Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DE LA GUINÉE
Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le troisième rapport périodique présenté par la Guinée concernant les mesures prises par le pays pour appliquer les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Présentant ce rapport, M. Khalifa Gassama Diaby, Ministre de l’unité nationale et de la citoyenneté de la Guinée, a insisté sur le fait que son pays avait engagé de nombreuses réformes pour poser les bases d’une société juste et respectueuse de la dignité humaine. Il a précisé que, depuis 2010, un travail de toilettage des textes juridiques a été entrepris par la Guinée afin de rendre la législation nationale conforme aux conventions internationales ratifiées par le pays.
Le Ministre a ensuite indiqué que la loi anticorruption votée par l’Assemblée nationale introduisait une avancée notable en protégeant la presse en cas de dénonciation de faits de corruption. Il a également fait état de la création d’une agence nationale de lutte contre la corruption. Pour ce qui est de la lutte contre l’impunité et les violations passées des droits de l’homme, l’instruction judiciaire du massacre du 28 septembre 2009 dans le stade de Conakry est close et les autorités sont en train d’organiser le procès par le biais d’un comité de pilotage créé en avril dernier, a fait valoir le Ministre.
Le Ministre a enfin insisté sur les efforts considérables que consent la Guinée pour réformer sa loi et ses institutions, dans un contexte fait de réalités et d’attentes sociales divergentes. M. Diaby a souligné que la Guinée devait non seulement promouvoir des droits, mais aussi changer les hommes afin de garantir l’application de ces droits.
La délégation était également composée, entre autres, de plusieurs collaborateurs du Ministre, ainsi que de représentants du Ministère des affaires étrangères de la Guinée, d’une journaliste et d’une chargée de mission.
La délégation a répondu aux questions et observations des membres du Comité s’agissant, notamment, de la lutte contre la corruption ; du retard pris dans la tenue du procès sur les événements du 28 septembre 2009 [dans le stade de Conakry] ; de la répression de manifestations et, plus généralement, des violences des forces de sécurité ; des mutilations génitales féminines ; des mariages précoces et de la polygamie ; de la discrimination à l’encontre des personnes atteintes d’albinisme ; de la place du droit coutumier face au droit national ; ou encore de la peine de mort.
À propos de la lutte contre l’impunité pour les violations passées des droits de l’homme, un expert a relevé que la Haute Cour de justice n’avait toujours pas été créée à la fin juin dernier, en dépit du délai (échu au 22 juin 2018) qu’avait pour ce faire fixé la Cour constitutionnelle. L’expert a cité un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme selon lequel « l’impunité reste une préoccupation majeure » en Guinée. Il a regretté que la Guinée n’ait donné aucune réponse au sujet des suites données à la répression des manifestations de 2007. L’expert a en outre déploré le blocage du procès des quatre membres des forces de l’ordre accusés d’avoir tué six personnes pendant un mouvement de grève dans la mine de Zogota, en 2012. S’agissant par ailleurs du massacre commis le 28 septembre 2009 [dans le stade de Conakry], l’expert – rappelant qu’il s’était agi là d’un crime contre l’humanité – a relevé qu’aucun responsable du massacre n’avait encore été jugé.
Les forces de sécurité auraient en outre été impliquées dans l’usage excessif de la force lors de manifestations de rue qui se sont déroulées en février et mars 2018, sans qu’aucun membre de la police ou de la gendarmerie ne semble avoir été arrêté ni inculpé, a-t-il été déploré. Un expert a fait état d’actes d’intimidation et d’autres excès des forces de police contre les défenseurs des droits de l’homme pendant les élections présidentielles en Guinée.
Un expert a fait état de nombreuses « bavures » imputables aux forces de l’ordre. A même été dénoncée la persistance de la torture en garde à vue. A également été déplorée la persistance du problème de la vindicte populaire et des lynchages en Guinée, un problème qui semble s’être généralisé dans le nord du pays.
Un expert s’est inquiété de la surpopulation et de l’insalubrité carcérales en Guinée et a déploré qu’il n’existe pas de prison pour femmes, ces dernières étant détenues dans les mêmes établissements que les hommes.
Concluant le dialogue, le Président du Comité, M. Yuval Shany, a remercié la Guinée d’avoir renoué le dialogue – qui plus est d’une manière si franche et objective. Le Comité a pu constater que la Guinée entendait vraiment améliorer l’application du Pacte, dans un contexte qui reste certes difficile. M. Shany a recommandé à la Guinée de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte (qui vise l’abolition de la peine de mort) et de remédier aux problèmes que sont notamment la corruption et l’impunité pour les crimes commis dans le passé.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de la Guinée, qu'il rendra publiques à l'issue de la session, le 2 novembre prochain.
Le Comité se penchera, à partir de 15 heures, sur ses méthodes de travail. L’examen de l’application du Pacte par Saint-Vincent-et-les Grenadines, qui devait se tenir cet après-midi, a été repoussée à une date ultérieure sur demande de cet Etat partie.
Présentation du rapport
Le Comité était saisi du troisième rapport périodique présenté par la Guinée (CCPR/C/GIN/3) ainsi que des réponses apportées par le pays à une liste de points à traiter que lui avait soumis le Comité.
Présentant ce rapport, M. KHALIFA GASSAMA DIABY, Ministre de l’unité nationale et de la citoyenneté de la Guinée, a insisté sur le fait que son pays avait engagé de nombreuses réformes pour poser les bases d’une société juste et respectueuse de la dignité humaine. Il a précisé que la Guinée étant un État moniste, les dispositions du Pacte sont directement applicables par ses tribunaux. Le Ministre a fait savoir en outre que, depuis 2010, un travail de toilettage des textes juridiques a été entrepris par la Guinée afin de rendre la législation nationale conforme aux conventions internationales ratifiées par le pays.
Pour ce qui est de l’institution nationale indépendante des droits de l’homme, a poursuivi le Ministre, elle est aujourd’hui fonctionnelle et a bénéficié, malgré une conjoncture économique difficile, d’une revalorisation relativement substantielle de ses allocations budgétaires. L’institution a déjà rendu un rapport sur les visites qu’elle a effectuées dans les lieux de détention, a indiqué M. Diaby.
Au titre de la lutte contre la corruption, une loi anticorruption a été votée par l’Assemblée nationale, introduisant une avancée notable : en effet, la loi protège la presse en cas de dénonciation de faits de corruption, a par ailleurs fait valoir le Ministre, avant de faire également état de la création d’une agence nationale de lutte contre la corruption. Le principal défi reste, d’une part, d’appliquer effectivement la loi et, d’autre part, de permettre au corps social de s’approprier la loi pour effectuer un contrôle citoyen, a fait observer M. Diaby.
Pour ce qui est de la lutte contre l’impunité et les violations passées des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle a constaté l’absence de loi organique fixant les règles de fonctionnement de la Haute Cour de justice et a donc renvoyé les pouvoirs exécutif et législatif à leur responsabilité d’initiative de la loi, a indiqué le Ministre guinéen de l’unité nationale et de la citoyenneté. D’autre part, l’instruction (judiciaire) du massacre du 28 septembre 2009 est close et les autorités sont en train d’organiser le procès par le biais d’un comité de pilotage créé en avril dernier, a précisé le Ministre.
M. Diaby a d’autre part souligné que le Code pénal guinéen, de même que le Code du travail, consacraient le principe de non-discrimination. Mais des difficultés subsistent dans la révision du Code pénal relativement à l’incrimination des activités sexuelles entre personnes du même sexe, a-t-il indiqué. D’autre part, le Gouvernement a engagé un programme de féminisation et de rajeunissement de l’administration, a fait valoir M. Diaby. Il a précisé que le Code du travail interdisait désormais le licenciement d’une femme pour des raisons liées à la grossesse ou à l’accouchement. Le projet de nouveau Code civil interdit, quant à lui, la polygamie: cette mesure se heurte à des oppositions très fortes qui obligent l’État à entreprendre un travail de sensibilisation, a précisé le Ministre.
M. Diaby a par ailleurs indiqué que son Gouvernement avait adopté une stratégie de lutte contre les violences basées sur le genre et que le Ministère de la sécurité avait créé un office national pour la protection du genre, de l’enfance et des mœurs. L’âge légal du mariage est fixé à 18 ans et le consentement mutuel dans ce contexte est érigé en un principe fondamental, a ajouté M. Diaby.
Pour ce qui est du droit à la vie et de la prévention de l’usage excessif de la force (dans le maintien de l’ordre), la loi du 4 juin 2015 est venue combler un vide juridique de longue date, a en outre fait valoir le Ministre.
M. Diaby a par ailleurs admis que la loi guinéenne comporte des insuffisances s’agissant de la définition des actes de torture, certains d’entre eux étant encore considérés comme des traitements inhumains et cruels sans que ne soient précisées les peines encourues.
Le Ministre a enfin insisté sur les efforts considérables que consent la Guinée pour réformer sa loi et ses institutions, dans un contexte fait de réalités et d’attentes sociales divergentes. M. Diaby a expliqué que la Guinée devait non seulement promouvoir des droits, mais aussi changer les hommes afin de garantir l’application de ces droits.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Un expert a prié la délégation de donner des exemples d’invocation directe des dispositions du Pacte par les tribunaux guinéens. Il a aussi voulu savoir en quoi consistait le « toilettage » des textes juridiques mentionné par le chef de la délégation.
Le même expert a voulu savoir où en était le processus d’accréditation de l’institution nationale des droits de l’homme auprès de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI, ex-Comité international de coordination des institutions nationales des droits de l’homme). Il a relevé que l’institution nationale guinéenne avait tenu sa première réunion en juin dernier, réunion pendant laquelle un conseiller du chef de l’État a relevé que l’institution n’avait tenu aucune session de travail depuis 2015, date de sa création officielle. L’expert a souligné que cette inaction était dommageable pour la promotion et la protection des droits de l’homme, et a prié la délégation de donner les raisons de cette situation. L’expert a relevé, en outre, que l’institution ne semble pas disposer des moyens financiers nécessaires à son bon fonctionnement.
S’agissant de la lutte contre les violences sexuelles, le même expert a en outre voulu savoir quelles mesures étaient prises pour supprimer les « accords à l’amiable » qui tendent à éviter les poursuites judiciaires pour ce genre de faits. L’expert s’est félicité par ailleurs de l’adoption par la Guinée d’une loi interdisant les mutilations génitales féminines ainsi que de mesures telles que la prise en charge des victimes. Cependant, la question reste posée de l’effet concret de ces mesures, a souligné l’expert : en effet, le Comité est saisi d’informations selon lesquelles les mutilations génitales féminines auraient augmenté, en dépit de l’action du Gouvernement. En effet, les efforts de sensibilisation du Gouvernement auraient eu pour conséquence paradoxale la médicalisation des mutilations, favorisant la perception fausse selon laquelle cette pratique n’aurait désormais plus d’incidence sur la santé des femmes concernées. Des milliers de jeunes filles sont excisées au vu et au su des officiers de police judiciaire et des magistrats, a regretté l’expert.
Un autre expert a relevé que, selon des sources autorisées, d’importantes ressources publiques seraient détournées du fait de la corruption en Guinée, au détriment du respect des droits des populations les plus vulnérables. L’expert a aussi relevé que la corruption dans le système judiciaire risquait d’empêcher les victimes d’obtenir réparation dans des délais raisonnables, contrairement à ce que prévoit le Pacte. L’expert a souhaité savoir quand serait signé le décret d’application de la loi contre la corruption et si le Gouvernement pourrait envisager de créer un organisme de lutte contre la corruption qui soit vraiment indépendant. Tout en saluant les mesures concrètes qui ont été prises par le Gouvernement pour supprimer la corruption dans le secteur de l’exploitation minière ainsi que l’adoption d’un code des marchés publics, l’expert a toutefois regretté que la Haute Cour de justice n’ait toujours pas pu entamer ses travaux, la question se posant de savoir si le Gouvernement entend réellement poursuivre et sanctionner les auteurs d’actes de corruption.
S’agissant de la lutte contre la discrimination, ce même expert a regretté que des données sur les plaintes pour discrimination traitées par les tribunaux ne soient toujours pas disponibles. Il a en outre voulu savoir pourquoi les victimes de discrimination renoncent à agir en justice pour faire valoir leurs droits. Il a insisté plus particulièrement sur les discriminations et la stigmatisation subies par les personnes atteintes d’albinisme, sur la discrimination qui s’exerce à l’encontre des survivants de la maladie à virus Ébola, ainsi que sur le fait qu’un seul établissement scolaire en Guinée serait équipé pour accueillir des écoliers handicapés.
S’agissant enfin des pratiques traditionnelles néfastes autres que les mutilations génitales féminines, le même expert a constaté la persistance d’une ambigüité dans la loi guinéenne concernant le mariage des filles, qui semble être autorisé dès l’âge de 16 ans. L’expert a prié la délégation de dire si le Gouvernement guinéen disposait d’une stratégie pour éradiquer toutes les pratiques traditionnelles néfastes.
À propos de la lutte contre l’impunité pour les violations passées des droits de l’homme, un expert a relevé que la Haute Cour de justice n’avait toujours pas été créée à la fin juin dernier, en dépit du délai (échu au 22 juin 2018) qu’avait pour ce faire fixé la Cour constitutionnelle. L’expert a cité un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme selon lequel « l’impunité reste une préoccupation majeure » en Guinée. Il a regretté que la Guinée n’ait donné aucune réponse au sujet des suites données à la répression des manifestations de 2007 organisées par les principaux syndicats. L’expert a en outre déploré le blocage du procès des quatre membres des forces de l’ordre accusés d’avoir tué six personnes pendant un mouvement de grève dans la mine de Zogota, en 2012.
S’agissant par ailleurs du massacre commis le 28 septembre 2009 [dans le stade de Conakry], l’expert – rappelant qu’il s’était agi là d’un crime contre l’humanité – a relevé qu’aucun responsable du massacre n’avait encore été jugé. Il semblerait que l’instruction ait été clôturée fin 2017 mais que les juges (devant prendre en charge cette affaire) n’aient toujours pas été nommés et qu’aucun calendrier n’ait été établi pour que le procès puisse avoir lieu en 2019 afin de juger les treize personnes inculpées. L’expert a aussi constaté que plusieurs personnes impliquées dans ce massacre occupaient toujours, en 2017, des postes importants. Il a en outre regretté que la Guinée n’ait pas donné d’information sur les réparations accordées aux victimes. L’expert a prié la délégation de dire si des mesures avaient été adoptées pour faire la lumière sur le sort des personnes victimes de disparition forcée.
Un autre expert a demandé des explications sur le processus d’adoption du nouveau code de la famille et sur la manière dont ce document règle les conflits entre le droit civil et le droit coutumier. L’expert a insisté à ce propos sur le fait que, de l’avis du Comité, la polygamie est incompatible avec l’égalité de traitement dans le mariage.
S’agissant du maintien de l’ordre, le même expert a fait état de nombreuses « bavures » imputables aux forces de l’ordre. La question se pose donc de savoir ce qui est fait pour que les policiers apprennent à utiliser la force dans le respect des principes de nécessité, de proportionnalité et de responsabilité, a déclaré l’expert. Il s’est en outre enquis des mesures prises pour mettre un terme à l’impunité dont jouissent les policiers fautifs.
Plusieurs questions ont d’autre part porté sur la persistance du problème de la vindicte populaire et des lynchages en Guinée, un problème qui semble s’être généralisé dans le nord du pays. Un expert a voulu savoir comment les pouvoirs publics réagissaient à de tels faits et comment ils en sanctionnaient les auteurs.
D’autres questions ont porté sur le respect des droits fondamentaux pendant les périodes d’état de siège ; sur la faible représentation des femmes dans la fonction publique et l’adoption de quotas de 30% de femmes dans les listes électorales des différents partis politiques ; sur l’application de la peine de mort ; et sur la répression du viol conjugal.
Un expert a ensuite dénoncé la persistance de la torture en garde à vue. Il a demandé à la délégation de fournir des statistiques sur ce problème, s’agissant notamment du nombre de plaintes reçues et des sanctions prononcées. L’expert s’est en outre inquiété de la surpopulation et de l’insalubrité carcérales en Guinée. Il a aussi déploré qu’il n’existe pas de prison pour femmes, ces dernières étant détenues dans les mêmes établissements que les hommes et dans des cellules parfois contiguës.
Un expert a voulu savoir si des peines alternatives à l’emprisonnement (placement sous contrôle judiciaire et jours-amende, entre autres) étaient réellement appliquées par les juges. Est-il prévu d’ouvrir des lieux de détention pour les mineurs, a-t-il en outre demandé ? Il a par ailleurs relevé que l’accord passé avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour l’alimentation des détenus était actuellement suspendu et a voulu savoir si la Commission nationale indépendante des droits de l’homme était effectivement le mécanisme national chargé de la surveillance des lieux de détention. L’État guinéen prend-il des mesures pour réduire le nombre, assez élevé, personnes placées en détention provisoire, a également demandé l’expert ?
Tout en saluant les efforts consentis par la Guinée dans le domaine de l’administration de la justice, ce même expert a recommandé à la Guinée d’adopter un système de nomination des magistrats qui n’implique pas, comme c’est le cas actuellement, le pouvoir exécutif.
Un expert a regretté que les efforts du Gouvernement pour prévenir et lutter contre la traite des êtres humains n’aient pas grand effet. La première poursuite engagée depuis 2014 pour des faits de traite n’a pas abouti, étant donné qu’aucune des personnes concernées n’a purgé de peine, a fait observer l’expert, avant de relever en outre que le soutien aux victimes est assuré essentiellement par des organisations de la société civile.
Le même expert a ensuite rappelé que, face au calvaire vécu par les migrants en Libye, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) avait organisé le retour volontaire de plus de 2000 migrants guinéens : aussi, a-t-il voulu savoir quelles mesures de réinsertion avaient été prises en leur faveur.
Un expert a souligné qu’il importait au Comité non seulement de comprendre la situation générale de la Guinée, mais aussi d’évaluer l’état d’avancement des réformes du pays. Le Comité établit une distinction très claire entre explication et justification, a assuré un autre expert au cours du dialogue – et alors que la délégation avait déjà apporté une première salve de réponses aux questions qui lui avaient été posées. L’expert a fait observer que la plupart des questions qu’il avait posées jusqu’ici n’avaient pas trouvé de réponse à ce stade du dialogue. Il a insisté pour savoir à quelle date se tiendrait le procès des événements du 28 septembre 2009 et a souhaité connaître les raisons de l’important retard pris dans la tenue de ce procès, soulignant par ailleurs l’importance des mesures de réparation en rapport avec ces événements.
Cet expert a ensuite prié la délégation de commenter les allégations selon lesquelles des policiers seraient impliqués dans des saccages de domiciles privés commis à titre de punition collective – ce à quoi la délégation a répondu en reconnaissant que des perquisitions dégénèrent parfois, malheureusement, en sanctions collectives. Les forces de sécurité auraient en outre été impliquées dans l’usage excessif de la force lors de manifestations de rue qui se sont déroulées en février et mars 2018, sans qu’aucun membre de la police ou de la gendarmerie ne semble avoir été arrêté ni inculpé, a ajouté le même expert. La délégation a été priée d’indiquer combien de personnes avaient été arrêtées lors des violences post-électorales et sur quelles bases juridiques elles l’ont été.
La délégation a en outre été priée de préciser si l’autorité en charge de la protection des données à caractère personnel avait été désignée par voie règlementaire. Qu’en est-il par ailleurs de la composition de cette autorité, ainsi que de celle du comité de suivi de l’accord politique du 12 octobre 2016, a-t-il été demandé ?
Un expert a fait état d’actes d’intimidation et d’autres excès des forces de police contre les défenseurs des droits de l’homme pendant les élections présidentielles en Guinée ; il a dénoncé l’impunité dont bénéficient à cet égard les responsables des services de sécurité. L’expert a demandé à la délégation de dire si la Guinée envisageait d’adopter une loi protégeant les défenseurs des droits de l’homme. Il a également fait état d’arrestations de masse par la police à l’occasion de violences à caractère politique, citant un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à ce sujet ; l’expert a fait observer à ce propos que si l’État a certes le droit de réagir aux violences et aux destructions de biens, sa réaction dans ce cas précis a été disproportionnée.
D’autres questions ont porté sur la répression du travail forcé des enfants et de l’exploitation des femmes à des fins de travail et de prostitution ; sur la protection des apatrides ; sur la modernisation de l’état civil guinéen ; sur la liberté de la presse ; et sur la participation de la population à la gestion des ressources naturelles du pays.
Réponses de la délégation
La délégation a déclaré que le Pacte peut être appliqué directement en Guinée, les instruments juridiques internationaux ratifiés par le pays ayant la primauté sur le droit interne. Le « toilettage » en cours de la législation existante consiste à modifier les dispositions légales internes lorsque cela s’avère nécessaire, a précisé la délégation.
Le président de l’institution nationale des droits de l’homme a été membre de la Cour constitutionnelle, a ensuite indiqué la délégation. L’institution ne fonctionne pas comme on le voudrait et ne dispose pas de tous les moyens dont elle a besoin – comme la majorité des institutions du pays, a admis la délégation. Demeurent en outre des incompréhensions quant aux missions de l’institution nationale de droits de l’homme, a-t-elle ajouté.
Quant à la lutte contre la corruption, qui permettrait certes de dégager des moyens financiers supplémentaires, ce n’est pas chose aisée que de la mener à bien dans un État jeune comme l’est la Guinée – un État confronté, qui plus est, au rejet de la puissance publique et à la concurrence de formes d’organisation traditionnelles et millénaires. La vraie question à ce propos, a ajouté la délégation, est celle de la place du droit coutumier face au droit national, alors que ce dernier – qui intègre les dispositions du Pacte – prévaut en théorie. Toutes ces réalités doivent être prises en compte, a insisté la délégation : si les valeurs des droits de l’homme sont universelles, les histoires des pays sont particulières, a-t-elle rappelé, ajoutant que celui qui porte des propositions nouvelles doit faire la preuve de leur utilité sociale.
La délégation a assuré que le Gouvernement actuel entendait intensifier encore la lutte contre la corruption, vu les dégâts qu’elle provoque sur l’économie et sur le fonctionnement démocratique du pays. La délégation s’est refusée de faire des promesses et s’est dite prête à écouter les conseils du Comité dans ce domaine. Elle a précisé que les autorités guinéennes s’employaient actuellement à détacher l’agence de lutte contre la corruption du pouvoir exécutif.
En fin de dialogue, la délégation a tenu à préciser qu’elle n’avait jamais eu l’intention de justifier le phénomène de la corruption par la jeunesse de son pays. En revanche – s’agissant cette fois des pratiques traditionnelles néfastes – le fait est que certaines personnes âgées vivant en Guinée sont plus vieilles que l’État, a fait observer la délégation.
Le droit national s’applique sur un tiers environ du territoire de la Guinée, le reste du territoire étant soumis à la juridiction des structures traditionnelles, a par ailleurs précisé la délégation. L’État, qui s’efforce de sensibiliser la population à l’importance du droit civil, utilise les structures traditionnelles pour l’aider dans cette tâche, a-t-elle en outre indiqué.
S’agissant du viol conjugal, on ne peut pas dire qu’il a été formellement interdit, puisque le législateur a opté pour la notion de violence conjugale, a admis la délégation.
Répondant aux questions sur les mutilations génitales féminines, la délégation a assuré que ce problème était une priorité nationale. Cette forme de violence inadmissible faite aux femmes s’accompagne malheureusement de la stigmatisation des femmes qui ne la subissent pas, a souligné la délégation. N’en demeure pas moins le constat que les mutilations génitales féminines se pratiquent de moins en moins ouvertement ; le Gouvernement entend les combattre en favorisant la reconversion des femmes qui les perpétuent en les pratiquant.
La délégation a ensuite indiqué que la discrimination à l’encontre des personnes atteintes d’albinisme était à déplorer non seulement dans le nord du pays, mais en fait sur l’ensemble du territoire. L’État a constaté dans ce domaine qu’à elle seule la sensibilisation ne suffisait pas et que l’éradication de cette discrimination passait aussi par des sanctions.
Il est difficile de mesurer l’ampleur du problème du mariage précoce, vu la difficulté pour l’État de contrôler ce qui se passe sur l’ensemble du territoire, a en outre déclaré la délégation ; ce travail est en cours, a-t-elle ajouté.
Le recours à la force létale lors de manifestations est l’une des conséquences de la culture d’impunité en Guinée, les responsables n’étant jamais sanctionnés, a reconnu la délégation. Mais les victimes portent de plus en plus souvent plainte, ce qui est un progrès, a-t-elle ajouté. Les autorités doivent s’efforcer d’appliquer plus efficacement la loi et, en particulier, de veiller à ce que des sanctions soient effectivement prononcées, a souligné la délégation.
L’État peut, pour des raisons de sécurité publique, interdire telle ou telle manifestation, a par la suite ajouté la délégation. Elle a cependant assuré que le Gouvernement était conscient du fait qu’une interdiction générale de manifester n’était pas conforme à l’esprit des institutions guinéennes.
L’application de l’accord politique d’octobre 2016 [portant notamment sur l’organisation d’élections locales et l’indemnisation des victimes de violences politiques] dépend de la volonté de l’exécutif de donner à la justice les moyens d’agir, a déclaré la délégation. Elle a indiqué qu’aucun responsable de forces de sécurité accusé d’avoir recouru à une force excessive n’avait été arrêté ; cependant, un officier de gendarmerie est actuellement détenu à Conakry pour des faits de torture sur une personne détenue, a précisé la délégation.
L’allocation budgétaire aux fins de la création de la Haute Cour de justice a été mise à la disposition du Ministère de la justice, a ensuite indiqué la délégation. Le Ministre de la justice a eu l’occasion de s’exprimer récemment sur deux points intéressant le suivi des événements du 28 septembre 2009 [dans le stade de Conakry]: le Ministre a assuré de la ferme volonté du Gouvernement de tenir le procès prévu, sans pouvoir toutefois en donner la date; et il a aussi fait savoir que le comité de pilotage avait décidé d’augmenter la fréquence de ses réunions, jugée clairement insuffisante. Les responsables des faits seront jugés, a assuré la délégation, par la voix du Ministre guinéen de l’unité nationale et de la citoyenneté, M. Diaby, qui a expliqué que le retard pris dans la tenue du procès s’expliquait par le fait que le pays a traversé des moments difficiles de transition et de contestation politiques. Les victimes, de même que l’honneur du pays, réclament ce procès, a insisté M. Diaby.
La délégation a précisé par la suite que le retard apporté à la tenue du procès des événements du 28 septembre 2009 tenait notamment à des atermoiements initiaux dus à un manque de volonté politique. Elle a ainsi jugé « inappropriée » la décision qui avait été prise de maintenir à leur poste des personnes en lien avec ces événements ; ces personnes seront démises de leurs fonctions avant la tenue du procès pour qu’elles puissent se défendre devant la justice, a-t-elle indiqué.
Le Conseil supérieur de la magistrature a agi face à des magistrats qui avaient abusé de la détention provisoire et les autorités judiciaires devront désormais faire un travail en profondeur pour encourager les juges à avoir recours aux peines alternatives à la détention que le Code pénal met à leur disposition, a indiqué la délégation.
Le Gouvernement est confronté à une très forte résistance sociale et politique s’agissant de la polygamie, a ensuite affirmé la délégation : un certain nombre de femmes parlementaires sont elles-mêmes venues réclamer le retrait de la loi interdisant la polygamie, a-t-elle indiqué. Conscient du fait que le projet de loi serait refusé faute d’un solide travail préalable de terrain, le Gouvernement a choisi de procéder à un « retrait stratégique » provisoire sur cette question, a expliqué la délégation. Le Gouvernement guinéen est officiellement opposé à la polygamie, a-t-elle par la suite précisé.
De nombreux pays africains doivent construire simultanément l’État et la démocratie – un travail immense, indispensable, difficile et qui nécessite l’aide de la communauté internationale, a par ailleurs souligné la délégation.
Un expert du Comité ayant mis en garde contre l’argument des pesanteurs culturelles, qui risque de servir d’alibi à un manque de volonté politique de procéder aux réformes nécessaires, la délégation a insisté sur le fait qu’il y a des situations où la volonté politique – certes indispensable – ne suffit pas à elle seule.
L’opinion est clairement opposée à l’abolition de la peine de mort, a en outre déclaré la délégation guinéenne. L’essentiel, dans un premier temps, est pour l’État de faire en sorte que cette peine ne soit pas appliquée.
La délégation a en outre fait valoir que, pour remédier à la vieille tendance de l’administration à s’immiscer dans les processus électoraux, l’organisation des élections avait été transférée à une institution nationale indépendante.
La délégation a ensuite attiré l’attention des membres du Comité sur le fait que les partis politiques en Guinée ne s’expriment jamais sur les enjeux sociaux – place des femmes, mutilations génitales féminines, par exemple – de peur de s’aliéner tout ou partie de leur base. En outre, les appareils politiques étant structurés autour des ethnies, les fonctionnaires utilisent souvent les moyens de l’État à des fins identitaires ou politiques – qui sont souvent les mêmes.
La délégation a confirmé que des poursuites ont été lancées autour de la diffusion de rumeurs sur l’état de santé du chef de l’État – rumeurs qui le disaient mort. Elle a précisé que les dispositions de la loi sur les délits de presse ne permettent pas d’emprisonner une personne pour diffamation.
Un projet d’enregistrement à l’état civil de tous les enfants a été lancé avec l’aide de l’Union européenne et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance, a d’autre part indiqué la délégation.
Le Gouvernement est conscient du problème de la traite des enfants envoyés pour suivre des études coraniques dans les pays voisins, a affirmé la délégation.
Le Gouvernement, qui est aussi conscient des épreuves subies par les migrants en route vers l’Europe, s’efforce d’organiser dans ce contexte le retour dans de bonnes conditions de ses concitoyens. L’Organisation internationale pour les migrations a assuré, dimanche dernier, le retour de migrants guinéens depuis le Niger, a précisé la délégation.
Le Gouvernement a été rendu attentif aux problèmes rencontrés au niveau de l’agrément des associations et a été appelé à mettre la pratique en la matière en conformité avec le principe de la liberté d’association, a ajouté la délégation.
Le projet de loi sur les défenseurs des droits de l’homme a été refusé en première lecture au Parlement, mais le Gouvernement reviendra à la charge, a d’autre part assuré la délégation.
Remarques de conclusion
M. DIABY a assuré que sa délégation tirerait tous les enseignements des remarques faites par les membres du Comité. Il a reconnu que la situation des droits de l’homme en Guinée n’était pas irréprochable et qu’il incombait aux autorités de trouver des solutions aux problèmes et difficultés. Le Ministre a prié le Comité d’aider la Guinée à avancer et à préserver ses acquis, et a assuré les experts de la volonté de son Gouvernement d’assumer ses responsabilités envers la population et envers le Comité.
Le Président du Comité, M. YUVAL SHANY a remercié la Guinée d’avoir renoué le dialogue – qui plus est d’une manière si franche et objective. Le Comité a pu constater que la Guinée entendait vraiment améliorer l’application du Pacte, dans un contexte qui reste certes difficile. M. Shany a recommandé à la Guinée de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte (qui vise l’abolition de la peine de mort) et de remédier aux problèmes que sont notamment la corruption et l’impunité pour les crimes commis dans le passé.
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CCPR18/029F