes est contraire à l'interdiction de la torture, a estimé M. Méndez, pour qui les États ne peuvent invoquer des dispositions du droit interne pour les justifier. Enfin, le Rapporteur spécial a souligné l'importance du contrôle périodique et indépendant des lieux de privation de libertés réservés aux enfants par des personnes disposant de compétences dans des domaines tels que l'action sociale, les droits de l'enfant et la pédopsychiatrie.
Le Rapporteur spécial a également rendu compte d'une visite effectuée au Mexique en mai 2014. Il y a constaté des progrès importants à plusieurs égards, notamment s'agissant de l'obligation de prévenir la torture et les mauvais traitements. Le Gouvernement mexicain a admis qu'il lui fallait renforcer ses mesures de protection, ce qui a été fait grâce au durcissement du code de justice militaire, qui interdit désormais à la justice militaire de se saisir de violations des droits de l'homme commises contre des civils. En revanche, le Rapporteur spécial a constaté que la torture et les mauvais traitements étaient utilisés couramment au Mexique en tant que moyens d'enquête et de punition. La clé de l'éradication de la torture au Mexique, comme dans les autres pays d'ailleurs, est la reconnaissance du fait qu'il s'agit d'une pratique problématique, a soutenu M. Méndez. Le Gouvernement s'est dit conscient du problème, a souligné le Rapporteur spécial : la difficulté sera maintenant de déterminer quelles mesures prendre pour supprimer la torture.
M. Méndez a expliqué que sa visite en Gambie, réalisée en novembre 2014 en compagnie du Rapporteur spécial sur les exécutions sommaires, a été compromise par le fait que le gouvernement n'avait pas voulu autoriser les deux experts à se rendre en toute liberté dans tous les lieux de détention, en dépit de son acceptation initiale. Le Rapporteur spécial a constaté que la Gambie se trouve à un tournant. Les droits de l'homme y sont un concept assez vague, le pays ne disposant ni d'institutions robustes, ni de mécanismes juridique capables de s'opposer aux pouvoirs élargis des forces de l'ordre et de sécurité, qui travaillent sans supervision juridique. Gouvernement, société civile et communauté internationale doivent nouer un dialogue sincère pour améliorer la situation des droits de l'homme en Gambie, a plaidé le Rapporteur spécial.
M. Méndez a indiqué enfin avoir effectué des visites de suivi au Tadjikistan et en Tunisie, au premier semestre 2014. Au Gouvernement du Tadjikistan, le Rapporteur spécial recommande de continuer de passer en revue et de mettre à jour son programme national de droits de l'homme. Le Gouvernement de la Tunisie devrait, pour sa part, profiter de l'élan suscité par la démocratisation du pays pour garantir aux victimes de la torture l'accès à la justice et aux réparations.
Le Conseil est saisi du rapport annuel sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Juan Méndez (A/HRC/28/68, une version préliminaire est disponible en anglais). Le rapport comprend quatre additifs, respectivement sur les observations et communications du Rapporteur spécial faites aux gouvernement et leurs réponses (A/HRC/28/68/Add.1, une version préliminaire est disponible en anglais), un rapport de suivi sur des missions précédentes au Tadjikistan et en Tunisie (A/HRC/28/68/Add.2, disponible en anglais), et deux rapports de missions effectuées au Mexique (A/HRC/28/68/Add.3), et en Gambie (A/HRC/28/68/Add.4, une version préliminaire est disponible en anglais).
M. MICHEL FORST, Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, qui présentait son premier rapport depuis sa nomination il y a huit mois, a dit revenir d'une série de consultations régionales. «J'ai rencontré près de 350 femmes et hommes courageux et déterminés de près de 70 pays qui m'ont raconté les menaces, les attaques, leurs craintes mais aussi leurs espoirs et leurs attentes vis à vis de mon mandat, vis à vis de moi-même mais surtout de vous qui représentez la communauté internationale», a-t-il déclaré. Il a estimé que son mandat devait être centré sur la protection des défenseurs des droits de l'homme qui sont les plus exposés ou les plus menacés. Il a cité celles et ceux qui travaillent à promouvoir les droits des femmes et à protéger les droits économiques, sociaux et culturels, les droits des minorités, les droits des homosexuels, les militants écologistes et ceux qui travaillent sur les questions des droits de l'homme liées aux entreprises ainsi que les lanceurs d'alerte.
«La répression des défenseurs des droits de l'homme s'accompagne souvent de répression injustifiée sur le droit des militants à la liberté de réunion pacifique et d'association ou des restrictions injustifiées à la liberté d'expression ou d'opinion», a constaté M. Forst. C'est pourquoi le Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l'homme juge essentiel de poursuivre et de renforcer la coopération avec d'autres rapporteurs spéciaux, ainsi qu'avec les mécanismes régionaux. Par ailleurs, il s'est dit «un partisan convaincu» de la coopération permanente et du dialogue constructif avec les gouvernements. Ce mandat n'est pas uniquement là pour dénoncer les violations et lancer des communications, mais aussi pour proposer une coopération renforcée avec les États qui le souhaitent, a expliqué M. Forst.
Le Rapporteur spécial a aussi fait part de sa préoccupation face au faible taux de mise en œuvre des recommandations des mécanismes des droits de l'homme des Nations Unies. Il a par ailleurs indiqué avoir envoyé 32 communications à 22 pays concernant des cas de représailles contre des groupes ou des personnes à cause de leur coopération avec l'ONU. «Cela est encore plus choquant lorsque cela vient d'un pays membre de ce Conseil des droits de l'homme, comme cela a été le cas à l'occasion de la visite d'un de mes collègues dans ce pays. Ou encore lorsque cela se produit lors d'une session du Conseil», a-t-il dit.
Le Conseil est saisi du rapport sur la situation des défenseurs des droits de l'homme (A/HRC/28/63), qui rend compte des activités du Rapporteur spécial au cours de la période considérée et appelle l'attention des États Membres sur les communications adressées aux gouvernements dans le cadre du mandat l'an passé. Le Rapporteur spécial y présente son plan de travail stratégique et expose la façon dont il envisage de s'acquitter du mandat qui lui a été confié.
Pays concernés par le rapport sur la torture
Le Mexique a déclaré que le Rapporteur spécial sur la torture avait pu constater la volonté du Gouvernement mexicain en ce qui concerne les droits de l'homme. Cette conviction est ancrée dans l'idée que les droits de l'homme sont fondés sur les institutions et l'interdiction de la torture. Même si des défis existent, la torture n'est une pratique pas généralisée dans le pays, contrairement à ce qui écrit dans le rapport, a dit le représentant. Le gouvernement a fourni des informations pour 95% des cas connus et continue de travailler à faire la lumière sur les autres en suspens, a-t-il indiqué. Pour la délégation du Mexique, les mécanismes du Conseil, pour aider et accompagner les pays, doivent avoir des approches pondérées. Depuis la visite du Rapporteur spécial, le Gouvernement a pris des mesures, notamment l'interdiction de la torture dans les centres de détention, a dit le représentant.
Le Tadjikistan a annoncé pour sa part qu'il avait pris des mesures législatives qui définissent légalement la torture. Les aveux obtenus sous la coercition ne sont par ailleurs pas reconnus. Les articles concernant la calomnie et la diffamation ont été retirés du code pénal afin de faciliter le travail des journalistes qui enquêtent sur les cas de torture. Pour que les agents de l'État n'aient pas recours à cette pratique, le procureur a mis au point un manuel sur les fondements du droit, dans lequel sont présentés les mécanismes internationaux de prévention de la torture. Le ministère de la justice a également mis en place une ligne téléphonique qui enregistre les allégations de torture. Le Gouvernement réfléchit par ailleurs à la mise en place d'un mécanisme national de prévention. En ce qui le concerne, le Tadjikistan est résolu à combattre ce phénomène, a assuré son représentant.
La Tunisie a déclaré qu'elle n'avait été informée de la possibilité pour sa délégation de prendre la parole en tant que pays concerné que quelques minutes auparavant. Dans ce contexte, son intervention n'a pas été préparée. Mais le Gouvernement tunisien reste déterminé à éradiquer toute pratique de la torture et entend faire la lumière sur les allégations de torture enregistrées, a assuré le représentant.
Interventions sur la question de la torture
De nombreuses délégations ont dit partager les constatations du Rapporteur spécial s'agissant de la vulnérabilité des enfants à la torture. Le Pakistan, au nom de l'Organisation de la coopération islamique, a insisté sur la nécessité de former correctement les fonctionnaires chargés de la prise en charge des mineurs en conflit avec la loi. L'Algérie, au nom du Groupe africain, a estimé que les enfants en détention devaient bénéficier d'éducation ou de formation professionnelle afin de les préparer à une réinsertion sociale réussie. La Sierra Leone a rejoint le Rapporteur spécial sur la nécessité de disposer de personnes formées à la prise en charge des enfants détenus.
L'Irlande a souligné l'importance d'appliquer en toute circonstance le principe d'intérêt supérieur de l'enfant. L'Autriche a regretté que la détention de mineurs «soit la règle plutôt que l'exception», comme en témoigne en particulier le recours excessif à la détention de mineurs avant leur jugement. L'Autriche a demandé au Rapporteur spécial de donner des exemples de moyens de faciliter l'accès des enfants à la justice. L'Union européenne a demandé à M. Méndez de dire comment la communauté internationale pouvait l'aider à remplir son mandat. L'intérêt de l'enfant est une priorité pour le Portugal qui veille à ce que les enfants privés de liberté ne soient pas victime de mauvais traitement ou de torture. À cet égard, le Portugal demande ce que peut apporter le troisième protocole facultatif à la convention sur les droits des enfants relatif aux procédures de communication. Pour le Danemark, tous les États doivent ratifier le protocole facultatif à la Convention sur l'interdiction de la torture, a dit la représentante. L'Estonie a estimé que le rapport était un outil utile pour éliminer les pratiques abusives.
Le Qatar a indiqué avoir adopté, en 2010 et 2011, un certain nombre de mesures juridiques pour interdire absolument la pratique de la torture. Pour répondre aux recommandations du Comité contre la torture, le Qatar a révisé les réserves qu'il avait apportées au texte de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le contrôle et la supervision des lieux de détention sont régis par la loi. Le Bélarus a dit appliquer un ensemble complet de mesures de réinsertion des mineurs en conflit avec la loi et de prévention des violences commises contre les jeunes, y compris les mineurs non accompagnés.
Le Togo qui a reçu en décembre 2014 la visite du sous-comité pour la prévention de la torture, entend mettre en œuvre les recommandations issues de cette visite. Le Paraguay estime que le rapport du Rapporteur spécial fournit des données utiles qui permettront d'avancer sur les questions relative à la torture, et notamment lorsqu'elle touche les mineurs.
La République du Congo a indiqué que, pour régler la question de l'opération «Mbata ya bakolo», elle était tombée d'accord avec la République démocratique du Congo pour mettre place une commission mixte qui a pour but d'identifier les victimes en vue de leur indemnisation. Les textes du protocole d'accord et le programme d'activités de cette commission ont été envoyés au Gouvernement de la RDC, à qui incombe la responsabilité de convoquer la séance inaugurale de cette commission. Le Burkina Faso a indiqué avoir créé un Observatoire national de prévention de la torture et autres pratiques assimilées. Le Maroc a assuré que cette question bénéficiait de toute l'attention requise sur son territoire. Ainsi, le placement de mineur en détention préventive est exceptionnel. La grande majorité des mineurs est placée dans des centres de réforme et de réhabilitation qui contiennent des complexes pédagogiques. Le Maroc s'est en outre félicité de «l'interaction constructive» entre M. Méndez et son pays depuis la visite de celui-ci en 2012. En revanche, l'Australie a rejeté les conclusions du Rapporteur spécial sur le traitement des personnes arrivant illégalement par voie maritime. Elle a assuré qu'elle respectait ses obligations internationales, les arrivants étant traités avec respect, dignité et leurs droits étant respectés.
Interventions sur la situation des défenseurs des droits de l'homme
L'Union européenne a dit apprécier le caractère concret du plan de travail stratégique du Rapporteur spécial et l'accent qu'il entend mettre sur la collaboration étroite avec toutes les parties concernées par la protection des défenseurs des droits de l'homme. Le Pakistan, au nom de l'Organisation de la coopération islamique, s'est lui aussi félicité du plan de travail stratégique du Rapporteur spécial. L'Organisation de la coopération islamique est préoccupée cependant par certaines recommandations contenues dans ce plan, notamment celles portant sur l'adoption de mesures législatives et judiciaires. L'OCI souligne que les défenseurs des droits de l'homme doivent travailler dans le cadre juridique dont les États se sont dotés.
L'Algérie, au nom du Groupe africain, a noté en particulier que certains groupes et certains droits ne tombent pas sous la coupe des droits de l'homme convenus et ne sont donc pas reconnus comme des droits, ni au niveau national, ni au niveau international. Le Groupe africain se félicite par ailleurs de l'intention du Rapporteur spécial de fournir l'assistance technique en vue d'améliorer les capacités des États. Le Maroc partage l'avis de M. Forst selon lequel c'est aux États qu'incombe la responsabilité principale de veiller à ce que les défenseurs des droits de l'homme puissent exercer leur activités dans un cadre national régi par des textes législatifs et régl