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Examen de l’Ukraine au CAT : les experts saluent la désignation d'inspecteurs des droits de l'homme dans les lieux de détention, mais s’inquiètent d’allégations de torture dans le contexte du conflit armé

Compte rendu de séance

 

Le Comité contre la torture (CAT, selon l’acronyme anglais) a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par l’Ukraine au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant.

Au cours du dialogue noué entre les experts membres du Comité et la délégation ukrainienne venue soutenir ce rapport, un expert a salué la désignation en 2024, en Ukraine, d'inspecteurs des droits de l'homme dans les lieux de détention, estimant que cela devrait contribuer à la prévention de la torture et garantir la conduite de toutes les enquêtes nécessaires. Il a en outre jugé positive la ratification par l’Ukraine de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

L’expert s’est ensuite enquis des progrès accomplis dans les enquêtes concernant les manifestations du Maïdan et les événements survenus à Odessa et à Marioupol en mai 2014 ; du sort réservé à des officiers de l’armée ukrainienne condamnés en 2017 pour des crimes graves de torture, de violence sexuelle et d'enlèvement commis entre décembre 2014 et juin 2015 dans les régions de Lougansk et Donetsk ; et des suites données aux accusations portées contre des unités de volontaires qui seraient responsables d'actes de torture, tel le « bataillon Azov » à Marioupol en 2017.

La plupart des plaintes pour torture sont examinées au titre de l'article 365 du Code pénal ukrainien, relatif à l'abus d'autorité, et non au titre de l'article 127, relatif au crime de torture, a par ailleurs fait remarquer cet expert. Il a par ailleurs relevé que le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT) avait fait état de nombreuses allégations d'actes commis sous le contrôle des services de sécurité de l'État, pendant des périodes de détention « non officielle » et d'interrogatoires de détenus, qui équivaudraient à des actes de torture ou à des mauvais traitements. Il a en outre estimé que les garanties juridiques interdisant l’obtention d’aveux par la torture étaient en l’état insuffisantes.

Cet expert a d’autre part relevé que la plupart des détenus ukrainiens aux mains des forces russes étaient emprisonnés dans de mauvaises conditions, et a également cité des rapports faisant état, notamment, de torture généralisée de civils dans les zones sous contrôle russe et dans les centres de détention en Fédération de Russie. Parallèlement, a-t-il ajouté, selon une enquête confidentielle et fiable de l’ONU, depuis février 2022, 242 prisonniers de guerre russes ou membres de groupes armés ukrainiens pro-russes ont dit avoir été torturés pendant le conflit armé.

L’expert s’est en outre interrogé sur la privation de liberté de citoyens ukrainiens détenus pour des crimes commis dans le cadre du conflit armé, en particulier des personnes soupçonnées de « collaboration active ».

Un autre membre du Comité a voulu savoir si les dérogations aux droits de l’homme adoptées par l’Ukraine dans le cadre de la loi martiale avaient une incidence sur le respect des obligations découlant de la Convention. En vertu de la Convention, a-t-il par ailleurs souligné, même si des actes de torture commis à l'encontre de soldats et de civils ukrainiens sont attribués à la Fédération de Russie et non à l'Ukraine, cette dernière a toujours l'obligation positive de documenter les mauvais traitements, d’en rechercher les auteurs et de faciliter l’accès des victimes ukrainiennes aux mécanismes de réparation. Or, a dit l’expert, il est signalé que les mécanismes existants ne permettent pas d'assurer la réparation et la réadaptation de toutes les victimes ukrainiennes de torture.

L’expert a par ailleurs fait part d’autres préoccupations relatives à des actes de torture ou mauvais traitements liés à la conscription, depuis que l'Ukraine a lancé une mobilisation à grande échelle après l'invasion russe en 2022.

Le Comité est informé que les prisons ukrainiennes sont en train de devenir des foyers de torture et de corruption, a également indiqué cet expert. 

Présentant le rapport de son pays, Mme Liudmyla Suhak, Ministre adjointe de la justice pour l’intégration européenne de l’Ukraine, a notamment évoqué l’alignement des normes du Code pénal relatives à la définition de la torture sur les dispositions de la Convention ; l’introduction de la responsabilité pénale pour le crime de disparition forcée ; ou encore le fait que le Code de procédure pénale impose désormais la nomination obligatoire de personnes chargées de garantir les droits des détenus dans les organes d'enquête préliminaire.

La Ministre adjointe a par ailleurs indiqué qu’en 2023, un nouveau règlement intérieur des centres de détention provisoire de la police nationale avait été adopté : il stipule notamment que les actes des policiers à l'égard des détenus sont incompatibles avec la torture ou d'autres formes de traitement inhumain. Mme Suhak a souligné que son pays était transparent s’agissant du respect des droits de l’homme en détention et garantissait un accès sans entrave aux mécanismes de surveillance nationaux et internationaux.

En 2024, a par ailleurs indiqué la cheffe de délégation, le Code pénal a été modifié afin de garantir les poursuites pénales pour les crimes internationaux les plus graves (crime de génocide, crime d'agression, crimes contre l'humanité et crimes de guerre) et d'aligner ledit Code sur les dispositions du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui est entré en vigueur pour l'Ukraine en 2025. Les conditions de détention des prisonniers de guerre russes dans les camps prévus à cet effet sont conformes aux normes fondamentales du droit international humanitaire, a assuré Mme Suhak, rappelant que les camps ont été inspectés à de nombreuses reprises par des mécanismes de surveillance internationaux. Elle a condamné le fait que, malgré les nombreux appels lancés par les mécanismes internationaux de défense des droits de l'homme, « les autorités russes refusent toujours l'accès aux prisonniers de guerre ukrainiens, ainsi qu'aux détenus civils, qu’elles détiennent en violation du droit international humanitaire ».

La délégation ukrainienne était également composée, entre autres, de M. Yevhenii Tsymbaliuk, Représentant permanent de l’Ukraine auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants des Ministères des affaires étrangères, de la défense, de la justice, et de la politique sociale. Étaient aussi représentés l’Institut de médecine légale psychiatrique, le Bureau d’enquête de l’État, ainsi que la police, le service de l’immigration et le parquet ukrainiens.

Pendant ce dialogue, la délégation a notamment indiqué qu’il avait été établi, sur la base de témoignages et d’examens médico-légaux, que les prisonniers de guerre ukrainiens en Fédération de Russie subissaient systématiquement différentes formes de mauvais traitements dans les centres de détention. En 2024, a-t-elle précisé, les autorités ukrainiennes ont ainsi établi que plus de 4000 prisonniers de guerre ukrainiens avaient été victimes de torture en Fédération de Russie. Pour sa part, l’Ukraine applique plusieurs mesures pour éviter toute dérive dans le traitement des prisonniers de guerre russes, a ajouté la délégation. Elle a mentionné en particulier l’introduction d’un protocole que doit suivre la police militaire entre le moment de la capture et le transfert des prisonniers vers les lieux de détention.

La délégation a aussi indiqué que le Gouvernement ukrainien avait créé un service de sécurité intérieure comptant quelque 250 officiers de renseignement chargés de détecter et de dénoncer tous les actes illégaux commis par le personnel des prisons et par les détenus. Par ailleurs, a-t-il été souligné, pour empêcher toute accusation infondée et pour mieux respecter les droits des personnes placées sous le contrôle de la police, cette dernière a mis en place des contrôles des activités dans les commissariats ou centres de détention provisoires, en particulier des registres d’écrou électroniques.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Ukraine et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 2 mai prochain.

 

Mardi 29 avril, à 15 heures, le Comité se penchera sur le suivi des articles 19 et 22 de la Convention et sur la question des représailles.

 

Examen du rapport de l’Ukraine 

Le Comité est saisi du septième rapport périodique de l’Ukraine (CAT/C/UKR/7), document établi sur la base d’une liste de points à traiter qui avait été soumise au pays par le Comité.

Présentation

Présentant le rapport de son pays, MME LIUDMYLA SUHAK, Ministre adjointe de la justice pour l’intégration européenne de l’Ukraine, a d’abord insisté sur le fait que les mesures visant à prévenir et à combattre la torture dans son pays étaient appliquées dans le cadre d'une approche systémique, par le biais en particulier d’une Stratégie de lutte contre la torture dans le système pénal, approuvée en 2021 et qui définit les orientations pour l'élaboration d'un système national de lutte contre la torture commise par les forces de l'ordre.

Mme Suhak a ensuite évoqué l’alignement des normes du Code pénal relatives à la définition de la torture sur les dispositions de la Convention ; l’introduction de la responsabilité pénale pour le crime de disparition forcée ; ou encore le fait que le Code de procédure pénale impose désormais la nomination obligatoire de personnes chargées de garantir les droits des détenus dans les organes d'enquête préliminaire.

La Ministre adjointe a par ailleurs indiqué qu’en 2023, un nouveau règlement intérieur des centres de détention provisoire de la police nationale avait été adopté : il stipule notamment que les actes des policiers à l'égard des détenus sont incompatibles avec la torture ou d'autres formes de traitement inhumain. Mme Suhak a souligné que son pays était transparent s’agissant du respect des droits de l’homme en détention et garantissait un accès sans entrave aux mécanismes de surveillance nationaux et internationaux : en 2024, le mécanisme national de prévention de l'Ombudsman a ainsi effectué 543 visites dans des établissements pénitentiaires, et la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations Unies en Ukraine, 44 visites entre 2018 et 2024.

La cheffe de la délégation a également mentionné les efforts déployés par l’Ukraine pour mettre en place un système de justice pour mineurs adapté aux enfants, ainsi que l’aide juridictionnelle offerte aux victimes de torture ou de traite des êtres humains. Elle a ajouté qu’un Commissaire aux personnes disparues dans des circonstances particulières avait été nommé en 2024 au sein du Ministère de l'intérieur et qu’une unité spécialisée dans la lutte contre la torture avait été créée au sein du Bureau national d'enquête. Au sein du Bureau du Procureur général, des unités spécialisées ont été créées pour lutter contre les violations des droits de l'homme dans les secteurs de l'application de la loi et pénitentiaire, ainsi que pour lutter contre les crimes commis dans le contexte du conflit armé.

Mme Suhak a mentionné la création de programmes sociaux publics visant à prévenir et à combattre la violence domestique et la violence sexiste, ainsi qu'à lutter contre la traite des êtres humains.

La Ministre adjointe a attiré l'attention du Comité sur les modifications apportées à la loi en raison de l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine et des crimes de guerre et crimes d'agression commis par des représentants de l'État agresseur sur le territoire de l'Ukraine. En 2024, a-t-elle indiqué, le Code pénal a été modifié afin de garantir les poursuites pénales pour les crimes internationaux les plus graves (crime de génocide, crime d'agression, crimes contre l'humanité et crimes de guerre) et d'aligner ledit Code sur les dispositions du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui est entré en vigueur pour l'Ukraine en 2025.

De plus, a poursuivi la cheffe de délégation, en 2022, la procédure relative à la détention des prisonniers de guerre a été approuvée. Elle stipule, entre autres, que les interrogatoires des prisonniers de guerre doivent être menés dans une langue qu'ils comprennent, sans recours à la torture ou à d'autres mesures coercitives. Les conditions de détention des prisonniers de guerre russes dans les camps prévus à cet effet sont conformes aux normes fondamentales du droit international humanitaire, a assuré Mme Suhak. Les camps ont été inspectés à de nombreuses reprises par des mécanismes de surveillance internationaux, y compris 112 fois par le Comité international de la Croix-Rouge, a-t-elle souligné. Elle a condamné le fait que, malgré les nombreux appels lancés par les mécanismes internationaux de défense des droits de l'homme, « les autorités russes refusent toujours l'accès aux prisonniers de guerre ukrainiens, ainsi qu'aux détenus civils, qu’elles détiennent en violation du droit international humanitaire ».

Mme Suhak a précisé que son pays soutenait les victimes et les personnes touchées par l'agression armée. Depuis 2022, les victimes d'infractions pénales contre la liberté et l'intégrité sexuelle, de torture ou de traitements cruels, ou privées de liberté à la suite de l'agression armée contre l'Ukraine, ont droit à une aide juridique secondaire gratuite. En 2024, le statut juridique des victimes de violences sexuelles liées à l'agression armée contre l'Ukraine et la base juridique pour leur accorder des réparations provisoires d'urgence ont été déterminés au niveau législatif.

Questions et observations des membres du Comité

M. CLAUDE HELLER, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Ukraine, a d’abord dressé un bilan des pertes humaines depuis l'invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie le 24 février 2022, en violation flagrante du droit international et de la Charte des Nations Unies. Le Comité, a indiqué M. Heller, est conscient de la complexité de l'examen de ce rapport en raison de la chaîne d'événements qui s'est déroulée depuis l'examen du sixième rapport périodique du pays en novembre 2014. Le Comité doit également tenir compte de la dimension interne des défis auxquels l'Ukraine a été confrontée dans la mise en œuvre de la Convention contre la torture, a-t-il souligné.

M. Heller a ensuite salué la désignation en 2024 d'inspecteurs des droits de l'homme dans les lieux de détention afin de veiller au respect des droits de l'homme, d'examiner les plaintes et de signaler les violations des droits de l'homme à l'administration : cela devrait contribuer à la prévention de la torture et garantir la conduite de toutes les enquêtes nécessaires, a estimé l’expert. Il a également jugé positive la ratification par l’Ukraine de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

M. Heller a rappelé que, dans ses précédentes observations finales, le Comité s’était dit préoccupé par le fait que tous les éléments constitutifs du crime de torture, tels que définis à l'article premier de la Convention, n'avaient pas été incorporés dans le Code pénal ukrainien. En particulier, la responsabilité exclusive de l'État dans les actes de torture infligés par un agent public ou toute autre personne dans l'exercice de ses fonctions officielles n'est pas clairement établie à l'article 127 du Code pénal, a relevé l’expert.

M. Heller a fait part d’autres préoccupations relatives au manque de moyens financiers et humains à la disposition de l’institution nationale de droits de l’homme ukrainienne (Ombudsman), ainsi qu’au manque de transparence dans la sélection des membres de cette institution. S’agissant du mécanisme national de prévention de la torture (MNP), des critiques portent notamment sur sa méthodologie inadéquate et ses contacts limités avec la société civile, a fait remarquer l’expert.

M. Heller s’est ensuite enquis des progrès accomplis dans les enquêtes concernant les manifestations du Maïdan et les événements survenus à Odessa et à Marioupol en mai 2014 – sources de préoccupation en raison des pertes en vies humaines et des allégations d'usage excessif de la force, a-t-il souligné.

M. Heller a fait part d’autres préoccupations relatives au respect, par le Bureau d’enquête de l’État (SBI) et par le Bureau du Service de sécurité de l’Ukraine (SSU), des normes et procédures en matière de détection et de documentation des signes de torture conformément à la version révisée du Protocole d'Istanbul. La plupart des plaintes pour torture sont examinées au titre de l'article 365 du Code pénal ukrainien, relatif à l'abus d'autorité, et non au titre de l'article 127, relatif au crime de torture, a fait remarquer l’expert.

M. Heller a par ailleurs relevé que le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT) avait fait état de nombreuses allégations d'actes commis sous le contrôle des services de sécurité de l'État, pendant des périodes de détention « non officielle » et d'interrogatoires de détenus, qui équivaudraient à des actes de torture ou à des mauvais traitements. Il a en outre estimé que les garanties juridiques interdisant l’obtention d’aveux par la torture étaient en l’état insuffisantes.

M. Heller s’est ensuite enquis du sort réservé à des officiers de l’armée ukrainienne condamnés en 2017 pour des crimes graves de torture, de violence sexuelle et d'enlèvement commis entre décembre 2014 et juin 2015 dans les régions de Lougansk et Donetsk. Il s’est également enquis des suites données aux accusations portées contre des unités de volontaires qui seraient responsables d'actes de torture, tel le « bataillon Azov » à Marioupol en 2017.

M. Heller a relevé que la plupart des détenus ukrainiens aux mains des forces russes étaient emprisonnés dans de mauvaises conditions, sans accès à une alimentation ni à des soins médicaux adéquats. L’expert a cité des rapports de la Commission internationale d'enquête indépendante faisant état, notamment, de torture généralisée de civils dans les zones sous contrôle russe et dans les centres de détention en Fédération de Russie.

Parallèlement, a relevé M. Heller, selon une enquête confidentielle et fiable de l’ONU, depuis février 2022, 242 prisonniers de guerre russes ou membres de groupes armés ukrainiens pro-russes ont dit avoir été torturés pendant le conflit armé. L’expert a prié la délégation de dire ce qu’il en était des allégations d’actes de torture, y compris des tortures sexuelles, commis, selon les autorités russes, sur 70 militaires russes.

M. Heller s’est aussi interrogé sur la privation de liberté de citoyens ukrainiens détenus pour des crimes commis dans le cadre du conflit armé, en particulier des personnes soupçonnées de « collaboration active ». Les autorités appliquent depuis 2022 des lois anti-collaborationnistes que des ONG ukrainiennes et internationales ont critiquées pour leur portée et leur imprécision, a fait remarquer l’expert.

M. Heller a également voulu savoir combien de procès l’Ukraine avait menés pour des faits de torture depuis le début du conflit, et si l’Ukraine avait connaissance d’actes de torture commis dans la Crimée occupée par la Fédération de Russie. Selon certaines informations parvenues au Comité, a-t-il relevé, il semble que le système judiciaire ukrainien ne soit pas conforme aux normes internationales en matière d’enquêtes sur de tels faits, en particulier s’agissant de la collecte de preuves et de la protection des victimes et témoins.

M. PETER VEDEL KESSING, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Ukraine, a tenu à féliciter l'Ukraine pour son engagement constant en faveur de ses obligations internationales en matière de droits de l'homme, malgré une période très difficile.

M. Kessing a ensuite voulu savoir quelles mesures l'Ukraine avait prises pour que les soldats et les fonctionnaires ukrainiens ne se livrent pas à des actes de torture ou à des mauvais traitements, et respectent strictement leurs obligations au titre de la Convention contre la torture et des Conventions de Genève. Il a demandé si les dérogations aux droits de l’homme adoptées par l’Ukraine dans le cadre de la loi martiale avaient une incidence sur le respect des obligations découlant de la Convention.

En vertu de la Convention, a poursuivi M. Kessing, même si des actes de torture commis à l'encontre de soldats et de civils ukrainiens sont attribués à la Fédération de Russie et non à l'Ukraine, cette dernière a toujours l'obligation positive de documenter les mauvais traitements, d’en rechercher les auteurs et de faciliter l’accès des victimes ukrainiennes aux mécanismes de réparation. Or, a dit l’expert, il est signalé que les mécanismes existants ne permettent pas d'assurer la réparation et la réadaptation de toutes les victimes ukrainiennes de torture. De même, le Comité est informé qu'il serait très difficile pour les civils ukrainiens exposés à la torture par des soldats russes et rentrés en Ukraine d'avoir accès à des recours et à une assistance en Ukraine, contrairement aux militaires qui sont pris en charge par l’armée.

M. Kessing a demandé si les prisonniers de guerre russes et les civils soupçonnés de soutenir la Fédération de Russie bénéficiaient de garanties procédurales lorsqu'ils sont transférés de la zone du front vers un lieu de détention et interrogés par les forces militaires ukrainiennes. L'examen médical est un outil très efficace pour prévenir la torture et les mauvais traitements, a rappelé l’expert.

M. Kessing a fait part d’autres préoccupations relatives à des actes de torture ou mauvais traitements liés à la conscription, depuis que l'Ukraine a lancé une mobilisation à grande échelle après l'invasion russe en 2022.

L’expert a par ailleurs fait remarquer que les personnes placées en garde à vue en Ukraine n'ont pas toujours accès à de la nourriture ni à de l'eau potable, et que, dans la pratique, l'accès à un avocat n'est pas toujours garanti. Il a demandé si les autorités pouvaient envisager de rendre obligatoire l’enregistrement des interrogatoires de police.

Le Comité est informé que les prisons ukrainiennes sont en train de devenir des foyers de torture et de corruption, a indiqué M. Kessing. Il est notamment signalé que les nouveaux arrivants sont systématiquement battus « pour leur apprendre les règles » et que les détenus sont victimes d'intimidation pendant leur transfert. Des problèmes de surpopulation des prisons et d'insuffisance des conditions matérielles et de vie, ainsi que des problèmes d'exploitation de certains détenus plus faibles par leurs codétenus sont recensés, a insisté l’expert. À cet égard, la guerre ne devrait pas constituer un motif valable pour reporter des réformes essentielles du système pénitentiaire, a souligné M. Kessing. Il a félicité l’Ukraine d’avoir créé le rôle d'inspecteur principal chargé du respect des droits des détenus, et a demandé si toutes les prisons disposaient de tels inspecteurs et si le mécanisme national de prévention pouvait inspecter inopinément tous les lieux de détention.

M. Kessing a par ailleurs voulu savoir si l’Ukraine disposait d’un mécanisme pour éviter que les détenus qui portent plainte pour mauvais traitements ne soient victimes de représailles.

L’expert a aussi demandé ce qu’il advenait des prisonniers de guerre russes qui ne sont manifestement plus en état de reprendre le combat.

D’autres questions des experts du Comité ont porté sur la responsabilité des supérieurs hiérarchiques pour des actes de torture et de mauvais traitements ; sur la détention provisoire des mineurs en conflit avec la loi ; sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et de la violence domestique ; et sur la protection des personnes disparues face au risque de traite des êtres humains.

Une experte a demandé ce qu’il en était des mesures prises pour protéger les enfants et les personnes handicapées placés en institution et éviter tout mauvais traitement à leur encontre. Elle a en outre voulu savoir combien d’enfants avaient été transférés de force vers la Fédération de Russie.

Réponses de la délégation

La délégation a d’abord indiqué que la formation initiale et continue du personnel pénitentiaire ukrainien contenait des enseignements sur la Convention contre la torture et sur les textes européens dans le même domaine.

En 2022, on comptait 109 mineurs en conflit avec la loi en détention et 148 en 2024, a par ailleurs fait savoir la délégation, précisant que la plupart sont détenus en attente de leur procès. Le juge se prononce chaque mois sur l’opportunité de prolonger la détention, a-t-elle ajouté.

Les centres pénitentiaires peuvent être exposés à des problèmes de corruption, mais ce n’est pas un problème pour la seule Ukraine, a poursuivi la délégation. En 2024, le Gouvernement a pris des mesures pour lutter contre la corruption en créant un « service de sécurité intérieure » qui compte quelque 250 officiers de renseignement chargés de détecter et de dénoncer tous les actes illégaux commis par le personnel et par les détenus.

Présent au sein même des prisons, le service peut aussi lutter contre la « propagation de l’influence criminelle dans les prisons », expression désignant la hiérarchie parallèle et la sous-culture criminelle dans les prisons dont l’Ukraine a hérité de l’ancienne URSS, a expliqué la délégation. Pour contrer cette sous-culture, les autorités entendent notamment séparer les délinquants de leur environnement et faciliter et promouvoir le travail parmi eux.

Les prisonniers de guerre russes ayant une expérience antérieure de la prison sont détenus séparément des autres, de crainte qu’ils ne diffusent la même sous-culture criminelle, a ajouté la délégation. Les citoyens étrangers qui se sont ralliés aux troupes russes et qui ont été capturés par l’Ukraine sont bien traités : ils demandent à ne pas être échangés avec la Fédération de Russie, a fait remarquer la délégation. Elle a ensuite déploré le sort infligé aux prisonniers de guerre ukrainiens par la Fédération de Russie.

Le Gouvernement a recruté 54 des 56 inspecteurs des droits de l’homme qui seront déployés dans les centres pénitentiaires pour identifier des risques élevés de torture parmi les détenus, a fait valoir la délégation. S’ils travaillent eux aussi dans les prisons, ces inspecteurs ne sont pas subordonnés aux directions des prisons, mais à une autorité supérieure. En 2024, les autorités ont reçu et vérifié 6800 plaintes de détenus pour mauvais traitements ; un mécanisme permettant le dépôt de plainte anonyme a été mis en place, a-t-il été précisé.

On compte en Ukraine 37 000 personnes détenues, contre 51 000 en 2017. Au début de la guerre, 8000 prisonniers ont été mobilisés sur une base volontaire. Le problème de surpopulation carcérale est le plus aigu dans la prison de Kiev, a souligné la délégation, avant de faire valoir que le Gouvernement ukrainien avait dégagé des fonds pour y ouvrir une aile supplémentaire pouvant accueillir quelque mille détenus. L’Ukraine a perdu sept prisons depuis le début de la guerre, a fait remarquer la délégation.

La délégation a fait part d’un certain nombre de mesures prises afin de favoriser la santé des personnes détenues. Elle a fait état du lancement prochain d’un processus de consultation au sujet de l’opportunité de transférer les soins du Ministère de l’intérieur au Ministère de la santé.

L’Ombudsman n’a pas fait état d’obstacle opposé à ses visites de lieux de détention en Ukraine, a en outre fait valoir la délégation.

La délégation a ensuite rappelé que le Parlement avait ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) en octobre dernier. Il a été tenu compte ce faisant de la nécessité d’adapter le droit national aux dispositions du Statut, en particulier s’agissant de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques.

Répondant à d’autres questions, la délégation a précisé que la liberté de conscience et de culte était respectée en Ukraine. La nouvelle loi sur les organisations religieuses tient compte du fait que l’église orthodoxe russe constitue un bras idéologique de la puissance occupante et est complice dans la commission de crimes contre l’humanité, raison pour laquelle cette église a été mise hors la loi, a expliqué la délégation.

L’Ukraine n’a pas imposé de limite aux droits des journalistes ni des médias dans le contexte de la loi martiale, a-t-il en outre été précisé.

Pour empêcher toute accusation infondée, de même que pour mieux respecter les droits des personnes placées sous le contrôle de la police, cette dernière a mis en place des contrôles des activités dans les commissariats ou centres de détention provisoires de la police, en particulier par l’introduction généralisée de registres d’écrou électroniques Les inspecteurs des droits de l’homme déjà mentionnés peuvent s’entretenir avec les personnes ainsi détenues. Les registres mentionnent, le cas échéant, les signes de mauvais traitement détectés sur les personnes détenues, a ajouté la délégation.

La délégation a décrit les conditions de vie des personnes détenues dans ces centres de privation de liberté, mentionnant notamment les normes en matière d’accès à la lumière naturelle et à l’eau potable.

La police nationale a lancé plus de 134 000 enquêtes pour disparition de personnes depuis le début de la guerre en 2022, a ensuite indiqué la délégation. Plus de mille procédures pénales ont été ouvertes. Quelque 92 000 personnes auraient ainsi disparu ; 9600 d’entre elles ont été retrouvées vivantes, tandis que les décès de plus de 8000 personnes ont pu être confirmés, a-t-il été précisé.

Une loi votée en 2017 a permis d’intégrer à la loi ukrainienne les dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), a par ailleurs fait savoir la délégation. Depuis 2020, les policiers ont répondu à 269 000 rapports ou plaintes pour violence domestique, a-t-elle précisé. Plus de 5000 policiers ont été formés pour lutter contre la violence.

Le nombre d’incidents signalés de violence domestique a chuté entre 2023 et 2024, a par ailleurs déclaré la délégation.

S’agissant de la lutte contre la traite des êtres humains, des mesures ont été prises pour mener des enquêtes rapides et efficaces, a d’autre part indiqué la délégation. Une coopération internationale a été mise en place avec d’autres pays et avec Europol pour lutter contre la traite, les migrations illégales et l’exploitation des mineurs, a-t-elle souligné.

S’agissant des activités du Bureau d’enquête de l’État (SBI), il a été précisé que ce service avait longuement enquêté sur les événements de Maïdan. Ses travaux ont permis aux tribunaux de prononcer des peines contre plusieurs personnes, notamment les anciens ministres de l’intérieur et de la défense, ayant exercé des représailles contre des manifestants voire commis des meurtres prémédités. Les enquêtes ont aussi montré que des forces spéciales russes avaient été impliquées dans l’usage de la force contre des manifestants, a ajouté la délégation.

Une priorité majeure du SBI est la lutte contre la torture et les mauvais traitements commis par les forces de l’ordre, a précisé la délégation. Chaque cas dénoncé fait l’objet d’une enquête complète. Le SBI n’est pas compétent pour enquêter sur les agissements des forces armées russes, a souligné la délégation.

Les services de sécurité ukrainiens ne détiennent aucune personne au secret , a par ailleurs assuré la délégation, faisant valoir les visites de contrôle ouvertes au public qui ont été organisées dans les locaux concernés.

Pour sa part, a par ailleurs fait savoir la délégation, le Bureau du Procureur général a engagé trois procédures pénales à l’encontre de responsables des bataillons Aidar et Azovet instigateurs d’actes criminels ; un procès est en cours. Tous les crimes de guerre font l’objet d’enquêtes par les Services de sécurité et par la police nationale ukrainiens, a insisté la délégation.

Quelque 995 installations médicales ont été détruites ou endommagées, outre des milliers de bâtiments résidentiels, a d’autre part tenu à rappeler la délégation.

Les civils et militaires de retour de détention sont pris en charge sur les plans social et psychologique, et ils bénéficient de mesures de réintégration , a souligné la délégation. De même, a-t-elle ajouté les vétérans et leurs familles reçoivent un soutien à la réintégration sociale.

Quelque 5834 personnes en Ukraine, y compris un certain nombre d’enseignants s’étant livrés à de la propagande en faveur de l’agresseur et [un certain nombre] de prêtres orthodoxes, ont été déclarées suspectes de collaboration avec l’ennemi, a-t-il été précisé.

La délégation a également décrit les mécanismes administratifs mis en place pour garantir le respect des droits de l’homme pendant la mobilisation, notamment des instructions délimitant clairement les pouvoirs des autorités concernées ; la mise en place d’un mécanisme de conscription transparent ; ou encore l’obligation faite aux autorités militaires de diligenter une enquête sur toute allégation de violation.

Concernant la définition de la torture, il a été indiqué que le Parlement ukrainien avait adopté en 2022 un amendement destiné à harmoniser le Code pénal avec le texte de la Convention. En vertu de cet amendement, l’auteur d’un crime de torture ne peut plus bénéficier d’une amnistie, a-t-il été souligné.

Les autorités ont mis en place des mécanismes d’ indemnisation pour les victimes de torture ou de mauvais traitements, a ajouté la délégation. Une commission a été récemment chargée de la prise en charge des victimes reconnues de l’invasion russe – un volet important de sa mission consistant à soutenir les victimes de violences sexuelles, a précisé la délégation.

Le Parlement est saisi d’un projet de loi destiné à améliorer le cadre juridique des activités de l’Ombudsmanet d’augmenter ses moyens, y compris par l’introduction d’un financement régulier, a fait savoir la délégation.

S’agissant des crimes de guerre, il a été précisé que les autorités ukrainiennes ont pu établir qu’en 2022, 57 soldats ukrainiens qui se rendaient ont été exécutés par les forces russes, onze en 2023, 149 en 2024 et 51 à ce jour pour cette année 2025 – mais les chiffres pourraient être bien plus élevés, a souligné la délégation. Elle a aussi fait état de 353 cas documentés de violence fondée sur le genre. D’autres enquêtes sont en cours s’agissant d’actes de torture ou d’exécutions de prisonniers de guerre capturés commis par la Fédération de Russie sur son territoire ou dans les territoires ukrainiens occupés.

Il a été établi, sur la base de témoignages et d’examens médico-légaux, que les prisonniers de guerre ukrainiens en Fédération de Russie subissent systématiquement différentes formes de mauvais traitements dans les centres de détention, a poursuivi la délégation. En 2024, les autorités ukrainiennes ont ainsi établi que plus de 4000 prisonniers de guerre ukrainiens avaient été victimes de torture en Fédération de Russie.

La délégation a par ailleurs insisté sur la difficulté d’obtenir les témoignages de civils et de militaires victimes de torture, qui sont généralement très réticents à évoquer ce qu’ils ont enduré.

Pour sa part, l’Ukraine applique plusieurs mesures pour éviter toute dérive dans le traitement des prisonniers de guerre russes, a ajouté la délégation. Elle a mentionné en particulier l’introduction d’un protocole que doit suivre la police militaire entre le moment de la capture et le transfert des prisonniers vers les lieux de détention.

Un service est chargé d’enquêter parallèlement sur les actes de torture, crimes et crimes de guerre commis par les soldats ukrainiens : vingt cas majeurs sont à l’examen, a précisé la délégation.

S’agissant de la situation en Crimée, la délégation a indiqué qu’en l’absence de coopération de la part des autorités russes, les organisations non gouvernementales signalent que plus de 4000 transferts forcés de Criméens et Criméennes vers la Fédération de Russie ont eu lieu. De plus, 220 femmes condamnées par les « soi-disant tribunaux criméens » entre mars 2018 et juin 2019 ont, elles aussi, été transférées en Fédération de Russie pour purger leur peine.

Des enquêtes sont aussi en cours au sujet du déplacement forcé et illégal d’enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie , a ajouté la délégation. Elle a ajouté que face à la tragédie des enfants ukrainiens déportés dans le contexte de l’agression russe, le Gouvernement avait adopté une procédure d’identification, de retour et de réinsertion de ces enfants. Le Ministère de la justice gère un registre des enfants déportés et coordonne l’action du Gouvernement pour obtenir leur retour, a-t-il été précisé.

Remarques de conclusion

Dans des remarques de conclusion, MME SUHAK a insisté sur le fait que toutes les personnes revenues de captivité en Fédération de Russie y ont subi des mauvais traitements, y compris 95% des militaires ukrainiens prisonniers de guerre. La Ministre adjointe a exigé que la Fédération de Russie cesse les actes de torture et les mauvais traitements infligés aux citoyens et prisonniers de guerre ukrainiens, et a appelé les autorités russes à respecter leurs obligations au titre du droit international, en particulier à autoriser le contrôle des conditions de détention des citoyens ukrainiens.

En tant que Président du Comité, M. HELLER a espéré que le processus de règlement du conflit en Ukraine respecterait l’indépendance politique du pays ainsi que son intégrité territoriale.

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