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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU QATAR

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Qatar sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, M. Ahmed Hassan Al-Hamadi, Secrétaire général du Ministère des affaires étrangères du Qatar, a souligné que la Constitution et le Code pénal qatariens interdisent et criminalisent de manière absolue tout comportement condamné par la Convention – un engagement juridique qui se double d’un engagement moral, ancré dans les valeurs religieuses ainsi que dans les us et coutumes du Qatar, a-t-il insisté. Le Gouvernement qatarien s’engage en outre à ouvrir des enquêtes sur toutes les plaintes portant sur des comportements cruels, inhumains ou dégradants, a ajouté M. Al-Hamadi. Les règlements ont été adaptés pour assurer aux citoyens la possibilité de déposer plainte en cas de violation de ce principe.

Au plan international, le Qatar a confirmé son engagement de ne pas extrader vers un pays tiers une personne qui risquerait d’y être torturée ou d’y être victime de mauvais traitements, conformément à l’article 3 de la Convention, a poursuivi le Secrétaire général du Ministère des affaires étrangères. Quant à la protection des droits des étrangers, elle est consacrée dans la loi qatarienne, a-t-il ajouté. En particulier, a été modifiée la loi régissant l’entrée et la sortie des étrangers ainsi que leurs relations contractuelles avec leurs employeurs, a-t-il précisé. En outre, la nouvelle loi sur l’emploi domestique est inspirée de la Convention (n° 189) de l’Organisation internationale du Travail sur les travailleuses et travailleurs domestiques, a indiqué le chef de la délégation. Le Conseil des ministres a aussi décidé de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a fait savoir M. Al-Hamadi.

Le Qatar est malheureusement victime d’un embargo injuste de la part des autres pays de la région, une mesure coercitive unilatérale qui entraîne d’innombrables violations des droits de l’homme, en particulier ceux des familles ainsi séparées, a d’autre part déclaré M. Al-Hamadi.

La délégation qatarienne était également composée de M. Faisal bin Abdulla Al-Henzab, Représentant permanent du Qatar auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de plusieurs représentants des Ministères des affaires étrangères, de l’éducation, de l’intérieur, de la justice, de la santé publique, du travail et des affaires sociales.

La délégation a répondu aux questions des experts du Comité portant – notamment – sur les réserves émises par le Qatar aux articles 1 et 16 de la Convention ; sur les sanctions dont sont passibles les actes de torture et de mauvais traitements ; sur le respect des garanties de procédure et autres garanties juridiques fondamentales ; sur les conditions de détention et le contrôle des lieux de détention ; sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles de santé mentale ; sur les travailleurs migrants ; sur la lutte contre la traite de personnes ; sur le respect du principe de non-refoulement, y compris dans le contexte de l’extradition ; sur la détention des personnes en attente d’expulsion ; sur la peine de mort ; ou encore sur les peines de flagellation et d’amputation.

M. Abdelwahab Hani, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Qatar, s’est notamment félicité de l’évolution positive et majeure que constitue la ratification par le Qatar des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. La Constitution du Qatar interdit formellement la torture et les fonctionnaires coupables d’actes de torture peuvent être renvoyés de leurs postes, s’est d’autre part félicité le corapporteur. Mais la loi n’interdit pas explicitement toutes les formes de torture et de mauvais traitements, tandis que certains articles de loi ouvrent la voie à l’impunité, a-t-il mis en garde : ainsi, la loi admet qu’un ordre émanant d’un supérieur puisse être invoqué pour échapper à une sanction. De même, le délai très court (trente jours) pour porter plainte risque d’empêcher certaines victimes de torture ou de mauvais traitements de déposer plainte, ce qui peut favoriser l’impunité, a ajouté M. Hani. Il s’est aussi interrogé sur les possibilités de réduction de peine dans les cas de torture prévues par la loi, estimant qu’elles étaient beaucoup trop généreuses. De l’avis du Comité, le crime de torture, vu sa gravité, ne doit pas être soumis à la prescription, a-t-il ajouté.

D’autre part, le Code pénal qatarien donne la liste de six crimes relevant du champ d’application de la charia: autrement dit, une double norme s’applique au Qatar, a fait remarquer M. Hani, avant de rappeler que le Comité estime que la lapidation, la flagellation et l’amputation, qui font partie du régime juridique de certains pays musulmans, sont contraires à la Convention.

Le corapporteur s’est en outre inquiété de l’existence de « dérogations permanentes » à la liste des garanties juridiques fondamentales. Par exemple, en cas d’enquête pour terrorisme, a-t-il précisé, la durée de la détention préventive peut atteindre six mois, renouvelables sur demande de l’agence nationale de renseignement. De même, en cas de menace pour la sécurité de l’État, le Ministère de l’intérieur peut faire arrêter et maintenir en détention pour une durée pouvant atteindre deux ans une personne. L’expert a par ailleurs constaté que les migrants dont le permis de résidence n’est pas renouvelé par leur employeur peuvent aussi être placés en détention. M. Hani a en outre constaté que le Qatar avait, en contravention avec la loi qatarienne elle-même, extradé des ressortissants étrangers vers des pays où ils risquaient de subir – et ont, de fait, subi – des mauvais traitements.

Mme Essadia Belmir, Vice-Présidente du Comité et corapporteuse pour l’examen du rapport du Qatar, a notamment fait observer que les limites posées au Qatar aux compétences des magistrats mettaient en péril le bon déroulement des procédures. Elle a déploré la fragilité des garanties de procédure au Qatar. Elle a en outre fait observer que la loi du Qatar prévoit que les mineurs de plus de 16 ans peuvent être condamnés à la flagellation. Mme Belmir a par ailleurs jugé insuffisante la fréquence des visites des lieux de détention au Qatar. Elle s’est ensuite dite préoccupée par la détention de travailleurs migrants au Qatar.

M. Bakhtiyar Tuzmukhamedov, rapporteur-associé pour l’examen du rapport du Qatar, a quant à lui observé que la liste des crimes passibles de la peine de mort au Qatar était « assez longue ».

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Qatar et les rendra publiques à l'issue de la session, le 18 mai prochain.


Le Comité entendra demain après-midi, à 15 heures, les réponses de la République tchèque aux questions que lui ont posées ce matin les experts.


Présentation du rapport

Le Comité était saisi du troisième rapport périodique du Qatar (CAT/C/QAT/3), préparé sur la base d’une liste de questions (CAT/C/QAT/QPR/3) préalablement adressée au pays par le Comité.

Présentant ce rapport, M. AHMED HASSAN AL-HAMADI, Secrétaire général du Ministère des affaires étrangères du Qatar, a souligné l’importance de ce dialogue avec le Comité, qui vient s’inscrire dans les efforts du pays pour donner effet aux dispositions de la Convention. Le rapport a été élaboré par une équipe interministérielle pilotée par le Ministère des affaires étrangères, avec la participation de toutes les sphères de la société; préalablement à sa publication, il a été soumis pour commentaires à l’institution nationale de droits de l’homme. Le rapport présente tous les progrès réalisés par le Qatar dans la promotion et la protection des droits de l’homme aux plans législatif et administratif. Le Qatar a pris bonne note des observations finales que lui a adressées le Comité à l’issue de l’examen du précédent rapport et a, sur cette base, adopté des réformes afin de lutter plus efficacement encore contre toutes les formes de mauvais traitements ou de torture, a indiqué le chef de la délégation.

Ainsi, a précisé M. Al-Hamadi, la Constitution et le Code pénal interdisent-ils et criminalisent-ils de manière absolue tout comportement condamné par la Convention – un engagement juridique qui se double d’un engagement moral, ancré dans les valeurs religieuses ainsi que dans les us et coutumes du Qatar, a insisté le chef de la délégation. Le Gouvernement qatarien s’engage en outre à ouvrir des enquêtes sur toutes les plaintes portant sur des comportements cruels, inhumains ou dégradants, a ajouté M. Al-Hamadi. Les règlements ont été adaptés pour assurer aux citoyens la possibilité de déposer plainte en cas de violation de ce principe.

Au plan international, le Qatar a confirmé son engagement de ne pas extrader vers un pays tiers une personne qui risquerait d’y être torturée ou d’y être victime de mauvais traitements, conformément à l’article 3 de la Convention, a poursuivi le Secrétaire général du Ministère des affaires étrangères. Quant à la protection des droits des étrangers, elle est consacrée dans la loi qatarienne, a-t-il ajouté. En particulier, a été modifiée la loi régissant l’entrée et la sortie des étrangers ainsi que leurs relations contractuelles avec leurs employeurs, a-t-il précisé. En outre, la nouvelle loi sur l’emploi domestique est inspirée de la Convention (n° 189) de l’Organisation internationale du Travail sur les travailleuses et travailleurs domestiques, a indiqué le chef de la délégation. L’État a aussi mis sur pied en 2017 un groupe de travail chargé de préparer un plan national des droits de l’homme, ainsi qu’une commission nationale de lutte contre la traite des êtres humains. Le Conseil des ministres a aussi décidé de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a fait savoir M. Al-Hamadi.

D’autre part, le Qatar a consacré 14 milliards de riyals [NDLR : environ 3,2 milliards d’euros] entre 2012 et 2016 à la coopération pour le développement, a indiqué le Secrétaire général du Ministère des affaires étrangères.

Le Qatar est malheureusement victime d’un embargo injuste de la part des autres pays de la région, une mesure coercitive unilatérale qui entraîne d’innombrables violations des droits de l’homme, en particulier ceux des familles ainsi séparées, a d’autre part déclaré M. Al-Hamadi. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a récemment décrit, dans un rapport objectif, les violations des droits de l’homme graves induites par cet embargo. Malgré cela, le Qatar reste fermement engagé à l’application des instruments internationaux qu’il a ratifiés, au premier rang desquels la Convention contre la torture, a conclu M. Al-Hamadi.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ABDELWAHAB HANI, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Qatar, s’est dit rassuré par la déclaration faite par le chef de la délégation, qui a assuré que les recommandations antérieures du Comité avaient bien été prises en compte par le Qatar. Il s’est aussi félicité de l’évolution positive et majeure que constitue la ratification par le Qatar des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. L’expert a toutefois voulu savoir si le Qatar envisageait de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture [concernant « l’établissement d’un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture »].

M. Hani a ensuite relevé que le Qatar avait modifié sa position s’agissant de la réserve qu’il avait émise au moment de sa ratification de la Convention. Le pays a en effet retiré sa réserve s’agissant des articles 21 et 22 de la Convention [concernant la capacité du Comité de recevoir des plaintes], mais tout en maintenant une réserve limitée générale dans le cadre des articles 1 et 16 de la Convention ; or, cette dernière réserve porte en réalité sur la substance même de la Convention, une situation qui est problématique pour le Comité, a souligné M. Hani. Il a indiqué ne pas comprendre en quoi les deux articles qui font l’objet de la réserve du Qatar s’opposeraient aux « valeurs religieuses » et aux « coutumes » du Qatar mentionnées par le chef de la délégation dans sa présentation. L’expert a fait observer que d’autres pays au Moyen-Orient et en Afrique du Nord se sont contentés, plutôt que d’émettre une réserve, de prévoir des dérogations afin d’exclure du champ d’application de l’article premier « certaines mesures punitives ».

La Constitution du Qatar interdit formellement la torture et les fonctionnaires coupables d’actes de torture peuvent être renvoyés de leurs postes, s’est d’autre part félicité le corapporteur. Mais la loi n’interdit pas explicitement toutes les formes de torture et de mauvais traitements, tandis que certains articles de loi ouvrent la voie à l’impunité, a-t-il mis en garde : ainsi, la loi admet qu’un ordre émanant d’un supérieur puisse être invoqué pour échapper à une sanction. De même, le délai très court (trente jours) pour porter plainte risque d’empêcher certaines victimes de torture ou de mauvais traitements de déposer plainte, ce qui peut favoriser l’impunité, a ajouté M. Hani.

M. Hani s’est aussi interrogé sur les possibilités de réduction de peine dans les cas de torture prévues par la loi, estimant qu’elles étaient beaucoup trop généreuses. De l’avis du Comité, le crime de torture, vu sa gravité, ne doit pas être soumis à la prescription, a-t-il ajouté. Il a demandé à la délégation de préciser de quelles peines sont passibles les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements.

D’autre part, le Code pénal qatarien donne la liste de six crimes relevant du champ d’application de la charia: autrement dit, une double norme s’applique au Qatar, a fait remarquer M. Hani. Le Comité estime que la lapidation, la flagellation et l’amputation, qui font partie du régime juridique de certains pays musulmans, sont contraires à la Convention. Plusieurs pays musulmans ont, depuis le XIXe siècle déjà, remplacé ces peines par d’autres sanctions, comme des amendes, a fait observer M. Hani. Il a prié la délégation de dire si le Qatar entendait remplacer les châtiments corporels que sa loi autorise encore par des sanctions alternatives.

Par ailleurs, M. Hani a voulu savoir si les nombreux étrangers détenus au Qatar – ils sont dix fois plus nombreux que les Qatariens – bénéficiaient des garanties juridiques fondamentales, notamment du droit d’informer leur consulat de leur détention. Le corapporteur s’est inquiété de l’existence de « dérogations permanentes » à la liste des garanties juridiques fondamentales. Par exemple, en cas d’enquête pour terrorisme, a-t-il précisé, la durée de la détention préventive peut atteindre six mois, renouvelables sur demande de l’agence nationale de renseignement. De même, en cas de menace pour la sécurité de l’État, le Ministère de l’intérieur peut faire arrêter et maintenir en détention pour une durée pouvant atteindre deux ans une personne, moyennant l’existence de « preuves solides » quant à la nécessité de son arrestation. L’expert a par ailleurs constaté que les migrants dont le permis de résidence n’est pas renouvelé par leur employeur peuvent aussi être placés en détention.

Le corapporteur a prié la délégation de dire quelle instance est chargée au Qatar de contrôler les lieux de détention préventive. Il a demandé des renseignements sur les motifs de détention du poète Al-Ajami et sur les mesures qui ont été prises pour remédier aux causes profondes de son arrestation arbitraire. La délégation a aussi été priée de fournir des informations sur l’organisation des visites de prisons effectuées, au Qatar, par la Commission nationale des droits de l’homme et par des intervenants externes.

M. Hani a constaté que le Qatar avait, en contravention avec la loi qatarienne elle-même, extradé des ressortissants étrangers vers des pays où ils risquaient de subir – et ont, de fait, subi – des mauvais traitements. L’expert a en outre relevé que la loi qatarienne ne mentionne pas la torture dans la liste des crimes couverts par la compétence universelle du Qatar. Il a souligné que cette compétence universelle était indispensable pour poursuivre effectivement tous les auteurs d’actes de torture.

M. Hani a par la suite demandé au Qatar de communiquer davantage de statistiques relatives aux mesures prises par le pays (aux fins de l’application de la Convention) – statistiques sur la base desquelles le Comité pourra juger de l’efficacité de l’action publique du pays. L’expert a notamment voulu savoir combien de peines de flagellation ou d’amputation sont prononcées au Qatar. Il a par ailleurs prié la délégation de préciser quelle est l’institution qui est chargée de surveiller les établissements psychiatriques fermés.

MME ESSADIA BELMIR, Vice-Présidente du Comité et corapporteuse pour l’examen du rapport du Qatar, a salué les progrès sociaux et économiques accomplis très rapidement par le Qatar. Elle a recommandé que le Qatar lève toute ambiguïté concernant la réserve qu’il a émise à l’application des articles 1 et 16 de la Convention.

S’agissant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, Mme Belmir a fait observer que les limites posées au Qatar aux compétences des magistrats mettaient en péril le bon déroulement des procédures. Elle a insisté sur l’importance de respecter les délais de présentation des suspects aux juges et a déploré la fragilité des garanties de procédure au Qatar. Elle a en outre fait observer que la loi du Qatar prévoit que les mineurs de plus de 16 ans peuvent être condamnés à la flagellation.

À l’instar de M. Hani, Mme Belmir a relevé que le Ministère de l’intérieur, dans certaines situations, pouvait faire détenir des personnes accusées sur la base d’un rapport du chef de la sécurité de l’État et ce, pour des délais dépassant largement le cadre légal ordinaire. L’existence parallèle, au Qatar, de règles de procédure pénale et d’un ensemble d’autres dispositions soulève la question de la détention au secret, a affirmé l’experte. En effet, les personnes détenues par la sécurité de l’État échappent au système de justice et ne bénéficient pas des garanties habituelles ; le risque de torture n’en est que plus grand, a mis en garde la corapporteuse.

Mme Belmir a par ailleurs jugé insuffisante la fréquence des visites des lieux de détention au Qatar et s’est interrogée sur l’indépendance de l’institution chargée de cette surveillance. Elle a en outre voulu savoir dans quelle mesure la formation aux droits de l’homme dispensée aux fonctionnaires de la police et de la justice avait une incidence sur le recul de la torture et des mauvais traitements.

La corapporteuse a demandé au Qatar de fournir davantage de statistiques sur les dénonciations d’infractions à l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. Elle a prié la délégation de dire quelle réparation était accordée aux personnes dont les droits ont été bafoués par leurs employeurs ou du fait de l’anachronisme de la réglementation qui prévaut au Qatar dans certains domaines.

Mme Belmir s’est dite préoccupée par la détention de travailleurs migrants au Qatar. Elle a cependant constaté que le pays avait consenti un effort louable en faveur des victimes de la traite de personnes.

Mme Belmir a relevé que, selon la jurisprudence qatarienne, les tribunaux refusent les aveux obtenus sous la contrainte ; mais la question est de savoir dans quelle mesure ce principe est respecté, a-t-elle souligné. Elle a cité le cas de M. Ronaldo Lopez Ulep, arrêté et condamné à l’emprisonnement à perpétuité pour espionnage ; détenu à l’isolement pendant quatre ans, M. Ulep dit avoir été soumis à la torture pendant cette période, a-t-elle ajouté. L’experte a demandé à la délégation de donner des informations sur le sort de cette personne, dont le procès en appel s’était ouvert en 2014 déjà.

La corapporteuse a d’autre part voulu savoir dans quelle mesure les mineurs étaient protégés contre les mauvais traitements, que ce soit pendant la détention ou dans le cadre du système des peines, la législation en vigueur prévoyant en effet que les mineurs de plus de 16 ans peuvent subir des châtiments tels que la flagellation. L’experte a enfin recommandé que la magistrature qatarienne se dote d’un code de déontologie.

Mme Belmir a ensuite relevé que la flagellation est certes officiellement interdite en tant que sanction disciplinaire dans les prisons qatariennes, mais qu’il semblerait, selon une réponse faite par le Qatar au Comité des droits de l’enfant, que les mineurs de plus de 16 ans puissent être soumis à cette sanction si elle est prononcée par un tribunal. L’experte a demandé des éclaircissements sur cette question.

La corapporteuse a en outre insisté sur le fait que chaque justiciable doit bénéficier du droit à un procès en bonne et due forme devant une instance judiciaire. Elle a par ailleurs regretté que le système de parrainage (kafala) n’ait pas été aboli au Qatar, de sorte que l’employé qui souhaite quitter le territoire doit obtenir l’autorisation de son employeur, lequel détient toujours son passeport.

M. BAKHTIYAR TUZMUKHAMEDOV, rapporteur-associé pour l’examen du rapport du Qatar, a observé que la liste des crimes passibles de la peine de mort au Qatar était « assez longue ». Il a voulu savoir si la lutte contre le terrorisme avait contribué à allonger cette liste et s’il était envisagé de modifier cette liste. Il a prié la délégation de fournir des statistiques s’agissant de la peine de mort et de son application, y compris en ce qui concerne le nombre d’exécutions ; le nombre de commutations de peine ; les conditions de détention des personnes en attente d’exécution ; et les modalités de résolution d’éventuels conflits entre le droit islamique et le droit civil sur les questions intéressant la peine de mort.

M. Tuzmukhamedov a ensuite relevé que le Qatar votait toujours contre les projets de résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies demandant l’imposition d’un moratoire sur l’application de la peine de mort.

Un autre membre du Comité s’est interrogé sur la protection consulaire dont bénéficient les étrangers au Qatar : qui intervient, a-t-il voulu savoir, et comment veille-t-on à ce que les détenus étrangers reçoivent effectivement des visites d’agents consulaires ?

Une experte a voulu savoir si le Qatar reconnaissait la capacité de particuliers de transmettre des communications (plaintes) au Comité. Elle a en outre prié la délégation de fournir des statistiques sur le nombre de bénéficiaires d’indemnisations et sur les montants versés, ainsi que sur le nombre de plaintes pour mauvais traitements déposées par des détenus et par des travailleurs migrants. L’experte a insisté sur l’importance des données statistiques ventilées, qui permettent au Comité de faire des évaluations en toute connaissance de cause.

Une experte a fait état d’informations en possession du Comité selon lesquelles les personnes détenues dans des conditions difficiles dans le centre de déportation près de Doha sont en majorité victimes du système de kafala (parrainage obligatoire par les employeurs)

D’autres questions ont porté sur l’aide juridictionnelle au Qatar et sur la réglementation applicable à la détention dans les institutions de santé mentale.

Enfin, M. JENS MODVIG, Président du Comité, a insisté sur l’importance du droit des personnes détenues de bénéficier d’un examen médical indépendant non seulement en cas de maladie, mais aussi pour détecter si elles ont subi des actes de torture ou des mauvais traitements. D’autre part, si le médecin constate des lésions pouvant résulter de tels actes, à qui doit-il faire rapport, a voulu savoir le Président ?

Le Président a ensuite lui aussi jugé douteux que les dénonciations d’actes de violence commis par des policiers doivent se faire auprès d’autres policiers. « En somme, combien de rapports de médecins ont-ils donné lieu à des poursuites pour des faits de torture ou de mauvais traitement ? », a voulu savoir M. Modvig.

Réponses de la délégation

La délégation a d’abord fait savoir que le Qatar avait adopté une démarche à long terme pour revoir toutes les réserves que le pays a émises à l’égard des différents traités internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’il a ratifiés. Le Qatar est confronté à des difficultés dans l’application de traités adoptés, ce qui explique le retard pris dans la ratification d’autres instruments de droits de l’homme, comme par exemple le Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Le Qatar est considéré, au plan international, comme respectueux des normes relatives à la protection des personnes contre l’apatridie, a d’autre part affirmé la délégation.

Le Code de procédure pénale prévoit des délais à respecter pour déposer une plainte après la commission d’un délit ou d’un crime. La torture est soumise au délai général de prescription, qui est de dix ans au Qatar, a indiqué la délégation. Les crimes – catégorie dont la torture fait partie – sont passibles d’un minimum de trois ans d’emprisonnement, a précisé la délégation. Un fonctionnaire qui serait reconnu coupable d’avoir commis un acte de torture ayant entraîné la mort serait lui-même passible de la peine de mort, a fait savoir la délégation ; en cas de lésion permanente sur la victime, la peine peut atteindre dix ans de réclusion, a-t-elle ajouté.

La personne qui a donné un ordre aboutissant à la commission d’un acte de torture n’échappera pas à la sanction, pas plus que l’auteur de l’acte lui-même, a par la suite souligné la délégation.

Les médecins confrontés à des patients pouvant avoir été victimes de torture sont tenus de dénoncer les faits, même en cas de doute seulement, a d’autre part souligné la délégation. Les cas dénoncés seront alors pris en charge à titre prioritaire par les institutions de santé concernées, a-t-elle indiqué. La délégation a précisé que les plaintes pour mauvais traitements peuvent être déposées dans les hôpitaux, par exemple lorsque le patient s’y présente spontanément ; le médecin de service alertera alors le poste de police le plus proche. Si un médecin détecte des signes de violence sur un patient, il doit en informer immédiatement la police, a par la suite insisté la délégation. Elle a ajouté que le juge peut demander à consulter le dossier médical d’un patient traité pour des séquelles d’actes de torture.

Le législateur accorde une grande attention à la prise en charge des personnes atteintes de troubles de santé mentale, a poursuivi la délégation qatarienne. La loi définit les cas où les patients doivent ou peuvent être confiés aux services de santé spécialisés. L’admission volontaire d’une personne qui ne jouit pas du discernement doit être obligatoirement signalée aux autorités compétentes par l’institution d’accueil, dans un délai précisé par la loi. Pour faire admettre un patient sans son consentement explicite, les symptômes de sa maladie doivent laisser craindre que le patient ne constitue une menace pour lui-même ou pour la société. Une personne peut aussi être internée suite à une décision de justice : le médecin traitant devra alors remettre un rapport d’admission contenant un diagnostic, une recommandation de traitement et un calendrier de traitement, a expliqué la délégation.

Un justiciable peut refuser d’être examiné par un médecin désigné par l’État, a souligné la délégation. Le procureur devra alors trouver un autre praticien ou désigner un groupe de praticiens pour procéder à l’examen médical, a-t-elle ajouté. Un détenu qui ne jouit manifestement pas de toute sa raison peut être transféré dans un établissement spécialisé, a-t-elle rappelé.

S’agissant de la coopération avec les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies, la délégation a rappelé que le Qatar avait lancé des invitations ouvertes aux titulaires de mandats et a déjà reçu les visites de plusieurs Rapporteurs spéciaux.

La loi accorde des protections suffisantes aux journalistes, qui disposent de la latitude nécessaire pour exercer leur profession, a en outre affirmé la délégation.

Les victimes de violence ont droit à un traitement de réhabilitation – un traitement qui est en principe gratuit, a poursuivi la délégation. En 2017, 152 enfants et 250 adultes ont bénéficié des mesures de réhabilitation prévues dans ce contexte, a indiqué la délégation. Les bénéficiaires de ce dispositif sont en majorité des travailleurs migrants domestiques, a-t-elle précisé. Un comité a été chargé d’accompagner ces travailleurs dans leurs démarches au Qatar, y compris pour leur permettre de bénéficier des prestations auxquelles ils ont droit. Ce comité collabore pour ce faire avec les représentations consulaires concernées et il est aussi chargé de superviser les soins dispensés aux travailleurs migrants, même lorsqu’ils sont rentrés dans leur pays d’origine.

La loi sur le parrainage des travailleurs migrants a été amendée de telle sorte qu’ils sont maintenant autorisés à changer d’employeurs et de contrat, a fait valoir la délégation. Les employeurs doivent désormais s’engager par écrit à respecter leurs obligations et la confiscation du passeport du travailleur est passible d’amende, a-t-elle insisté. L’entrée et la sortie des travailleurs migrants et les conditions de leur résidence au Qatar sont régies par la loi, qui s’applique également et dans les mêmes conditions aux citoyens qatariens, a ajouté la délégation. En 2017, toutes les demandes de sortie du territoire déposées par des travailleurs migrants ont été acceptées sauf trois ; et vingt cas de fraude au visa ont été dénoncés, a précisé la délégation.

Le versement effectif des salaires sur les comptes bancaires des travailleurs migrants est contrôlé par le Ministère du travail au moyen d’un système électronique ; l’objectif est de faire appliquer l’obligation de paiement ponctuel des salaires par les employeurs, conformément aux dispositions de la loi sur le travail. Les employeurs sont tenus d’assurer leurs employés contre la maladie, moyennant une prime unique annuelle équivalant à 11 euros. Plus de 450 inspecteurs du travail veillent à l’application de toutes ces mesures, a indiqué la délégation.

Pour le Qatar, qui a ratifié la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole facultatif, la traite des personnes doit être combattue par un effort soutenu impliquant les autorités et la société civile, a poursuivi la délégation. Les efforts du Qatar dans ce domaine – pilotés par un comité national jouant un rôle de coordonnateur de l’action des pouvoirs publics – ont été salués par le Bureau international du Travail (BIT), qui a remercié le Qatar pour la protection qu’il accorde aux travailleurs migrants. Le Département d’État des États-Unis a, de même, évalué positivement l’action de l’État qatarien, a fait valoir la délégation. Le comité national publie des rapports périodiques et émet des recommandations concernant, notamment, la réinsertion sociale des victimes de la traite. Enfin, a fait savoir la délégation, le Qatar a signé un protocole d’accord avec le BIT dans le domaine de la prévention de la traite.

Les tribunaux qatariens sont saisis actuellement de 109 cas de traite des êtres humains, a ensuite précisé la délégation. Le BIT a ouvert un bureau à Doha pour suivre la situation des travailleurs migrants au Qatar, a-t-elle en outre indiqué.

S’agissant de la lutte contre la violence envers les femmes, la stratégie du Qatar cible d’abord l’autonomisation des femmes, la réduction de la violence dans les foyers et le soutien aux victimes, a indiqué la délégation. Entre autres mesures concrètes, a-t-elle ajouté, une ligne téléphonique d’urgence a été ouverte ; des campagnes de sensibilisations sont menées pour encourager la dénonciation des faits ; et les policiers reçoivent une formation spécialisée. D’autres dispositifs ont été mis en place pour indemniser les victimes. Toutes ces mesures s’inscrivent dans la « Stratégie Qatar 2030 » visant le développement social du pays.

La délégation a ensuite indiqué qu’en cas de crime contre la sécurité de l’État, ou contre la morale publique, l’exécutif peut autoriser la mise en détention d’une personne, sur la base d’un dossier solide, pour une durée totale de six mois au maximum. Il s’agit là d’une procédure dérogatoire au régime général, mais qui ne s’applique que dans des cas très graves, a souligné la délégation.

Les personnes arrêtées en vertu de la loi sur le terrorisme peuvent engager un recours devant les tribunaux, a ensuite indiqué la délégation. Pour ce qui est des personnes arrêtées en vertu de la loi sur la protection de la société, le recours se fait devant le Parlement, qui saisira lui-même ensuite l’exécutif, a-t-il précisé.

La langue utilisée dans les tribunaux qatariens est l’arabe ; aussi, des interprètes sont-ils mis à disposition des justiciables qui s’expriment dans d’autres langues. Devant la loi, tous sont égaux, Qatariens et étrangers, a insisté la délégation.

S’agissant du principe de non-refoulement dans le contexte de l’extradition, la délégation a assuré que lorsqu’il extrade une personne, où que ce soit, le Qatar veille à ce qu’elle ne soit pas victime de torture dans le pays de destination. S’agissant du cas de M. Ulep, mentionné par des experts, la délégation a indiqué que cette personne, condamnée à 15 ans de prison pour espionnage, est en train de purger sa peine ; aucune violation de ses droits fondamentaux n’a été dénoncée, a-t-elle ajouté.

Le Qatar est saisi actuellement de sept demandes d’extradition vers deux pays tiers, a ensuite indiqué la délégation.

Le centre de détention pour personnes en attente d’expulsion est équipé pour prendre correctement en charge les personnes qui y sont internées, a en outre indiqué la délégation.

La délégation a expliqué que le nombre d’étrangers détenus au Qatar, largement supérieur au nombre de Qatariens détenus, s’explique logiquement par le très grand nombre d’étrangers installés dans le pays.

Le droit qatarien offre de solides garanties en matière de recours contre un jugement, a en outre fait remarquer la délégation.

La délégation a rappelé que l’État du Qatar avait créé dès 2002 des mécanismes chargés de contrôler les conditions de détention en prison, au premier rang desquels l’institution nationale de droits de l’homme. Des visites inopinées des prisons sont effectuées depuis 2007, a précisé la délégation.

Le placement de détenus à l’isolement n’est possible que pour une période de quinze jours au maximum, a d’autre part indiqué la délégation. Entre autres critères applicables pour procéder à un tel placement, figure la menace que le détenu concerné fait peser sur ses congénères.

S’agissant de la peine de mort, la délégation a rappelé qu’elle ne s’applique au Qatar qu’à des crimes très graves. Entre 2012 et 2018, elle n’a été appliquée qu’à cinq reprises, a-t-elle précisé. La peine de mort ne s’applique pas aux femmes enceintes – dont l’exécution, si elles sont condamnées à mort, sera alors reportée de deux ans après l’accouchement, a-t-elle ajouté, avant de préciser que le pays ne n’était jamais trouvé confronté au problème de l’application de la peine capitale à une femme enceinte. La peine de mort, réservée en pratique aux assassinats, a une fonction essentiellement dissuasive au Qatar, a en outre affirmé la délégation.

Quant à la flagellation et à l’amputation, si ces peines existent bel et bien dans le Code pénal, leur application est soumise à un moratoire, a indiqué la délégation.

S’agissant des statistiques concernant les victimes d’actes de torture, la délégation a indiqué que 150 enfants et 250 adultes étaient actuellement pris en charge par les personnels hospitaliers en tant que victimes de violence. Elle a précisé que les institutions de santé mentale sont soumises à une surveillance de par la loi, pour faire en sorte que les patients reçoivent les soins dont ils ont besoin.

La délégation a enfin insisté sur le fait qu’elle misait dans une grande mesure sur l’éducation pour favoriser le respect de droits de l’homme, au Qatar et à l’étranger, dans le cadre de l’Alliance des civilisations.

Remarques de conclusion

M. Al-Hamadi a réaffirmé l’attachement de son pays au dialogue avec le Comité et a remercié les experts pour les questions qu’ils ont posées. Il a assuré que le Qatar avait une authentique volonté politique – et qu’il disposait du cadre juridique nécessaire – pour appliquer les dispositions de la Convention. Le Qatar, résolu à amender la législation en vigueur pour faire en sorte qu’elle soit pleinement conforme à la Convention, examinera avec le plus grand sérieux les recommandations que lui adressera le Comité et qu’il veillera aussi à diffuser au sein de la société qatarienne, a conclu M. Al-Hamadi.


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