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COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE: AUDITION D'ONG SUR LA SITUATION EN RUSSIE, EN ALGÉRIE ET EN RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, qui a ouvert hier à Genève les travaux de sa quatre-vingtième session, a auditionné, cet après-midi, des organisations non gouvernementales au sujet de la situation qui prévaut en Fédération de Russie, en Algérie et en République dominicaine au regard de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Un dialogue s'est engagé entre les experts du Comité et des représentants d'une dizaine d'organisations s'agissant de l'application de la Convention dans ces trois pays.

En ce qui concerne la Fédération de Russie, dont le rapport sera examiné cette semaine, jeudi après-midi et vendredi matin, l'attention a été attirée, entre autres, sur le fait qu'il n'existe pas réellement de définition de la discrimination raciale dans la législation russe, ainsi que sur la situation des petits peuples autochtones du nord de la Sibérie et de l'extrême Orient, ou encore la discrimination raciale dont sont victimes, en particulier, les migrants issus des anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale.

S'agissant de l'Algérie, dont le rapport sera examiné demain après-midi et jeudi matin, ont particulièrement été évoqués la situation des Amazighs et le statut de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme.

S'agissant de la République dominicaine, dont le rapport sera examiné par le Comité dans l'après-midi du vendredi 22 février et dans la matinée du lundi 25 février prochain, l'attention s'est portée sur les discriminations dont sont victimes dans ce pays les personnes d'ascendance haïtienne et africaine. La question de la traite de personnes a également été évoquée. Le fait que la législation dominicaine n'érige pas en infraction l'incitation à la haine et ne sanctionne pas toutes les pratiques discriminatoires prévues par la Convention a également été dénoncé.


Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale entamera l'examen du rapport de l'Algérie (CERD/C/DZA/15-19) demain après-midi, à 15 heures.


Aperçu du débat

S'agissant de la Fédération de Russie

Une représentante de Memorial a fait observer qu'il n'existe pas réellement de définition de la discrimination raciale dans la législation russe, ce qui rend quasiment impossible le traitement des questions de discrimination par les tribunaux du pays. Il existe en Fédération de Russie diverses formes de discrimination raciale dont sont victimes, en particulier les migrants issus des anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale telles que le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, ainsi que, entre autres, les minorités et les ressortissants étrangers. Les travailleurs migrants voient leurs droits non protégés; ils sont souvent victimes d'exploitation voire de traite de la part des entreprises qui les emploient dans des conditions parfois proches de l'esclavage, a poursuivi la représentante. Quant aux Roms, ils se sont vu interdire par la législation le droit d'être nomades, ce qui les a obligés à construire des logements qui, généralement, ne sont pas légaux et les exposent donc à des procédures d'expulsion. En outre, les enfants roms sont victimes de discrimination dans le domaine de l'éducation. La représentante a également dénoncé la discrimination dont sont victimes les populations du nord-Caucase ou encore les populations de Sibérie.

Un représentant de Civic Chamber of the Russian Federation a indiqué ne pas être tout à fait d'accord avec l'intervenante précédente. La Fédération de Russie compte plus de 180 communautés ethniques et il y a des problèmes de relations entre ces différentes ethnies; mais de tels problèmes généraux se rencontrent indubitablement dans tous les pays du monde, a-t-il souligné. Le sentiment qui prévaut à Moscou et à Saint-Pétersbourg est que les migrants prennent les emplois aux populations locales; or, après avoir mené une enquête, il est apparu que dans ces deux villes, personne ne souhaite occuper les emplois concernés, a poursuivi le représentant, avant d'attirer l'attention sur l'importance de mener des campagnes de prévention des conflits à caractère national ou religieux.

Une représentante de la Russian Association of Indigenous Peoples of the North Siberia and Far East (RAIPON) a évoqué la situation des petits peuples autochtones du Nord de la Sibérie et de l'extrême orient. Ces peuples luttent pour que soit reconnu leur droit de respecter leurs modes de vie traditionnels, a-t-elle souligné, dénonçant, notamment, la réduction ou la perte de l'accès de ces peuples à leurs ressources traditionnelles. La représentante a attiré l'attention sur la situation socioéconomique difficile qui prévaut dans les établissements humains éloignés et isolés, où vit la majorité de la population autochtone.

Un membre du Comité a souhaité savoir si l'absence de définition de la discrimination dont semble pâtir la législation russe concerne spécifiquement la discrimination raciale ou la discrimination en termes généraux. Cette experte s'est en outre enquise des propositions qui ont éventuellement été avancées par des ONG afin de remédier aux problèmes de logement rencontrés par les Roms en Fédération de Russie. Qu'en est-il exactement du rôle et des pratiques des Cosaques, dont une ONG a affirmé qu'ils se comportaient comme une sorte de police, a-t-elle également demandé? Quant aux autochtones du nord de la Fédération de Russie, il semblerait qu'ils peuvent prétendre à des droits en tant qu'autochtones et également à des droits en tant que citoyens, mais que pour pouvoir prétendre à leur condition d'autochtones, ils ne doivent pas s'engager dans d'autres activités économiques que celles à caractère proprement autochtone.

Un autre membre du Comité a souhaité en savoir davantage sur la manière dont sont représentés les peuples autochtones de manière à pouvoir entrer en contact avec des autorités fédérales. Un autre expert a notamment souhaité savoir si les ONG ont été satisfaites de la manière dont s'est déroulé le processus de consultations des ONG dans le contexte de l'élaboration du présent rapport de la Fédération de Russie. Cet expert a également voulu savoir si les victimes de discrimination raciale ont, dans ce pays, un accès effectif à la justice.

Un autre expert s'est inquiété d'une éventuelle recrudescence de la présence de groupes néo-nazis en Fédération de Russie et s'est enquis de la manière dont les autorités s'efforcent alors de réagir. Un membre du Comité s'est quant à lui enquis de la situation des migrants d'ascendance africaine en Fédération de Russie.

Le représentant d'une organisation non gouvernementale a souligné qu'il n'y a pas de définition de la discrimination raciale en tant que telle dans la législation russe, même si certaines dispositions légales portent, par exemple, sur la lutte contre la discrimination. Les femmes issues de minorités sont victimes d'une double discrimination en Fédération de Russie, de par leur statut de femme et du fait qu'elles appartiennent à une minorité. La plupart des migrants africains ont besoin d'un visa pour entrer sur le territoire russe et un grand nombre de ceux qui arrivent ainsi en Fédération de Russie sont en fait des étudiants; mais s'ils veulent ensuite chercher à rester dans le pays, il faut savoir que le statut de réfugié ne leur est quasiment jamais accordé. Pour ce qui est des groupes néo-nazis, leur recrudescence n'est pas flagrante, a en outre affirmé le représentant; c'est un problème récurrent depuis de nombreuses années. Un nombre croissant de criminels néo-nazis sont traduits en justice et condamnés, a-t-elle fait valoir.

Une autre ONG a rappelé que les peuples autochtones de la Fédération de Russie jouissent d'un certain nombre de droits, énoncés en particulier dans la Constitution, concernant leurs milieux de vie et leurs modes de vie et moyens de subsistance traditionnels. Néanmoins, ces peuples ne peuvent pas résister aux grandes sociétés pétrolières qui souhaitent procéder à des activités d'exploitation, ou lorsqu'il s'agit d'abattre des forêts dans des zones d'élevage traditionnel de rennes ou lorsque sont déposés des appels d'offre pour les gisements de néphrite. Quant au Comité qui, au niveau fédéral, était chargé des affaires du Nord, il a effectivement été dissous et est désormais englobé dans le Comité chargé de la politique régionale, a-t-il été indiqué.


S'agissant de l'Algérie

Une représentante de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme a indiqué que conformément à son mandat, cette commission a toujours apporté une contribution lors de l'élaboration des rapports périodiques que l'Algérie présente aux organes de traités. Créée en 2001, cette Commission est le mécanisme national indépendant chargé de la promotion des droits de l'homme et, à ce titre, a toujours été à l'écoute des doléances des citoyens, a-t-elle ajouté. Lors de sa création en 2001, cette Commission avait obtenu le statut A de la part du Comité international de coordination des institutions nationales de droits de l'homme; mais, depuis la révision de la procédure d'accréditation, le Comité a estimé que cette Commission devait réadapter son statut conformément aux Principes de Paris et l'a, dans cette attente, classée au statut B. La Commission n'en a pas moins continué à mener des activités de promotion de droits de l'homme, a souligné la représentante. Nombre de codes juridiques en vigueur en Algérie proscrivent la discrimination, venant ainsi conforter les dispositions constitutionnelles en la matière ainsi que celles de la Convention qu'a ratifiée l'Algérie, a-t-elle poursuivi. L'accès à la justice en Algérie est basé sur l'égalité de tous et exclut toute forme de discrimination, a poursuivi la représentante. La Commission n'a pas reçu de la part de citoyens de requêtes relatives à des pratiques discriminatoires, a-t-elle indiqué.

Une représentante de l'Association culturelle AMUSNAW a indiqué que son association s'intéressait en particulier à la question de la participation des femmes. La Constitution algérienne garantit la suprématie des textes internationaux ratifiés par le pays sur les textes nationaux, a-t-elle rappelé. Sur le terrain, a-t-elle néanmoins déploré, on constate en Algérie plusieurs violations de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il en va ainsi, par exemple, de la négation de l'officialisation de la langue amazighe pourtant prévue par l'amendement apporté à la Constitution suite aux événements tragiques qu'avait connus la Kabylie en 2001. La représentante a dénoncé le fait que les cercles arabo-baathistes en Algérie veulent imposer la transcription de la langue tamazight avec des caractères arabes. Ainsi, en dépit de l'introduction de la langue amazigh comme langue nationale par l'amendement constitutionnel de 2008, le processus d'assimilation des Amazighs continue, a-t-elle déploré. Elle a en outre dénoncé l'impunité autour de l'assassinat du chanteur et militant des droits de l'homme Matoub Lounes en 1998.

Un membre du Comité a souhaité savoir si le terme «Amazigh» voulait dire la même chose que celui de «Kabyle». Un autre expert a souhaité savoir où en est le texte de loi visant à rendre la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme conforme aux Principes de Paris. Qu'en est-il de la situation et du statut accordé aux migrants en Algérie, a demandé un expert?

Le représentant d'une organisation non gouvernementale a expliqué que le terme d'«Amazigh» renvoie certes à celui de «Kabyle», mais pas seulement; en fait, la notion d' «Amazigh» renvoie à tous les Berbères, y compris les Touaregs, par exemple. Une autre ONG a souligné combien la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme est jalouse de son indépendance. Le représentant a exprimé l'espoir que serait adopté le projet de loi visant au respect strict des Principes de Paris dans le contexte du statut de ladite Commission.

La question des migrants est importante pour l'Algérie, notamment eu égard à une remontée (vers l'Algérie) de migrants maliens, entre autres, mais aussi libyens – étant donné l'effervescence que connaît la région, a souligné une ONG.

S'agissant de la République dominicaine

Une représentante de la Fondation Communauté Espoir et Justice International s'est réjouie que la République dominicaine ait créé une unité chargée des droits de l'homme au sein du bureau du Procureur. Néanmoins, malgré les progrès réalisés, certaines lacunes persistent dans ce pays. En effet, les citoyens ne voient pas pleinement reconnus tous leurs droits tels que prévus par la Convention. Par exemple, la propagande haineuse et l'incitation à la haine ne sont pas érigées en infraction. En outre, l'État ne sanctionne pas toutes les pratiques discriminatoires prévues par la Convention.

Une représentante du Comité d'Amérique latine et des Caraïbes pour la défense des droits des femmes a salué un les progrès réalisés par la République dominicaine dans plusieurs domaines. Malgré ces progrès, a-t-elle toutefois déploré, un certain nombre de plans et de politiques de l'État ne sont pas sensibles à la discrimination raciale, ni au racisme. Le racisme est très ancré dans le pays et se manifeste en particulier à l'encontre de la population noire, les autorités du pays en étant les principales responsables, a poursuivi la représentante. Les autorités refusent de lutter contre la discrimination pourtant constatée par le Rapporteur spécial sur le racisme lors de sa visite dans le pays en 2007. Des comportements sociaux donnant lieu à des pratiques racistes sont largement ancrés dans la société dominicaine, a poursuivi cette représentante.

Une représentante d'un réseau d'ONG comprenant le Mouvement socio-culturel pour les travailleurs haïtiens (MOSCTHA) a fait observer que les Dominico-Haïtiens, les Haïtiens et les migrants font l'objet de discrimination en République dominicaine. Des centaines de parents haïtiens nés en République dominicaine n'ont accès ni à l'emploi, ni à l'éducation, ni au système de santé, a-t-elle insisté. Un autre intervenant au nom de MOSCTHA a notamment rappelé que la République dominicaine n'érige pas la discrimination raciale en infraction. Cet intervenant a lui aussi dénoncé l'état d'apatridie dont pâtissent en République dominicaine les personnes d'ascendance haïtienne.

Une représentante de Open Society Justice a déclaré que depuis 2008, la situation des personnes d'ascendance africaine, loin de s'améliorer, s'est détériorée, ces personnes étant victimes de discriminations profondes et durables.

Un représentant de Fundación Étnica Integral (FEI) a évoqué la question de la traite et du trafic de personnes en soulignant que la société civile en République dominicaine a constaté le manque de progrès réalisés en matière d'application de la loi relative à ces questions. Pour l'heure, personne dans le pays n'a été poursuivi ni sanctionné pour ce type de délit, a-t-il fait observer. La loi n'a pas non plus été appliquée pour ce qui est de la protection des victimes dans ce contexte, a-t-il ajouté.

Un membre du Comité a souhaité en savoir davantage sur la manière dont sont délivrées les cartes d'identité en République dominicaine. Plusieurs experts se sont inquiétés de la rétroactivité avec laquelle est appliquée la révision constitutionnelle de 2010 concernant les personnes de nationalité haïtienne et ont exprimé leurs préoccupations concernant la situation des Dominicains d'ascendance haïtienne. Il semble par ailleurs que les Noirs n'aient pas le droit d'entrer dans les discothèques du pays – l'Ambassadeur des États-Unis n'étant lui-même pas parvenu à entrer dans l'une d'entre elles parce qu'il était noir, s'est inquiété un membre du Comité. Comment un pays qui se revendique du métissage peut-il refuser le concept de négritude, s'est étonné un expert?

Une organisation non gouvernementale a déclaré que la discrimination raciale et la xénophobie sont largement ancrées dans la relation que la République dominicaine entretient avec Haïti. La société dominicaine s'est largement forgée sur l'image d'une collectivité blanche, catholique et parlant l'espagnol se trouvant face à une population noire, parlant le français et pratiquant le vaudou, a-t-elle expliqué. Il existe effectivement une contradiction entre l'acceptation du métissage et le refus pur et simple de la négritude, a souligné une autre ONG.


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CRD13/003F