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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU KIRGHIZISTAN

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par le Kirghizistan sur les mesures prises par ce pays en application des dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Mme Mira Karybaeva, Chef de la Division des politiques ethniques et religieuses et de l'interaction avec la société civile au Bureau du Président de la République du Kirghizistan, a rappelé que le Kirghizistan avait été connu des événements graves, notamment la révolution de 2010 qui a permis de renverser un «régime clanique» et de passer d'un régime présidentiel à un régime parlementaire. Elle a souligné que les tensions interethniques existent au Kirghizistan depuis bien avant 2010, conséquences d'une situation socioéconomique difficile de longue date, et le pays n'a pas su avancer dans la construction d'une identité commune. Les événements de 2010 se sont déroulés dans un contexte d'affaiblissement du pouvoir. Les conflits ont en outre été attisés par le déséquilibre en termes de représentation des différentes ethnies dans les structures du pouvoir, l'aggravation des inégalités économiques entre les différentes minorités et l'absence de mesures gouvernementales pour régir les relations interethniques. Mme Karybaeva a indiqué que les mesures prises pour surmonter le conflit de 2010 ont visé à faire en sorte que ces troubles restent localisés, à venir en aide aux victimes et à restaurer les infrastructures. Alors que les juges étaient nommés par le Président auparavant, depuis 2010 c'est un conseil intégrant des représentants de la société civile et des cinq groupes parlementaires qui est chargé de les nommer. L'une des priorités de la «stratégie nationale de développement stable à l'horizon 2017» est de garantir la concorde interethnique et de renforcer l'unité du peuple du Kirghizistan, a également fait valoir le chef de délégation.

La délégation kirghize était également composée de la Représentante permanente du Kirghizistan auprès des Nations Unies à Genève, Mme Gulnara Iskakova, et d'autres représentants du Ministère des affaires étrangères, ainsi que de représentants du Ministère de l'intérieur et le Procureur de la ville de Balykchy. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de la représentant des minorités au sein des médias; de l'éventuelle adoption d'une loi spéciale pour la protection des minorités; mais surtout des événements de juin 2010, en particulier pour ce qui est de la récupération des armes perdues lors de ces événements, des viols et sévices à l'encontre des femmes, du cas de M. Azimjan Askarov ou encore de la question sous-jacente de l'insuffisante représentation de l'ethnie ouzbèke.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport, M. Ion Diaconu, s'est dit encouragé par certaines mesures, réformes et changements institutionnels intervenus dans le pays et a exprimé l'espoir que cette évolution se poursuive, mais a souligné que le pays doit se doter d'une législation effective pour protéger les minorités. Il faut en outre que le Kirghizistan se dote d'une justice de transition qui tienne compte de tout ce qui s'est passé dans le pays, afin de rétablir la confiance dans le système judiciaire. Il a par ailleurs recommandé au Kirghizistan d'engager un examen officiel de tous les cas liés aux violences de juin 2010 et de poursuivre toutes les personnes impliquées dans ces événements qui sont coupables de destructions ou d'avoir fait des victimes humaines, que ces personnes appartiennent au groupe majoritaire ou à un groupe minoritaire.

Le Comité adoptera, avant la fin de la session le vendredi 1er mars, des observations finales sur le rapport de la Fédération de Russie.


Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Slovaquie (CERD/C/SVK/9-10).


Présentation du rapport du Kirghizistan

Présentant le rapport du Kirghizistan (CERD/C/KGZ/5-7), MME MIRA KARYBAEVA, Chef de la Division des politiques ethniques et religieuses et de l'interaction avec la société civile au Bureau du Président de la République, a souligné que ce rapport couvre la période allant de 2007 à 2011. En réponse aux questions écrites adressées au Kirghizistan sur la question des conflits ethniques qui ont marqué le pays, Mme Karybaeva a notamment indiqué que le Kirghizistan avait été traversé par des événements graves, notamment la révolution de 2010 qui a permis de renverser le régime clanique du second Président de la République et de passer d'un régime présidentiel à un régime parlementaire, précisant que les tensions interethniques existaient depuis bien avant 2010, conséquences d'une situation socioéconomique difficile de longue date. Pendant trop longtemps, le pays n'a pas avancé dans la construction d'une identité commune, a déclaré Mme Karybaeva, faisant observer qu'au niveau local, chaque année, les clivages communautaires et la violence s'aggravaient, notamment depuis le conflit interethnique qu'a connu le pays en 1990. Elle a ajouté que les événements de 2010 se sont déroulés dans un contexte d'affaiblissement du pouvoir et que ces conflits ont notamment été attisés par le déséquilibre en termes de représentation des différentes ethnies dans les structures du pouvoir ou encore l'aggravation des inégalités économiques entre les différentes minorités ethniques. À cela s'ajoute que les mesures gouvernementales censées régir les relations interethniques étaient particulièrement inexistantes.

Les mesures les plus urgentes qui ont été prises pour surmonter le conflit de 2010 ont visé à faire en sorte que ces troubles restent localisés, à venir en aide aux victimes et à restaurer les infrastructures, a poursuivi Mme Karybaeva. Elle a fait valoir qu'il a ainsi pu être mis fin à ces troubles en quatre jours. Au cours de l'effort de reconstruction, des centaines de maisons ont été reconstruites et les titres de propriété dûment transmis. Un effort d'intégration à long terme a ensuite été entamé. La zone du conflit a été ouverte aux organisations non gouvernementales locales et internationales et aux médias, tant pendant qu'après le conflit, a en outre affirmé Mme Karybaeva, qui a salué le travail important réalisé par la commission indépendante internationale. Une stratégie nationale de développement stable à l'horizon 2017 a été adoptée cette année, dont l'une des priorités est de garantir la concorde interethnique et de renforcer l'unité du peuple du Kirghizistan, a-t-elle fait valoir.

Pendant les événements tragiques du 10 au 14 juin 2010, 442 personnes ont été tuées, dont une majorité d'Ouzbeks (295) mais aussi des membres d'autres minorités et des Kirghizes, a indiqué Mme Karybaeva. Suite à ces événements, des réformes approfondies ont été menées pour réformer les tribunaux et les organes de maintien de l'ordre. Avant 2010, tous les juges étaient nommés par le Président, a rappelé Mme Karybaeva; désormais, c'est un conseil intégrant des représentants de la société civile et des cinq groupes parlementaires qui est chargé de nommer les juges, a-t-elle fait valoir. De nombreux juges qui se sont discrédités par le passé, notamment lors des événements de 2010, ne font plus partie du pouvoir judiciaire, a-t-elle insisté.

Pour ce qui est de la représentation des minorités au sein des différents organes de l'État, Mme Karybaeva a reconnu que la participation des minorités ethniques à la vie du pays est essentielle pour le respect des droits des personnes appartenant à ces minorités. Les députés des conseils locaux représentent en moyenne 14% des représentants des minorités, a-t-elle fait valoir.

Le kirghize est la langue d'État et le russe est une langue officielle, a par ailleurs rappelé Mme Karybaeva. En outre, chaque Kirghize a le droit de conserver sa langue natale. La législation en vigueur stipule que les conditions doivent être réunies pour permettre à tous les citoyens de recevoir un enseignement dans leur langue natale. À l'heure actuelle, l'enseignement est dispensé dans quatre langues: 60,8% de l'enseignement est apporté en langue kirghize, 8,6% en russe, 9,6% en ouzbek et moins de 1% en tadjik, a indiqué Mme Karybaeva.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. Ion Diaconu, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kirghizistan, a relevé que selon les informations disponibles, le pays compte quelque 5,5 millions d'habitants dont près de 72% de Kirghizes et 90 groupes ethniques différents, dont les Ouzbeks, qui comptent pour 14,3% de la population totale; les Russes 7,2%; les Dungans 1,1%; les Ouïghours 0,9%; les Tadjiks 0,9%; et autres 3,9%. Le principal problème auquel le pays est confronté, en dehors du sous-développement, réside dans les graves conflits ethniques à répétition entre la population majoritaire et certains groupes minoritaires – conflits qui surgissent dans un contexte de profond déficit démocratique et de déficience du fonctionnement des institutions de l'État. Il devrait maintenant y avoir une importante opportunité à saisir pour commencer à résoudre certains problèmes fondamentaux et réaliser le Renouveau National, titre d'un document adopté par les nouvelles autorités, a-t-il souligné.

Les conflits ethniques susmentionnés semblent avoir une longue histoire, comme en témoignent les événements d'Osh de 1990, a poursuivi M. Diaconu. Mais pour s'en tenir aux seuls conflits survenus entre 2007 et 2010 – dans la province de Chu, à Petrovka, à Maevka et, pour le plus sérieux d'entre eux, à Osh et dans la province de Jalal-Abad – il convient de relever que dans tous ces cas, de petits incidents ont pu se transformer en conflits à grande échelle, ce qui signifie qu'il existait de profondes sources de mécontentement au sein de la majorité et parmi certains groupes minoritaires, a fait observer le rapporteur. S'agissant de ces conflits, les autorités locales de l'État ne sont pas intervenues pour poursuivre les responsables et mettre un terme à l'escalade. Des allégations indiquent que lors du dernier conflit, les autorités locales ont même fourni des armes aux personnes d'ethnie kirghize, a ajouté M. Diaconu. Le rapport présenté aujourd'hui par le Kirghizistan au Comité semble considérer les politiques impopulaires du précédent régime comme étant la cause profonde de ces conflits; mais dans son rapport sur les événements d'Osh, le Médiateur estime que le conflit est dû à la situation socioéconomique dans la région, où les personnes d'ethnie ouzbèke jouissent d'un meilleur niveau de vie que celles d'ethnie kirghize. Aussi, les problèmes socioéconomiques doivent-ils être traités et la pauvreté réduite, a souligné le rapporteur.

La préoccupation du Comité est maintenant que les auteurs de tous les actes de violence basés sur des motifs ethniques et tous les actes de discrimination raciale soient poursuivis conformément à la loi et que toutes les politiques veillent désormais au plein respect des droits de l'homme de tous, sans discrimination fondée sur des motifs ethniques ou nationaux.

En juin 2010, a rappelé M. Diaconu, des crimes horribles ont été commis contre des personnes d'appartenance ethnique kirghize et contre des personnes d'appartenance ethnique ouzbèke et les autorités locales n'ont pas prévenu la violence, ni ne l'ont stoppée une fois qu'elle a surgi. On constate que, suite aux événements d'Osh et de Jalal-Abad, la plupart des victimes (295 sur 442, soit 70%) étaient des Ouzbeks, selon les chiffres fournis par les autorités du Kirghizistan, et que la plupart des personnes considérées comme ayant été impliquées dans des activités criminelles dans le contexte de ces événements sont également des Ouzbeks, a-t-il fait observer. Des informations récentes indiquent que les Ouzbeks continuent d'être le principal groupe ethnique traduit devant les tribunaux, a-t-il insisté. Ces chiffres pourraient indiquer une attitude biaisée de l'État, un manque d'enquêtes effectives et une inégalité de traitement de la part du système judiciaire, ce qui ne manquerait pas d'avoir des conséquences à long terme sur les relations et les efforts de réconciliation entre les deux communautés, a-t-il souligné.

Un éminent défenseur des droits de l'homme, d'origine ethnique ouzbèke, M. Azimjan Askarov, aurait été torturé, frappé et condamné à une peine d'emprisonnement à vie après un procès honteux, a insisté le rapporteur. Ce n'est pas le meilleur moyen d'assurer la réconciliation, a-t-il estimé. Aussi, a indiqué M. Diaconu, le Comité recommande-t-il au Kirghizistan d'engager un examen officiel de tous les cas liés aux violences de juin 2010 et de poursuivre toutes les personnes impliquées dans ces événements qui sont coupables de destructions ou d'avoir fait des victimes humaines, que ces personnes appartiennent au groupe majoritaire ou à un groupe minoritaire.

M. Diaconu a relevé que les traités internationaux ratifiés par le Kirghizistan sont directement applicables dans le pays et prévalent sur les lois internes. Pour autant, a-t-il regretté, il n'existe pas au Kirghizistan de disposition générale interdisant la discrimination raciale conformément à la Convention.

Le rapport présenté par le Kirghizistan affirme que la loi électorale assure l'élection de représentants des groupes ethniques dans les organes de l'État, a poursuivi le rapporteur; mais selon les chiffres fournis concernant les résultats des élections de 2010, les Ouzbeks, qui représentent 14% de la population, ne constituent que 2,5% des députés. Des informations laissent apparaître que depuis les événements de juin 2010, la participation de groupes minoritaires dans la sphère publique a considérablement diminué, alors que des questions sont soulevées quant à la loyauté des Ouzbeks à l'égard de l'État kirghize, s'est inquiété M. Diaconu. Des informations circulent également qui mentionnent, au sein de la fonction publique, des cas de licenciements arbitraires (sur des bases ethniques) de personnes appartenant à des minorités. Des allégations affirment aussi que les personnes déplacées qui avaient fui les zones en conflit ne sont pas en mesure de disposer pleinement de leurs biens et propriétés lorsqu'elles retournent dans leurs zones d'origine; qu'en est-il aujourd'hui de la situation des personnes déplacées de ce point de vue?

Le rapporteur a souhaité obtenir des informations sur la situation des groupes minoritaires dans le domaine de l'éducation. Il a aussi voulu connaître la situation des médias qui diffusent dans les langues minoritaires.

Des informations récentes font état de traitement inhumain dans le contexte de la détention de membres des minorités, de cas de détention arbitraire, d'allégations de torture, de preuves obtenues sous la contrainte et de procès inéquitable pour les personnes impliquées dans les événements de juin 2010, a poursuivi M. Diaconu.

Le Kirghizistan compterait quelque 90 000 personnes sans papiers, dont un grand nombre d'apatrides, a par ailleurs fait observer le rapporteur.

M. Diaconu a d'autre part affirmé que les règles régissant l'élection et le fonctionnement de l'Ombudsman ne semblent pas correspondre aux exigences auxquelles sont soumises les institutions nationales de droits de l'homme.

Un changement de mentalités s'avère nécessaire au Kirghizistan et ne pourra être obtenu que par le biais d'un processus complet d'éducation de l'ensemble de la population, a enfin souligné le rapporteur.

Un autre membre du Comité a salué la régularité avec laquelle le Kirghizistan présente ses rapports au Comité. Les défis auxquels doit faire face le Gouvernement du Kirghizistan sont immenses, a ensuite souligné cet expert. Tant les renseignements figurant dans le rapport présenté par le pays que les informations émanant des organisation non gouvernementale révèlent la gravité des affrontements interethniques qui se sont produits durant la période couverte par le rapport et les risques que de nouveaux affrontements se produisent – alors que, selon les informations disponibles, les armes circulent toujours dans le pays, a ajouté l'expert. Il s'est ensuite enquis des mesures prises par le pays pour rétablir pleinement l'équité de la justice dans le déroulement des procès menés suite aux événements de 2010.

L'expert a relevé que si des statistiques sont fournies dans le rapport quant à l'évolution du nombre d'affaires et de condamnations intéressant des actes de racisme, l'information manque sur les peines prononcées, la nature des auteurs et les réparations accordées aux victimes et aux membres de leur famille.

Le Gouvernement kirghize ne pourrait-il pas envisager la possibilité d'une nouvelle loi spéciale sur la protection des minorités, a en outre demandé l'expert? Le Kirghizistan serait-il disposé à accepter la visite dans le pays de titulaires de mandats de procédures spéciales tels que le Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats ou le Groupe de travail sur la détention arbitraire, par exemple, a-t-il étalement demandé?

Un autre expert s'est enquis des mesures prises par le Kirghizistan pour établir la pleine équité de la justice. La population du Kirghizistan a-t-elle aujourd'hui confiance en la justice, a-t-il demandé? À qui incombe au Kirghizistan la charge de la preuve en matière de discrimination, a également demandé cet expert?

Une experte s'est inquiétée d'informations faisant état de viols et de mauvais traitements à l'encontre de femmes lors des événements de 2010.

Dans le cadre d'une série de questions et observations complémentaires, un membre du Comité a souligné que le maintien du statu quo n'est pas la meilleure façon de résoudre les problèmes de relations interethniques qui ont frappé le pays.

Un autre expert s'est félicité qu'il ne soit pas exclu de voir réapparaître un projet de loi sur la protection des minorités. Il a par ailleurs indiqué attendre la décision de la Cour suprême dans l'affaire Askarov et s'est enquis de la date prévue pour cette décision.

Un expert a souhaité savoir ce qui distingue le gouvernement actuel du gouvernement précédent et s'est enquis des perspectives de stabilité dans le pays.

Un membre du Comité a souhaité savoir si des mouvements salafistes existent au Kirghizistan.

Réponses de la délégation

En ce qui concerne la définition de la discrimination, la délégation a rappelé qu'en 2007, le Comité avait recommandé au Kirghizistan d'inclure dans sa législation la définition de la discrimination figurant à l'article premier de la Convention. Le Code pénal kirghize intègre le terme de discrimination et la notion de violation de l'égalité entre les citoyens, a indiqué la délégation. Suite à une réforme menée en 2010, à la veille des événements qui ont marqué cette année-là, l'interdiction de la discrimination fondée sur le sexe, la race, la langue et l'appartenance ethnique a été inscrite dans la Constitution (article 16), a poursuivi la délégation. Mais suite aux événements de 2010, le référendum sur la Constitution et les élections parlementaires et municipales ont quelque peu freiné le processus de réforme globale de la législation. Cependant, conformément à un décret présidentiel pris en août 2012 concernant les mesures d'amélioration du système judiciaire, un groupe de travail – qui a commencé ses travaux ce mois-ci – a été chargé de la réforme de certaines lois, dont le Code pénal, et la question de la discrimination sera examinée dans le cadre des travaux de ce groupe d'experts, a annoncé la délégation.

La délégation a indiqué qu'avant le conflit de 2010, il existait une douzaine de médias en langue ouzbèke dans le sud du pays. À l'heure actuelle, les anciens propriétaires d'Osh TV, qui ont quitté le pays, ont été condamnés par contumace. Osh TV diffuse actuellement en langue russe et en kirghize. Des journaux en langue ouzbèke continuent en revanche d'être publiés, a souligné la délégation.

Interrogée sur les raisons pour lesquelles l'Assemblée du peuple du Kirghizistan n'a pas pu prévenir le conflit, la délégation a rappelé que cette Assemblée n'est qu'une coalition d'organisations non gouvernementales qui œuvre au maintien des cultures et des traditions des minorités ethniques et se concentre sur l'instruction et l'intégration des groupes minoritaires à la vie publique. Cette organisation n'a jamais ouvertement participé à des activités politiques et elle n'a pas de mandat ni de ressources pour prévenir les conflits, a insisté la délégation.

Quant à l'idée d'adopter une loi spéciale pour la protection des minorités, la délégation a souligné que dans le contexte du Kirghizistan, il s'agit là d'une question hautement complexe. Suite au conflit armé de 1990, alors qu'était envisagée la signature de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités, la question a été retirée de l'ordre du jour du Parlement car les dirigeants des minorités ethniques ne souhaitaient pas que leurs communautés soient qualifiées de «minorités» et étaient donc opposés à l'emploi du terme de «minorités». Plus tard, une autre initiative visant l'adoption d'une loi similaire s'est de nouveau heurtée au même refus. Le débat est aujourd'hui relancé et si un consensus se dégage, il se peut que le processus soit couronné de succès, a indiqué la délégation.

En ce qui concerne les Roms, la délégation a expliqué que les Roms d'Asie centrale ont une spécificité qui les distingue de ceux d'Europe; ils se désignent eux-mêmes sous le vocable de Louli. Lors du recensement de 2011, aucun membre de cette ethnie n'est apparu dans le recensement, les Louli ayant choisi de s'inscrire sous la rubrique «Tadjiks», a précisé la délégation. Elle a toutefois indiqué qu'environ trois mille Louli vivent dans une région particulière du Kirghizistan.

Les événements de juin 2010 ont fait de nombreuses victimes, y compris dans les rangs des organes du Ministère de l'intérieur, a ensuite rappelé la délégation. Dans le contexte de ces événements, les organes de l'État ont été confrontés à la question aiguë du respect par les forces de l'ordre, dans le cadre de leurs actions, des règles qui doivent caractériser une société multiethnique face à un conflit.

Interrogée sur le cas d'Azimjan Askarov, la délégation a rappelé que lors des événements de juin 2010, M. Askarov a notamment incité à la haine ethnique, conduisant des personnes d'origine ouzbèke à ériger des barricades spontanées. Des armes et des munitions ont été trouvées chez M. Askarov, ainsi que des matériels de propagande extrémiste, a poursuivi la délégation. Dès les premiers jours de sa détention, M. Askarov a bénéficié des services d'un avocat et son affaire fait actuellement l'objet d'un appel devant la Cour suprême de la République. M. Askarov, qui était notamment inculpé de prise d'otage, d'enlèvement, de possession de documentation extrémiste, d'incitation à la haine et de participation à des actions ayant entraîné la mort de membres des forces de police, a été condamné à une peine d'emprisonnement à vie, sous un régime spécial, avec confiscation des biens, a précisé la délégation. Apportant par la suite des précisions sur cette affaire, la délégation a indiqué que le 20 décembre 2011, la Cour suprême avait confirmé les décisions adoptées en septembre 2011 par le tribunal de région et de district. La délégation a ajouté que M. Askarov avait maintenant le droit de demander une révision de son procès. Elle a assuré que M. Askarov n'avait pas été victime d'actes de torture mais avait été battu par son camarade de cellule.

En ce qui concerne la Commission internationale d'enquête sur les événements intervenus dans le sud du pays, la délégation a rappelé que le Kirghizistan a adopté une attitude très ouverte puisqu'il a lui-même accepté le mandat d'une telle commission internationale dont il a pris très au sérieux les recommandations. Pour autant, toutes les recommandations de cette Commission ne sont pas forcément admises à 100% par les autorités kirghizes, a précisé la délégation.

En ce qui concerne les viols et sévices à l'encontre de femmes, en particulier de femmes ouzbèkes, ayant accompagné les événements de juin 2010, la délégation a admis que de telles exactions s'étaient bien produites. Elle a souligné qu'un plan national pour les années 2013-2014 a été adopté qui prévoit que des enquêtes soient menées sur tous les cas de violence sexuelle qui se sont produits durant le conflit. Ce plan, élaboré en collaboration avec les organisations non gouvernementales, prévoit également une coopération entre les organes du Ministère de l'intérieur et les groupes locaux, notamment les groupes de femmes, a précisé la délégation.

La délégation a souligné que les autorités kirghizes admettent que la représentation insuffisante de l'ethnie ouzbèke parmi les forces de police était un obstacle à une action plus efficace permettant d'instaurer la paix. Au sein des organes du Ministère de l'intérieur, aucun fonctionnaire ouzbek de souche n'a été licencié, a en revanche assuré la délégation.

Elle a par ailleurs indiqué que la majorité des jeunes qui vivent dans le sud du pays préfèrent recourir aux alternatives au service militaire qui existent, c'est ce qui explique que la majorité des militaires sont des kirghizes de souche. Pour pouvoir servir dans les organes du Ministère de l'intérieur, il faut avoir effectué le service militaire ou un service alternatif au service militaire, a indiqué la délégation en réponse à une autre question.

Au moment du conflit de juin 2010, alors que le Kirghizistan était confronté à une grande menace et une réelle instabilité, les mécanismes de coopération internationale se sont avérés insuffisants, a déclaré la délégation. Elle a rappelé que le 12 juin au matin, le Président de transition avait en effet lancé un appel à l'aide à la communauté internationale. Le pays est alors parvenu, à lui seul et sans aide extérieure, à juguler le conflit, a fait valoir la délégation, tout en remerciant l'aide humanitaire et à la reconstruction dont a ensuite bénéficié le Kirghizistan de la part de certains pays. La délégation a admis qu'un conflit aussi dur que celui qu'a connu le Kirghizistan et une situation politique aussi difficile que la sienne ne peuvent pas être sans conséquences pour le développement du pays. Elle a exprimé l'espoir que les recommandations du Comité viseront à aider le pays à avancer dans les domaines prioritaires.

La question du terrorisme est transfrontière et la situation du Kirghizistan, géographiquement proche de l'Afghanistan, fait que des convois à destination de ce dernier pays traversent le territoire kirghize, a indiqué la délégation. Le Kirghizistan et le Tadjikistan se trouvent en outre sur la route du chemin de la drogue vers l'Europe et il existe également des trafics d'armes dans la région, a-t-elle ajouté.

Le Ministère de l'intérieur s'est efforcé de récupérer les armes perdues durant ces événements et aujourd'hui, un peu plus de la moitié de la centaine d'armes qui avaient alors été perdues ont été récupérées, a en outre indiqué la délégation. Étant donné que près de la moitié de ces armes n'ont pas été récupérées, il est envisagé d'augmenter le montant versé en échange de la restitution des armes.


Observations préliminaires

M. DIACONU, rapporteur pour le rapport du Kirghizistan, a salué la qualité du dialogue entre le Comité et la délégation kirghize et s'est dit persuadé que cette dernière comprend l'inquiétude des experts s'agissant des événements du Kirghizistan. Il a jugé encourageants certaines mesures, réformes et changements institutionnels intervenus dans le pays et a exprimé l'espoir que cette évolution se poursuive.

S'agissant de la situation des minorités, M. Diaconu a souligné que le pays est libre de les désigner comme il le souhaite; mais ce qui compte, c'est le contenu de la législation les concernant. Il faut que les minorités continuent de parler et d'utiliser leur langue, y compris à l'école et dans l'administration, et puissent participer à la vie publique. Le rapporteur a estimé que le Kirghizistan devrait se doter d'une justice de transition qui tienne compte de tout ce qui s'est passé dans le pays, notamment du point de vue des victimes, afin de rétablir la confiance dans le système judiciaire. Chef d'État, Parlement et Gouvernement doivent assurer la population de leur volonté de prendre des mesures en faveur de la prévention des conflits et de l'instauration d'un État de droit au profit de la majorité et des minorités, a insisté le rapporteur.

Il y a beaucoup à faire au Kirghizistan, ce pays étant confronté à de nombreux problèmes, a poursuivi M. Diaconu; dans ce contexte, il faut décider de ce qui est prioritaire. À cet égard, a indiqué le rapporteur, le système judiciaire et les organes du maintien de l'ordre constituent un bon point de départ et la législation en constitue un autre. Il faut aussi réfléchir à des mesures propres à éliminer les disparités économiques (notamment entre villes et campagnes et entre régions), afin que les conflits sociaux ne deviennent pas source d'animosité.


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CERD13/007F