Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU TADJIKISTAN
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Tadjikistan sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant ce rapport, M. Yusuf Rahmon, Procureur général du Tadjikistan, a indiqué que le Rapporteur spécial contre la torture avait fait deux visites dans son pays, en 2012 et en 2014. Dans son rapport sur cette dernière visite, le Rapporteur spécial, M. Juan Méndez, a fait part de sa satisfaction quant à la manière dont les autorités tadjikes avaient appliqué ses recommandations, a souligné M. Rahmon. Le Procureur général a précisé que le Tadjikistan élaborait un plan d’action national dans le domaine des droits de l’homme qui s’étendra jusqu’en 2025, et dont l’élimination de la torture est l’une des grandes orientations. Dans ce cadre, et pour répondre aux recommandations du Comité, le Tadjikistan est en train de réformer la loi pour asseoir l’indépendance du pouvoir judiciaire et rendre le système de justice plus respectueux des droits des mineurs, notamment.
Le Tadjikistan a en outre pris des mesures pour faire respecter les droits fondamentaux des personnes arrêtées et détenues, a ajouté le Procureur général. Ainsi l’enregistrement de l’identité de la personne arrêtée est-elle obligatoire, de même que son examen médical, a précisé M. Rahmon. Entre 2014 et 2017, le groupe de surveillance créé par le Commissaire aux droits de l’homme du Tadjikistan a visité 63 lieux de détention civils et militaires, y compris des commissariats de police, a mis en avant le Procureur général.
M. Ramon a enfin précisé que les mesures prises en cas de plainte pour torture impliquant des agents de l’État sont la suspension temporaire des fonctionnaires incriminés pendant le temps de l’enquête et la mise en sécurité des plaignants et des témoins. Pendant la période couverte par le rapport, quatre fonctionnaires ont été condamnés; et, depuis 2012, huit affaires ont donné lieu à des indemnisations, a fait savoir M. Rahmon.
La délégation du Tadjikistan était également composée du Chef du département des garanties de droits de l’homme au Bureau exécutif du Président de la République, du premier Vice-Ministre de l’intérieur et d’autres représentants des Ministères tadjiks de la justice et de la santé.
La délégation a répondu aux questions posées par les membres du Comité en ce qui concerne, notamment, le traitement des plaintes pour torture ; les garanties de procédure, s’agissant notamment de la garde à vue ; des arrestations de membres du Parti de la renaissance islamique ; des conditions de détention et autres questions intéressant le système pénitentiaire ; des visites de lieux de détention ; de la peine de mort ; de la lutte contre la violence familiale ; et de la lutte contre la traite des êtres humains.
Mme Felice Gaer, Vice-Présidente du Comité et corapporteuse pour l’examen du rapport du Tadjikistan, s’est dite consciente des progrès réalisés par le Tadjikistan depuis 2012, saluant notamment l’adoption d’un plan d’action national pour appliquer les recommandations du Comité et l’accueil du Rapporteur spécial sur la torture à deux reprises. Cependant, a-t-elle relevé, le Rapporteur spécial, tout en prenant note de progrès, a aussi confirmé que la torture et les mauvais traitements restaient des problèmes au Tadjikistan et a fait part de sa préoccupation face au fait que ces actes ne font pas l’objet d’enquêtes et ne sont pas sanctionnés comme ils le devraient. De plus, a ajouté Mme Gaer, il semble que le Tadjikistan ne remplisse pas son obligation de mener des enquêtes rapides et efficaces après des allégations de torture.
Mme Ana Racu, corapporteuse du comité pour l’examen du rapport du Tadjikistan, a insisté pour sa part sur l’importance cruciale de la surveillance indépendante des lieux de détention pour protéger les droits des personnes privées de liberté. Or, a-t-elle mis en garde, le Comité a été saisi d’informations de la société civile selon lesquelles l’accès aux prisons est limité, au Tadjkistan, le Comité international de la Croix-Rouge lui-même n’y étant plus admis depuis 2004. Le Tadjikistan n’a pas ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et n’a donc pas créé de mécanisme indépendant de visite, a regretté Mme Racu.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Tadjikistan et les rendra publiques à l'issue de la session, le 18 mai prochain.
Demain à 15 heures, le Comité recevra M. Malcolm Evans, Président du Sous-Comité pour la prévention de la torture, qui présentera son rapport annuel.
Présentation du rapport
Le Comité était saisi du troisième rapport périodique du Tadjikistan (CAT/C/TJK/3).
Présentant ce rapport, M. YUSUF RAHMON, Procureur général du Tadjikistan, a déclaré que le Gouvernement de son pays accordait une grande attention au respect de ses obligations au titre des droits de l’homme. En 2013, le Gouvernement a adopté un train de mesures pour donner suite aux recommandations du Comité, ainsi qu’à celles du Rapporteur spécial contre la torture suite à sa visite au Tadjikistan en 2012. À l’invitation des autorités, le Rapporteur spécial s’est de nouveau rendu sur place en 2014, pour évaluer les progrès réalisés, a rappelé le Procureur général. Dans son rapport sur cette dernière visite, le Rapporteur spécial, M. Juan Méndez, a fait part de sa satisfaction quant à la manière dont les autorités tadjikes avaient appliqué ses recommandations, a souligné M. Rahmon.
En avril 2017, a poursuivi le Procureur général, le Tadjikistan a réformé la commission multipartite chargée de superviser la réalisation des engagements du Tadjikistan dans le domaine des droits de l’homme. Depuis juin de la même année, les autorités élaborent un plan d’action national dans le domaine des droits de l’homme qui s’étendra jusqu’en 2025, a ajouté M. Rahmon. L’élimination de la torture est l’une des grandes orientations de ce plan d’action, a-t-il indiqué. Dans ce cadre, et pour répondre aux recommandations du Comité, le Tadjikistan est en train de réformer la loi afin d’asseoir l’indépendance du pouvoir judiciaire et de rendre le système de justice plus convivial et plus respectueux des droits des mineurs. Quant au défenseur des droits de l’enfant, il peut, depuis 2016, visiter inopinément les lieux de détention des mineurs.
D’autre part, a précisé M. Rahmon, un groupe de travail multipartite a été créé pour réfléchir à la mise en place, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, d’un système de visites régulières des lieux de détention. En 2017, ce groupe a organisé quatre séances d’information à l’intention des différents départements du Gouvernement et de la société civile, afin de faire connaître le Protocole facultatif et ses dispositions. M. Rahmon a également indiqué qu’entre 2014 et 2017, le groupe de contrôle créé par le Commissaire aux droits de l’homme du Tadjikistan avait effectué 63 visites dans des lieux de détention civils et militaires, y compris des commissariats de police.
Le Tadjikistan a en outre pris des mesures pour faire respecter les droits fondamentaux des personnes arrêtées et détenues, a ajouté le Procureur général. Ainsi les policiers sont-ils désormais tenus d’informer les prévenus des motifs de leur arrestation et de leurs droits ; ces droits sont notamment le contact avec des proches, l’accès à un avocat et la possibilité de refuser de parler. L’enregistrement de l’identité de la personne arrêtée est obligatoire, de même que son examen médical, a précisé M. Rahmon. Pendant la période couverte par le rapport (2013 à 2016), les procureurs ont été saisis de vingt cas d’arrestation illégale, a-t-il par ailleurs indiqué.
Les preuves obtenues sous la torture ne sont pas admises par les tribunaux, a ensuite assuré le Procureur général. Le défenseur des droits de l’homme a organisé de nombreuses séances d’information au bénéfice de fonctionnaires du Ministère de l’intérieur et portant sur la manière de traiter une plainte pour des faits de torture. Les mesures prises en cas de plainte pour torture impliquant des agents de l’État sont notamment la suspension temporaire des fonctionnaires incriminés pendant le temps de l’enquête et la mise en sécurité des plaignants et des témoins. Pendant la période couverte par le rapport, quatre fonctionnaires ont été condamnés; et, depuis 2012, huit affaires ont donné lieu à des indemnisations, a fait savoir M. Rahmon.
Le Procureur général a également informé le Comité que le Code de procédure pénale tadjik interdisait l’extradition d’une personne vers un pays où elle risquerait d’être torturée ; que les dispositions du Protocole d’Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) avaient été intégrées aux règlements du Tadjikistan ; et que le Tadjikistan était en train d’achever la construction de nouveaux locaux de détention modernes, incluant un centre spécialisé dans la prise en charge des détenus tuberculeux.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
MME FELICE GAER, Vice-Présidente du Comité et corapporteuse pour l’examen du rapport du Tadjikistan, s’est dite consciente des progrès réalisés par le Tadjikistan depuis 2012, saluant notamment l’adoption d’un plan d’action national pour appliquer les recommandations du Comité, ainsi que l’accueil du Rapporteur spécial sur la torture, M. Méndez, à deux reprises. Cependant, a-t-elle relevé, le Rapporteur spécial, tout en prenant note de progrès, a aussi confirmé que la torture et les mauvais traitements restaient des problèmes au Tadjikistan, et a fait part de sa préoccupation face au fait que ces actes ne font pas l’objet d’enquêtes et ne sont pas sanctionnés comme ils le devraient. De même, a poursuivi Mme Gaer, lors de sa récente visite (2016) au Tadjikistan, le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression, M. Kaye, relevait que le Gouvernement tadjik faisait preuve de moins de tolérance envers l’opposition politique, dans un contexte où, selon le Comité d’Helsinki au Tadjikistan, les pouvoirs publics tentent de contrôler totalement la vie politique.
Mme Gaer a voulu savoir quelle instance au sein du Gouvernement tadjik était chargée des questions relatives aux droits de l’homme. Elle a relevé qu’en cinq ans, sur 81 plaintes reçues pour des faits de torture, six personnes ont été poursuivies et trois condamnées, pour des peines ne dépassant pas trois ans et demi de prison. Ce taux de poursuite est très faible, a déploré la corapporteuse. En outre, a-t-elle ajouté, selon certaines ONG, des actes qui relèveraient de la torture ont été poursuivis au titre d’autres délits moins graves, comme l’abus d’autorité ou la violation du code de conduite des soldats. Il semble que le Tadjikistan ne remplisse pas son obligation de mener des enquêtes rapides et efficaces après des allégations de torture, a insisté la corapporteuse. Ainsi, le Comité a-t-il été informé que le décès en 2015 d’Umar Bobojonov alors qu’il se trouvait aux mains de la police de Vahdat n’ait fait l’objet que d’une enquête pour lésions corporelles graves – et non pour torture. L’enquête elle-même a été suspendue à plusieurs reprises au motif que l’auteur des faits n’était pas identifié, alors même qu’il existe des témoins. La délégation a été priée de dire au Comité où en était cette enquête et s’il était prévu d’accorder une indemnisation à la famille de la victime.
La corapporteuse a par ailleurs prié la délégation de dire si le groupe de contrôle mentionné par le chef de la délégation pouvait visiter tous les lieux de détention, y compris ceux gérés par des unités spéciales des forces armées et de la police. L’experte a voulu savoir s’il est possible pour une personne détenue au Tadjikistan de déposer plainte pour des allégations de torture de manière confidentielle, sans passer par l’administration pénitentiaire.
Mme Gaer a en outre fait état d’allégations très graves relatives au sort de trois membres du Parti de la renaissance islamique au Tadjikistan, qui auraient été torturés par des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur. L’enquête sur ces faits a été classée secrète. Mme Gaer a prié la délégation de dire, malgré cela, si les allégations de torture avaient fait l’objet d’une enquête et, si tel est le cas, de la part de quelle autorité.
S’agissant des conditions de détention des prévenus, Mme Gaer a relevé que le Comité est régulièrement saisi d’informations selon lesquelles la police et le personnel du Ministère de l’intérieur ont pour habitude de maintenir des suspects au secret pendant parfois plusieurs jours pour obtenir leurs aveux. Un cas porté à l’attention du Comité est celui de M. Djovidon Khakimov, qui aurait été placé au secret et torturé pendant six jours dans les locaux du Ministère de l’intérieur.
Mme Gaer a aussi demandé à la délégation de dire si le Gouvernement entendait prendre des mesures pour remédier à la baisse spectaculaire du nombre d’avocats au Tadjikistan suite au durcissement de la loi sur les avocats de 2015 ; cette baisse pourrait compromettre la capacité des détenus d’avoir effectivement accès à un conseil juridique. La corapporteuse a voulu savoir si le Tadjikistan envisageait d’inviter le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats.
Mme Gaer a d’autre part souhaité savoir quand serait adopté l’amendement au Code pénal visant à aggraver les sanctions infligées aux auteurs d’actes de torture, étant entendu que la loi permet actuellement de réduire les peines ou d’accorder une amnistie en cas, notamment, de « repentance » du coupable ou s’il se « réconcilie » avec la victime.
Mme Gaer a prié la délégation de dire comment le Tadjikistan faisait face aux problèmes rencontrés en matière de lutte contre la violence domestique, eu égard notamment au fait que de nombreux cas ne sont pas signalés, et que la police, plutôt que d’enquêter, incite généralement les victimes à se réconcilier avec leurs bourreaux.
Mme Gaer s’est par la suite enquise des suites données par les autorités aux visites de prisons qu’a menées le groupe de surveillance. Elle a fait observer qu’une augmentation des moyens humains et financiers du groupe de surveillance pourrait lui permettre de visiter aussi les centres de détention préventive, ce qu’il ne semble pas faire à l’heure actuelle. La délégation a aussi été priée de dire si les autorités avaient enquêté sur les allégations de torture lancées par M. Umarali Husaynov.
Mme Gaer a également voulu savoir si le Tadjikistan serait prêt à recevoir la visite du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et avocats et si le pays envisageait de mentionner explicitement dans la loi que les auteurs d’actes de torture ne peuvent bénéficier d’une amnistie et que la torture est un crime imprescriptible.
MME ANA RACU, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport du Tadjikistan, a demandé à la délégation de décrire la formation que les policiers reçoivent au sujet des principes fondamentaux du recours à la force et aux armes à feu. Elle a également voulu savoir si les personnels médicaux au Tadjikistan sont formés pour détecter les actes de torture et les dénoncer aux autorités compétentes.
Mme Racu a ensuite insisté sur l’importance cruciale de la surveillance indépendante des lieux de détention pour protéger les droits des personnes privées de liberté. Le Comité a été saisi d’informations de la société civile selon lesquelles l’accès aux prisons est limité dans le pays, le Comité international de la Croix-Rouge lui-même n’y étant plus admis depuis 2004. Le Tadjikistan n’a pas ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et n’a donc pas créé de mécanisme indépendant de visite, a regretté l’experte. Elle a prié la délégation de dire si le groupe de contrôle déjà mentionné pouvait effectuer des visites inopinées et si ses membres pouvaient s’entretenir avec les détenus de manière confidentielle.
La corapporteuse a fait part de sa préoccupation s’agissant du respect des garanties juridiques fondamentales des personnes arrêtées au Tadjikistan. Il semble que la police soit autorisée à convoquer une personne en tant que « témoin » et à la détenir, sans accusation, aussi longtemps qu’elle le souhaite. En outre, le droit de consulter un avocat n’est pas garanti. Dans certains cas, la personne n’est même pas considérée comme témoin, mais seulement détenue au commissariat pour une « conversation » avec la police. En pratique, la personne convoquée pour cette « conversation » est détenue sans que la police n’ait besoin de formaliser l’arrestation et donc d’en rendre compte. Mme Racu a insisté sur l’importance d’enregistrer chaque arrestation dans un délai de trois heures après l’arrivée de la personne dans le commissariat, et de déférer cette personne à un juge dans les 72 heures au plus tard, 48 heures préférablement. Mme Racu a souligné que ces garanties de procédure n’avaient pas été respectées dans le cas de M. Khakimov.
Mme Racu s’est ensuite félicitée de la création au Tadjikistan d’un mécanisme d’aide juridique gratuite. L’experte a aussi salué les progrès enregistrés dans le domaine de l’accès des détenus aux services de médecins indépendants. Cependant, a-t-elle relevé, les personnes arrêtées ne bénéficient pas systématiquement d’un examen médical indépendant au moment de leur arrivée au commissariat ou dans un lieu de détention provisoire. D’autre part, les personnels médicaux sont généralement des employés du Ministère de l’intérieur. L’experte a voulu savoir si ces personnels sont formés à détecter des signes de torture sur les personnes détenues ou gardées à vue. Elle a prié la délégation de dire si les enregistrements vidéo des interrogatoires étaient effectivement réalisés et s’ils étaient transmis aux avocats de la défense sur leur demande.
La corapporteuse a par ailleurs souhaité savoir si les détenus bénéficient de mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale après leur libération. Elle a aussi relevé que, selon l’ONUSIDA et le Fonds mondial, les taux d’infection au VIH et à la tuberculose sont importants dans les prisons du Tadjikistan. Mme Racu a demandé à la délégation si elle disposait de statistiques officielles relativement au nombre de personnes décédées en prison. Les informations en possession du Comité montrent que les enquêtes pour des faits de torture commis en prison ne sont pas menées de manière efficace, a-t-elle ajouté. Elle s’est enquise des résultats des enquêtes faites après les décès en détention de MM. Mannonov, Tashirpov et Boboev.
Mme Racu a apprécié les mesures prises par le Tadjikistan pour se doter d’un système de justice pour les mineurs, saluant notamment la création de mécanismes de protection des enfants témoins et victimes, ainsi que la fourniture d’une aide juridique gratuite aux enfants en conflit avec la loi. Elle a cependant regretté que le Tadjikistan ne compte toujours pas de juges ni de procureurs spécialisés dans le traitement des jeunes en conflit avec la loi. L’experte a en outre regretté que la loi ne protège pas les enfants contre les châtiments corporels à l’école et au sein de la famille.
La corapporteuse a par ailleurs relevé que les personnes LGBTI avaient été visées, en 2015, par deux campagnes publiques lancées par les autorités au nom de la lutte contre « l’amoralité. Mme Racu a prié la délégation de dire quels mécanismes juridiques permettent aux soldats de déposer plainte lorsqu’ils sont victimes de bizutage ou de mauvais traitements.
Mme Racu a ensuite salué les mesures prises par le Tadjikistan pour améliorer la formation des juristes et autres agents de l’État concernés par l’application de la Convention. Elle a voulu savoir si les formations en question étaient obligatoires et si elles s’adressaient aussi aux policiers et aux médecins. Seule une approche complète et cohérente de la formation peut garantir l’efficacité de la prévention de la torture, a-t-elle souligné. Elle a par ailleurs regretté que les lieux de détention gérés par les militaires ne semblent pas pouvoir faire l’objet de visites de contrôle.
La délégation a été également priée de dire combien de personnes avaient été renvoyées en Afghanistan pendant la période couverte par le rapport. En outre, quel est le rôle du Ministère de la sécurité dans l’application de la Convention, a-t-il été demandé? Par ailleurs, pour quelles raisons le Tadjikistan ne peut-il pas encore ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention ?
M. DIEGO RODRÍGUEZ-PINZÓN, rapporteur-associé pour l’examen du rapport du Tadjikistan, a jugé insuffisants les montants des indemnités versées aux victimes de la torture, tels que mentionnés dans le rapport, et a souligné l’importance de la proportionnalité des réparations par rapport à l’importance des torts subis.
Une autre experte du Comité a mis l’accent sur le décalage de pouvoir entre le parquet et les juges au Tadjikistan, le premier étant en effet habilité à condamner des personnes accusées sans tenir compte du travail des magistrats.
Un expert a prié la délégation de commenter les allégations selon lesquelles les Hazaras afghans sont victimes d’un ciblage raciste de la part du système de justice au Tadjikistan. Les infractions administratives invoquées pour renvoyer les requérants d’asile hazaras afghans vers leur pays ne constituent pas un motif valable de refus d’octroi d’asile, en vertu des traités internationaux ratifiés par le Tadjikistan ; le renvoi systématique des Hazaras est donc de nature discriminatoire, a-t-il été souligné.
M. JENS MODVIG, Président du Comité, a attiré l’attention du Tadjikistan sur un manuel publié récemment par l’Organisation mondiale de la Santé concernant « le traitement de la tuberculose sensible aux médicaments et la prise en charge du patient ». Il importe que les autorités pénitentiaires déterminent dans quelle mesure la maladie est contractée en prison ou y est importée de l’extérieur, a souligné M. Modvig. À cet égard, il ne devrait pas être très difficile de procéder à des tests de dépistage en même temps que l’examen médical d’entrée, a fait observer le Président.
Réponses de la délégation
La délégation a indiqué que le Gouvernement tadjik avait créé une commission chargée de veiller au respect des obligations du pays en matière de droits de l’homme et en particulier de lutte contre la torture.
La ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention est à l’étude, a ajouté la délégation.
La création d’un organe qui serait chargé d’enquêter uniquement sur les cas de torture ne serait pas pertinente, a estimé la délégation. En effet, les services du procureur sont déjà chargés des enquêtes sur les plaintes pour faits de torture ou de traitements inhumains. En outre, le Commissaire aux droits de l’homme peut procéder à ses propres vérifications en cas de violation des droits des citoyens, y compris en effectuant des visites dans les lieux de détention civils et militaires – le groupe de surveillance du défenseur ayant mené 65 visites pendant la période couverte par le rapport. Le Commissaire peut aussi émettre des recommandations aux autorités s’il apparaît qu’une décision de justice ne respecte pas les droits des citoyens.
Entre 2013 et 2018, le parquet a reçu 89 plaintes pour des faits de torture et autres traitements cruels : sept affaires ont été poursuivies au pénal et quatre peines de six mois à sept ans de prison ont été prononcées, a notamment précisé la délégation. Dans le même temps, les tribunaux ont examiné des affaires concernent plus de 150 soldats et officiers.
La loi sur l’amnistie exclut la torture de son champ d’application, a souligné la délégation. Le Tadjikistan a créé un fonds de soutien aux personnes victimes de torture et de violence, a-t-elle ajouté.
La délégation a précisé que les indemnités versées aux victimes de la torture s’élèvent à environ trente à quarante mille somonis (soit de 2800 à 3700 euros).
Il arrive deux ou trois fois par an que les tribunaux tadjiks aient à refuser des preuves et aveux obtenus sous la torture, a d’autre part indiqué la délégation.
Le plan d’action pour l’application des recommandations issues de l’Examen périodique universel et des organes de traités a notamment pour objet de mettre l’institution du Commissaire aux droits de l’homme en conformité avec les Principes de Paris relatifs à l’indépendance des institutions nationales de droits de l’homme, a précisé la délégation.
La formation des magistrats et enquêteurs chargés des plaintes pour torture intègre les principes contenus dans le Protocole d’Istanbul, a ensuite fait valoir la délégation, précisant qu’un enseignement porte plus précisément sur la lutte contre la traite des êtres humains. Les médecins des structures sanitaires et pénitentiaires étatiques reçoivent, eux aussi, une formation sur la manière de documenter des faits de torture, a ajouté la délégation. Plus de 2400 médecins au total ont déjà suivi cette formation. Les fonctionnaires sont également formés à la prévention de la torture et des traitements cruels. Les services médicaux dans les prisons sont régis par le Ministère de la santé et non par le Ministère de l’intérieur, a souligné la délégation.
Ayant été interpellée sur plusieurs cas particuliers, la délégation a indiqué que les poursuites lancées contre M. Yorov, avocat, portaient uniquement sur des crimes de droit commun ; cette personne n’a fait l’objet d’aucun acte de torture, a-t-elle ajouté. Quant à l’enquête relative au cas Bobojonov, elle montre que cette personne a été arrêtée pour trouble à l’ordre public, a expliqué la délégation. En tentant de s’enfuir de détention, M. Bobojonov a chuté et s’est blessé à la tête : il est ensuite décédé de ses blessures, un fait confirmé par plusieurs témoignages, a-t-elle déclaré.
D’autre part, tous les membres arrêtés du Parti de la renaissance islamique ont bénéficié de leurs droits en tant que personnes confrontées à la justice, a assuré la délégation. L’affaire est effectivement classée secrète, car elle met en jeu la sécurité de l’État, a-t-elle expliqué. Les membres du parti en question ont commis, ces dernières années, pas moins de 17 actes terroristes, dont un attentat ayant entraîné la mort de 52 personnes, a ajouté la délégation.
Le Tadjikistan est confronté actuellement au problème de la collecte unifiée de statistiques complètes et ventilées, a dit la délégation ; le Gouvernement a approché des institutions de financement internationales pour l’aider à se doter d’un tel instrument de collecte de données.
Le Code de procédure pénale stipule que les personnes convoquées comme témoins par la police bénéficient des droits fondamentaux sans exception, y compris le droit de contester la légalité de leur arrestation auprès du procureur. La durée de la garde à vue peut être modulée en fonction des besoins de l’enquête, mais elle ne saurait dépasser les 72 heures, a précisé la délégation. La loi sur l’activité des avocats prévoit des entretiens sans limite de temps entre les avocats et leurs clients justiciables.
S’agissant des conditions de détention, le Code de procédure pénale autorise la mise à l’isolement de détenus mineurs pour une durée maximale de 15 jours ; la révision en cours devrait supprimer cette mesure, a indiqué la délégation. La vidéosurveillance des cellules de détention provisoire est assurée 24 heures sur 24, a-t-elle ajouté.
Le système pénitentiaire tadjik compte 13 prisons, dont une prison pour femmes et une autre pour les mineurs, ainsi que six lieux de détention provisoire, a précisé la délégation.
La délégation a regretté que le Comité international de la Croix-Rouge n’ait pas accepté de visiter les prisons tadjikes aux conditions posées par les autorités. Elle a ajouté que les critiques sur l’état des prisons étaient exagérées, compte tenu des moyens importants que le Gouvernement a consacrés à leur amélioration, notamment afin de renforcer l’accès à l’hygiène et à une nourriture suffisante et saine. S’agissant de l’accès aux soins de santé, trente-quatre détenus tuberculeux suivent un traitement en prison, de même que plus de 200 détenus infectés par le VIH/sida, a fait savoir la délégation.
Interpellée sur les compétences du groupe de surveillance en matière de visite de lieux de détention, la délégation a indiqué que le travail de surveillance exercé au profit de M. Dzhamshed Yorov – cas mentionné par un expert – n’avait donné lieu à aucune plainte pour torture: questionné, M. Yorov n’a pas dénoncé d’acte de torture, a insisté la délégation.
La délégation a précisé que, de par la loi, chaque personne détenue de manière préventive doit disposer d’au moins quatre mètres carrés.
Actuellement, 64 mineurs sont placés dans des colonies de rééducation, a en outre indiqué la délégation.
Le nombre de décès en prison pour des raisons médicales a tendance à reculer, a d’autre part indiqué la délégation. Le décès d’une personne détenue donne toujours lieu à une enquête par le bureau du procureur, lequel peut, le cas échéant, traduire des fonctionnaires en justice et accorder des dédommagements aux familles des victimes.
Le Tadjikistan observe un moratoire sur l’application de la peine de mort, peine qui est toujours commuée en prison à vie, a en outre souligné la délégation. Les personnes concernées sont soumises à un régime spécial, dans un établissement séparé, a-t-elle précisé.
La délégation a aussi fait savoir que les autorités militaires ont pris des mesures qui ont entraîné une baisse de 20% du nombre d’abus de pouvoir dans l’armée, y compris s’agissant des bizutages.
D’autre part, la loi tadjike interdit toute forme de châtiment corporel et de violence psychologique sur les enfants, a rappelé la délégation. Au Tadjikistan, a-t-elle par la suite souligné, les enfants victimes de violence ou d’exploitation bénéficient de mesures d’accompagnement. Les autorités tadjikes s’efforcent de mieux répondre à leurs obligations internationales s’agissant de la protection des mineurs, a-t-elle assuré.
La législation nationale sur les droits de l’homme est sans cesse perfectionnée, a souligné la délégation. L’effort porte par exemple sur la lutte contre la violence au sein de la famille. Le Ministère de l’intérieur a ainsi créé 14 postes d’inspecteurs de la violence familiale, actifs sur l’ensemble du territoire et dont les missions sont inspirées d’expériences d’autres pays, notamment de la République de Moldova. Les services compétents veillent à ce que les tuteurs et parents remplissent effectivement leur mission éducative et ne maltraitent pas les enfants. Plus de six mille enseignants et trois mille parents ont été sanctionnés à ce titre par les tribunaux, a précisé la délégation.
La délégation a ensuite expliqué que le Tadjikistan était un pays d’origine de la traite des êtres humains, dont les victimes sont en majorité des femmes victimes de traite à des fins d’esclavage sexuel vers, essentiellement, les pays du Golfe arabique, la Fédération de Russie et la Turquie. Le Ministère de l’intérieur a créé, en 2016 et avec l’aide de l’ambassade des États-Unis, un « centre de crise » chargé de mieux coordonner l’action publique contre la traite et d’améliorer la prise en charge des victimes, conformément aux normes internationales. Depuis plusieurs années, entre cinq et douze victimes de la traite rentrent chaque année au Tadjikistan ; à leur retour, elles bénéficient d’une aide matérielle et psychologique et peuvent suivre des formations.
La délégation a par la suite précisé que la réintégration des victimes de la traite était organisée par le Ministère de la santé en collaboration avec les autres ministères concernés et avec des organisations non gouvernementales. Les anciennes victimes ont accès à des prestations médicales et sociales gratuites, au même titre que certaines catégories de population fragiles. Le Ministère de la santé s’attelle parallèlement à l’élimination de la violence faite aux femmes, a ajouté la délégation.
La délégation a souligné que le Tadjikistan était le premier pays d’Asie centrale à avoir ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
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CAT18.007F