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LE COMITÉ DES DISPARITIONS FORCÉES EXAMINE LE RAPPORT DE L’ALBANIE

Compte rendu de séance

Le Comité des disparitions forcées a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport de l’Albanie sur les mesures prises par ce pays pour donner effet aux dispositions de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Présentant ce rapport, Mme Artemis Dralo, Vice-ministre de l’Europe et des affaires étrangères de l’Albanie, cheffe de la délégation, a expliqué que la disparition forcée était considérée, dans le droit albanais, comme un délit pénal spécifique, distinct de la torture et de la détention arbitraire. L’objectif de la législation albanaise est de garantir qu’aucune disparation forcée ne reste impunie et il n’y a eu aucun cas de disparition forcée pendant la période couverte par le rapport, a relevé la Vice-Ministre. Elle a assuré que son pays s’était doté des outils et institutions nécessaires pour faire face à des disparitions forcées, a affirmé la cheffe de la délégation.

Un registre électronique a été créé afin de recueillir l’ensemble des données sur les personnes détenues. Elles sont enregistrées dès le début de la privation de liberté. Les droits du détenu sont garantis dès le début de la privation de liberté – il est, en particulier, informé par écrit du motif de sa détention. L’Albanie ne dispose d’aucun lieu de détention secret et ne détient au secret ni Albanais, ni ressortissants étrangers ni personnes apatrides, a aussi affirmé Mme Dralo.

Un grand nombre de personnes condamnées pendant la période communiste (1944-1991) en Albanie ont été exécutées ou ont disparu, a dit la cheffe de la délégation. L’État s’efforce actuellement de protéger les droits des proches des personnes disparues. Il ordonne encore des enquêtes afin de déterminer le lieu et les circonstances des disparitions. L’Autorité de recherche d’informations sur les personnes disparues durant le régime dictatorial est responsable des initiatives dans ce domaine, a expliqué Mme Dralo.

La délégation albanaise était composée de représentants de l’Autorité de documentation de l’ancienne sécurité d’État ; du bureau du Procureur du tribunal de première instance des crimes graves ; de la Direction générale de la police d’État ; du Ministère de la justice et du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

La délégation a répondu aux questions des membres du Comité s'agissant, notamment, de la base de données sur les personnes disparues ; de la coopération avec la Commission internationale pour les personnes disparues ; de l’aide juridictionnelle gratuite ; des définitions de la disparition forcée et de la victime dans la loi albanaise ; de la disparition forcée d’enfants ; du délai de prescription ; de la coopération avec les organisations de la société civile ; et de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

M. Emmanuel Decaux, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Albanie, a demandé si la société civile avait participé au processus d’élaboration du rapport. L’expert a voulu savoir comment se posait la question de la transposition et de l’application directe de la Convention dans le droit interne albanais. M. Decaux a relevé que la définition de la disparition forcée dans le droit albanais contenait des éléments disparates qui en limitent la portée. Il s’est interrogé sur la cohérence entre l’échelle des peines et l’importance du crime, notamment en ce qui concerne les peines encourues par le supérieur hiérarchique. À ce propos, le corapporteur a demandé si, dans le cas où un ordre donné était manifestement illégal, le devoir était bien de ne pas être complice ou responsable d’une disparition forcée.

M. Daniel Figallo Rivadeneyra, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Albanie, a demandé en quoi la législation interne de l’Albanie correspondait aux dispositions de la Convention s’agissant de la prescription. Il a demandé s’il était possible de traduire en justice des personnes responsables de disparition forcée même si la victime n’a pas encore été retrouvée. L’expert a demandé des informations sur la compétence universelle des tribunaux albanais dans le cas de disparition forcée.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Albanie, qu'il rendra publiques à l'issue de la session, le 1er juin prochain.


Lundi 28 mai à partir de 10 heures, le Comité tiendra une réunion publique avec les États parties, les institutions nationales des droits de l’homme et les organisations de la société civile.


Présentation du rapport de l’Albanie

Le Comité était saisi du rapport initial de l’Albanie (CED/C/ALB/1) ainsi que de ses réponses à une liste de points à traiter que lui avait adressée le Comité.

Présentant ce rapport, MME ARTEMIS DRALO, Vice-Ministre de l’Europe et des affaires étrangères de l’Albanie, a déclaré que son pays avait ratifié l’ensemble des conventions internationales en matière de droits de l’homme et adhéré aux actions mondiales entreprises afin de garantir la promotion et la protection des droits de l’homme, notamment au sein du Conseil des droits de l’homme dont l’Albanie a été membre pendant trois ans.

L’Albanie ayant adhéré à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, elle continue de s’engager à améliorer son cadre juridique contre les disparitions forcées.

Pour mieux défendre les droits de l’homme, l’Albanie dispose de plusieurs institutions indépendantes dont la Cour constitutionnelle, le Médiateur et le Commissaire à la protection contre la discrimination, a expliqué Mme Dralo. Un train de mesures a été lancé pour appliquer la Convention, en particulier s’agissant de la protection des victimes et de l’accès aux informations. Le droit aux victimes à obtenir justice est considéré comme essentiel par l’Albanie. D’autres mesures ont été prises pour prévenir de nouveaux cas de disparition forcée, a insisté la Vice-Ministre.

La disparition forcée est considérée, dans le droit albanais, comme un délit pénal spécifique, distinct de la torture et de la détention arbitraire, a expliqué Mme Dralo. Les disparitions forcées sont qualifiées de crime contre l’humanité. Le code pénal engage la responsabilité du supérieur hiérarchique. L’objectif de la législation albanaise est de garantir qu’aucune disparation forcée ne reste impunie, a dit la Vice-Ministre.

Les droits des personnes privées de leur liberté sont garantis par la législation, a poursuivi la cheffe de la délégation. Il n’y a eu aucun cas de disparition forcée pendant la période couverte par le rapport, a relevé la Vice-Ministre.

L’Albanie ne dispose d’aucun lieu de détention secret et ne détient au secret ni Albanais, ni ressortissants étrangers ni personnes apatrides, a affirmé Mme Dralo. Les auteurs présumés d’actes délictueux sont détenus dans des institutions publiques légalement reconnues. Ces lieux sont reconnus par le Procureur général, le Médiateur et les organisations de la société civile, a expliqué Mme Dralo. Ils font l’objet d’inspections par le Médiateur ou les organisations de la société civile.

Un registre électronique a été créé afin de recueillir l’ensemble des données sur les personnes détenues. Elles sont enregistrées dès le début de la privation de liberté. Les droits du détenu sont garantis dès le début de la privation de liberté – il est, en particulier, informé par écrit du motif de sa détention. Ce système informatisé de gestion des dossiers individuels des détenus fonctionne depuis mai 2017, a expliqué Mme Dralo.

En vertu de la loi relative à la police d’État, les policiers doivent suivre chaque année des formations continues portant, entre autres, sur les droits de l’homme et sur les droits fondamentaux des personnes privées de liberté. La cheffe de la délégation a considéré qu’il y avait eu un changement dans la mentalité des agents de police en Albanie. Elle a aussi fait état d’une augmentation notable du nombre de femmes policières.

Il y a un peu plus de cinq mille prisonniers en Albanie, pour un taux de surpopulation carcérale de 6%, soit le taux le plus bas de ces dernières années, a relevé Mme Dralo. Les personnes condamnées sont traitées avec dignité, a-t-elle affirmé.

Le 1er janvier 2018, la loi sur le Code judiciaire des délinquants mineurs est entrée en vigueur. Le Code contient des instructions précises concernant les procédures d’enquête et d’établissement des peines, notamment.

Un grand nombre de personnes condamnées pendant la période communiste en Albanie (1944-1991) ont été exécutées ou ont disparu, a dit la cheffe de la délégation. L’État s’efforce actuellement de protéger les droits des proches des personnes disparues. Il ordonne encore des enquêtes afin de déterminer le lieu et les circonstances des disparitions. L’Autorité de recherche d’informations sur les personnes disparues durant le régime dictatorial est responsable des initiatives dans ce domaine, a expliqué Mme Dralo. L’Autorité reçoit un nombre considérable de demandes de particuliers souhaitant prendre connaissance des dossiers concernant leurs proches, obtenir des éclaircissements sur le sort de personnes disparues, décédées en prison ou exécutées avec ou sans procès durant le régime communiste. L’Autorité examine chaque dossier et les informations correspondantes. Des activités sont aussi menées pour communiquer avec les membres de la population et les familles des personnes portées disparues, comme lors de la cérémonie de commémoration organisée dans le camp de Tepelenë, le 30 août 2017, à l’occasion de la Journée internationale des personnes disparues.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. EMMANUEL DECAUX, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Albanie, a expliqué qu’il y avait un léger malentendu dans la méthodologie, car l’Albanie n’a pas donné de réponses précises à la liste de questions, mais plutôt une sorte de deuxième rapport, a-t-il déploré, ce qui rend le suivi des questions assez délicat pour les rapporteurs. M. Decaux a demandé si la société civile avait participé au processus d’élaboration du rapport.

M. Decaux a voulu savoir comment se posait la question de la transposition et de l’application directe de la Convention dans le droit interne albanais. M. Decaux a relevé que la définition de la disparition forcée dans le droit albanais contenait des éléments disparates qui en limitent la portée. Il s’est interrogé sur la cohérence entre l’échelle des peines et l’importance du crime de disparition forcée, notamment en ce qui concerne les peines encourues par le supérieur hiérarchique. À ce propos, le corapporteur a souligné que, dans le cas où un ordre donné serait manifestement illégal, le devoir consistait à ne pas se rendre complice ou responsable d’une disparition forcée.

M. Decaux a constaté que le code pénal albanais ne donnait pas de définition précise du terme de « victime ». Or, il est indispensable d’avoir une telle définition afin que les victimes au sens large puissent obtenir protection et réparation, a dit l’expert. M. Decaux a par ailleurs souligné que les règles sur la prescription n’étaient pas très claires dans le rapport et a souhaité davantage d’informations sur cette question. D’une manière générale, l’expert a demandé une explication globale sur le fonctionnement du processus pénal s’agissant des disparitions forcées. M. Decaux a demandé si toutes les dispositions de la Convention avaient bien été transposées dans la législation interne albanaise.

M. Decaux a demandé davantage d’informations sur le droit d’obtenir réparation et sur le type de réparations offertes aux victimes. Le corapporteur a voulu savoir quelles étaient les méthodes de recherche d’enfants victimes de disparition forcée et les procédures en place pour les rendre à leur famille.

M. DANIEL FIGALLO RIVADENEYRA, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Albanie, a demandé en quoi la législation interne de l’Albanie correspondait aux dispositions de la Convention s’agissant de la prescription. Il a demandé s’il était possible de traduire en justice des personnes responsables de disparition forcée même si la victime n’a pas encore été retrouvée. L’expert a demandé des informations sur la compétence universelle des tribunaux albanais dans le cas de disparition forcée. M. Rivadeneyra a demandé quelle autorité était compétente pour juger un crime de disparition forcée commis par un militaire. Il a souhaité savoir si les forces de l’ordre étaient formées pour traiter des cas de disparition forcée.

M. Figallo Rivadeneyra a demandé en outre comment l’Albanie se garantissait contre le risque qu’une personne extradée ne soit victime de disparition forcée dans le pays de destination. Il a souhaité savoir comment la loi s’appliquait dans la pratique pour éviter une telle situation. L’expert a demandé si le recours contre une décision de renvoi était suspensif.

Un expert a demandé quels articles de la Convention s’appliquaient directement dans la législation interne.

Réponses de la délégation

D’après la Constitution albanaise, la Convention s’applique directement dans la mesure où ses dispositions n’entrent pas en conflit avec le droit national, a précisé la délégation. Dès que le pays a ratifié la Convention, toutes les mesures ont été prises pour amender la législation nationale pour la mettre en conformité avec les dispositions de la Convention. Toute les dispositions de la Convention ont été transposées dans le droit interne. La Convention est donc directement applicable en Albanie, a insisté la délégation.

La délégation a expliqué que le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères coordonnait la préparation, par les différents ministères concernés, des rapports destinés aux organes de traités des Nations Unies. Les autorités peuvent inviter les organisations de la société civile à participer au processus de rédaction des rapports. Dans le cas du rapport présenté ce jour, peu d’organisations se sont présentées, peut-être en raison de la relative nouveauté de la Convention, a dit la délégation. Mais, d’une manière générale, toutes les ONG albanaises sont invitées à apporter leur contribution dans le domaine des droits de l’homme, a-t-elle affirmé.

Consciente de l’importance d’un mécanisme de suivi pour vérifier que l’Albanie applique effectivement les recommandations formulées après la présentation de ses rapports aux organes de traités, a expliqué la délégation, les autorités étudient depuis 2016 la création d’un tel mécanisme. Ce mécanisme devrait être opérationnel cette année. Il sera accessible, par Internet, au public et aux organisations de la société civile.

La délégation a expliqué, s’agissant de la définition de la disparition forcée, que l’objectif des législateurs avait été de faire de la disparition forcée un délit spécifique. La définition de la disparition forcée contient donc trois éléments : l’arrestation, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté ; la responsabilité d’un agent de l’État avec le soutien ou l’approbation de cet État ; et le refus de reconnaître officiellement la privation de liberté. Cette définition correspond à l’article 2 de la Convention, a souligné la délégation.

Le délai de prescription du crime de disparition forcée se situe entre dix et vingt ans, a expliqué la délégation. Les disparitions forcées sont considérées en Albanie comme un délit particulier contre une personne. Elles sont considérées comme crime contre l’humanité, a indiqué la délégation, dès lors qu’elles sont commises de manière systématique, pour des motifs précis, contre des groupes de civils. Les disparitions forcées entraînent alors des peines pouvant atteindre cinquante ans de prison.

Des mesures extraordinaires peuvent être prises en cas de catastrophe naturelle ou de menace pour le pays. Mais ces restrictions ne doivent pas porter atteinte aux droits et libertés essentiels. La loi de l’Albanie ne contient aucune disposition autorisant des violations des droits de l’homme, notamment des disparitions forcées, en temps de guerre, a indiqué la délégation.

Une personne peut s’opposer à la commission d’un acte criminel ordonné par un supérieur hiérarchique et ne peut être sanctionnée pour ce refus d’ordre. Un subordonné doit exécuter tous les ordres d’un supérieur à moins qu’ils soient contraires à la loi. Dans ce cas, le subordonné doit en référer au contrôleur ou au supérieur du supérieur hiérarchique.

L’Albanie a organisé, ces deux dernières années, des formations aux droits de l’homme pour 1254 gardiens de prison, a relevé la délégation. Des formations sont aussi données aux personnels sanitaires des prisons. Les programmes de formation présentent les dispositions des conventions internationales ratifiées par l’Albanie et les obligations qui en découlent. Plus de cinq cents policiers ont été formés depuis 2015 aux questions liées aux droits des personnes détenues. Les droits de l’homme font partie intégrante des enseignements dispensés dans les écoles de police, a précisé la délégation.

Il est prévu de créer une base de données sur toutes les personnes disparues durant la période communiste, a relevé la délégation.

Un projet d’accord est en cours de négociation avec la Commission internationale pour les personnes disparues. L’objectif est de soutenir et de protéger les proches des personnes portées disparues. Ce projet d’accord est actuellement discuté en Conseil des Ministres.

La délégation a expliqué que toute personne arrêtée a le droit de choisir son avocat en fonction de ses ressources financières. Toutes les institutions ou organes compétents sont obligés de nommer un avocat pour cette personne s’il n’a pas les moyens financiers suffisants. Il existe une liste officielle d’avocats commis d’office qui procurent une aide juridictionnelle gratuite dès le début de la privation de liberté.

La délégation a reconnu que la loi albanaise ne donnait pas de définition de la victime à proprement parler. Cela étant, le code de procédure pénale amendé en 2017 contient des dispositions détaillées relatives aux droits des victimes, a affirmé la délégation. La victime a ainsi droit à un avocat, commis d’office si elle n’a pas de ressources suffisantes ; jusqu’alors, le Procureur était censé jouer le rôle de défenseur de la victime. La victime a maintenant le droit de faire partie intégrante de la procédure. L’Albanie, concrètement, applique la définition de la victime telle que prévue dans la Convention, a expliqué la délégation.

La délégation a informé le Comité que, depuis la signature de la Convention, il n’y avait pas eu de disparition forcée d’enfant au sens de la Convention, même s’il y a eu des cas de disparition d’enfant dont on ne sait pas ce qu’ils sont advenus, a précisé la délégation. Une base de données centralise toutes les informations relatives aux personnes disparues, y compris les enfants disparus.

Remarques de conclusion

M. Decaux s’est montré reconnaissant de la coopération de la délégation avec le Comité. Il a rappelé que la Convention offrait un cadre général, avec des mesures préventives pour le futur, des garanties concrètes pour le présent et des garanties de réparation pour les faits commis dans le passé. Le corapporteur a souligné que la Convention était un cadre juridique moderne, doté d’une logique d’ensemble. Il a invité l’Albanie a davantage reconnaître le travail de la société civile sur la question des disparitions forcées commises dans le passé. Le corapporteur s’est dit encouragé sur le suivi qui sera donné par l’Albanie aux recommandations finales du Comité.

Mme Dralo a remercié les experts pour ce dialogue fructueux. Elle a assuré que son Gouvernement donnerait des réponses écrites à toutes les questions n’ayant pas obtenu réponses durant cette séance. L’Albanie s’est dotée des outils et institutions nécessaires pour faire face à des disparitions forcées, a affirmé la cheffe de la délégation. Mme Dralo a assuré que l’Albanie allait prendre en compte très sérieusement les recommandations finales du Comité.


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CED18.04F