Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DU NIGER
Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par le Niger sur la mise en œuvre des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La délégation du Niger était dirigée par le Ministre de la justice et garde des sceaux, M. Marou Amadou, qui a notamment fait valoir que la législation nigérienne imposait de gérer les ressources naturelles de manière transparente en prenant en compte la protection de l'environnement et du patrimoine culturel, ainsi que la préservation des intérêts des générations présentes et futures. Il a rappelé que le Niger était confronté depuis 2015 à une situation d'insécurité à ses frontières qui l'ont contraint à instaurer des mesures exceptionnelles telles que l'état d'urgence, sans toutefois porter atteinte aux droits indérogeables consacrés par les instruments internationaux. L'an dernier, une loi a été votée « afin d'inciter les combattants terroristes à déposer les armes » tout en créant un fonds d'indemnisation pour les victimes. M. Amadou a par ailleurs attiré l'attention sur les activités de l'Agence nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic illicite des migrants, qui menait régulièrement des actions de formation et de sensibilisation qui ont permis d'enregistrer des avancées dans la lutte contre ce fléau, surtout dans le nord du pays, point d'entrée de l'immigration clandestine à destination de l'Europe. Le Niger reste aussi confronté à d'autres défis tels que les pesanteurs socioculturelles et le poids de la coutume, qui constituent un frein à certaines réformes comme celles visant à mettre fin à la discrimination à l'égard des femmes et des enfants dans certains domaines.
La délégation nigérienne était également composée, notamment, de Mme Fatima Sidikou, Représentante permanente à Genève, ainsi que du conseiller principal du Premier ministre, du Président de la Commission des affaires générales et institutionnelles de l'Assemblée nationale, et de fonctionnaires du Comité interministériel chargé de la rédaction des rapports aux organes conventionnels et aux fins de l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme. Elle a répondu aux questions qui lui ont été posées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de l'application du droit coutumier; de la refonte du système judiciaire et de la procédure pénale; des attributions de la Commission nationale des droits humains; de la lutte contre la corruption; des revenus de l'exploitation minière; de la loi d'amnistie; de l'incrimination de l'avortement; de la jouissance des libertés d'expression et de manifester; de la lutte contre la torture; du droit à l'alimentation; de la traite d'êtres humains; des violences basées sur le genre. La délégation a démenti une prévalence du droit coutumier sur le droit écrit, affirmant que le pays connaissait une « dualité des normes » juridiques, qui permet au citoyen d'opter pour la coutume plutôt que pour le droit moderne. Toutefois, a-t-elle assuré, le Pacte est connu des magistrats et pris en compte dans leurs jugements.
Au cours des échanges, les membres du Comité ont notamment souligné que les dispositions du Pacte devraient s'imposer dans les processus législatifs du fait même que cet instrument a été librement ratifié par le Parlement national. Outre le défi du développement, le pays fait face à la fois à un défi démocratique, au défi du terrorisme et au défi de la migration. À cet égard, l'attitude positive et hospitalière du Niger a été saluée, même si des abus sont commis par des membres des Forces de défense et de sécurité envers les migrants faisant route vers l'Europe. Le problème important de la corruption a aussi retenu l'attention des membres du Comité, notamment dans le contexte de sociétés étrangères d'exploitation minière.
Les observations finales du Comité sur le rapport du Niger seront rendues publiques après la clôture de la session, qui se termine le 29 mars prochain.
Cet après-midi et demain matin, le Comité procèdera à l'examen du rapport de l'Angola (CCPR/C/AGO/2).
Présentation du rapport du Niger
Le Comité est saisi du rapport du Niger (CCPR/C/NER/2) et de ses réponses (CCPR/C/NER/Q/2/Add.1) à une liste de points à traiter (CCPR/C/NER/Q/2) que lui a adressée le Comité.
M. MAROU AMADOU, Ministre de la justice, garde des sceaux du Niger, a indiqué que le rapport couvrait la période 1993-2014, précisant que de nombreuses avancées étaient intervenues depuis lors. Il a fait valoir que la rédaction du rapport résultait d'un processus participatif et inclusif ayant impliqué notamment la Commission nationale des droits humains ainsi que les organisations de la société civile. Il a ajouté que la législation du pays imposait de gérer les ressources naturelles de manière transparente en prenant en compte la protection de l'environnement, du patrimoine culturel ainsi que la préservation des intérêts des générations présentes et futures qui s'appuie sur la création d'un fonds dédié à ces dernières.
Le Niger a souscrit à l'Initiative sur la transparence des industries extractives (ITIE) qui oblige à publier toute convention minière signée par l'État. M. Amadou a précisé qu'après une courte période de suspension de la participation de son pays à l'ITIE, Niamey avait fait son retour il y a quelques semaines en acceptant les 23 mesures proposées. Il a par ailleurs indiqué que le code minier prévoit que 85% des recettes reviennent au budget national, le reste à celui des collectivités concernées.
M. Amadou a rappelé que le Niger était confronté depuis 2015 à une situation d'insécurité à presque toutes ses frontières, ce qui l'a contraint à instaurer des mesures exceptionnelles, comme l'état d'urgence, « qui, en dépit de leur inconvénient, ne portent atteinte en aucun cas aux droits indérogeables consacrés par les instruments internationaux ». À la fin de l'an dernier, une loi a été votée « afin d'inciter les combattants terroristes à déposer les armes », tout en créant un fonds d'indemnisation pour les victimes. Ces combattants ne sont pas poursuivis à condition qu'ils n'aient pas commis de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou de génocide. Dans le même temps, le Niger participe à la force régionale du G5 Sahel qui a permis aux pays de la sous-région de mutualiser leurs forces.
Le processus d'abolition de la peine de mort vient d'être relancé pour la troisième fois, le Ministre de la justice précisant qu'elle n'a pas été appliquée depuis 1976, « ce qui fait du Niger un pays abolitionniste de fait ». Toutes les condamnations à la peine capitale ont été commuée en emprisonnement à vie.
« Les libertés fondamentales constituent une réalité au Niger », a affirmé le ministre. Le pays compte plus de 450 associations de défense des droits de l'homme et 113 formations politiques. Le code électoral fait actuellement l'objet d'une révision sous l'égide du Conseil national de dialogue politique afin de prendre en compte les insuffisances relevées par les partis lors des élections de mars 2016. Par ailleurs, pour renforcer la participation des femmes à la vie politique, le chef de l'État a demandé au Gouvernement de réfléchir à revoir à la hausse le quota tant pour les postes électifs que nominatifs.
M. Amadou a précisé, par ailleurs, que l'Agence nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic illicite des migrants menait régulièrement des actions de formation et de sensibilisation qui ont permis d'enregistrer des avancées dans la lutte contre ce phénomène, surtout dans le nord du pays, point d'entrée de l'immigration clandestine à destination de l'Europe ». Des efforts ont également été accomplis dans le domaine de la lutte contre les violences basées sur le genre, ainsi que les pratiques néfastes. Il a notamment cité l'initiative « Illimin » de 2015 visant à réduire le taux de mariage des enfants et de retarder les grossesses précoces.
S'agissant de l'interdiction de la torture, malgré l'absence de loi spécifique, tous les actes constitutifs de torture font systématiquement l'objet de sanctions administratives ou pénales quels que soient les auteurs, notamment au titre des coups et blessures volontaires.
L'organisation judiciaire a été entièrement refondue. Cette réforme a été de pair avec la création de l'École de formation judiciaire du Niger afin d'améliorer la qualité de la formation des magistrats. En outre, l'Agence nationale de l'assistance juridique et judiciaire, créée en 2011, a ouvert des bureaux locaux dans les dix tribunaux de grande instance. Des travaux d'intérêt général ont été instaurés afin de favoriser la réinsertion des délinquants. Pour améliorer les conditions de vie carcérale, ont été construits ou réhabilités 19 établissements pénitentiaires, 28 quartiers des mineurs et des infirmeries en vue de conformer le système pénitentiaire nigérien aux normes internationales.
Le Ministre de la justice a toutefois reconnu que malgré ces avancées, de nombreux défis restaient à relever pour assurer l'effectivité de l'ensemble des droits civils et politiques par le Niger. Le défi sécuritaire né de sa proximité notamment avec le Mali, la Libye, le Nigeria est à l'origine de l'afflux de plusieurs centaines de migrants, de réfugiés, et de retournés et déplacés internes.
Le Niger reste aussi confronté à d'autres défis tels que les pesanteurs socioculturelles et le poids de la coutume qui constituent un frein à certaines réformes comme celles visant à mettre fin à la discrimination à l'égard des femmes et des enfants dans certains domaines. En conclusion, M. Amadou en a appelé au retour de la centralité du multilatéralisme, aujourd'hui sérieusement mise à mal, pour surmonter les obstacles qui se dressent sur le chemin de l'effectivité des droits partout et pour tous.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Un membre du Comité a estimé qu'outre le défi du développement, le pays faisait face à un défi démocratique, au défi du terrorisme – qui « complique énormément le respect des droits de l'homme » – et au défi de la migration. À cet égard, il s'est félicité de « l'attitude positive et hospitalière » du Niger. Il est l'un des rares pays à avoir adopté une législation sur la migration interne, l'expert mentionnant la Convention de Kampala (Convention de l'Union africaine sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique), instrument auquel a souscrit Niamey.
L'expert a toutefois souhaité une meilleure diffusion du Pacte, particulièrement au niveau des tribunaux de justice. Il a également exprimé sa préoccupation que le droit nigérien semble donner la prévalence à la coutume, ce qui revient, a-t-il estimé, à donner une prévalence à certaines formes de discriminations. Il est important de s'assurer que la coutume ne viole pas les dispositions du Pacte. La question se pose de savoir s'il est loisible aux individus de choisir librement entre la loi écrite et le droit coutumier. Ainsi, concrètement, si le code civil est réformé en alignant l'âge de nubilité sur les normes internationales, sera-t-il néanmoins possible, pour les familles et candidats au mariage, d'opter malgré tout pour la coutume qui permet de se marier avant la majorité légale ?
Par ailleurs, l'expert a relevé que la Commission nationale des droits humains ne comptait qu'une seule femme. Il a aussi estimé que l'institution ne semblait pas disposer de ressources suffisantes, compte tenu des larges attributions prévues par la loi.
S'agissant de la lutte contre la corruption, qui constitue un problème important de l'aveu même de l'État partie, un membre du Comité a mentionné plusieurs cas récents ayant même éclaboussé des membres du gouvernement. Pour sa part, la police, par manque de moyens, est gangrenée par ce qu'il a appelé de la « petite corruption ». L'expert a aussi cité la disparition de quelque 200 millions de dollars, évaporés du budget de l'État en 2014. Il a estimé que certains mécanismes institutionnels de contrôle n'ont pas montré leur efficacité, là aussi par manque de moyens. Il a par ailleurs cité le cas de la société française Orano (anciennement Areva) dont les activités d'exploitation des mines d'uranium dans le nord du pays feraient l'objet d'une faible imposition et dont le renouvellement du contrat d'exploitation a manqué de transparence. Intervenant également sur la question de la lutte contre la corruption, un autre expert a constaté que les institutions de lutte contre ce fléau n'ont pas toujours les moyens de lutte nécessaires. Le Niger se fixe-t-il un horizon pour y remédier ?
L'expert a déclaré que si l'amnistie pouvait parfois apparaître comme un moyen de sortir d'un conflit, la question des réparations pour les victimes est cruciale, ce qui implique de disposer des ressources nécessaires. Un autre a déploré l'impunité dont jouissait l'armée grâce à l'amnistie qui a été accordée s'agissant de la répression sanglante ayant entraîné des violations des droits de l'homme au cours de la rébellion touarègue au début des années 1990. En outre, les victimes ou leurs proches n'ont pas bénéficié de réparations. Plus récemment, les autorités ne semblent pas avoir pris des mesures de sécurité suffisantes pour améliorer la protection des populations victimes des exactions du mouvement Boko Haram dans la région du lac Tchad. Un autre expert a relevé un certain flou dans la définition du concept de terrorisme dans le Code pénal. Il a cité la perturbation des services publics comme susceptibles d'être qualifiée pénalement comme un acte terroriste. L'incrimination pour « perturbation des services publics » est susceptible d'être comprise comme une atteinte au droit de manifester, a renchéri un autre membre du Comité. Ne faudrait-il pas revisiter le Code pénal et le code de procédure pénale afin de les rendre conformes aux dispositions du Pacte ? Une autre experte a demandé si la délégation disposait de données sur le nombre de manifestations interdites et sur les motifs de ces décisions. Elle s'est demandé si les manifestations de l'opposition ne seraient pas plus fréquemment interdites que les autres ? Elle a attiré l'attention sur le fait que des manifestations officiellement autorisées étaient néanmoins empêchées.
Un membre du Comité a aussi abordé la problématique de l'égalité des sexes, souhaitant avoir des éclaircissements sur la stratégie nationale menée dans ce domaine et sur le plan d'action qui l'accompagne. Il a estimé qu'une sensibilisation de la population aurait son utilité, s'agissant particulièrement des questions relatives à la violence, y compris le viol conjugal, l'expert précisant qu'il semble pratiquement inenvisageable pour une épouse de porter plainte contre son mari.
Une experte a demandé s'il ne serait pas opportun d'adopter une loi générale sur la discrimination mentionnant tous les motifs. Elle a suggéré d'amender le code civil et le code de la famille. Elle a relevé que la coutume prévalait en matière de polygamie, de répudiation et de propriété foncière. Elle a cité la pratique de la wahaya, permettant à un homme d'avoir une cinquième épouse qui est, de fait, une esclave. Elle a enfin mentionné le constat fait par le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes qui a jugé insuffisant le quota minimal de femmes aux postes électifs au Niger.
Une série de questions a été posée sur la santé sexuelle et reproductive, notamment s'agissant de l'interdiction de l'interruption volontaire de grossesse même en cas de viol ou d'inceste. Une experte a notamment relevé des condamnations de femmes ayant avorté. Elle a voulu savoir si le fait de fournir des informations sur les conditions permettant de réaliser un avortement de manière sûre constituait un délit. Elle a souhaité savoir si la délégation disposait de statistiques sur la pratique de l'avortement.
L'experte a souhaité connaître les facteurs qui avaient empêché à deux reprises les démarches en vue de l'abolition de la peine de mort. Elle a aussi voulu savoir quels éléments donnent à penser à la délégation qu'une troisième tentative aboutira. La peine de mort est-elle encore prononcée, a-t-elle également demandé. Elle a tenu à rappeler que la peine capitale avait été abolie dans un certain nombre de pays en dépit du fait que cette décision n'était pas populaire au sein de la population.
Un expert a soulevé la question du droit à l'alimentation qui est lié au droit à la vie et à la sécurité alimentaire et qui est d'ailleurs mentionné par la Constitution nigérienne. Est-il envisagé de collecter des données sur la faim et la malnutrition, comme l'a recommandé au Niger le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ?
Un membre du Comité a demandé si la fermeture de médias faisait partie des compétences du pouvoir exécutif alors que cela relève normalement de prérogatives du Conseil supérieur de la communication. Il a cité le cas de journalistes arrêtés au sortir d'un débat télévisé, et d'un autre qui a été détenu pendant un an avant d'être finalement expulsé du pays, son certificat de nationalité ayant été considéré comme invalide. Le classement du Niger par l'organisation Reporters sans frontières est en recul année après année, a-t-il noté.
Les dernières élections se sont déroulées de manière globalement acceptable, selon les observateurs internationaux, a noté un membre du Comité. Toutefois, le Conseil national du dialogue politique a adopté au début de l'année un nouveau code électoral qui a été rejeté par les partis d'opposition, ceux-ci qualifiant le processus de « farce ». Il a demandé si le Niger envisageait d'adopter une loi générale sur l'accès à l'information de la population. Envisagerait-il aussi de prendre des mesures destinées à garantir le droit des populations à une participation dans la gestion des ressources naturelles et aux processus de décision relatifs aux projets d'investissements ayant un impact social et environnemental.
Une experte a demandé si le Niger prévoyait de prendre des mesures contre la discrimination et la stigmatisation des malades du VIH/sida. Elle a relevé par ailleurs que le fonds spécial d'indemnisation des victimes de la traite n'avait pas été mis en place. Elle s'est aussi intéressée à la formation des forces de l'ordre, rappelant les principes fondamentaux de l'ONU sur le maintien de l'ordre, en matière de proportionnalité notamment. Tout en se félicitant de la présence d'organisations de la société civile nigérienne à Genève, elle a souhaité savoir si les recommandations du Comité seraient diffusées à l'issue du présent examen.
Un autre expert a cité plusieurs exemples de décès dans le désert nigérien de migrants tentant de se rendre en Europe. Il a mis en cause l'attitude des agents des Forces de défense et de sécurité (FDS) qui dépouillent les migrants aux postes de contrôle, ce qui les incite à emprunter des voies détournées pouvant occasionner des pertes en vies humaines. Combien d'enquêtes ont-elles été menées pour élucider ces affaires et des réparations ont-elles été octroyées aux victimes, a-t-il demandé, alors que les autorités ont affirmé adopter une politique dite de tolérance zéro face à la corruption de membres des FDS, en particulier aux postes-frontières. Il a cité la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaine d'esclavage qui estimait en 2015 que parmi les pires formes de travail des enfants, l'une des plus fréquentes au Niger était la mendicité forcée. Or nul n'a à ce jour été reconnu coupable d'avoir commis cette infraction.
Un membre du Comité a évoqué des irrégularités en matière de garde à vue – non information du motif de l'interpellation, absence tardive de présentation à un juge notamment. D'une manière générale, la lenteur de la justice apparaît comme un problème récurrent, a-t-il noté. Les magistrats du siège et du parquet sont nommés par le chef de l'État, ce qui porte à s'interroger sur leur indépendance. L'expert a noté, pour le regretter, qu'en matière de justice, le Niger suivait le modèle français.
Des mesures ont-elles été prises pour interdire les châtiments corporels dans les établissements scolaires classiques et les écoles coraniques, a demandé une experte. Des poursuites sont-elles intentées contre les responsables ? Elle a par ailleurs souhaité savoir ce qu'il en était des droits fonciers des populations pastorales et nomades, demandant à la délégation ce qui était fait pour régler les conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs.
Réponses de la délégation
La délégation a notamment souligné que, dans le monde rural, le Niger compte 80% d'analphabètes. Tous les enfants nigériens ne fréquentent pas encore l'école. Les moyens du pays sont très limités et l'aide internationale est insuffisante pour faire face à une crise multidimensionnelle telle que celle que connaît le pays. Le défi représenté par Boko Haram a contraint à rediriger certaines ressources vers la sécurité. Car, a-t-elle souligné, il faut bien être conscient que sans sécurité, les enseignants fuient l'école et les juges abandonnent les tribunaux.
Si la prévalence de la coutume est une réalité, il ne s'agit pas d'une question de droit, a expliqué la délégation. Le Gouvernement est soumis à des contraintes socioculturelles et les réformes les plus révolutionnaires que le Gouvernement a proposées ont fréquemment été retoquées par l'Assemblée. Le Gouvernement privilégie l'éducation pour faire évoluer les mentalités, a expliqué la délégation. Il s'agit de convaincre l'opinion que certaines discriminations ne sont pas acceptables, tout en tenant compte des pesanteurs socioculturelles. Il faut beaucoup de pédagogie, de travail et de patience pour faire évoluer les mentalités. Il ne suffit pas d'adopter des lois pour qu'elles soient effectives.
La religion est très présente au Niger, a souligné la délégation, ce qui signifie concrètement que les populations ne sont pas prêtes à accepter l'abolition de la peine de mort par exemple ou la réforme du code civil. « Lorsque la population n'est pas prête dans ces pays fragiles, on ne force pas les choses », a-t-elle affirmé. Pour la plupart des Nigériens, « celui qui tue doit être tué », a-t-elle expliqué. La délégation a par la suite jugé bonnes les perspectives de parvenir cette fois à l'abolition de la peine capitale après deux premières tentatives qui ont échoué. Il est en effet admis qu'il est inutile de maintenir dans l'arsenal judiciaire une sanction qui n'est et ne sera jamais appliquée, a expliqué la délégation.
La refonte du système judiciaire a permis de le rendre conforme au Pacte. Celui-ci est connu des tribunaux et pris en compte dans leurs décisions. L'absence d'accès des femmes à la terre est inconstitutionnelle et viole le Pacte, a d'ailleurs jugé récemment un tribunal. Après la réforme du code civil, et comme c'est déjà le cas à l'heure actuelle, le citoyen nigérien pourra toujours choisir entre le droit coutumier et le droit moderne. Il est inexact de dire qu'il y a prévalence de la coutume: il y a plutôt dualité des normes, a expliqué la délégation qui a souligné par ailleurs qu'il convenait de ne pas confondre coutume et religion. Elle a par la suite indiqué que le Code civil serait réformé afin de porter l'âge du mariage des filles de 15 à 18 ans.
La Commission nationale des droits humains est une institution élective composée de membres élus, ce qui signifie qu'il ne suffit pas de décréter un quota de femmes pour assurer leur représentation équitable. La Commission dispose de moyens peut-être insuffisants mais nettement supérieurs à ce qui était le cas lors de sa création, a déclaré la délégation, qui a ajouté qu'aucun service, aucune administration au Niger ne disposait de moyens suffisants.
En Afrique, le Niger est un pays exemplaire en matière de lutte contre la corruption, comme l'a souvent relevé Transparency International, a fait valoir la délégation. Relevant qu'il a été reproché au chef de l'État d'avoir fait acheter un avion présidentiel neuf, la délégation a souligné que le Président disposait auparavant d'un vieil appareil des années 70 qui représentait un risque en matière de sécurité.
La répartition des revenus de l'exploitation minière – 85% pour l'État, 15% pour les collectivités locales – n'est pas encore tout à fait respectée, a reconnu la délégation. Des efforts sont faits pour y parvenir, notamment au moyen du fonds souverain nigérien, qui verra le jour dans quelques années. Le Niger -- et l'Afrique d'une manière générale -- sont confrontés au problème de la juste rétribution de ses ressources minières. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a d'ailleurs voté une résolution allant dans ce sens. La délégation a par la suite assuré que des précautions environnementales étaient prises dans le cadre de l'exploitation minière, notamment afin de protéger les activités pastorales.
La délégation a souligné que l'application de la loi d'amnistie devait respecter les dispositions du Pacte: tout acte criminel doit être jugé. La délégation a rappelé le cas de l'Afrique du Sud, qui est sortie d'un long conflit par une formule originale de justice transitionnelle. Si elles ne sont pas satisfaisantes, les lois d'amnistie ont l'avantage, en effet, de permettre le retour à la paix. Elles provoquent la frustration des victimes privées de la possibilité d'intenter des poursuites pénales contre les personnes leur ayant nui mais elles ne leur interdisent pas de demander réparation. Certains combattants de Boko Haram sont des victimes, des gens ignorants et endoctrinés. Il faut permettre à ceux n'ayant pas de sang sur les mains de retrouver la vie civile et ainsi désorganiser les organisations d'insurgés en asséchant le vivier dans lequel elles puisent.
La délégation a démenti certaines informations fournies au Comité par les organisations de la société civile, notamment celles selon lesquelles les autorités n'auraient pas assuré la protection des populations du lac Tchad mises en coupe réglée par Boko Haram. La population locale a été encouragée à gagner des territoires sûrs et il ne s'agit en aucun cas de déplacements forcés, a assuré la délégation. L'armée elle-même a eu de nombreuses victimes. Le pays compte plus de 300 000 réfugiés et autant de déplacés internes, a souligné la délégation, estimant que le Niger devait être félicité pour son attitude dans ce domaine, a fortiori lorsque l'on constate que les pays riches n'en font pas autant. Elle a aussi démenti que la définition du terrorisme dans la législation nigérienne était floue, assurant que cette législation s'inspirait des normes internationales.
En matière de « mesures temporaires spéciales », la délégation a reconnu l'insuffisance du quota de 15% réservé aux femmes. Le Gouvernement travaille sur l'éventualité de passer à 15 à 20% pour les postes électifs et à 30% pour les nominations.
L'avortement reste incriminé en dehors des exceptions prévues par la loi: lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte et lorsqu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité au moment du diagnostic. L'opinion populaire estime que le fœtus est un être vivant, qu'il a un cœur qui bat et qu'il est donc criminel de le supprimer.
S'agissant de la liberté de manifester, la délégation a déploré que dans les instances des droits de l'homme on prétende que telle mesure, telle arrestation d'opposants soit illégale, sans prendre en compte que les personnes mises en cause puissent être responsables d'atteintes à l'ordre public. La jouissance des libertés implique qu'elles s'expriment dans le respect de la loi et de l'ordre. Or, lorsqu'il y a trouble à l'ordre public, les auteurs se trouvent sous le coup de sanctions pénales, comme c'est aussi le cas par exemple avec certains « gilets jaunes » en France à l'heure actuelle. Pour la délégation, le Niger jouit d'une belle démocratie en construction. Certains journalistes, certains défenseurs des droits de l'homme sont en fait des opposants. Il ne suffit pas de s'identifier clairement comme opposant pour être dispensé de respecter la loi et l'ordre, a souligné la délégation. Elle a par ailleurs dit pouvoir donner plusieurs exemples de poursuites et de sanctions à la suite de bavures policières, citant le cas de policiers qui ont été condamnés à deux ans de prison ferme et licenciés après avoir maltraité deux étudiants lors d'une manifestation. La plupart des manifestations sont autorisées, a assuré la délégation. Elles peuvent être interdites lorsqu'il y a des risques évidents d'atteinte à l'ordre public, la délégation citant un cas où les organisateurs appelaient à une manifestation nocturne, ce qui n'est pas envisageable dans une ville mal éclairée comme Niamey.
L'ensemble des délits de presse ont été dépénalisés, ce qui signifie qu'on ne peut poursuivre un journaliste dans l'exercice de ses fonctions en vertu de la liberté d'expression. Depuis 2011, personne n'est plus poursuivi pour ses prises de position. En revanche, des poursuites ont pu être entreprises pour la production de faux. Dans 90% des plaintes de journalistes pour des allégations d'atteinte à leur liberté d'expression, le juge leur donne raison, a fait valoir la délégation.
La délégation a démenti que la torture soit pratiquée couramment au Niger. En entendant certaines questions des membres du Comité, son chef a dit avoir parfois le sentiment que l'on ne parlait pas de son pays.
En réponse à d'autres questions, la délégation a indiqué que le pays s'était fixé pour objectif de renforcer ses capacités de production alimentaire afin d'en finir avec la faim d'ici 2030. Le plan d'action à cette fin met l'accent sur la maîtrise de l'eau et des ressources halieutiques par une gestion intégrée et durable des ressources naturelles.
S'agissant de la procédure pénale, la délégation a indiqué que la personne mise en cause peut faire appel à un avocat dès le début de sa garde à vue. La détention provisoire est de six mois renouvelables une fois pour une personne accusée d'un délit. En cas de présomption de crime, la détention provisoire est de 18 mois renouvelables pour 12 mois. Cela contraint le magistrat instructeur à faire montre de la célérité nécessaire pour instruire le dossier. Les cas de détention arbitraire qui ont pu se produire sans le mandat d'un juge ont fait l'objet de poursuites des responsables de l'infraction, s'agissant du ou des responsables des établissements pénitentiaires concernés. Les juges et les membres des forces de l'ordre ont droit à une formation en droits humains qui est souvent assurée par des experts étrangers.
Les responsables de la pratique de la wahaya (cinquième épouse) et d'autres formes de traite d'êtres humains sont désormais poursuivis en justice, ce qui n'était pas le cas auparavant. À la question de savoir combien de personnes sont réduites en esclavage au Niger, la délégation a reconnu ne disposer d'aucune donnée à ce sujet, émettant d'ailleurs des doutes quant à la réalité du phénomène, même s'il y a quelques années une ONG a donné le chiffre de 800 000 personnes. S'il existe des cas d'esclavage en Afrique de l'ouest, le Niger est certainement loin d'être le plus concerné, a-t-elle estimé.
Les violences basées sur le genre touchent toutes les catégories de la population. La stratégie nationale contre ces violences vise à les diminuer de moitié, en premier lieu par des actions de sensibilisation. Le coût total de cette stratégie a été fixé à 4,2 milliards de francs CFA, ce qui impliquera une contribution des partenaires du Niger.
Enfin, parmi les réponses données en bref par la délégation, elle a indiqué que la gratuité des soins de santé bénéficiait aux femmes enceintes et aux enfants de moins de cinq ans.
Déclarations de conclusion
Le chef de la délégation du Niger, M. AMADOU, a souligné que certaines assertions faites par les membres du Comité étaient exactes, d'autres erronées. Le Ministre nigérien de la justice a rappelé que son rôle était de donner les réponses du point de vue de son administration. Il s'est dit convaincu que les membres du Comité étaient certainement bien conscients des exagérations d'une certaine presse et de certaines organisations non gouvernementales. Il a enfin mis en garde contre le penchant à mettre sur le même plan démocraties et dictatures.
Le Président du Comité, M. AHMED AMIN FATHALLA, s'est félicité de la franchise des échanges et a dit attendre un certain nombre des précisions que la délégation s'est engagée à apporter par écrit. Il a observé que si le Parlement nigérien n'avait pas été en mesure d'adopter un certain nombre de textes qui étaient contraires à la coutume, il avait lui-même ratifié les instruments internationaux auxquels le pays est ainsi devenu partie et dont les dispositions s'imposent à lui.
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CCPR/19/4F