Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE L’ALLEMAGNE
GENEVE (30 avril 2019) - Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport de l’Allemagne sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le rapport a été présenté par M. Hans-Peter Jugel, Représentant permanent adjoint de l’Allemagne auprès des Nations Unies à Genève, et par Mme Almut Wittling Vogel, cheffe de la Direction des droits de l’homme, du droit de l’Union européenne et du droit international au Ministère fédéral de la justice et de la protection des consommateurs de l’Allemagne, également Représentante du Gouvernement fédéral pour toutes les questions relatives aux droits de l’homme.
Mme Vogel a d’abord fait état de progrès s’agissant de la détention préventive: elle a expliqué que les autorités fédérales et celles des États fédérés – les Länder – avaient adopté dans ce domaine de nouvelles lois et consacré quelque 200 millions d’euros à la construction de nouveaux lieux de détention. De même, de nombreux personnels supplémentaires ont été recrutés, dotés des qualifications nécessaires aux personnes en détention préventive. La réforme clarifie une fois pour toutes la différence entre détention pénale et détention préventive, l’objectif étant de protéger le grand public contre les personnes dangereuses. Cette réforme a été saluée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans une décision rendue en décembre 2018, a fait valoir Mme Vogel.
S’agissant des enquêtes indépendantes sur les allégations de comportements criminels de policiers allemands, Mme Vogel a assuré que son pays était conscient des préoccupations soulevées par le Comité par le passé. En pratique, les Länder ont pris des mesures pour améliorer les mécanismes de plainte pertinents; ils font de plus en plus appel aux nouveaux Médiateurs publics, des organes indépendants auxiliaires des Parlements des Länder,a-t-elle expliqué. Elle a précisé que des enquêtes pénales, ainsi qu’une enquête parlementaire, avaient été ouvertes au sujet des incidents violents entre manifestants et policiers lors de la tenue du G20 à Hambourg en 2017.
Mme Vogel a d’autre part indiqué que l’Allemagne soutenait fermement la justice pénale internationale: une part importante des efforts allemands dans ce domaine est consacrée à la poursuite des crimes internationaux devant les tribunaux domestiques, conformément au principe de juridiction universelle.
La délégation allemande était également composée de plusieurs représentants des Ministères fédéraux de la justice et de la protection des consommateurs; de la défense; et des affaires étrangères. Étaient aussi représentés le Médiateur du Land de Schleswig-Holstein, le Ministère de la justice du Land de Rhénanie-Palatinat et la Police de Hambourg.
La délégation a répondu aux questions des membres du Comité concernant, notamment, de l’Institut allemand des droits de l'homme; de l’«internement de sûreté»; des attaques de drones perpétrées dans des pays tiers à partir du territoire allemand; de l’affaire de la Colonia Dignidad, au Chili; de la lutte contre la traite de personnes; des questions relatives à l’asile et au renvoi des requérants déboutés; des violences contre les réfugiés et les étrangers; ou encore du sort des ressortissants allemands ayant combattu pour l’État islamique.
M. Claude Heller Rouassant, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Allemagne, a regretté que le Code pénal allemand ne fournisse pas de définition spécifique couvrant les actes de torture. Il a relevé que, dans certains lieux de détention des Länder, règnent des conditions constituant autant de violations de la dignité humaine, eu égard en particulier à la vétusté des installations.
Le corapporteur s’est aussi fait l’écho de préoccupations exprimées par certaines organisations face à l’absence d’enquêtes indépendantes et efficaces sur les dénonciations d’actes de torture. Il a ensuite relevé que certaines mesures antiterroristes adoptées en réponse à l’attaque perpétrée à Berlin en décembre 2016 compromettraient le droit à un jugement impartial, le droit à l’intimité et le droit à la liberté de circulation. M. Heller Rouassant a également fait part de préoccupations face aux violences exercées contre les réfugiés et requérants d’asile en Allemagne.
M. Bakhtiyar Tuzmukhamedov, également corapporteur, a regretté que le Tribunal constitutionnel fédéral allemand n’ait jamais, dans ses arrêts, cité le Comité en tant que source secondaire. Il a recommandé, notamment, que tous les fonctionnaires chargés des questions d’asile et de surveillance de personnes détenues soient formés à l’application du Protocole d’Istanbul (manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants).
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Allemagne et les rendra publiques à l'issue de la session, le 17 mai prochain.
Demain après-midi, à partir de 15 heures, le Comité entendra les réponses de l’Afrique du Sud aux questions qui lui ont été posées ce matin par le Comité.
Présentation du rapport
Le Comité était saisi du sixième rapport périodique de l’Allemagne (CAT/C/DEU/6), établi sur la base d’une liste de points à traiter soumise par le Comité.
Dans une déclaration liminaire, M. HANS-PETER JUGEL, Représentant permanent adjoint de l’Allemagne auprès des Nations Unies à Genève, a assuré que son pays soutenait le Comité dans son action et a rappelé qu’il contribuait au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.
Présentant le rapport de l’Allemagne, MME ALMUT WITTLING VOGEL, cheffe de la Direction des droits de l’homme, du droit de l’Union européenne et du droit international au Ministère fédéral de la justice et de la protection des consommateurs de l’Allemagne – et également Représentante du Gouvernement fédéral pour toutes les questions relatives aux droits de l’homme –, a mis en avant un certain nombre d’aspects qu’elle a jugés particulièrement importants pour l’évaluation de la protection des droits de l’homme en Allemagne. Elle a d’abord fait état de progrès s’agissant de la détention préventive. Elle a expliqué que les autorités fédérales et celles des États fédérés – les Länder – avaient adopté dans ce domaine de nouvelles lois et consacré quelque 200 millions d’euros à la construction de nouveaux lieux de détention. De même, de nombreux personnels supplémentaires ont été recrutés, dotés des qualifications nécessaires aux personnes en détention préventive. La réforme clarifie une fois pour toutes la différence entre détention pénale et détention préventive, l’objectif étant de protéger le grand public contre les personnes dangereuses. Cette réforme a été saluée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans une décision rendue en décembre 2018, a fait valoir Mme Vogel.
S’agissant des enquêtes indépendantes sur les allégations de comportements criminels de policiers allemands, Mme Vogel a assuré que son pays était conscient des préoccupations soulevées par le Comité par le passé. En pratique, les Länder ont pris des mesures pour améliorer les mécanismes de plainte pertinents; ils font de plus en plus appel aux nouveaux Médiateurs publics, des organes indépendants auxiliaires des Parlements des Länder,a-t-elle expliqué. Elle a précisé que des enquêtes pénales, ainsi qu’une enquête parlementaire, avaient été ouvertes au sujet des incidents violents entre manifestants et policiers lors de la tenue du G20 à Hambourg en 2017.
Mme Vogel a d’autre part indiqué que l’Allemagne soutenait fermement la justice pénale internationale: une part importante des efforts allemands dans ce domaine est consacrée à la poursuite des crimes internationaux devant les tribunaux domestiques, conformément au principe de juridiction universelle. En 2008, le parquet fédéral s’est doté d’une unité spécialisée dans les enquêtes sur les crimes de guerre, a souligné Mme Vogel. Conformément au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le Code des crimes contre le droit international autorise les autorités allemandes à poursuivre des actes de torture; le parquet fédéral a déjà obtenu la condamnation, par des tribunaux régionaux, de trois personnes convaincues de crimes de guerre et d’actes de torture: un membre du soi-disant État islamique et deux membres de milices syriennes. Le parquet fédéral enquête actuellement sur 80 cas, dont quinze ont donné lieu à l’émission de mandats d’arrêts.
Par ailleurs, Mme Vogel a prié la Comité d’excuser son pays pour le retard pris dans la présentation du rapport – une présentation qui aurait dû intervenir en novembre 2015. Mais des événements aux conséquences imprévisibles sont survenus, en particulier le grand nombre de réfugiés ayant atteint l’Europe cette année-là, qui ont empêché son pays de remettre le rapport en temps voulu, a expliqué Mme Vogel.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. CLAUDE HELLER ROUASSANT, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Allemagne, a d’abord relevé que, de toute évidence, la pratique de la torture était inexistante en Allemagne, et a ajouté que la situation dans les prisons allemandes était régie conformément aux normes internationales. Cependant, le Comité a reçu des informations faisant état de la commission d’actes de violence par des membres de forces de l’ordre, en particulier lors du G20 qui s’est tenu à Hambourg en 2017, ainsi que du recours à des méthodes coercitives dans certains lieux de détention, y compris des lieux de détention destinés aux migrants.
D’autre part, a poursuivi le corapporteur, l’Allemagne est confrontée – depuis quelques années et de son propre aveu – à de nouveaux problèmes en matière d’expressions racistes et d’attitudes discriminatoires, s’agissant notamment de l’antisémitisme, de l’islamophobie et des discours haineux prononcés par certains groupes de la société et qui sont incompatibles avec le système juridique et les valeurs fondamentales de l’Allemagne. Ces tensions sont liées d’une certaine manière au problème des migrations et aux difficultés d’intégration d’un nombre élevé de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile, a ajouté M. Heller Rouassant.
S’agissant du cadre institutionnel régissant l’application de la Convention par l’Allemagne, le corapporteur a fait observer que la définition de la torture donnée par le droit allemand ne répondait pas pleinement à celle énoncée par la Convention. En particulier, M. Heller Rouassant a regretté que le Code pénal allemand ne fournisse pas de définition spécifique couvrant les actes de torture qui seraient commis dans d’autres circonstances que celles couvertes par le Code des crimes contre le droit international – ce dernier Code ne couvrant que les actes de torture dans le cadre d’un conflit armé ou d’une attaque systématique contre des civils.
M. Heller Rouassant a pointé d’autre part un vide juridique relatif s’agissant de la poursuite de citoyens allemands qui se rendent coupables d’actes de torture dans des pays tiers. Il a regretté à ce propos l’impunité dont jouit, de fait, un citoyen allemand ayant avoué avoir participé à des actes de torture dans la Colonia Dignidad, au Chili, pendant la dictature d’Augusto Pinochet: l’Allemagne ayant refusé – en vertu de l’article 2 de la Constitution allemande qui interdit l’extradition de ressortissants allemands – d’accéder à la demande d’extradition de cette personne que lui avait transmise le Chili, cette personne vit actuellement en liberté et l’enquête sur ce dossier a été close en janvier dernier, le procureur estimant qu’il n’y avait pas assez d’éléments. Le corapporteur a par la suite estimé que cette affaire témoignait des lacunes existant dans le droit allemand en matière de prévention et de poursuite des actes de torture.
M. Heller Rouassant a ensuite relevé que l’Allemagne disposait de trois grandes institutions pour protéger les droits fondamentaux: un organe fédéral de lutte contre la discrimination, une agence nationale de prévention de la torture et l’Institut des droits de l’homme. Il a voulu savoir si les autorités allemandes entendaient étendre le mandat de l’Institut au contrôle de l’application de la Convention contre la torture, en lui octroyant le pouvoir de recevoir les plaintes pour violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État. Le corapporteur s’est aussi interrogé sur les critères de sélection des membres de cet Institut.
M. Heller Rouassant a par ailleurs relevé que plusieurs centaines de lieux de détention gérés par les forces armées, les douanes et la police allemandes abritent plus de 25 000 personnes. Dans ce contexte, l’Agence nationale de prévention de la torture a critiqué l’utilisation de méthodes restrictives ou coercitives physiques; elle a constaté, dans certains lieux de détention des Länder, des conditions constituant autant de violations de la dignité humaine, eu égard en particulier à la vétusté des installations, certaines prisons remontant au XIXe siècle.
Le corapporteur s’est fait l’écho de préoccupations exprimées par certaines organisations face à l’absence d’enquêtes indépendantes et efficaces sur les dénonciations d’actes de torture, une préoccupation relayée également par la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme dans un courrier adressé aux autorités allemandes.
M. Heller Rouassant a ensuite relevé que l’Allemagne faisait un travail de prévention de l’extrémisme et de déradicalisation. Mais il a souhaité connaître le point de vue des autorités allemandes face à l’affirmation selon laquelle certaines mesures antiterroristes de grande portée adoptées en réponse à l’attaque perpétrée contre un marché de Noël à Berlin en décembre 2016 compromettraient le droit à un jugement impartial, le droit à l’intimité et le droit à la liberté de circulation. D’autres informations émanant de la société civile critiquent également l’Allemagne pour avoir facilité l’utilisation de drones par un pays tiers en permettant que soit utilisée la base aérienne de Ramstein, dans le Land de Rhénanie-Palatinat, pour mener des opérations dans six pays, certaines des attaques ainsi menées ayant visé des zones où il n’y avait aucun conflit armé et n’ayant eu pour seul objectif que d’éliminer de manière sélective – en violation du droit international – des individus considérés comme des terroristes. Or, il semblerait que le 19 mars dernier, la Haute Cour administrative de ce Land se soit prononcée sur une plainte déposée par des citoyens du Yémen contre l’Allemagne pour présumée participation de l’Allemagne au programme de drones d’une puissance étrangère s’agissant de faits survenus en 2012 et que cette Haute Cour ait statué que l’Allemagne était constitutionnellement tenue de déterminer si les attaques de drones à partir de cette base aérienne sont compatibles avec le droit international, a fait observer M. Heller Rouassant, avant de s’enquérir des commentaires de la délégation allemande à ce sujet.
D’autre part, le Land de Bavière a porté de 14 jours à une durée maximum de trois mois la période durant laquelle il est possible de placer en détention administrative sans charges un « attaquant potentiel », a déploré le corapporteur.
M. Heller Rouassant a ensuite salué le « leadership humanitaire » dont a fait preuve l’Allemagne au travers de ses importants et généreux efforts associés à la réception d’un grand nombre de requérants d’asile et de réfugiés depuis 2015. Néanmoins, a-t-il fait observer, en dépit de la détérioration de la situation en Afghanistan, les autorités allemandes ont continué à renvoyer vers leur pays des personnes de citoyenneté afghane dont les demandes d’asile avaient été rejetées – ce qui concerne 121 personnes. En outre, des ONG ont critiqué certains aspects du système d’expulsion en vigueur en Allemagne après qu’eurent été dénoncés plusieurs cas de requérants d’asile renvoyés dans leur pays d’origine alors même que leur cas n’avait pas encore été fini d’être évalué – l’un de ces cas concernant un Tunisien qui a été expulsé en dépit d’une décision de justice qui bloquait son renvoi en raison d’un risque d’exposition à la torture.
M. Heller Rouassant a voulu savoir si des personnels médicaux dûment formés étaient chargés d’examiner les requérants d’asile potentiellement victimes de torture dans leur pays d’origine. Le corapporteur a ensuite fait part de préoccupations devant les violences exercées contre les réfugiés et requérants d’asile en Allemagne, même si ce phénomène est en recul par rapport à ce qu’il était il y a quelques années. Il a dit que le Comité était informé de la participation de mouvements d’extrême droite, voire néonazis, dans ces violences. Le corapporteur a demandé des informations sur le durcissement qu’il est question d’opérer dans les conditions d’accueil des réfugiés.
M. Heller Rouassant a aussi prié la délégation d’informer le Comité des suites données à la plainte déposée, en Allemagne, contre 27 membres de la police militaire syrienne pour des crimes commis dans la prison de Saydnaya, entre autres.
Le corapporteur s’est en outre enquis du financement des soins de santé mentale offerts aux réfugiés et demandeurs d’asile victimes de torture, ainsi que de la réaction du Gouvernement fédéral au cas du journaliste Jamal Kashoggi.
M. BAKHTIYAR TUZMUKHAMEDOV, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport allemand, a félicité l’Allemagne pour avoir présenté un rapport bien rédigé et complet. Mais il a relevé des divergences entre la manière dont la torture est couverte dans la législation fédérale allemande et la définition figurant dans la Convention: la définition allemande ne couvre en effet qu’une fraction des éléments constitutifs de la torture elle-même. La torture doit être traitée comme un crime autonome, englober tous les éléments constitutifs mentionnés dans la Convention et faire l’objet de sanctions adaptées à la gravité de ce crime, a insisté le corapporteur.
Le corapporteur a ensuite regretté que le Tribunal constitutionnel fédéral allemand n’ait jamais, dans ses arrêts, cité le Comité en tant que source secondaire. Il a constaté, d’autre part, que certains tribunaux allemands avaient exprimé des réserves pour ce qui est de reconnaître les avis et recommandations des organes de traités des Nations Unies.
M. Tuzmukhamedov a recommandé que tous les fonctionnaires chargés des questions d’asile et de surveillance de personnes détenues soient formés à l’application du Protocole d’Istanbul (manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). Il a en outre prié la délégation de dire quelle formation à la Convention contre la torture était dispensée aux soldats allemands engagés dans des opérations à l’extérieur du territoire national; il a regretté que ces soldats ne reçoivent aucune instruction sur le droit international humanitaire.
M. Tuzmukhamedov a également regretté que, selon l’Agence nationale allemande de prévention de la torture, la loi de certains Länder autorise encore la détention de personnes sans que ces personnes ne bénéficient de toutes les garanties procédurales, notamment le droit d’être informées dans une langue qu’elles comprennent des charges pesant contre elles; le droit de ne rien dire à la police; et le droit de bénéficier des conseils d’un avocat.
M. Tuzmukhamedov a insisté sur le fait que le Comité avait pour mission d’orienter les États au sujet de l’adoption de mesures juridiques visant à éradiquer la torture sous toutes ses formes. Il a d’autre part prié la délégation de commenter le cas particulier d’un juge ayant infligé de graves souffrances psychologiques à une femme victime de viol, l’obligeant à visionner un enregistrement du crime qu’elle avait subi.
Une autre experte s’est inquiétée de certains cas d’expulsion de requérants d’asile en Allemagne. Elle a en outre souligné qu’un groupe de correspondants étrangers en Allemagne avait déposé un recours devant le Tribunal constitutionnel fédéral contre le pouvoir de surveillance des communications octroyé aux services allemands de renseignement.
Une experte a fait part de sa préoccupation face à l’intensification des agressions visant des migrants et des réfugiés en Allemagne. Elle a voulu savoir si le Gouvernement prenait les mesures nécessaires pour prévenir ces violences et protéger les personnes concernées. L’experte a aussi demandé combien de personnes avaient été condamnées en Allemagne pour des crimes commis en Syrie contre la communauté yézidie, notamment.
D’autres questions des experts ont porté sur la complicité d’agents de police allemands avec des groupes d’extrémistes de droite; sur le sort de citoyens allemands actuellement détenus au Kurdistan et accusés de crimes contre l’humanité; et sur le pourcentage de migrants accueillis de fraîche date qui sont victimes de violence extrémiste en Allemagne.
Réponses de la délégation
La délégation a précisé que la structure de l’Institut allemand des droits de l’homme était définie par une loi fédérale. Sa direction est assurée par deux personnes indépendantes, choisies sur dossier et nommées par le comité de direction de l’Institut. Ce comité de direction est, lui-même, composé de membres indépendants – scientifiques, délégués d’ONG, par exemple –, élus par le forum national des droits de l’homme (Forum Menschenrechte), ainsi que de représentants du Gouvernement, non élus.
Répondant à la question d’un expert, la délégation a précisé que le Gouvernement de coalition actuel était en train de légiférer pour éviter les interventions chirurgicales inutiles sur les enfants intersexes. Le Ministère de la famille informe les familles sur la manière de répondre aux besoins des enfants intersexes sans recourir à l’intervention chirurgicale.
S’agissant d’attaques de drones qui seraient perpétrées dans des pays tiers à partir du territoire allemand, la délégation a précisé que les engins en question sont en réalité dirigés depuis les États-Unis par des soldats américains; seul un relais technique est opérationnel dans la base de Ramstein, en Allemagne. Saisis, les tribunaux allemands ont demandé aux autorités fédérales d’éclaircir la situation juridique concernant cette question, a ajouté la délégation.
S’agissant du mécanisme national de prévention de la torture, la délégation a relevé que le Gouvernement fédéral comprenait les arguments des organisations non gouvernementales qui estiment que le budget de cette institution est trop faible. Mais, le financement étant assuré par les autorités fédérales et par les Länder, toute augmentation doit être négociée avec ces derniers, a fait observer la délégation.
L’«internement de sûreté» correspond en Allemagne à la détention préventive, a par ailleurs expliqué la délégation. Cet aspect a fait l’objet de la réforme évoquée dans la déclaration liminaire de Mme Vogel, a ajouté la délégation. La délégation a par la suite précisé que la question de l’«internement de sûreté» avait fait l’objet de plusieurs arrêts et décisions des tribunaux suprêmes allemands et de la Cour européenne des droits de l’homme. La dernière décision est intervenue en 2014: elle a entraîné une modification en profondeur du dispositif. Désormais, cette forme de détention est limitée à certains crimes graves. Le but de cette mesure est de protéger le public contre un grand danger, comme par exemple contre des agressions sexuelles. Il est important de souligner qu’il n’est désormais plus possible d’ordonner un internement de sûreté après que la peine de détention principale a été accomplie, a fait valoir la délégation.
La délégation a longuement décrit les activités du Médiateur entre la police et la population du Schleswig-Holstein, un organe indépendant sur le plan administratif et placé sous la supervision du Président du Parlement de ce Land. Le Médiateur reçoit les plaintes non seulement des citoyens mais aussi des policiers eux-mêmes; il émet ensuite des recommandations au Parlement. Les plaintes du public portent en général sur des incivilités commises par des agents de police, des retards dans les procédures; mais des cas de sévices corporels sont aussi parfois dénoncés, a précisé la délégation.
S’agissant d’aspects normatifs, la délégation a confirmé que, pour la Cour constitutionnelle fédérale, les avis des organes conventionnels ne sont en effet pas contraignants; mais cela n’enlève rien à l’importance du dialogue avec les comités, auquel les autorités allemandes tiennent beaucoup, a ajouté la délégation.
Tous les faits constitutifs de la torture étant déjà couverts par la loi, le Gouvernement fédéral « maintient qu’il n’est pas nécessaire d’ériger la torture en infraction spécifique dans le droit pénal allemand », a par ailleurs expliqué la délégation.
La délégation a ensuite indiqué que dans l’affaire de la Colonia Dignidad, au Chili, les tribunaux allemands n’avaient pas été en mesure de prouver la complicité du prévenu. L’Allemagne n’a pas ménagé ses efforts pour faire la lumière sur ce qui s’est passé dans la Colonia Dignidad, en coopération avec les autorités chiliennes; les deux pays ont créé des commissions d’enquête et un mécanisme de compensation pour les victimes, a précisé la délégation.
Les autorités allemandes estiment que le port d’un insigne personnel par les policiers n’est pas le seul moyen d’identifier les agents en cas de besoin. Les Länder appliquent leurs propres règles dans ce domaine, a-t-il été précisé. Le port d’un insigne n’est pas obligatoire dans la police fédérale et l’on ne signale pas de cas où il aurait été impossible d’identifier un agent faisant l’objet d’une plainte, a assuré la délégation. (La police des Länder est chargée des enquêtes visant des membres de la police fédérale, a-t-il été précisé: les différents corps sont en effet indépendants les uns des autres.)
L’action de l’Allemagne contre la traite de personnes est en train d’être examinée par le Conseil de l’Europe, a fait savoir la délégation. Dans ce domaine, le Gouvernement de coalition fédéral favorise la coopération avec les Länder pour améliorer la protection des catégories de personnes à risque, notamment les enfants. La création d’une instance chargée d’établir un rapport national sur la traite est à l’étude, a indiqué la délégation.
Des organisations non gouvernementales ont en effet critiqué les lois et mesures antiterroristes qui reviennent à limiter certaines libertés, a confirmé la délégation. Mais, a-t-elle souligné, ces limitations sont compatibles avec les obligations de l’Allemagne au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, entre autres instruments internationaux; en outre, ces mesures peuvent faire l’objet de recours de la part des personnes concernées.
Répondant ensuite aux questions relatives à l’asile, la délégation a indiqué que les autorités fédérales se prononcent sur les demandes, les Länder étant responsables pour leur part du logement des requérants dans des centres d’accueil, dont ils assurent la gestion et le financement. Ces centres ne sont pas fermés: les personnes ont le droit d’aller et venir comme bon leur semble, dans une certaine mesure, a ajouté la délégation. Les autorités fédérales ont en outre promis de fournir des services linguistiques et d’identification des personnes.
La délégation a ensuite précisé que plus de 180 000 personnes sont en instance de renvoi, après que leurs demandes d’asile eurent été refusées. L’Allemagne rencontre de nombreux obstacles concrets concernant ces renvois; en effet, une grande partie d’entre eux est impossible à opérer du fait de la disparition des personnes concernées. C’est pourquoi la question de la détention, ou rétention, des personnes expulsables et risquant de fuir se pose avec une grande acuité à l’heure actuelle, a expliqué la délégation, avant d’ajouter que les autorités adoptaient une attitude pragmatique dans ce domaine.
Les autorités vérifient toujours, de manière minutieuse, que les exigences liées aux conditions du renvoi d’une personne dans son pays d’origine sont bien réunies. C’est ainsi que les renvois vers l’Afghanistan ont été suspendus pendant un temps, au vu de la situation sécuritaire difficile dans ce pays, a souligné la délégation, avant d’assurer qu’aucune personne vulnérable n’avait été renvoyée vers ce pays. La délégation a fourni d’autres explications concernant les renvois vers la Tunisie. Quant aux renvois vers la Grèce dans le cadre de la procédure dite de Dublin, ils ont repris, a-t-elle ajouté: mais seules dix personnes ont ainsi été renvoyées en deux ans.
Toujours au sujet de l’asile, la délégation a précisé que deux projets pilotes étaient en cours pour améliorer la procédure et la prise en charge des requérants. Elle a ajouté que l’Allemagne s’était récemment engagée envers l’Union européenne à accueillir, en 2018 et 2019, 10 200 personnes venant de Turquie, de Libye et du Proche-Orient.
La délégation a par la suite assuré que les autorités allemandes ne se fiaient qu’aux seules assurances diplomatiques émanant de gouvernements « fiables » - des gouvernements dont l’Allemagne est sûre qu’ils respectent les traités internationaux pertinents en matière de droits de l’homme, par exemple. Sans confiance, l’Allemagne n’entre pas en matière, a assuré la délégation.
S’agissant ensuite de questions relatives à la prévention de la torture, la délégation a notamment fait savoir que le Protocole d’Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) avait été traduit en allemand. Elle a fourni d’autres renseignements concernant la formation dispensée aux personnels médicaux chargés de la prise en charge des migrants et des réfugiés, précisant que cette formation portait également sur le Protocole susmentionné.
La délégation a en outre précisé que les mêmes règles concernant la contention s’appliquaient, dans toute l’Allemagne, aux personnes tant détenues que placées dans en institution.
Concernant l’affaire Kashoggi, la délégation a indiqué que le Gouvernement allemand avait, en mars dernier, prolongé la suspension des exportations de matériel militaire vers l’Arabie saoudite.
S’agissant du cas évoqué par M. Tuzmukhamedov, la délégation a indiqué que le Gouvernement fédéral ne commentait pas les affaires judiciaires; mais elle a souligné que les magistrats suivaient des formations continues en matière, notamment, de droit pénal relatif aux violences sexuelles et de protection des victimes.
La formation de base des militaires allemands comprend un enseignement à la prévention de la torture, a assuré la délégation. L’interdiction de la torture est aussi clairement exprimée dans le manuel destiné aux soldats engagés à l’étranger; la Convention contre la torture y est bel et bien mentionnée, sinon dans le corps du texte, du moins en note de bas de page, parmi les autres sources d’obligations pour l’Allemagne.
Répondant aux questions sur les violences contre les réfugiés et les étrangers, la délégation a confirmé que ce problème était en retrait depuis deux ans, l’ampleur du problème étant aujourd’hui comparable à la situation qui prévalait avant l’arrivée de nombreux réfugiés en 2015. Les autorités veillent à assurer la sécurité physique des foyers de requérants; elles ont adopté des normes minimales de protection des femmes et des enfants vivant dans ces foyers et elles analysent les motivations des auteurs de violences contre les étrangers.
L’Allemagne entend poursuivre en justice ses ressortissants ayant combattu pour l’État islamique et les autorités allemandes collaborent à cette fin avec les autorités des pays qui détiennent actuellement ces personnes, a enfin indiqué la délégation, avant d’évoquer brièvement le procès en cours, en Allemagne, d’une citoyenne allemande impliquée dans le décès d’un enfant à Mossoul des suites de mauvais traitements.
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