Fil d'Ariane
De plus, le langage inclusif a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre le capacitisme et ses diverses manifestations. Le capacitisme renvoie à une conception erronée et partiale du handicap, selon laquelle la vie ne vaut pas la peine d’être vécue lorsque l’on est une personne handicapée. Il peut prendre de nombreuses formes, y compris l’emploi de propos offensants.
La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées demeure la référence principale en matière de handicap mais la terminologie a évolué depuis son adoption, le 13 décembre 2006. Les observations générales du Comité des droits des personnes handicapées et d’autres documents phares de l’ONU précisent certaines notions et le sens de certains termes.
Les présentes lignes directrices tendent à promouvoir l’emploi systématique d’un langage respectueux dans le système des Nations Unies. Elles définissent des principes généraux et se veulent pratiques et faciles à utiliser. L’annexe I consiste en un tableau récapitulatif des expressions et termes recommandés et des expressions et termes jugés inappropriés. L’annexe II recense des termes dont le sens doit encore être précisé pour que des erreurs courantes cessent d’être commises et que les normes terminologiques de l’ONU soient respectées.
Principes généraux
L’accent doit être mis sur la personne, pas sur son handicap. L’expression « les handicapés », qui réduit la personne à son handicap, est proscrite. Comme dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées, on écrira « personne handicapée » ou « personne ayant un handicap ». D’une manière générale, il convient d’utiliser des expressions qui mettent la personne au premier plan. C’est le cas dans les exemples suivants : « personne ayant une trisomie », « femmes ayant un handicap intellectuel », « X. a un handicap moteur ».
En cas de doute, il est conseillé de demander à la personne ou au groupe concerné(e) comment il ou elle choisit de se désigner. Les personnes handicapées ne constituent pas un groupe homogène, chacune d’entre elle peut s’auto-identifier d’une façon particulière. Ces choix doivent être respectés et pris en considération. Cela étant, il est utile de disposer d’une terminologie harmonisée. Les présentes lignes directrices ont pour objet de promouvoir l’utilisation de la terminologie utilisée et acceptée par le plus grand nombre.
Le handicap fait partie de la vie et de la diversité humaine. Il convient de l’aborder de façon neutre et naturelle. Il faut se garder de décrire les personnes handicapées comme des « sources d’inspiration » ou des personnes « exceptionnelles ». De telles expressions laissent entendre qu’il est inhabituel et extraordinaire que des personnes handicapées travaillent, réussissent leur vie, soient heureuses et épanouies. Des termes comme « courage » ou « surmonter son handicap » sont condescendants, il faut donc les éviter. Les personnes handicapées ont, comme les autres, des talents et un potentiel.
Le terme « survivant(e) » est parfois utilisé pour désigner des personnes qui ont guéri après avoir eu un grave problème de santé ou qui se sont simplement adaptées à leur situation. On trouve aussi le verbe « survivre » dans des expressions comme « elle a survécu à une hémorragie cérébrale » ou « il a survécu à un AVC ». Certaines personnes emploient les termes « bataille » ou « combat » pour décrire une situation de handicap, un syndrome ou une maladie. Cette rhétorique guerrière, très répandue, n’est pas du goût de tous : certains la jugent inappropriée, voire offensante.
Il faut se garder de décrire les personnes handicapées comme des êtres intrinsèquement vulnérables. La vulnérabilité est le résultat de circonstances externes et n’est pas innée ou inhérente à la personne ou au groupe concerné(e). Chacun ou chacune peut être vulnérable dans une situation particulière ou durant une période donnée. Certaines personnes handicapées peuvent être plus vulnérables que le reste de la population à des infractions comme la violence fondée sur le genre, mais moins vulnérables à d’autres infractions, comme le vol d’identité. Lorsque les obstacles et les circonstances à l’origine de la vulnérabilité ont été écartés, ces personnes ne sont plus vulnérables.
Il convient de ne mentionner le handicap ou la déficience d’une personne que lorsque cela est pertinent. On se focalisera donc sur les compétences ou les droits de la personne, en n’évoquant son handicap que lorsque cela apporte un éclairage ou des précisions utiles. Si, par exemple, on doit faire appel à un ou une collègue pour évaluer la qualité de documents en braille, on parlera de la personne sélectionnée en disant simplement qu’elle « utilise le braille » ou qu’elle « sait lire le braille » plutôt qu’en disant qu’elle est aveugle. Ici, le handicap n’est pas l’élément important, l’essentiel étant de savoir que l’intéressé(e) possède les compétences requises. On optera systématiquement pour un langage positif mettant en avant les capacités de la personne concernée.
Cela étant, le handicap ne doit pas être occulté. Ce n’est pas un sujet tabou. Bien au contraire, il faut parler ouvertement des questions relatives au handicap et aux personnes handicapées, quand le sujet s’y prête et toujours avec respect. L’inclusion du handicap doit être une priorité. Bien trop longtemps, les personnes handicapées ont été privées de la représentation et de la participation auxquelles elles avaient droit. Elles ont été ignorées ou laissées pour compte.
Certaines expressions se sont progressivement imposées pour remplacer des termes inappropriés. Toutefois, beaucoup de ces termes laissent entendre, à tort, que le handicap doit être « édulcoré ». C’est pourquoi il convient d’éviter des termes comme « personne handicapable », « personne différente » ou « personne extraordinaire », qui sont des euphémismes et peuvent être considérés comme condescendants ou offensants. Par exemple, le terme « personne différente » pose problème puisque nous sommes tous différents. Les euphémismes sont en fait un moyen de nier la réalité et une façon d’éviter de parler du handicap.
Dans le contexte du handicap, le terme « spécial » est à bannir car il est considéré comme offensant et condescendant puisqu’il stigmatise la différence. Il ne doit pas être utilisé pour décrire les personnes handicapées, y compris dans des expressions comme « besoins spéciaux » ou « assistance spéciale ». Il est recommandé d’utiliser autant que possible un langage plus neutre et plus positif, comme « assistance adaptée ». L’expression « éducation spécialisée » ou « enseignement spécialisé » est souvent utilisée dans le contexte des programmes scolaires, mais elle a une connotation péjorative puisqu’elle renvoie à l’éducation ségrégative, également appelée éducation ségréguée. On parlera donc d’éducation ou d’enseignement adapté(e).
Le modèle médical considère le handicap comme un problème de santé, une déficience liée à un traumatisme ou une maladie qu’il faut soigner ou guérir. Les personnes handicapées ne sont pas perçues comme des détentrices de droits. Le modèle caritatif considère le handicap comme un fardeau ou un « problème » que les personnes non handicapées doivent résoudre. Les personnes handicapées sont perçues comme des objets de charité et de pitié, ce qui perpétue les attitudes et stéréotypes négatifs.
Le terme « patient(e)s » ne doit pas être employé pour désigner des personnes handicapées, sauf dans le contexte d’un traitement médical ou de soins médicaux. On évitera également de réduire la personne handicapée à un diagnostic (par exemple « un(e) dyslexique »), car cette terminologie relève du modèle médical. Il convient d’utiliser au contraire un langage mettant la personne au premier plan (par exemple : « une personne dyslexique »).
Les termes « souffrir de » et « souffrant de » sont inappropriés. Ils suggèrent une douleur constante et une certaine impuissance et découlent de la conviction que les personnes handicapées ont une qualité de vie médiocre. On dira plutôt qu’une personne « a [un handicap] » ou « est [aveugle/sourde/sourde-aveugle] ».
Le terme « victime » ne doit être utilisé que lorsque cela est strictement nécessaire compte tenu du contexte. Il n’est pas approprié de dire qu’une personne est « victime de paralysie cérébrale », par exemple. Avoir une paralysie cérébrale ne fait pas de la personne une « victime ». Une victime est une personne qui a subi un préjudice ou une violation de ses droits. Les victimes sont souvent perçues comme vulnérables et sans défense. Il convient d’en tenir compte lorsqu’on utilise ce terme pour désigner une personne handicapée.
On évitera les expressions comme « elle a transcendé son handicap ». Le corps et l’esprit ne peuvent être séparés de la personne. Ce langage capacitiste est offensant à l’égard des personnes handicapées.
La plupart des personnes handicapées ne sont pas heurtées par certaines expressions de la vie courante qui, pourtant, pourraient sembler maladroites. Il est tout à fait possible de dire « allons marcher » à une personne en fauteuil roulant ou d’écrire « tu vois ce que je veux dire ? » à une personne aveugle. En revanche, des expressions péjoratives comme « dialogue de sourds » ou « [faire quelque chose] à l’aveugle » sont à éviter, même dans un contexte informel. Les métaphores comme « être aveugle à », « tomber dans l’oreille d’un sourd » ou « sur un pied d’égalité » sont à utiliser avec discernement.
Utilisés à mauvais escient, les mots peuvent faire mal. Il faut donc éviter de dire « je dois avoir Alzheimer » quand on a un trou de mémoire, ou « c’est un paranoïaque » à propos de quelqu’un qui fait preuve d’une méfiance excessive. On ne doit jamais utiliser un terme lié au handicap comme une insulte ou de façon péjorative. Par exemple, on n’utilisera pas le mot « boiteux » pour dire « bancal » ou « non conforme aux règles ».