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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE DES RAPPORTS SUR LES FORMES CONTEMPORAINES D'ESCLAVAGE ET SUR LA JUSTICE TRANSITIONNELLE

Compte rendu de séance

Le Conseil des droits de l'homme a examiné cet après-midi des rapports sur les formes contemporaines d'esclavage et sur la question de la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition.

Le Rapporteur spécial sur la question de la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, M. Pablo De Greiff, a centré ses travaux cette année sur les «commissions de vérité», pointant les principales difficultés auxquelles ces instances sont confrontées dans les pays en transition. Il faut notamment veiller à ce que leur fonctionnement ne soit pas entravé par des attributions excessivement étendues, sauf à leur accorder les moyens supplémentaires nécessaires à l'accomplissement de la mission qui leur est confiée. Il faut aussi éviter que la sélection des membres des commissions ne soulève des controverses.

Suite à l'intervention de la Tunisie qui a réagi au rapport de M. de Greiff sur la mission qu'il a effectuée dans le pays en novembre 2012, plusieurs délégations dont les pays ont mis en place des commissions de vérité et de réconciliation ont fait part de leur expérience. De nombreuses délégations ont souligné les difficultés posées par l'ampleur excessivement large des mandats dévolus dans certains cas aux commissions. L'absence, dans bien des cas, de suivi des recommandations de ces commissions a également été soulignée. La plupart des délégations ont convenu que les victimes devaient se trouver au centre du processus. Certaines d'entre elles appuient la recommandation du Rapporteur spécial de rédiger des lignes directrices concernant la création de commissions de vérité.

La Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d'esclavage, Mme Gulnara Shahinian, a pour sa part proposé de développer des cadres normatifs nationaux et internationaux et de réglementer des pratiques s'apparentant à l'esclavage, en exerçant un contrôle plus strict sur les agences de recrutement privées et en renforçant la protection des travailleurs migrants. Des cadres réglementaires sont en train d'émerger, tels les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme approuvés en 2011 par le Conseil. En outre, certains pays déploient d'importants efforts pour veiller à l'application effective du droit du travail.

Le Kazakhstan et Madagascar ont réagi aux rapports de la Rapporteuse spéciale sur ses missions dans ces pays. Leurs interventions ont été suivies de celles de plusieurs délégations qui ont notamment souligné que la réinsertion des victimes des formes modernes d'esclavage doit être la priorité. Certaines ont souligné l'importance d'assurer à titre préventif, une information à l'intention des groupes à risque. Une délégation a alerté la Rapporteuse spéciale sur le fait que plusieurs milliers de personnes originaires d'Afrique de l'Est auraient été prises en otages dans le Sinaï ces cinq dernières années, afin notamment d'extorquer des rançons.

Les délégations suivantes ont participé au débat interactif avec les deux Rapporteurs spéciaux: Cuba (Au nom de la Communauté des pays d'Amérique latine et des Caraïbes), Maroc (au nom du Groupe des pays francophones), Argentine, Paraguay, Égypte, Union européenne, Pays-Bas, Indonésie, Palestine (au nom du Groupe arabe), Arménie, Allemagne, Colombie, Sri Lanka, Venezuela, Autriche, Thaïlande, Suisse, Suède, Finlande, États-Unis, République de Corée, République tchèque, Togo, Soudan, Côte d'Ivoire, Belgique, Gabon (au nom du Groupe africain), Indonésie, France , Royaume-Uni, Grèce, Émirats arabes unis, Thaïlande, Venezuela, Bélarus, Colombie, Liban, Saint-Siège, Lettonie, États-Unis, Éthiopie et Népal.


Demain matin à 10 heures, Le Conseil poursuivra le débat interactif avec M. de Greiff et Mme Shahinian, avant de porter son attention sur un rapport du Groupe de travail sur le droit au développement, ainsi que sur les rapports thématiques de la Haut-Commissaire et du Secrétaire général dont est saisi le Conseil.


Justice transitionnelle; formes contemporaines d'esclavage

Présentation des rapports

M. PABLO DE GREIFF, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, a indiqué que son rapport portait, cette année, sur les «commissions de vérité» et examine les principales difficultés auxquelles ces instances sont confrontées. D'abord, la portée du mandat des commissions de vérité s'est considérablement étendue, et concomitamment les attentes placées en elles. Les États, et autres acteurs concernés, doivent donc faire montre de prudence dans la formulation des mandats des commissions de vérité et veiller à ce que leur fonctionnement ne soit pas entravé par la nature trop large de leurs attributions. L'extension du mandat des commissions de vérité est souhaitable à condition qu'elles reçoivent simultanément les moyens supplémentaires requis pour l'achèvement de leur mission. Autre difficulté, la sélection des membres des commissions. Les controverses qui entourent certaines nominations ne sont pas dans l'intérêt des commissions. M. de Greiff préconise alors l'adoption de normes déontologiques internationales relatives aux conflits d'intérêts des membres de commissions. Le Rapporteur spécial note en outre que les recommandations des commissions ne sont pas toujours suivies d'effet. En règle générale, ces entités ne sont pas responsables de l'application de leurs propres recommandations, tâche qui incombe en principe aux gouvernements. Par contre, elles peuvent faciliter la mise en œuvre en formulant des recommandations plus concrètes. D'autre part, l'action des commissions est parfois entravée par l'absence ou l'instabilité des moyens matériels nécessaires à leur travail.

M. de Greiff a également rendu compte de sa visite de travail en Tunisie où il a constaté que, depuis le soulèvement de 2011, ce pays a lancé de nombreuses initiatives de justice transitionnelle liées au droit à la vérité et aux réparations. Il a jugé souhaitable que ces initiatives multiples soient fédérées dans un cadre formel. En effet, les initiatives sont orientées sur des événements ou des périodes, ce qui entraîne une catégorisation des victimes de violations des droits de l'homme et, par la même, un risque de fragmentation sociale, comme en témoignent les accusations de «politisation» contre toute tentative de s'attaquer aux problèmes du passé. Le Rapporteur spécial a affirmé, par ailleurs, que l'incapacité à combattre l'impunité en Tunisie enverrait un signal négatif à la population puisque l'absence de réforme couplée à la méfiance de la population envers la justice et la police, pourrait en effet décrédibiliser pour très longtemps ces institutions, a mis en garde M. de Greiff.

Le Conseil est saisi du rapport sur la question de la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition (A/HRC/24/42, à paraître en français). Le compte rendu et les recommandations du Rapporteur spécial s'agissant de sa mission en Tunisie figurent au document A/HRC/24/42/Add.1.

MME GULNARA SHAHINIAN, Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d'esclavage, a indiqué qu'elle présentait là son dernier rapport, son deuxième mandat expirant en avril 2014. Nous savons, a-t-elle observé, que l'on manque de statistiques globales sur le nombre d'individus soumis aux formes contemporaines d'esclavage. Cela est dû au fait que cet esclavage est multiforme et qu'il a pour cadre soit des régions reculées, soit la sphère privé des foyers, comme dans le cas pour l'esclavage domestique. Toutefois, l'Organisation internationale du travail (OIT) estimait en 2008, au début du premier mandat de la Rapporteuse spéciale, qu'au moins 12,3 millions de personnes dans le monde étaient victimes de travail forcé ou d'esclavage proprement dit, une estimation qui a été portée à 21 millions de victimes à la suite d'une étude récente plus approfondie. Selon Mme Shahinian, il ne s'agit là que de la partie émergée de l'iceberg car ce chiffre ne prend pas en compte de nombreuses formes contemporaines d'esclavage moderne, tel que l'asservissement d'enfants, le travail forcé, le servage par le mariage ou par la dette, et la servitude domestique. En outre, nombre de victimes sont littéralement «invisibles», comme dans le cas d'enfants non enregistrés à la naissance. Lorsque l'on tente de compiler des données statistiques, il s'avère que nombre de ces victimes sont socialement et économiquement invisibles et difficiles à identifier, même si la connaissance du phénomène a connu une amélioration.

Mme Shahinian a indiqué que son rapport répertoriait un certain nombre de bonnes pratiques, ainsi que les défis et les enseignements tirés de la lutte contre l'esclavage moderne. Elle a proposé de développer des cadres normatifs nationaux et internationaux, et de réglementer des pratiques s'apparentant à l'esclavage, en exerçant un contrôle plus strict sur les agences de recrutement privées et en renforçant la protection des travailleurs migrants. Des cadres réglementaires sont en train d'émerger, tels les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, approuvés en juin 2011 par le Conseil. En outre, certains pays déploient des efforts pour veiller à l'application effective du droit du travail, notamment par une multiplication des inspections. Des accords bilatéraux ont été conclus en vue de la protection des migrants travailleurs domestiques. Le rôle des acteurs régionaux est essentiel à cet égard compte tenu de leurs connaissances des réalités locales, a encore commenté Mme Shahinian, qui a ensuite rendu compte de ses visites officielles au Kazakhstan (24 septembre-1er octobre 2012) et à Madagascar (10-19 décembre 2012). Mme Shahinian, qui prévoit de se rendre au Ghana en novembre prochain, ainsi qu'en Mauritanie dans un proche avenir, a adressé des demandes de visites au Bangladesh, au Népal, au Niger, au Soudan et à l'Ouzbékistan.

Le Conseil est saisi du rapport sur les formes contemporaines d'esclavage (A/HRC/24/43) ainsi que du rapport de la mission effectuée par la Rapporteuse spéciale au Kazakhstan (A/HRC/24/43/Add.1) et à Madagascar (A/HRC/24/43/Add.2)

Pays concernés

La Tunisie a pris note du rapport de M. de Greiff et confirmé que les autorités tunisiennes accordent la plus haute priorité à la vérité, à la justice transitionnelle et la réconciliation. La Tunisie a également amorcé une ample consultation sur la justice transitionnelle avec la société civile, les partis politiques, les médias et les experts nationaux et internationaux. Ce processus de consultation a donné lieu à l'organisation d'une journée d'étude sur le rôle des archives dans la réalisation de la justice transitionnelle ainsi que d'une semaine de la vérité, dans le but d'écouter les victimes. S'agissant de la réparation, les autorités ont publié un nombre non négligeable de textes juridiques, visant à examiner le dossier du recrutement des personnes ayant bénéficié de l'amnistie générale et au profit des familles des blessés de la révolution. L'Instance de vérité et de dignité que la Tunisie s'apprête à mettre en place en tant que mécanisme de justice transitionnelle est le fruit d'un dialogue national, a conclu la délégation.

Le Kazakhstan, réagissant au rapport sur la visite dans le pays par la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d'esclavage, a souligné les efforts qu'il a consentis dans la lutte contre le phénomène de l'esclavage sous toutes ses formes. Des mesures pertinentes ont été prises par les autorités sur la base des recommandations formulées par Mme Shahinian. Dans le cadre des efforts à mener pour la protection des victimes, un projet de loi sur le travail des migrants a été adopté, a encore indiqué la délégation.

Madagascar a pris note des recommandations figurant dans le rapport de Mme Shahinian suite à la mission qu'elle a effectuée dans le pays, faisant valoir que la plupart étaient d'ores et déjà mises en œuvre, notamment celle relative à l'enregistrement des naissances. Par ailleurs, la lutte contre la pauvreté - en tant que cause directe de l'esclavage - est une priorité des autorités du pays. Le Gouvernement est bien conscient de la question de l'esclavage moderne. Cependant, le terme de «caste» employé dans le rapport n'y a pas sa place puisque ce système est révolu depuis l'accession de Madagascar à l'indépendance en 1960, bien que l'histoire précoloniale de la royauté demeure ancrée dans certains esprits. La Constitution de Madagascar prône l'égalité et, dans le contexte de la lutte contre l'exploitation humaine, des mesures ont été adoptées, telle la ratification de la plupart des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, l'adoption d'un décret sur le travail des enfants, de même que des programmes gouvernementaux comme le Plan d'action national pour la promotion de la femme de 2003. D'autres mesures similaires ont été adoptées s'agissant du travail domestique et des formes contemporaines d'esclavage.

Débat interactif sur la justice transitionnelle

Cuba, au nom de la Communauté des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, a salué l'initiative de M. de Greiff d'organiser une consultation régionale regroupant 48 délégués de la Communauté. Les participants ont fait le bilan des expériences régionales et décidé de poursuivre le partage d'expériences, un processus grandement facilité par l'action du Rapporteur spécial. Cuba salue l'analyse complète du fonctionnement des commissions de vérité réalisée par le Rapporteur spécial et a fait sienne en particulier les recommandations sur la composition des commissions. La vérité ne se substitue pas à la justice, a souligné Cuba.

Le Maroc, au nom du Groupe des pays francophones, a souligné que l'Organisation internationale de la Francophonie a apporté son soutien à de nombreuses initiatives, comme la création de la Commission dialogue et réconciliation au Mali (mars 2013), l'organisation d'un programme de justice transitionnelle en Tunisie (2012) et la troisième conférence régionale sur la justice transitionnelle de Yaoundé, en avril dernier.

L'Argentine a insisté pour que les enregistrements des commissions de vérité soient conservés et scrupuleusement indexés car ils contiennent des éléments de preuve irremplaçables. L'État argentin a recours aux archives pour établir les responsabilités des violations des droits de l'homme. Le Paraguay a indiqué que sa commission de vérité a joué un rôle déterminant pour faire la lumière sur les événements survenus pendant la dictature, notamment en faisant des victimes des sujets de droit et en leur assurant une reconnaissance sociale. Il a ajouté que la commission paraguayenne a eu accès aux archives de la police. L'Égypte a pour sa part créé un ministère de la réconciliation et de la justice transitionnelle et estime que le rapport de M. de Greiff aidera le pays dans sa propre démarche. L'Égypte a aussi demandé de tenir compte des contextes de pays en transition confrontés à la nécessité de créer une justice transitionnelle.

L'Union européenne a félicité le Rapporteur spécial de son analyse des difficultés rencontrées par les commissions de vérité. L'Union européenne s'attache à accorder une attention particulière à la place des femmes et à l'état de droit dans les initiatives de justice transitionnelle. Les Pays-Bas ont demandé au Rapporteur spécial quel pourrait être le rôle de la Cour pénale internationale dans la coopération visant à la mise en œuvre des recommandations des commissions de vérité.

L'Indonésie a noté que les commissions de vérité donnent une voix aux victimes et favorisent leur réinsertion sociale. La délégation a demandé au Rapporteur spécial de suggérer les manières d'arriver à une volonté politique indispensable à la création d'une commission de vérité. La Palestine, au nom du Groupe arabe, a demandé que l'on tire parti des initiatives réussies des États.

L'Arménie a rappelé que la résolution 22/22 du Conseil sur la prévention du génocide appelait les États à promouvoir l'établissement de la vérité, en tant qu'élément clé pour combattre l'impunité et établir les responsabilités, dans le cadre de la prévention du génocide et de la réconciliation. Toutefois, l'Arménie convient avec M. de Greiff que le droit à la vérité ne peut se substituer à la justice, aux réparations et aux garanties de non-répétition. Ce n'est que par l'acceptation de la vérité par la société et par l'adoption de mesures appropriées sur le plan judiciaire et en matière de réparation aux niveaux national et international qu'il sera possible de prévenir la répétition des crimes du passé, a souligné l'Arménie, qui a invité le Rapporteur spécial à se rendre dans le pays.

L'Allemagne a prié le Rapporteur spécial de développer ses idées sur le recours à des mécanismes alternatifs de recherche de la vérité et de fournir des indications sur la future orientation de ses travaux dans le cadre de son mandat. La Colombie a indiqué avoir créé une série de mécanismes pour parvenir, d'une part, à mettre un terme au conflit armé, d'autre part à parvenir à une paix stable et durable, en prenant toutes les garanties de non-répétition.

Sri Lanka a souligné qu'en tant que pays ayant connu un conflit terroriste pendant trois décennies, l'option consistant à définir une approche spécifique qui prenne en considération les conditions locales était la seule voie réaliste dans la mise en place d'une commission de vérité et de réconciliation. C'est ce que le Gouvernement s'efforce de faire dans le cadre d'un processus et d'un plan national d'action. Sri Lanka a régulièrement informé le Conseil sur le processus en cours, de même qu'il s'est félicité de la visite de la Haut-Commissaire sur son territoire qui a pu constater de visu les progrès accomplis.

Le Venezuela a indiqué avoir créé, en février dernier, une Commission pour la justice et la vérité afin de faire la lumière sur les crimes, disparitions, cas de torture et autres violations graves des droits de l'homme à motivations politiques dans le pays entre 1958 et 1998.

Le Rapporteur spécial ayant noté que la mise en œuvre des recommandations des commissions de vérité reposait principalement sur la volonté des États concernés, l'Autriche a demandé à M. De Greiff s'il avait identifié de bonnes pratiques dans ce domaine.

La Thaïlande a demandé au Rapporteur spécial comment mieux relever les défis consistant à trouver un équilibre dans le mandat des commissions de réconciliation tout en évitant de le surcharger. Après les troubles de 2010, la Thaïlande a cherché à promouvoir la réconciliation entre toutes les parties en établissant une Commission de vérité et de réconciliation qui a formulé un certain nombre de recommandations. Le Gouvernement a aussi mis sur pied une commission de coordination et de suivi chargée de veiller à la mise en œuvre de ces recommandations.

La Suisse a noté, avec satisfaction, que dans le domaine du droit à la vérité, les droits des victimes étaient aujourd'hui mieux entendus et mieux compris. Elle constate toutefois que les commissions de vérité doivent encore développer de meilleures pratiques et a partagé les préoccupations du Rapporteur spécial sur l'usage, parfois inadéquat, des mécanismes des commissions de vérité. La Suisse a recommandé, en conséquence, que les mandats de ces commissions impliquent systématiquement l'obligation d'appliquer leurs recommandations. Elle a soutenu, par ailleurs, la recommandation du Rapporteur spécial visant à la rédaction de lignes directrices en matière de création de commissions de vérité. Cet effort pourrait être complété par l'établissement d'un catalogue des différents instruments utiles en matière d'établissement des faits, comme les commissions historiques. La Suède a elle aussi salué l'accent qui a été mis, dans le rapport, à la fois sur la nécessité d'adopter une perspective sexospécifique et de placer les victimes au premier plan, lorsqu'il s'agit de répondre à des exigences de vérité, de justice, de réparations et de réconciliation. Pour la Finlande également, la vérité ne peut remplacer la justice, la réparation et les garanties de non répétition. Il faut donc que les victimes soient au cœur des préoccupations.

Les États-Unis ont conseillé de ne pas surcharger les commissions nationales et de leur fixer des mandats raisonnables. Ces organes travaillent mieux dans le cadre de mandats clairement définis et avec des moyens de fonctionnement suffisants. La République de Corée a souligné qu'il appartient aux États de mettre en œuvre les recommandations des commissions, et à la société civile, de jouer un rôle de vigile. La République tchèque, qui a partagé cet avis, s'est demandé comment renforcer ce rôle et améliorer les outils dont dispose la société civile.

Le Togo et le Soudan ont informé le Conseil sur l'ordre du jour et les activités des commissions nationales vérité et réconciliation de leur pays respectifs. Le Soudan a indiqué pour sa part que la commission établie dans le pays contribuera à ramener le calme et la paix au Darfour. En tant que pays en situation post-crise, la Côte d'Ivoire a déclaré accorder une grande attention au mandat de M. de Greiff. Elle a observé qu'en dépit des difficultés financières que les commissions de vérité rencontrent parfois dans leur fonctionnement, ces institutions s'efforcent de faire valoir leur indépendance et leur objectivité dans des conditions très sensibles. La délégation a demandé à l'expert comment accélérer les travaux des commissions de vérité sans pour autant en compromettre le fonctionnement ni la confiance dont elles jouissent auprès des populations. La Belgique a souhaité en savoir davantage sur les recommandations concernant les règles budgétaires et de gestion des commissions.

Débat interactif sur les formes contemporaines d'esclavage

Le Gabon, au nom du Groupe africain, a déclaré que, sur près de 21 millions de victimes du travail forcé dans le monde, 3,7 millions vivent sur le continent africain. Le Groupe africain se félicite que, par ses travaux, la Rapporteuse spéciale contribue à une meilleure compréhension de la notion même d'esclavage moderne, source de paradoxes et d'ambiguïtés. Les pratiques esclavagistes fleurissent en grande partie à cause de la vulnérabilité exacerbée par la pauvreté, la discrimination raciale et l'exclusion sociale. Les obstacles à une répression efficace se définissent en termes juridiques, politiques et institutionnels. À cela s'ajoute le poids des traditions culturelles. L'Égypte a déclaré que les États qui entendent éliminer l'esclavage doivent d'abord remédier aux causes profondes des inégalités. Selon la Côte d'Ivoire également, les formes contemporaines d'esclavage résultent des problèmes d'exclusion et de pauvreté. Le pays a notamment appuyé le renforcement du cadre normatif international et régional imposant aux États d'indemniser les victimes de l'esclavage, surtout les femmes et les enfants.

La Palestine, au nom du Groupe arabe, a exprimé son inquiétude devant le nombre de personnes – et notamment de femmes – vivant dans des conditions d'esclavage, et souligné que les instruments internationaux ne suffisent pas, à eux seuls, à éradiquer ce problème. Le délit étant difficilement détectable, il conviendrait de recourir à de nouveaux moyens pour sortir de l'ombre toutes les formes d'esclavage. Cependant, il faudrait éviter les généralisations, et tenir compte des efforts consentis par exemple par le Liban pour contrôler son secteur de l'emploi domestique.

L'Indonésie a préconisé le partage des bonnes pratiques en matière de législation de protection des personnes victimes de l'esclavage, dont bon nombre sont des travailleurs migrants. L'Indonésie encourage les États à ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles. Dénonçant en particulier les formes d'esclavage liées aux migrations, Cuba, au nom de la Communauté des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, a elle aussi salué l'identification de bonnes pratiques par la Rapporteuse spéciale et pris note de ses recommandations. L'Autriche a demandé à Mme Shahinian si elle avait relevé de bonnes pratiques de la part des entreprises désireuses d'éviter de faire appel à des fournisseurs ou à des sous-traitants qui seraient susceptibles de recourir aux formes contemporaines d'esclavage. La France s'est félicitée de l'inventaire de bonnes pratiques établi par la Rapporteuse spéciale, avant d'ajouter que les recommandations adressées aux entreprises, favoriseront leur responsabilisation.

Le Royaume-Uni a félicité Mme Shahinian d'avoir su faire entendre au Conseil la voix des victimes de l'esclavage. La persistance de cette pratique s'explique par sa clandestinité et par le manque d'accès des victimes à des recours juridiques. L'Union européenne a demandé à Mme Shahinian de citer les raisons qui expliquent l'augmentation du nombre de personnes victimes de l'esclavage de 12 à 20 millions en huit ans.

La Grèce a annoncé une contribution de 20 000 euros au Fonds d'affectation spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de l'esclavage. L'Arménie a assuré la Rapporteuse spéciale qu'elle avait pris bonne note de ses recommandations et qu'elle ne ménagerait aucun effort dans leur mise en œuvre.

L'Allemagne a attiré l'attention de Mme Shahinian sur une nouvelle forme d'esclavage apparue ces cinq dernières années et qui se caractérise par sa grande cruauté, sa brutalité, voire son sadisme. Ses victimes en sont les migrants africains, originaires principalement de l'Érythrée mais aussi de l'Éthiopie, de la Somalie et du Soudan. Elle a cité le cas d'un Érythréen enlevé dans un camp de réfugiés soudanais en 2011 et qui, après être passé entre les griffes de plusieurs groupes de ravisseurs, a été détenu et sauvagement torturé par des Bédouins pendant huit mois dans le Sinaï, n'étant finalement libéré qu'après le versement d'une rançon par sa famille. Plusieurs milliers de victimes ont subi un tel calvaire dans le Sinaï depuis cinq ans, selon l'Allemagne qui a demandé à la Rapporteuse spéciale si elle en était informée et si elle avait des recommandations à faire à ce propos.

Les Émirats arabes unis ont convenu de la nécessité de l'intensification des efforts des États dans la lutte contre les formes contemporaines d'esclavage et jugé que des stratégies et des mesures innovantes sont nécessaires à cet égard. Ils ont émis le vœu que les recommandations de la Rapporteuse spéciale suscitent un renouveau de la volonté politique des États pour lutter contre l'esclavage moderne. Au plan national, les Émirats arabes unis ont pris une série de mesures et adhéré à plusieurs instruments internationaux. La Thaïlande a pour sa part accordé la priorité à la réduction de la vulnérabilité des victimes potentielles de l'esclavage par l'éducation des femmes et des jeunes filles. L'instruction publique est gratuite pendant douze ans, indépendamment du sexe ou de la nationalité. Le Venezuela a indiqué que sa Constitution interdisait et pénalisait expressément l'esclavage et le servage, ainsi que la traite des personnes sous toutes ses formes.

Le Bélarus, qui s'est félicité du fait que Mme Shahinian se soit penchée sur le problème du travail domestique forcé dans les pays en développement, lui a suggéré de se pencher sur le cas de pays de l'Union européenne dont la France. Le Bélarus a fait état du refus des membres de l'Union européenne de ratifier la Convention sur les travailleurs migrants et les membres de leurs familles, et a invité la Rapporteuse spéciale à vérifier l'efficacité des mécanismes mis en place par ces pays pour lutter contre ce phénomène. D'un autre côté, la délégation bélarusse a mis en avant les bonnes pratiques instaurée par son pays, avant d'invité la Rapporteuse spéciale à y effectuer une visite officielle, d'autant que certains États pourraient s'en inspirer utilement.

La Colombie a convenu avec la Rapporteuse spéciale de l'importance de la prévention par l'éducation des victimes potentielles et de la nécessité d'informer les groupes vulnérables de leurs droits. Elle a également déclaré qu'il est fondamental d'accorder toute l'attention voulue et l'assistance possible aux victimes afin de favoriser leur réinsertion.

Le Liban a critiqué l'un des paragraphes du rapport de Mme Shahinian sur les travailleurs domestiques présents sur son territoire. Il est faux d'affirmer qu'il n'existe pas de mécanisme de protection de ces travailleurs, a réagi le Liban, qui a déploré que M. Shahinian n'ait pas tenu compte des observations des autorités libanaises.

Le Saint-Siège a estimé qu'une culture de cupidité et un mépris total pour la dignité humaine étaient la racine du phénomène. Pour lutter contre ce fléau, il faudrait prendre des mesures pratiques et adapter la législation de sorte que la justice ait les moyens d'agir, à condition que celle-ci soit efficace.

La Lettonie a souhaité obtenir de plus amples informations sur les lacunes des législations nationales en matière de lutte contre l'esclavage moderne. Les États-Unis, pour leur part, ont jugé que le débat ne devrait pas être axé sur la terminologie mais, au contraire, sur la question de l'esclavage et de la traite des personnes. L'Éthiopie a appelé les États à prendre des mesures urgentes pour respecter et appliquer les droits des travailleurs migrants notamment et a préconisé des efforts concertés au niveau international. Partageant le même avis, Cuba a souligné que l'esclavage moderne touche en particulier les femmes et les enfants dans toutes les régions du monde. De là la nécessité d'une coopération internationale renforcée pour aider les pays touchés qui ne peuvent peu ou prou répondre à cette problématique.

Le Népal a remercié Mme Shahinian d'avoir tenu compte des efforts de son gouvernement pour la réintégration et la réhabilitation des travailleurs migrants, y compris des victimes rentrées au pays, et ce en coordination avec le secteur privé et la société civile. Le Gouvernement répondra aux demandes de visites des deux Rapporteurs spéciaux de manière à en maximiser l'efficacité, a aussi fait savoir la délégation.


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HRC13/102F