Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DE L'ESTONIE
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné hier après-midi et ce matin le rapport présenté par l'Estonie sur les mesures qu'elle a prises pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. L'Estonie est le dernier pays que le Comité doit examiner au cours de sa présente session.
Le rapport de l'Estonie a été présenté par Mme Anne-Ly Reimaa, Sous-Secrétaire à la diversité culturelle au Ministère de la culture, qui a notamment fait valoir qu'aujourd'hui, 61% des allophones se considéraient comme modérément, fortement ou pleinement intégrés. La connaissance de la langue estonienne s'est améliorée au sein de cette population, alors que, dans le même temps, les Estoniens de souche font preuve d'une plus grande ouverture envers leurs compatriotes allophones, l'intégration n'étant en effet pas un processus à sens unique. La création d'une institution nationale des droits de l'homme demeure à l'étude, l'institution du Chancelier de justice couvrant l'essentiel des fonctions d'une telle instance. Par ailleurs, le projet de loi de 2010 réprimant l'incitation à la haine n'a toujours pas pu être adopté pour des raisons d'agenda politique. Un nouveau projet de loi incluant la motivation raciale comme circonstance aggravante doit être présenté au Parlement à l'automne. Enfin, l'Estonie a l'intention d'amender sa loi sur la citoyenneté afin de mettre fin aux cas d'apatridie, qui touche massivement la communauté russophone.
L'importante délégation estonienne était également composée de M. Jüri Seilenthal, Représentant permanent de l'Estonie à Genève, ainsi que de représentants des ministères des affaires étrangères, de la justice, de l'intérieur, et de l'éducation et de la science. Elle a répondu à de très nombreuses questions des membres du Comité, assurant notamment qu'aucune plainte pour discrimination raciale n'avait été déposée. Elle a démenti que les personnes de citoyenneté «indéterminée», au nombre de quelque 86 000 contre plus de 178 000 en 2000, puissent être considérés comme apatrides. Elles bénéficient en effet de droits égaux aux Estoniens, notamment celui de voyager. Pour les enfants nés de couples dont l'un des parents a une citoyenneté indéterminée, c'est aux parents de décider s'ils veulent qu'ils aient la citoyenneté estonienne, ce qu'ils font généralement. La loi obéit au principe selon lequel toute personne souhaitant devenir estonienne doit être intégrée dans la société, ce qui passe d'abord par l'apprentissage de la langue. La délégation a souligné que l'Estonie était l'un des rares pays au monde où les étrangers pouvaient voter aux élections locales.
Le rapporteur du Comité chargé du rapport de l'Estonie, M. Gun Kut, s'est demandé combien de temps il faudrait encore attendre pour voir l'adoption d'un texte réprimant l'incitation à la haine, alors qu'un projet de loi en ce sens vieux de quatre ans attend d'être examiné. Par ailleurs, la question soulevée par le passé par le Comité sur le caractère excessif des exigences en matière de connaissance de la langue estonienne n'a pas reçu de réponse. Le Comité avait recommandé que soit réduit le nombre de personnes dont la citoyenneté est «indéterminée», autrement dit apatrides. Il constate en outre que l'Estonie n'a pas l'intention d'adhérer à la Convention sur la réduction des cas d'apatridie. D'autres membres du Comité ont appelé de leurs vœux la mise en place d'une stratégie d'intégration pour les Roms, ainsi que pour les femmes issues de minorités. Plusieurs ont estimé nécessaire d'amender le code pénal pour sanctionner les cas de discrimination, une référence dans la Constitution ne pouvant suffire; cette lacune explique probablement l'absence de plaintes en justice pour racisme.
Les observations finales du Comité sur tous les rapports examinés au cours de la session seront rendues publiques à la clôture des travaux, le vendredi 29 août prochain.
Le Comité tiendra sa prochaine séance publique vendredi prochain, afin de clore la session et de rendre publiques les observations finales qui seront adoptées au cours de la semaine prochaine sur chacun des six rapports examinés au cours de la session et présentés par El Salvador, les États-Unis, le Pérou, le Cameroun, l'Iraq, le Japon et l'Estonie.
Présentation du rapport
Présentant le rapport périodique de l'Estonie (CERD/C/EST/10-11), MME ANNE-LY REIMAA, Sous-Secrétaire à la diversité culturelle au Ministère de la culture, a d'abord présenté la mise en œuvre de la Stratégie estonienne d'intégration pour la période 2008-2013. Un bilan de cette politique a été effectué en 2011 qui a permis de définir les priorités en la matière pour l'exercice 2014-2020. Ce bilan fait apparaître que 61% des allogènes sont modérément, fortement ou pleinement intégrés. La connaissance de la langue estonienne s'est améliorée au sein de cette population, alors que, dans le même temps, les Estoniens de souche font preuve d'une plus grande ouverture envers leurs compatriotes allophones, l'intégration n'étant en effet pas un processus à sens unique, a-t-elle souligné. Ainsi, 70% des Estoniens de souche estiment que l'intégration des allophones dans l'économie et les processus de décision bénéficie à tous. De fait, les contacts entre Estoniens de diverses origines sont en hausse. Quant à la participation à la vie de la cité, Mme Reimaa a assuré que l'engagement politique et l'intérêt pour les affaires publiques ne diffèrent pas sensiblement que l'on considère les Estoniens de souche ou la population russophone, comme en témoignent des taux de participation comparables aux élections locales, législatives ou européennes.
Répondant notamment aux questions écrites du Comité (CERD/C/EST/Q/10-11), s'agissant notamment des progrès réalisés dans la création d'une institution nationale des droits de l'homme, Mme Reimaa a expliqué que l'Estonie recherchait la meilleure formule à adopter à cet égard. En attendant, l'institution du Chancelier de la justice couvre l'essentiel des fonctions d'une institution nationale des droits de l'homme. Pour ce qui a trait à la lutte contre le racisme, le projet de loi de 2010 réprimant l'incitation à la haine n'a toujours pas été adopté en raison de causes diverses et variées, dont des remaniements gouvernementaux. Un nouveau projet de loi incluant la motivation raciale comme circonstance aggravante doit être présenté au Parlement à l'automne. La révision en ce sens du code pénal est prévue une fois le texte adopté.
La législation contre la discrimination s'appuie sur la Constitution, qui interdit toute discrimination sur la base de la nationalité, de la race, de la couleur, du sexe, de la langue, de l'origine, de la religion, de l'opinion, de la propriété ou du statut social.
Pour ce qui concerne la participation des minorités à la vie publique et leur représentation parlementaire, le chef de la délégation a expliqué a souligné que 64% des résidents sans nationalité déterminée souhaitaient devenir estoniens. La procédure de naturalisation a été simplifiée pour les personnes handicapées, a ajouté Mme Reimaa. Les jeunes d'âge scolaire peuvent y parvenir pour leur part en passant un examen portant à la fois sur la Constitution du pays et sur la loi sur la citoyenneté. Les délais pour obtenir la nationalité ont été considérablement raccourcis. Les frais des cours de langue sont remboursés à toute personne réussissant l'examen sur la connaissance de la langue et celui sur la Constitution et la citoyenneté.
L'Estonie a l'intention d'amender sa loi sur la citoyenneté afin de mettre fin aux situations d'apatridie. Il s'agit de garantir le droit d'acquérir la citoyenneté par la naturalisation de tous les enfants nés dans le pays de parents apatrides présents sur le territoire depuis plus de cinq ans au moment de la naissance, à condition qu'ils ne s'y opposent pas. On prévoit aussi de simplifier les exigences en matière de connaissances linguistiques pour les plus de 65 ans.
Parmi les autres initiatives à venir figure un programme d'encouragement à la mobilité des russophones avec le soutien du Fonds social européen. Il s'agit d'inciter cette population à élargir leur employabilité, les études montrant que cette fraction de la population est moins mobile que les Estoniens de souche. S'agissant des autres minorités, Mme Reimaa a précisé qu'il y avait moins d'un demi-millier de Rom en Estonie, soit 0,04% de la population. Elle a ajouté que 32 enfants roms sont scolarisés.
Le chef de la délégation a signalé qu'un important amendement modifierait la loi sur la langue à compter de l'an prochain, avec pour conséquence que l'Inspection de la langue n'aura plus le pouvoir d'infliger des amendes aux employés dont la connaissance de l'estonien se révèle insuffisante. Il ne pourra qu'exiger que les travailleurs concernés améliorent leur niveau. En revanche, les employeurs pourront être mis à l'amende pour ne pas avoir fait en sorte que leurs employés aient atteint le niveau minimum requis.
Enfin, depuis 2006, la justice n'a eu à traiter aucune affaire de discrimination raciale. En 2012-2013, neuf plaintes ont été déposées pour discrimination sur la base de l'origine ethnique. Les statistiques ne permettent pas de différencier discriminations raciale et ethnique.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. GUN KUT, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Estonie, a constaté que les rapports de l'État partie étaient présentés dans les temps et que cet État partie était donc un «bon élève» à cet égard. Si trois organisations non gouvernementales ont participé à son élaboration, le rapporteur a jugé que l'on aurait sans doute pu en impliquer un plus grand nombre. En ce qui concerne l'absence d'une institution nationale des droits de l'homme en vertu des Principes de Paris, le chef de la délégation vient en effet d'expliquer que le Chancelier de la justice remplissait ce rôle. Toutefois, cela ne répond pas à l'exigence découlant de la Convention de disposer d'une institution digne de ce nom. M. Kut s'est dit convaincu que ses collègues soulèveraient cette question dans leurs observations. Il s'est demandé par ailleurs combien de temps il faudrait encore attendre pour voir l'adoption d'un texte réprimant l'incitation à la haine, alors que le projet de loi en ce sens est vieux de quatre ans.
Par ailleurs, la question soulevée par le passé par le Comité sur le caractère pouvant être considéré comme excessif des exigences en matière de connaissance de la langue ne reçoit pas de réponse dans le rapport. Si la participation politique des minorités à la vie politique est censée être en augmentation, elle a ses limites dans la mesure où pour participer, pour militer dans un parti, il faut être citoyen. Le Comité avait recommandé que soit réduit le nombre de personnes dont la citoyenneté est «indéterminée» qui sont de fait des apatrides. Par ailleurs, le rapporteur constate que l'Estonie n'a pas l'intention d'adhérer à la Convention sur la réduction des cas d'apatridie.
Sur le plan social, les Estoniens de souche ont des revenus sensiblement supérieurs à leurs «compatriotes» allogènes, et le taux de chômage passe du simple au double. Quant au traitement réservé aux Roms et à la ségrégation dans les écoles, on nous assure qu'il y a une augmentation du nombre d'élèves, qui sont au nombre de 32. Mais six d'entre eux souffrent de handicaps qui ont conduit à les admettre dans des établissements spécialisés, ce qui incite à s'interroger sur cette forte proportion, toute relative soit elle.
Le rapporteur a noté que pratiquement aucune plainte pour discrimination raciale n'avait été déposée ces dernières années. Il a en outre voulu savoir comment s'explique le fait que le Chancelier de la justice ne dispose pas de données ventilées quant aux poursuites pour discrimination raciale et ethnique.
M. Kut a relevé que l'Estonie n'entend pas ratifier la Convention relative aux droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille. Elle envisage en revanche de ratifier celle de l'UNESCO concernant la discrimination dans le domaine de l'enseignement et il a voulu savoir à quelle échéance.
Par ailleurs, des informations d'organisations non gouvernementales font état de l'attitude hostile, des médias notamment, envers les demandeurs d'asile. Il semble en outre que les demandes en provenance de Russie sont systématiquement rejetées. Par ailleurs, il semble que les manuels d'histoire présentent l'occupation nazie entre 1940 et 1945 sous un jour positif, s'est-il encore étonné.
Si le processus de naturalisation a été simplifié pour les personnes handicapées, le rapporteur s'est demandé pourquoi il ne l'avait pas été pour tous. Un amendement à la loi sur les questions relatives aux langues, introduit à compter de l'an prochain, prévoit qu'aucune amende ne pourra plus être imposée à un employé pour une connaissance insuffisante de la langue nationale. En revanche, son employeur pourra être sanctionné, s'est étonné le rapporteur.
Parmi les autres membres du Comité, un expert a jugé qu'il devait bien y avoir un moyen de surmonter l'obstacle à l'accès à la citoyenneté estonienne, vingt-cinq ans après que le pays ait recouvré son indépendance. Il a constaté par ailleurs que le nombre d'étudiants russes ne cessait de baisser. Il a souligné que, traditionnellement, les russophones se désignaient couramment par leur patronyme, décliné sur le prénom du père, ce qui n'est plus possible dans les actes officiels en Estonie. Pour cet expert, on devrait pouvoir avoir le choix de voir mentionné ou non son patronyme, dans les actes de naissance notamment, a-t-il observé.
L'expert a aussi souhaité savoir comment l'Estonie prévoyait de célébrer la décennie des personnes d'ascendance africaine. Une autre experte a reconnu à cet égard que ces personnes étaient certainement peu nombreuses. Elle a d'autre part estimé souhaitable que soit mise en place une stratégie d'intégration pour les Roms et demandé ce qui avait été entrepris dans ce sens. Quelles sont les mesures spécifiques mises en place en faveur des femmes issues des minorités, rom notamment, a-t-elle aussi voulu savoir.
Un membre du Comité a souligné que ce petit pays européen riche disposait de tous les atouts pour mettre en œuvre la Convention. Pour lui, il est nécessaire d'amender le code pénal pour sanctionner les cas de discrimination, car une référence dans la Constitution ne saurait suffire: les juges appliquent la loi, pas la Constitution, a-t-il dit. Cette lacune explique probablement l'absence de plaintes en justice pour racisme, selon lui. Il a souhaité avoir des indications sur la représentation des minorités et des étrangers dans les instances électives locales. Quelles sont les attributions du Conseil des minorités ethniques? Que fait-on contre l'apatridie? Comment se fait-il que les enfants nés d'étrangers en Estonie, qui ont été à l'école estonienne, doivent passer un examen de langue et d'éducation civique? Le Gouvernement réagit-il contre la plus forte prévalence du chômage au sein des minorités? Pour ce qui a trait à l'emploi des langues minoritaires dans l'administration, le seuil a été fixé à 50% de la population, ce que l'expert juge excessif, le Conseil de l'Europe fixant un pourcentage minimal de 30%.
Un autre expert s'est étonné de l'écart d'espérance de vie entre hommes et femmes qui s'établissait à 65 ans pour les premiers et 75 ans pour les secondes à la fin du siècle dernier. Il a souhaité savoir si l'on disposait de données plus récentes.
Un autre expert a constaté que la politique d'intégration de l'État partie mettait l'accent sur la langue, et de manière qui paraît excessive. Cela peut être problématique, selon lui, dans le cadre des relations avec les minorités et du respect de leurs droits. Un autre expert a pour sa part jugé normal que l'étude de la langue nationale soit obligatoire.
Une experte s'est inquiétée de ce que, selon ce qui a été indiqué lors de la présentation du précédent rapport, les prévenus en détention préventive ne pouvaient fournir qu'en langue estonienne les documents pour leur défense et qu'on ne leur offrait pas la possibilité de les faire traduire s'ils ne maîtrisaient pas la langue.
Un expert a souhaité savoir si l'Estonie avait toujours l'intention de mettre en place une institution nationale des droits de l'homme respectueuse des Principes de Paris. Car si le Chancelier de la justice veille au respect de ces droits, il a de nombreuses autres tâches dont celle de veiller à la constitutionnalité des lois.
Un expert a demandé quelle raison de fond dissuadait l'État partie de créer une institution nationale des droits de l'homme. Un autre membre du Comité a noté que c'était le jus sanguinis, le droit du sang, et non pas le jus solis, le droit du sol, qui régentait l'acquisition de la nationalité en Estonie.
S'agissant de l'absence de plaintes pour discrimination, le rapporteur a dit que l'on savait par expérience avec les autres États parties qui se trouvent dans un cas de figure similaire que la raison réelle ne tient généralement pas au fait qu'il n'y a pas de problème. Il serait donc intéressant que l'Estonie se penche sur ce qui peut expliquer réellement cette absence de plaintes.
Réponses de la délégation
Répondant aux questions des membres du Comité sur les manuels d'histoire de l'Estonie, la délégation a souligné qu'ils présentent les régimes communistes et nazis comme étant à l'origine de crimes contre l'humanité. Elle a ajouté que les nouveaux manuels introduits en 2010 ont adopté une perspective historique plus large, mettant davantage l'accent la démocratie et les droits de l'homme.
Ces trois dernières années, l'Estonie n'a eu à déplorer aucun cas de discrimination raciale s'agissant de l'attitude de la police. Les policiers sont d'ailleurs formés dans le respect des différences raciales ou religieuses. Toute personne s'estimant victime de discrimination peut s'adresser à la fois au Chancelier de justice et au Commissaire sur l'égalité des sexes et l'égalité de traitement pour demander conseils et assistance. Les cas peuvent être réglés par une procédure de conciliation sous les auspices du Chancelier de justice.
Pour ce qui concerne la question d'un expert portant sur l'emploi du patronyme traditionnel pour les russophones, cette pratique n'est pas courante en Estonie. On estime nécessaire par ailleurs d'avoir le même format pour les noms de chaque citoyen estonien, ce qui explique que ne soit pas prévu un format différent pour les groupes minoritaires.
Après l'indépendance, 500 000 personnes, considérées comme ex-citoyens soviétiques, ont dû choisir entre la nationalité estonienne et russe. Certaines n'ont toujours pas fait leur choix, raison pour laquelle elles sont considérées comme ayant une citoyenneté «indéterminée», ce qui n'en fait pas des apatrides, a estimé la délégation. Elles peuvent en effet se rendre sans visa en Fédération de Russie, ce qui n'est pas le cas des Estoniens. Le Gouvernement les incite à faire un choix, sans les y contraindre pour autant. En 2005, le nombre de personnes naturalisées a dépassé celles dont la citoyenneté est indéterminée. À ce jour, 157 286 personnes ont été naturalisées. Le Gouvernement considère que les personnes de nationalité indéterminée – au nombre de 86 481 au 1er août dernier contre plus de 178 000 en 2000 - jouissaient de fait de tous les droits figurant dans la Convention de 1954 relative au statut des apatrides ainsi que dans celle de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.
Pour les enfants nés de couples dont l'un des parents a une citoyenneté indéterminée, c'est aux parents de décider s'ils veulent qu'ils aient la citoyenneté estonienne, ce qu'ils font généralement. Il est donc rare qu'un enfant se retrouve dans la catégorie «indéterminée». Il est envisagé d'amender la loi pour faire en sorte que dans l'avenir, tout mineur de moins de 15 ans né en Estonie aura automatiquement la nationalité estonienne si lui ou ses parents ne sont pas considérés comme ressortissants d'un autre État. Toute personne de plus de 15 ans dont les parents n'auront pas demandé l'octroi de la nationalité estonienne mais ayant vécu au moins huit ans dans le pays bénéficiera d'une procédure allégée d'accession à la citoyenneté.
La loi obéit au principe selon lequel toute personne souhaitant devenir estonienne doit être intégrée dans la société. Si le demandeur apprend la langue estonienne, cela démontre une volonté et un effort d'intégration, a souligné la délégation. Le délai de la procédure, qui était d'un an et trois mois, est actuellement de neuf mois et il devrait prochainement passer à trois mois en supprimant une période de latence d'un semestre exigée actuellement entre le dépôt de la demande de naturalisation et sa confirmation par écrit six mois plus tard par le demandeur. Tendanciellement, le nombre d' «indéterminés» diminue régulièrement année après année, leur part étant passée de 9 à 6,6% de la population entre 2008 et 2013.
S'agissant des droits civiques, la délégation a souligné que l'Estonie était l'un des rares pays au monde où les étrangers pouvaient voter aux élections locales.
Pour ce qui concerne la baisse du nombre d'élèves dans les écoles russophones, il s'agit d'un phénomène reflétant une situation démographique plus générale. La décision pour les familles russophones d'envoyer leurs enfants dans les écoles estoniennes pour y suivre des programmes d'immersion relève de leur liberté absolue de choix.
S'agissant des questions des experts sur l'adhésion à des instruments internationaux, la délégation a indiqué que l'Estonie n'envisage pas de devenir partie à la Convention sur la protection des travailleurs migrants, de par le fait que leur nombre est très faible dans le pays. En outre, leurs droits et libertés sont garantis par la loi. Par ailleurs, l'Estonie a adhéré aux conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail.
La délégation a fait valoir que l'espérance de vie avait augmenté dans le pays, étant passée à 72 ans pour les hommes et 81 ans pour les femmes, l'écart s'étant donc resserré par rapport aux chiffres mentionnés par un expert.
Sur la question des crimes de haine, la délégation a précisé que, pour être invoquée en justice, l'incitation à la haine doit donner lieu à une mise en danger pour la personne menacée. Un projet de réforme de ce texte prévoit que cette mise en danger ne soit plus nécessaire pour que des poursuites puissent être intentées. Le facteur racial constituera une circonstance aggravante, alors qu'à l'heure actuelle la loi est formulée de manière plus générale.
Pour ce qui est de la politique linguistique, les employeurs doivent appliquer la loi qui fait de l'estonien la langue officielle, les employés ayant désormais un meilleur choix en matière d'apprentissage de celle-ci sans risquer pour autant d'être pénalisés par une amende si leur niveau se révèle médiocre. La politique linguistique établit le principe que toute personne a le droit d'être servie dans la langue officielle, y compris dans les enclaves minoritaires. Les statistiques font apparaître une amélioration de la connaissance de la langue estonienne au sein de la minorité russophone, 29% d'entre eux estimant avoir un bon niveau, 25% un niveau moyen, 27% disant la parler un peu, 19% pas du tout. En outre, les enquêtes font apparaître que les contacts entre les deux communautés se multiplient. En 2011, 45% des Estoniens de souche et 20% des russophones affirmaient n'avoir aucun contact mutuel contre 65% et 39% quatre ans plus tôt.
S'agissant du Chancelier de la justice, institution totalement indépendante créée en 1938 et ayant perduré à la fois durant les occupations allemande et soviétique, il doit s'assurer de la constitutionnalité des lois. Il n'est rattaché à aucun des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire. Il est nommé pour sept ans par le Parlement sur proposition du chef de l'État. Il s'agit d'une institution unique dans le monde, a souligné la délégation. Elle compte un effectif d'une cinquantaine de personnes.
Les prisons du pays comptaient 3123 détenus à la fin de l'année dernière, dont 684 personnes en préventive (22%), des chiffres qui sont en diminution de 7% par rapport à 2012. Le pourcentage de détenus de langue estonienne, qui est d'environ 40%, est stable depuis dix ans, les russophones représentant 57% des détenus. En revanche, les Estoniens de souche sont plus nombreux parmi les jeunes détenus. En ce qui concerne la langue écrite, les non-Estoniens peuvent faire appel à un traducteur, ce qui peut retarder un peu la procédure, a reconnu la délégation.
La délégation a précisé que la population autochtone des Setus comptait entre 10 000 et 13 000 individus; entre 3000 et 4000 d'entre eux vivent sur leurs terres ancestrales. Leur culture et leur langue reçoivent l'appui du Ministère de la culture. Par ailleurs, les autorités subventionnent plus de 200 associations culturelles de minorités nationales.
La délégation a indiqué que l'État avait estimé que si une stratégie spécifique d'intégration des Roms n'était pas nécessaire, cela n'empêchait pas de se préoccuper de leur situation, au niveau local en particulier. Les municipalités font beaucoup pour cette communauté en matière d'emploi et en faveur de la jeunesse, a-t-elle assuré. Cette communauté est de fait peu visible; la majorité des Roms vivent dans le sud du pays. La délégation a précisé que 35 élèves roms étaient scolarisés, dont certains ont été admis dans des établissements pour handicapés mentaux. Des mesures ont été prises en faveur de l'amélioration de la qualité de l'enseignement à leur intention, le Ministère de l'éducation reconnaissant un problème les concernant.
S'agissant des demandes d'asile, sur les 358 demandes formulées depuis 2000, 104 personnes ont bénéficié de la «protection internationale». Dans la même période, une centaine de demandes ont été faites à la frontière même, 24 se voyant opposer un refus d'entrée sur le territoire ; les personnes concernées ont été renvoyées en Russie, ces demandes ayant été considérées comme infondées par l'unité centrale chargée de les examiner. L'affirmation du rapporteur sur le fait que les médias considéreraient les demandeurs d'asile et les réfugiés comme des terroristes en puissance ne semble pas exacte, a estimé la délégation, même si une certaine xénophobie a pu s'exprimer à leur sujet. Elle a souligné que l'Estonie avait été classée par l'organisation non gouvernementale Freedom House au vingtième rang en matière de liberté de la presse et au deuxième rang dans le monde pour la liberté de l'Internet, après avoir été numéro un.
Pour ce qui concerne les personnes d'ascendance africaine, l'Estonie fait partie des pays siégeant à la commission préparatoire de la Conférence d'examen de Durban. Elle coordonne des activités spécifiques avec l'Union européenne dans le cadre de la prochaine Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine.
La délégation a expliqué que l'absence d'une institution nationale des droits de l'homme s'expliquait par le fait que l'État estonien s'efforce d'éviter de multiplier ses institutions afin de ne pas devenir trop lourd et trop onéreux. C'est la raison pour laquelle a été décidé de confier le dossier des droits de l'homme au Chancelier de justice. Il s'avère toutefois que l'ajout de cette charge alourdit considérablement sa tâche. À l'heure actuelle, les partis politiques demeurent toutefois réticents à la création d'une nouvelle institution.
La délégation a ailleurs souligné que le principe du droit du sang ne faisait pas obstacle à l'acquisition de la nationalité estonienne.
Conclusions
Le Président du Comité, M. JOSÉ FRANCISCO CALI TZAY, a qualifié le dialogue de particulièrement constructif, la délégation ayant répondu à la quasi-totalité des questions qui lui ont été adressées.
Le rapporteur du Comité pour l'Estonie, M. KUT, a convenu que le dialogue avait été constructif, positif et franc, se félicitant du grand sérieux de la délégation et de son souci de répondre au maximum de questions. Le Comité ne pourra que se féliciter de l'engagement démontré par l'Estonie, notamment en matière d'éducation pour les enfants roms. La question des manuels d'histoire sera aussi mentionnée dans les observations finales du Comité, en notant que le pays avait progressé dans ce domaine. Toutefois, la loi sur la citoyenneté pose encore problème, s'agissant des personnes dont la citoyenneté est indéterminée, même si la tendance à voir ces cas diminuer est positive. Le projet de loi réprimant le crime de haine représente aussi un signal très positif. M. Kut a dit espérer que cette promesse se traduirait dans les faits. Parmi les questions qui devront être soulevées dans les observations finales, figure celle de la citoyenneté, l'adhésion à certains instruments internationaux, l'éducation des minorités, russophone en premier lieu. L'absence d'une institution nationale des droits de l'homme figurera aussi parmi les points soulevés.
MME REIMAA, Chef de la délégation de l'Estonie, a souligné le rôle constructif du Comité, se disant heureuse du soutien qu'il apportait à son pays.
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