Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DES PAYS-BAS
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport des Pays-Bas sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le rapport a été présenté conjointement par M. Siebe Riedstra, Secrétaire général du Ministère de la justice des Pays-Bas; M. Alexander Van Dam, Procureur général d’Aruba; M. Van Hugh Cornelius De Weever, Ministre de la justice de Sint Maarten; et M. Quincy Girigorie, Ministre de la justice de Curaçao, chef de la délégation.
M. Girigorie a rappelé que, depuis 2010, le Royaume des Pays-Bas est composé de quatre pays autonomes: les Pays-Bas, comprenant également les « municipalités spéciales » de Bonaire, Saint-Eustache et Saba (aussi appelées « Pays-Bas des Caraïbes »); et les trois « îles-nations » d’Aruba, Curaçao et Sint Maarten.
M. Girigorie a assuré le Comité de l’engagement de Curaçao à respecter ses obligations internationales et nationales en matière de prévention et de répression de la torture. À titre d’exemples de cet engagement, M. Girigorie a cité les dispositions du Code de procédure pénale qui obligent les juges et procureurs à inspecter la prison deux fois par an; la passation d’un accord entre le Ministre de la justice, la police et le parquet en vue d’améliorer le traitement des victimes d’agressions sexuelles; ou encore la distribution, à tous les nouveaux détenus, d’un manuel les informant de leurs droits et de la manière de déposer plainte.
M. De Weever a indiqué que la Constitution de Sint Maarten consacrait le droit de chacun de ne pas subir la torture ou de mauvais traitements. Pour donner effet à ce droit, les autorités de Sint Maarten dispensent des formations destinées à améliorer le comportement des forces de l’ordre et ont adopté un nouveau Code pénal ainsi qu’une loi relative aux abus commis par des fonctionnaires.
Pour sa part, M. Alexander Van Dam a souligné qu’Aruba avait adopté un nouveau Code pénal en 2014 et que de nouvelles mesures de prise en charge de personnes atteintes de troubles psychiatriques avaient été adoptées. Il a ajouté qu’Aruba, Sint Maarten et Curaçao avaient créé un groupe de travail conjoint chargé de préparer l’ouverture d’un institut médico-légal consacré au traitement des détenus atteints dans leur santé mentale. Le Procureur général a ajouté que son pays était, comme d’autres dans la région, confronté à l’immigration et aux demandes de protection de ressortissants vénézuéliens.
Enfin, M. Riedstra a notamment indiqué que l’interdiction absolue de la torture faisait partie intégrante de l’ordre juridique des Pays-Bas. Il a en outre souligné que son Gouvernement avait pris bonne note de critiques faites s’agissant des ailes réservées aux terroristes dans les prisons néerlandaises.
La délégation était également composée de Mme Monique van Daalen, Représentante permanente du Royaume des Pays-Bas auprès des Nations Unies à Genève; et de nombreux représentants des Ministères des affaires étrangères, de la justice et de la sécurité du Royaume des Pays-Bas ainsi que des autorités de Curaçao, de Sint Maarten et d’Aruba.
La délégation a répondu aux questions des membres du Comité concernant, notamment, l’harmonisation de législation pénale entre les différentes parties du Royaume; l’augmentation du nombre de placements obligatoires en institution psychiatrique; les questions relatives aux migrants et à l’asile; les garanties procédurales et les conditions de détention; ou encore la lutte contre la traite des êtres humains.
M. Abdelwahab Hani, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Royaume des Pays-Bas, a notamment fait observer que la loi de la partie européenne du Royaume n’était pas entièrement conforme à la Convention et a regretté que l’échelle des sanctions prévue par la loi néerlandaise ne soit pas adaptée à la gravité des faits.
M. Hani a d’autre part relevé que les efforts des Pays-Bas dans la lutte contre la traite des êtres humains étaient, selon certaines sources, compromis par des difficultés budgétaires. Il a ensuite relevé que le Protocole facultatif à la Convention, ratifié par les Pays-Bas en 2010, ne s’appliquait que dans la partie européenne du Royaume et a fait observer que l’Ombudsman des Pays-Bas avait cessé sa collaboration avec le mécanisme néerlandais de prévention de la torture, institué en vertu dudit Protocole, au motif du manque d’indépendance de ce mécanisme.
Mme Honghong Zhang, corapporteuse pour l’examen du rapport des Pays-Bas, a notamment fait état de critiques relatives à la détention des demandeurs d’asile à Curaçao, où les abus seraient généralisés. Elle a en outre relevé que nombre de demandeurs d’asile sont automatiquement détenus à leur arrivée à l’aéroport de Schiphol (Amsterdam) et s’est dite préoccupée que les conditions de détention dans le centre de Schiphol présentent des similitudes avec le régime de la détention pénale. La corapporteuse a par ailleurs regretté que les migrants n’aient qu’un accès limité aux soins de santé et aux conseils juridiques.
D’autre part, Mme Zhang a rappelé que le Comité avait déjà recommandé aux Pays-Bas de faire en sorte que les enfants de moins de 18 ans relèvent d’un système de justice pour mineurs, quelle que soit la gravité des accusations portées contre eux. Aucun mineur ne doit être détenu dans une prison pour adulte, comme cela arrive à Bonaire, a insisté l’experte.
Mme Zhang a également insisté pour que les autorités néerlandaises mettent en place des mécanismes et fixent des critères pour l’admission dans les établissements de soins psychiatriques et pour qu’elles déterminent précisément pourquoi le nombre d’admissions forcées dans ces établissements a augmenté.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport des Pays-Bas et les rendra publiques à l'issue de la session, le 7 décembre prochain.
Demain après-midi, à partir de 15 heures, la délégation du Canada répondra aux questions qui lui ont été posées ce matin par les membres du Comité.
Présentation du rapport
Le Comité est saisi du septième rapport périodique des Pays-Bas (CAT/C/NLD/7), établi sur la base d’une liste de points à traiter préalablement soumise au pays.
Le rapport a été présenté conjointement par M. SIEBE RIEDSTRA, Secrétaire général du Ministère de la justice des Pays-Bas; M. ALEXANDER VAN DAM, Procureur général d’Aruba; M. VAN HUGH CORNELIUS DE WEEVER, Ministre de la justice de Sint Maarten; et M. QUINCY GIRIGORIE, Ministre de la justice de Curaçao, chef de la délégation.
M. QUINCY GIRIGORIE a précisé que, depuis 2010, le Royaume des Pays-Bas était composé de quatre pays autonomes: les Pays-Bas, comprenant également les « municipalités spéciales » de Bonaire, Saint-Eustache et Saba (également appelées « Pays-Bas des Caraïbes »); et les trois « îles-nations » d’Aruba, Curaçao et Sint Maarten.
M. Girigorie a ensuite assuré le Comité de l’engagement de Curaçao à respecter ses obligations internationales et nationales en matière de prévention et de répression de la torture. À titre d’exemples de cet engagement, M. Girigorie a cité les dispositions du Code de procédure pénale qui obligent les juges et procureurs à inspecter la prison deux fois par an; la passation d’un accord entre le Ministre de la justice, la police et le parquet en vue d’améliorer le traitement des victimes d’agressions sexuelles; ou encore la distribution, à tous les nouveaux détenus, d’un manuel les informant de leurs droits et de la manière de déposer plainte.
M. Girigorie a aussi fait savoir que trois enquêtes sur des affaires de traite des êtres humains étaient en cours à Curaçao. En coopération avec l’Organisation internationale pour les migrations, les victimes de la traite qui apportent leur témoignage sont hébergées dans des lieux sûrs, reçoivent des conseils et, après les procès, elles peuvent choisir de rester à Curaçao, a indiqué le Ministre. Enfin, M. Girigorie a indiqué que Curaçao était confrontée à un afflux de Vénézuéliens, ce qui l’oblige à solliciter la coopération et l’aide, à l’intérieur comme à l’extérieur du Royaume, pour faire face à la crise régionale.
M. VAN HUGH CORNELIUS DE WEEVER a indiqué que la Constitution de son pays consacrait le droit de chacun de ne pas subir la torture ou de mauvais traitements. Pour donner effet à ce droit, les autorités de Sint Maarten dispensent des formations destinées à améliorer le comportement des forces de l’ordre et ont adopté un nouveau Code pénal ainsi qu’une loi relative aux abus commis par des fonctionnaires. Les autorités sont aussi en train de mettre en place un fonds d’appui aux victimes. Le Ministre de la justice a aussi fait savoir que Sint Maarten avait amélioré son système correctionnel: depuis 2014, les autorités ont notamment ouvert un centre de détention séparé pour mineurs en conflit avec la loi et réintroduit le port du bracelet électronique.
Malheureusement, a poursuivi M. De Weever, l’ouragan Irma, en 2017, a, entre autres dégâts, endommagé plusieurs lieux de détention et entraîné la perte d’un stock important de matériel et de véhicules de police. Cela a eu des conséquences sur les progrès réalisés par Sint Maarten pour corriger les défauts constatés dans son système de justice. Enfin, M. De Weever a fait savoir que, suite à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Corallo contre Pays-Bas [jugeant inhumaines les conditions de détention d’une personne placée en détention provisoire à la prison de Pointe Blanche de Sint Maarten], le Parlement avait appelé à une révision du système de justice, avec pour objectif prioritaire la rénovation de la prison et l’instauration de conditions de détention dignes et salubres.
M. ALEXANDER VAN DAM a souligné qu’un nouveau Code pénal avait été adopté en 2014 et que de nouvelles mesures de prise en charge de personnes atteintes de troubles psychiatriques avaient été adoptées. Il a ajouté que les trois « Pays-Bas des Caraïbes » avaient créé un groupe de travail conjoint chargé de préparer l’ouverture d’un institut médico-légal consacré au traitement des détenus atteints dans leur santé mentale.
M. Van Dam a aussi informé le Comité qu’Aruba avait pris ces dernières années des mesures importantes dans la lutte contre la traite des êtres humains. Un nouveau groupe de travail sur la traite des êtres humains et des migrants a ainsi lancé une campagne de sensibilisation multilingue, accompagnée de l’ouverture d’une ligne téléphonique d’urgence. En 2017, un procureur et une équipe de la police spécialisés dans la lutte contre la traite ont été mis en place et plusieurs cas ont été déférés à la justice. Aruba est ainsi considérée, selon le Secrétariat d’État des États-Unis, comme un des pays les plus avancés en matière de lutte contre la traite des personnes, a fait valoir M. Van Dam.
Le Procureur général a ajouté que son pays était, comme d’autres dans la région, confronté à l’immigration et aux demandes de protection de ressortissants vénézuéliens. Aruba applique une procédure de détermination du statut de réfugié conforme aux normes internationales et adaptée à l’augmentation prévisible du nombre des demandes d’asile, a déclaré M. Van DaM.
Enfin, M. SIEBE RIEDSTRA a indiqué que l’interdiction absolue de la torture faisait partie intégrante de l’ordre juridique des Pays-Bas. Il a insisté sur le fait que l’interdiction absolue de la torture faisait partie des priorités de politique étrangère du Gouvernement néerlandais.
De même, a ajouté le Secrétaire général du Ministère de la justice des Pays-Bas, de nombreuses priorités de politique intérieure ont un lien direct avec les normes de la Convention, notamment la lutte contre la traite des êtres humains, contre la violence domestique, contre les violences sexuelles et d’autres formes de violence envers les enfants. M. Riedstra a rappelé que les Pays-Bas avaient soutenu la rédaction du Protocole facultatif se rapportant à la Convention et qu’ils avaient reçu en 2016 la visite du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
M. Riedstra a ensuite précisé que le Sénat néerlandais était actuellement saisi d’un projet de loi sur la détention de migrants: ce projet consacre le principe – qui correspond en fait à la pratique en vigueur – de la détention administrative en tant que mesure de dernier recours et prévoit des mesures alternatives à la détention.
Le Secrétaire général du Ministère de la justice a déclaré que son Gouvernement avait inauguré, cet été, une nouvelle prison dans l’île de Bonaire, d’une capacité de 113 places et pouvant accueillir des détenus relevant de différents régimes de détention. En particulier, les détenus souffrant de troubles mentaux y reçoivent des soins spécialisés, a-t-il précisé.
M. Riedstra a aussi informé le Comité qu’une campagne contre la violence domestique avait été lancée dans la partie européenne des Pays-Bas et que d’autres mesures de sensibilisation avaient été prises à Bonaire en vue de remédier au problème de la violence physique et psychologique dans les relations interpersonnelles de toute nature.
Enfin, M. Riedstra a indiqué que son Gouvernement avait pris bonne note de critiques faites s’agissant des ailes réservées aux terroristes dans les prisons néerlandaises. Les autorités ont déjà montré qu’elles étaient prêtes à mener un certain nombre de réformes, notamment l’adoption de nouveaux règlements internes et une évaluation au cas par cas des risques afin de mieux différencier les détenus.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. ABDELWAHAB HANI, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Royaume des Pays-Bas, a salué les différentes mesures annoncées par la délégation, notamment la collaboration interinstitutions lancée à Curaçao concernant le traitement des victimes d’agressions sexuelles; l’adoption à Sint Maarten d’un nouveau Code pénal et de mesures visant à améliorer le système de justice à la suite de l’arrêt Corallo contre Pays-Bas de la Cour européenne des droits de l’homme; et la première étape de l’adoption d’une loi sur les migrants aux Pays-Bas. M. Hani a demandé s’il était envisagé d’adopter une loi contre la torture et – a-t-il insisté – contre les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui s’appliquerait uniformément dans les quatre parties du Royaume.
M. Hani a félicité les Pays-Bas pour leur implication dans [l’Alliance pour un commerce sans torture visant] l’élaboration d’un traité international qui interdirait le commerce des biens pouvant servir à commettre des actes de torture.
S’agissant ensuite de la définition de la torture, M. Hani a fait observer que la loi de la partie européenne du Royaume n’était pas entièrement conforme à la Convention: en effet, parmi les mobiles de la torture mentionnés dans la loi néerlandaise, ne figure pas l’objectif « (…) d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne » (article 2 de la Convention). M. Hani a par ailleurs regretté que l’échelle des sanctions prévue par la loi néerlandaise ne soit pas adaptée à la gravité des faits. Il s’est demandé en particulier si l’« amende de cinquième catégorie » prévue dans l’arsenal des sanctions répondait à la gravité du crime.
Concernant la disposition de l’article 2 de la Convention selon laquelle « l'ordre d'un supérieur ou d'une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture », M. Hani a relevé que la loi néerlandaise sur les crimes internationaux est claire, puisqu’elle stipule que « le fait qu’un crime a été commis en vertu (…) d’une ordonnance d’un supérieur hiérarchique ne rend pas cet acte licite », ce qui est conforme aux dispositions de la Convention. Cependant, pour parer à un risque d’impunité subsistant dans la loi néerlandaise, M. Hani a suggéré aux Pays-Bas d’ajouter l’ordre de torturer à la liste des ordres réputés être « manifestement illégaux » - liste, qui, en l’état, comporte l’ordre de commettre un génocide et l’ordre de commettre un crime contre l’humanité.
S’agissant des garanties procédurales, M. Hani a voulu savoir si la possibilité qu’offre la loi néerlandaise de suspendre ou de refuser l’octroi de l’aide juridique à un justiciable était ou non utilisée. Il a demandé si les migrants mis à l’isolement ont aussi le droit de consulter un avocat. L’accès à un avocat est-il possible sur un pied d’égalité dans les quatre parties du Royaume, a-t-il en outre demandé ?
De même, le corapporteur a voulu connaître le nombre de plaintes déposées contre des gardiens de prison pour violation des garanties légales fondamentales des détenus et s’est enquis des sanctions prises dans ce contexte.
M. Hani a d’autre part relevé que les efforts des Pays-Bas dans la lutte contre la traite des êtres humains étaient, selon certaines sources, compromis par des difficultés budgétaires. Il a voulu savoir si le système « M » de « signalement d’infractions en conservant l’anonymat » (paragraphe 46 du rapport) – destiné à « sensibiliser la population ainsi que les travailleurs du sexe, les clients et les travailleurs sociaux à la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et [à] les inciter à signaler les cas d’exploitation » – avait abouti à des résultats tangibles et à des condamnations. L’expert a fait observer qu’un fonctionnaire responsable de traite des êtres humains devrait être sanctionné de manière plus lourde, vu ses fonctions au sein de l’État.
M. Hani a ensuite relevé que le Protocole facultatif à la Convention, ratifié par les Pays-Bas en 2010, ne s’appliquait que dans la partie européenne du Royaume. Il a fait observer que l’Ombudsman des Pays-Bas avait cessé sa collaboration avec le mécanisme néerlandais de prévention de la torture, institué en vertu dudit Protocole, au motif du manque d’indépendance de ce mécanisme. M. Hani a voulu savoir si ce mécanisme était habilité à visiter les prisons néerlandaises louées à des pays tiers pour qu’ils y logent leurs propres détenus.
Insistant sur l’importance du principe de non-refoulement, qui interdit le renvoi d’une personne vers un pays où elle risquerait de subir la torture ou des mauvais traitements, le corapporteur a voulu savoir si ce principe était respecté dans le cadre de la crise migratoire actuelle en Amérique latine.
D’autres questions de l’expert ont porté sur les règles d’utilisation par la police des Tasers et des sprays au poivre; sur les fouilles corporelles invasives; sur la surveillance des forces armées néerlandaises engagées dans des conflits à l’étranger; et sur la réglementation des sociétés militaires et de sécurité privées.
MME HONGHONG ZHANG, corapporteuse pour l’examen du rapport des Pays-Bas, a relevé que l’Agence néerlandaise des établissements carcéraux avait dispensé en 2016 une formation à la Convention à 14 657 employés en contact direct avec des détenus, soit 30% de plus qu’en 2015. Elle a voulu savoir si les autorités de Curaçao et d’Aruba avaient assuré la même formation aux membres des services d’immigration et de l’agence chargée des demandeurs d’asile. Mme Zhang a regretté que le rapport ne donne pas d’information sur le manière dont la qualité de cette formation est évaluée ou sur son incidence sur la prévention et le respect de l’interdiction absolue de la torture.
Mme Zhang a demandé quelles étaient les raisons sous-jacentes de l’augmentation, depuis dix ans, du nombre de placements non sollicités dans les établissements de soins psychiatriques aux Pays-Bas et s’est enquise de ce que le pays comptait faire pour renforcer les mesures de surveillance dans ces établissements. L’experte a voulu connaître le fondement juridique de l’internement dans les établissements psychiatriques et sociaux.
Mme Zhang a par ailleurs fait état de critiques relatives à la détention des demandeurs d’asile à Curaçao, où les abus seraient généralisés. En 2018, a précisé l’experte, le Comité a reçu des informations selon lesquelles des femmes vénézuéliennes ont été agressées sexuellement et maltraitées par des fonctionnaires de police et de l’immigration. La corapporteuse a également prié la délégation de dire si les allégations de recours illégal à la force, aux insultes et aux mauvais traitements dans la prison de Koraal Specht de Curaçao, ainsi qu’à Bonaire et à Sint Maarten, avaient fait l’objet d’enquêtes et avec quels résultats.
Mme Zhang a relevé que nombre de demandeurs d’asile – y compris des personnes malades, mais non les familles avec enfants – sont automatiquement détenus à leur arrivée à l’aéroport de Schiphol (Amsterdam). L’experte a observé que 1060 requérants étaient concernés en 2014, sans que les chiffres ne soient disponibles pour les années suivantes. Mme Zhang s’est dite préoccupée que les conditions de détention dans le centre de Schiphol présentent des similitudes avec le régime de la détention pénale. D’autre part, la corapporteuse a prié la délégation de dire pourquoi aucun agent n’a encore rendu compte de ses responsabilités dans l’incendie qui a ravagé le centre de détention pour migrants de Schiphol en 2005.
La corapporteuse a ensuite regretté que les migrants n’aient qu’un accès limité aux soins de santé et aux conseils juridiques. Elle a recommandé aux Pays-Bas de prendre des mesures pour limiter le recours à l’isolement de migrants détenus et a voulu savoir où en était l’adoption du projet de loi portant création d’un régime distinct de détention pour les migrants sans papiers.
L’experte a fait part de ses préoccupations face à la détention répétée d’étrangers dans les centres de détention et à la durée moyenne de cette détention. Mme Zhang a fait état d’informations en possession du Comité selon lesquelles la durée de l’internement administratif des migrants pouvait en réalité dépasser la durée maximale de 18 mois mentionnée au paragraphe 130 du rapport.
D’autre part, Mme Zhang a rappelé que le Comité avait déjà recommandé aux Pays-Bas de faire en sorte que les enfants de moins de 18 ans relèvent d’un système de justice pour mineurs, quelle que soit la gravité des accusations portées contre eux. Aucun mineur ne doit être détenu dans une prison pour adulte, comme cela arrive à Bonaire, a insisté l’experte. Elle a aussi demandé à la délégation de dire ce qui avait été fait pour que la privation de liberté de mineurs reste une mesure appliquée en dernier recours après qu’eurent été privilégiées les mesures alternatives.
S’agissant de l’application des articles 12 et 13 de la Convention, qui traitent de l’obligation d’enquêter et du droit de porter plainte, Mme Zhang s’est enquise des mesures prises pour garantir que les plaintes reçues par les organes de surveillance fassent l’objet de réponses officielles et satisfaisantes, et que des enquêtes soient ouvertes chaque fois que des actes de torture, des mauvais traitements ou des mauvaises conditions de détention sont allégués. Une autre question de la corapporteuse a porté sur les réparations accordées aux victimes de tels actes.
Mme Zhang a en outre regretté que toute personne soupçonnée ou reconnue coupable de terrorisme soit automatiquement placée dans une prison de haute sécurité où elle est soumise à des traitements inhumains et dégradants.
Mme Zhang a par la suite insisté pour que les autorités néerlandaises mettent en place des mécanismes et fixent des critères pour l’admission dans les établissements de soins psychiatriques et pour qu’elles déterminent précisément pourquoi le nombre d’admissions forcées dans ces établissements a augmenté.
La corapporteuse a déploré que les terroristes condamnés et les personnes soupçonnées de terrorisme soient automatiquement placés dans les ailes spéciales des prisons, sans évaluation préalable de leur dangerosité et sans possibilité de faire recours contre la décision d’enfermement.
Une autre experte a jugé que les conditions de détention des migrants en attente de décision concernant leur demande d’asile ou en attente d’expulsion étaient plus dures que celles des personnes condamnées. L’experte a demandé que soit élevé l’âge de la majorité pénale aux Pays-Bas, qui est actuellement fixé à 12 ans. Elle a regretté le manque de prise en charge efficace des demandes d’asile déposées par des migrants mineurs non accompagnés.
Une experte a fait observer qu’un lieu de « rétention » était en réalité un lieu de détention. Elle a recommandé que les migrants placés avant leur expulsion dans les centres de rétention néerlandais soient mieux traités, afin que le Comité ne soit plus jamais saisi de plaintes à ce sujet.
Une experte a demandé si des personnes avaient été condamnées pour des faits d’usage excessif de la force contre des détenus à Sint Maarten et à Curaçao, tels que constatés par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) lors d’une visite. L’experte a demandé combien de plaintes avaient été déposées contre des policiers pour des délits relevant de la Convention.
Une experte a prié la délégation de dire quelles suites avaient été données aux violences commises par les « équipes d’intervention spéciale » dans des établissements pénitentiaires psychiatriques.
M. JENS MODVIG, Président du Comité, a recommandé que les personnes entrant en prison bénéficient systématiquement de tests de dépistage du VIH/sida et d’autres maladies transmissibles.
D’autres questions des experts ont porté sur l’accès des victimes de torture et de mauvais traitements à des soins urgents; et sur l’adoption d’une nouvelle loi sur le statut des apatrides.
Réponses de la délégation
S’agissant de l’application de la Convention à Curaçao, la délégation a précisé que les migrants détenus n’étaient jamais placés à l’isolement et qu’ils avaient accès à un avocat. Les migrants en attente d’expulsion ont le droit de recevoir l’aide de leur consulat. De janvier à avril 2018, plusieurs migrants sans papiers originaires du Venezuela ont dû être hébergés dans un commissariat faute de place, a précisé la délégation.
Répondant à des questions de suivi des experts du Comité, la délégation a par la suite indiqué que les cellules des commissariats n’étaient plus utilisées pour la détention de migrants. La majorité des migrants sont entrés illégalement à Curaçao et sont venus pour des raisons économiques, a par ailleurs précisé la délégation.
D’une manière générale, a poursuivi la délégation, l’avocat doit être présent pendant l’interrogatoire et tous les suspects sont informés dès leur arrestation de leur droit de se faire assister d’un conseil juridique. Théoriquement, l’aide juridique peut être refusée pour un motif lié à la sécurité nationale; mais le cas ne s’est jamais produit, a assuré la délégation. Aucun détenu ne s’est jamais plaint de n’avoir pu alerter un proche, a-t-elle insisté.
Trois personnes reconnues coupables de traite des êtres humains (affaire VICTORIA) ont été condamnées en 2014; parmi elles, un policier, condamné à 200 heures de travaux d’utilité collective et radié de la police, a indiqué la délégation.
L’État n’a pas effectué d’évaluation de l’efficacité des formations qu’il dispense aux fonctionnaires en matière de prévention de la torture, a reconnu la délégation.
La délégation a ensuite précisé que deux personnes étaient décédées en détention depuis 2013, toutes deux de crise cardiaque. Il a été précisé, par ailleurs, que la police de Curaçao n’utilisait ni pistolet Taser ni spray au poivre, et que les fouilles corporelles étaient strictement réglementées.
Le chantier de la création d’une institution nationale de droits de l’homme est en cours, de même que celui du nouveau Code de procédure pénale, a en outre indiqué la délégation.
S’agissant de l’application de la Convention à Sint Maarten, il a été précisé qu’il n’était pas question pour l’instant, pour des motifs liés à un manque de moyens et de compétences, de créer une institution nationale de droits de l’homme.
La délégation a ensuite indiqué que Sint Maarten n’était pas partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Elle a précisé que les requérants d’asile peuvent déposer leur demande au moment de leur arrivée, soit par le biais du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, soit par le biais d’une demande d’octroi de permis de séjour pour des motifs humanitaires.
La délégation a aussi fait savoir que les pistolets Taser et les sprays au poivre n’étaient pas utilisés à Sint Maarten, et que le port du bracelet électronique allait être à nouveau possible.
Toute personne détenue à Sint Maarten a droit à un avocat, ou à un avocat commis d’office en cas d’insolvabilité. La même disposition s’applique aux migrants détenus à Sint Maarten, a expliqué la délégation. Elle a d’autre part souligné que toute personne détenue peut déposer plainte par le biais du comité de surveillance de son établissement, de la police et de l’Ombudsman; les plaintes sont considérées comme confidentielles et ne peuvent être lues par les gardiens.
Sint Maarten a consenti des efforts importants pour remédier aux problèmes rencontrés dans ses lieux de détention de Philipsburg et de Pointe Blanche, conformément aux recommandations du Comité européen de prévention de la torture, a fait savoir la délégation.
Les mineurs en conflit avec la loi ne sont pas détenus avec les adultes, a par la suite assuré la délégation.
S’agissant de l’application de la Convention à Aruba, la délégation a fait savoir – notamment – que la définition de la torture donnée par la Convention avait été transcrite dans l’Ordonnance sur les crimes internationaux de 2012. Elle a en outre indiqué que la Convention avait été invoquée à une seule reprise par les tribunaux d’Aruba depuis 2013, dans une affaire concernant six gardiens accusés d’avoir torturé un détenu.
Le Gouvernement continue de sensibiliser la population au problème de la traite des êtres humains, a poursuivi la délégation; il mène des campagnes d’information dans les médias sociaux et par le biais de flyers, a-t-elle précisé. Plus de mille étudiants, personnels navigants et hôteliers, employés de compagnies de transport, notamment, ont reçu une formation sur cette question.
Aruba envisage de créer, dans un avenir proche, une institution nationale de droits de l’homme indépendante, semblable à l’institution active aux Pays-Bas et conforme aux Principes de Paris, a par ailleurs indiqué la délégation.
Si les pistolets Taser ne sont pas utilisés à Aruba, a poursuivi la délégation, les gardiens de prison peuvent en revanche, si nécessaire, recourir au spray au poivre pour leur propre protection; cet usage est encadré par le règlement et fait l’objet d’une formation spécifique.
Quant au placement à l’isolement, il ne peut pas dépasser quatorze jours consécutifs: il s’agit, comme le recommandent les Règles Mandela (relatives au traitement des détenus), d’une mesure disciplinaire d’ultime recours. Il a aussi été indiqué que tous les détenus subissent un dépistage de maladies au moment de leur entrée en prison.
La délégation a par la suite précisé que toute personne arrêtée doit être déférée au juge dans un délai de 48 heures, renouvelable une fois. Les mineurs détenus sont tenus à l’écart des adultes, dans un pavillon séparé, a aussi fait savoir la délégation.
Enfin, la délégation a fait savoir que les autorités d’Aruba n’avaient été saisies d’aucun cas de torture dans un centre pour migrants. Elle a précisé à ce propos qu’Aruba avait ouvert un nouveau centre de rétention administrative pour migrants, d’une capacité de 45 personnes et doté des installations sanitaires et d’hygiène nécessaires. Les requérants d’asile ne sont pas détenus, a précisé la délégation.
S’agissant enfin de l’application de la Convention aux Pays-Bas (partie européenne du Royaume) et aux Pays-Bas des Caraïbes, la délégation a précisé qu’outre de lourdes peines de prison, l’auteur d’un acte de torture peut s’exposer à une amende de plus de 83 000 euros.
S’agissant de l’harmonisation du droit pénal, la délégation a expliqué que le Tribunal conjoint d’Aruba, Curaçao, Sint Maarten ainsi que Bonaire, Saint-Eustache et Saba était chargé des cas de première instance et d’appel. L’harmonisation de la procédure pénale est donc très importante.
Les problèmes budgétaires ne doivent pas entraver la lutte contre la traite des êtres humains, a admis la délégation. Elle a fait savoir à ce propos qu’un budget annuel était consacré à la lutte contre la traite dans les Pays-Bas des Caraïbes. L’argent est consacré essentiellement à la formation (des personnels concernés) et à la protection des victimes. La délégation a indiqué que les autres pays du Royaume formulaient leurs propres politiques contre la traite et étaient responsables de leur financement. S’agissant du programme « M » de dénonciation anonyme des cas de traite d’êtres humains, la délégation a indiqué qu’il donnait lieu à environ 20 000 signalements par an. La police, a assuré la délégation, examine chaque dénonciation et remonte toutes les pistes.
S’agissant de la création d’un mécanisme national de prévention de la torture, telle que prévue par le Protocole facultatif à la Convention, la délégation a expliqué que les gouvernements précédents avaient chargé le système d’inspection indépendant existant de remplir cette fonction.
La délégation a ensuite fait savoir qu’entre 2015 et 2018, la Norvège avait loué une prison néerlandaise pour y accueillir des personnes condamnées en Norvège. Le mécanisme norvégien de prévention de la torture a été chargé de visiter cette prison et d’y contrôler les conditions de détention. Il n’y a pas de prison privée aux Pays-Bas, a ajouté la délégation.
La délégation a par ailleurs souligné que les autorités n’étaient pas tenues de procéder à une extradition s’il existe un risque de violation de l’article 3 de la Convention et que, dans un tel cas, les Pays-Bas n’extradaient pas la personne concernée.
Les personnes soupçonnées d’actes terroristes peuvent être placées en détention préventive pour des périodes de dix jours, renouvelables par un magistrat. Le placement en détention préventive n’est en tout état de cause possible que s’il existe un soupçon grave, a d’autre part expliqué la délégation.
S’agissant des conditions de détention dans les ailes des prisons réservées aux terroristes, la délégation a souligné que ces structures sont conçues avant tout pour éviter la propagation de la radicalisation et le recrutement: les détenus les plus dangereux à cet égard sont donc séparés des « suiveurs ». La distinction est établie sur la base de « profils de risque » élaborés au moyen d’un outil d’évaluation. Les profils déterminent les mesures de sécurité devant être prises pour chaque détenu. Les détenus peuvent être soumis à un « régime individuel » différent de l’isolement, a indiqué la délégation.
Répondant aux questions sur la détention administrative de migrants, la délégation a fait savoir que la réglementation européenne autorisait cette mesure dans certaines conditions. Aux Pays-Bas, il s’agit d’une mesure d’ultime recours, applicable uniquement si la personne concernée peut être renvoyée dans son pays et s’il existe un risque qu’elle disparaisse avant d’être renvoyée. Depuis 2013, plusieurs mesures alternatives à la détention administrative existent, notamment l’obligation de s’annoncer périodiquement aux autorités et de vivre dans un endroit donné, en principe la municipalité où se situe le centre d’accueil. Il a été précisé que les migrants mineurs non accompagnés qui demandent l’asile ne sont pas détenus.
Les familles migrantes avec enfants dont la demande d’asile est rejetée sont hébergées jusqu’à leur retour dans des centres ouverts, a poursuivi la délégation. Les autorités misent avant tout sur le retour volontaire des familles. La délégation a précisé que le recours contre une décision d’expulsion a un effet suspensif automatique, sauf si le requérant est soumis au règlement de Dublin.
Chaque requérant d’asile subit, au moment du dépôt de sa demande, un examen médical complet comprenant notamment la recherche de symptômes de torture, a d’autre part indiqué la délégation.
Répondant à d’autres questions, la délégation a notamment fait savoir que, suite à l’incendie de Schiphol, deux ministres avaient assumé leur responsabilité et démissionné.
La délégation a par ailleurs indiqué que le Gouvernement néerlandais déciderait en 2019 de l’opportunité d’équiper les policiers de pistolets Taser.
S’agissant des placements obligatoires en institutions psychiatriques, la délégation a indiqué que les autorités avaient effectivement constaté une progression de ce phénomène mais sans pouvoir l’expliquer de manière univoque. En janvier dernier, le Parlement néerlandais a adopté deux lois, sur les soins de santé et de santé mentale obligatoires, qui entreront en vigueur en 2020 et visent à améliorer les soins prodigués aux personnes atteintes dans leur santé mentale. Les lois misent sur la détection en amont des signes de maladie mentale et le maintien, aussi longtemps que possible, des patients dans leur cadre familier. Entre-temps, les autorités incitent les municipalités à se doter de politiques de prise en charge des personnes ayant perdu le contrôle de leur vie. En outre, les prestataires sont tenus de rendre compte, auprès de l’inspection des services de santé, des soins obligatoires qu’ils prodiguent – en particulier les mesures d’isolement.
Remarques de conclusion
M. GIRIGORIE a assuré les membres du Comité que leurs recommandations seraient prises très au sérieux dans tout le Royaume.
M. MODVIG a remercié la délégation pour ses réponses « circonstanciées et bien organisées ». Il a ensuite attiré l’attention de la délégation sur la procédure de suivi des observations finales: le Comité mettra en exergue trois ou quatre recommandations très urgentes auxquelles il conviendra pour les Pays-Bas d’apporter des réponses dans un délai d’un an, a-t-il expliqué.
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CAT/18/022F