Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR LA PROTECTION DES DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS OUVRE LES TRAVAUX DE SA VINGT-HUITIÈME SESSION
Le Comité pour la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille a ouvert ce matin les travaux de sa vingt-huitième session, qui se tient jusqu’au 20 avril au Palais Wilson, à Genève, et au cours de laquelle il doit examiner les rapports présentés par l’Algérie, le Guyana et Saint-Vincent-et-les-Grenadines sur la mise en œuvre, dans ces trois pays, des dispositions de la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille.
Ce matin, le Comité a adopté son ordre du jour et son programme de travail, après avoir entendu une déclaration de M. Adam Abdelmoula, Directeur de la Division du Conseil des droits de l'homme et des mécanismes de traités du Haut-Commissariat aux droits de l'homme. Le Comité a ensuite auditionné la société civile au sujet de l’application de la Convention dans plusieurs pays dont les rapports doivent être examinés cette semaine ou lors d’une prochaine session: Algérie, Argentine, Chili. Durant la présente session, le Comité doit en effet également adopter ses listes de points à traiter en vue de l’examen ultérieur des rapports de l’Argentine, du Chili, du Paraguay et du Rwanda.
Dans sa déclaration d’ouverture, M. Abdelmoula a notamment attiré l’attention sur la discrimination et la xénophobie croissantes et sur la propagation rapide des mouvements extrémistes qui affectent les travaux du Comité, tant en termes de dialogue avec les États, qui deviennent moins réceptifs aux critiques, qu’en termes de situation des travailleurs migrants eux-mêmes et des membres de leur famille. Il a rappelé que les États ont l’obligation d’assurer un environnement sûr pour les défenseurs des droits de l'homme et que, lorsque l’action de l’État est déficiente, la communauté internationale a le devoir de soutenir et de protéger ces défenseurs.
M. Abdelmoula a rappelé que le pacte mondial sur les migrations devait être présenté pour adoption lors d’une conférence intergouvernementale qui se tiendra au Maroc à la fin de cette année et a souligné que le Haut-Commissariat apportait son soutien à ce processus. Il a ensuite évoqué les implications négatives directes d’un certain nombre de décisions qui ont été prises par l’Assemblée générale lors de sa dernière session et qui ont de sérieuses implications pour le Haut-Commissariat et les organes de traités, s’agissant en particulier de la décision de réduire les ressources consacrées aux voyages des experts et de ne retenir que deux des onze postes temporaires qui avaient été demandés.
Au cours du dialogue qui s’est noué suite à cette intervention, plusieurs membres du Comité ont attiré l’attention sur le paradoxe qui voit les ressources disponibles baisser considérablement alors que ne cessent de croître les défis auxquels est confrontée la communauté internationale en ce qui concerne les migrants, dont les droits sont plus ignorés que jamais partout dans le monde.
Ce matin, le Comité a également entendu ses membres nouvellement élus ou réélus (pour un mandat courant jusqu’en 2021) faire collectivement la déclaration solennelle prévue à l’article 11 du Règlement intérieur par laquelle ils se sont engagés à exercer tous leurs devoirs et attributions de membres du Comité « en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience ».
Demain après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de l’Algérie.
Déclaration d’ouverture
M. ADAM ABDELMOULA, Directeur de la Division du Conseil des droits de l'homme et des mécanismes de traités du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, a félicité les membres du Comité nouvellement élus ou réélus lors de la huitième Réunion des États parties à la Convention tenue en juin 2017. Il a ensuite rappelé que cette année marque non seulement le 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, mais aussi le vingt-cinquième anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne et le vingtième anniversaire de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme. M. Abdelmoula a attiré l’attention sur la discrimination et la xénophobie croissantes et sur la propagation rapide des mouvements extrémistes qui affectent les travaux du Comité, tant en termes de dialogue avec les États, qui deviennent moins réceptifs aux critiques, qu’en termes de situation des travailleurs migrants eux-mêmes et des membres de leur famille. Il a rappelé que les États ont l’obligation d’assurer un environnement sûr pour les défenseurs des droits de l'homme et que, lorsque l’action de l’État est déficiente, la communauté internationale a le devoir de soutenir et de protéger ces défenseurs. Les mécanismes de droits de l'homme jouent un rôle fondamental à cet égard, et le Comité doit prendre conscience du rôle que jouent les défenseurs des droits de l'homme en ce qui concerne les droits des migrants.
Lors de la dernière session du Conseil des droits de l'homme, le Haut-Commissaire a abordé la situation des migrants dans un certain nombre de pays et s’est dit abasourdi par le sort des migrants qui ont été renvoyés en Libye, qualifiant la situation des migrants dans ce pays de catastrophique. Le Conseil a en outre adopté une résolution sur les enfants migrants non accompagnés et a tenu un certain nombre de débats à l’occasion desquels les questions relatives aux droits des migrants ont été évoquées à plusieurs reprises. Le Haut-Commissariat, pour sa part, est resté très actif sur les questions relatives aux migrations, tant en termes de sensibilisation qu’en termes de création de capacités et d’élaboration de normes. En octobre 2017, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires a émis des critiques véhémentes en rappelant le devoir des États de protéger les migrants, alors qu’un autre titulaire de mandat a rappelé la nécessité de protéger les migrants et particulièrement les enfants migrants contra la traite, la vente et autres formes d’exploitation. Il a par ailleurs été demandé à la Libye de veiller à prévenir toute vente de migrants en tant qu’esclaves.
Quant au pacte mondial sur les migrations, il doit être présenté pour adoption lors d’une conférence intergouvernementale qui se tiendra au Maroc à la fin de cette année, a rappelé M. Abdelmoula, soulignant que le Haut-Commissariat apportait son soutien à ce processus intergouvernemental et rappelant que le Haut-Commissaire avait adressé en février dernier une lettre à toutes les missions permanentes à Genève et à New York concernant la nécessaire protection et promotion des droits de l'homme de tous les migrants dans le cadre du futur pacte mondial.
M. Abdelmoula a ensuite évoqué les implications négatives directes d’un certain nombre de décisions qui ont été prises par l’Assemblée générale lors de sa dernière session et qui ont de sérieuses implications pour le Haut-Commissariat et les organes de traités, s’agissant en particulier de la décision de réduire les ressources consacrées aux voyages des experts et de ne retenir que deux des onze postes temporaires qui avaient été demandés. Aussi, les activités non fondamentales ne pourront désormais plus être soutenues comme elles ont pu l’être jusqu’ici, a-t-il indiqué.
Au cours du dialogue qui s’est noué suite à cette intervention, plusieurs membres du Comité ont attiré l’attention sur le paradoxe qui voit baisser considérablement les ressources disponibles alors que ne cessent de croître les défis auxquels est confrontée la communauté internationale en ce qui concerne les migrants, dont les droits sont plus ignorés que jamais partout dans le monde.
Un membre du Comité a souhaité évoquer le « lien de connectivité » qui existe selon lui entre immigration irrégulière et terrorisme, attirant l’attention sur la situation des jeunes qui se trouvent « en situation de désarroi ». Il faut absolument que le Comité soit en mesure de remplir sa mission, a lui aussi souligné cet expert.
Un expert a appelé à s’interroger sur les raisons pour lesquelles la Convention ne compte encore qu’une cinquantaine de ratifications. Il apparaît que les pays éprouvent des problèmes et des difficultés s’agissant de la protection des droits des migrants et rechignent donc à ratifier cet instrument, a-t-il fait observer.
Relevant que les migrants relèvent de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) alors que les réfugiés relèvent, par exemple, du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), un membre du Comité a fait observer que sur le terrain, en fait, les choses sont beaucoup plus compliquées et nuancées ; or, avant que ne soit adopté en décembre prochain le pacte mondial sur les migrations, un grand nombre de personnes vont continuer à transiter par les voies de migration actuelles.
En réponse à ces interventions, M. Abdelmoula a souligné que ce n’est pas l’ONU, mais bien les États qui dirigent le processus devant mener au pacte mondial sur les migrations.
Audition de la société civile
S’agissant de l’Algérie
Un représentant de la société civile a attiré l’attention sur la campagne d’expulsion collective de migrants qui se prépare aujourd’hui même dans la deuxième ville d’Algérie, Oran, où ces migrants sont actuellement regroupés afin d’être expulsés dès demain, c’est-à-dire le jour même où le rapport de l’Algérie doit être examiné par le Comité. La situation des travailleurs migrants et des membres leur famille en Algérie reste la même, a poursuivi le militant : il s’agit d’une situation d’invisibilité qui les soumet à toutes les exactions, que ce soit de la part de bandes criminelles ou de la part des autorités, a-t-il précisé. Les travailleurs migrants en Algérie ne peuvent pas prendre contact avec les syndicats pour faire valoir leurs droits, a d’autre part fait observer l’orateur. Il a en outre attiré l’attention sur un projet d’amendement législatif, non encore soumis à l’Assemblée, qui viserait à interdire l’accès aux soins pour les migrants.
Un autre représentant de la société civile a attiré l’attention sur le calvaire persistant des familles marocaines qui avaient été « expulsées abusivement » d’Algérie et déportées vers le Maroc en 1975 – les estimations évaluant à 500 000 le nombre de personnes marocaines ainsi expulsées d’Algérie. Ces personnes ont été victimes de confiscations de leurs biens, de viols de femmes et de jeunes filles et même de disparitions forcées, a affirmé l’orateur. Il faudrait savoir si le Gouvernement algérien est en mesure de fournir le nombre précis de travailleurs marocains qui avaient alors été expulsés, a demandé l’orateur, avant de s’enquérir du sort des biens de ces personnes expulsées.
Suite à ces interventions, un membre du Comité a souhaité savoir si la société civile avait été impliquée dans l’élaboration du rapport de l’Algérie. Cet expert a ensuite dit avoir constaté une recrudescence de la détention de migrants, surtout subsahariens, en vue de leur expulsion collective. « J’ai l’impression qu’il y a une dégradation de la situation », a insisté l’expert.
« Nous évoluons en pleine animosité en Algérie », a répondu un représentant de la société civile, avant d’assurer que les autorités algériennes n’ont consulté aucune ONG lors du processus d’élaboration du rapport. Il n’y a même pas reconnaissance des ONG en Algérie, la loi étant suffisamment sévère pour ne pas permettre l’éclosion d’ONG dans ce pays, a-t-il insisté. Les crises dans la région font que l’Algérie est désormais devenue un lieu de passage et de transit pour les différents travailleurs migrants « en attente de traverser », a-t-il poursuivi. En outre, « nous évoluons en Algérie en pleine crise économique » et les travailleurs migrants constituent dans ce contexte une catégorie de personnes qui est accusée de tous les maux par un discours qui est lui-même officiel, a fait observer cet intervenant. Par ailleurs, a-t-il rappelé, cela fait longtemps que l’Union européenne fait pression sur les différents pouvoirs en place pour qu’ils fassent en sorte que la frontière (des migrations) s’établisse sur la rive sud de la Méditerranée.
S’agissant de l’Argentine
Une représentante de la société civile a évoqué la situation des étrangers privés de liberté dans les établissements pénitentiaires fédéraux, avant de faire observer que dans un contexte de migrations croissantes, les migrants en Argentine sont l’objet de stigmatisation croissante voire de criminalisation croissante du simple fait de leur condition de migrants. Le décret d’urgence de janvier 2017 qui a permis de cristalliser un certain nombre de pratiques visant les migrants a finalement été jugé anticonstitutionnel, donc nul et non avenu, mais cette décision n’a pas encore été appliquée, a-t-elle poursuivi. Il faut que le Comité demande à l’Argentine comment elle enregistre les détentions et les expulsions de migrants, a ajouté l’oratrice. Elle a en outre évoqué la question du droit au regroupement familial et a suggéré au Comité de demander à l’État argentin de préciser les critères employés pour octroyer ou non une dispense à l’expulsion.
Suite à cette intervention, une experte du Comité a souhaité en savoir davantage sur la réalité des migrants condamnés en Argentine pour délinquance. Un autre expert a pour sa part notamment souhaité savoir s’il était possible de faire appel de la décision ayant déclaré inconstitutionnel le décret d’urgence de janvier 2017. La représentante de la société civile a notamment souligné qu’il est difficile de connaître l’impact réel du décret de janvier 2017, car on n’a jamais eu de chiffres officiels concernant les nombres de personnes ainsi détenues et expulsées ; mais théoriquement, cet impact doit être considérable, a-t-elle estimé. L’État argentin a jusqu’à jeudi de cette semaine pour faire appel de la décision déclarant inconstitutionnel ce décret, a-t-elle en outre indiqué.
S’agissant du Chili
Par vidéoconférence, une représentante de la société civile a fait observer que le cadre institutionnel concernant les questions migratoires n’a pas évolué au Chili depuis 1975 et ce, malgré la ratification de la Convention par le pays ; ainsi, la législation migratoire du Chili est la plus ancienne de tout le continent. D’après les derniers chiffres du Gouvernement chilien, le pays compte actuellement plus d’un million de migrants, dont environ la moitié se trouvent en situation irrégulière, a-t-elle souligné. Le Chili doit donc agir rapidement pour garantir la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille. S’agissant des migrants, il est urgent que le Gouvernement chilien avance, en particulier, sur l’accès aux droits sociaux ; sur la protection des droits liés au travail ; ou encore sur l’éducation, nombre de migrants haïtiens n’ayant en effet pas accès à des cours d’espagnol, a ajouté l’oratrice.
Suite à cette intervention, un membre du Comité a rappelé qu’en 2010, le Comité avait constaté que d’importants efforts avaient été consentis par le Chili, notamment sur le plan institutionnel ; aussi, a-t-il voulu savoir ce qu’il en a été depuis cette date ? Un autre expert a souhaité en savoir davantage sur les nombreux cas de violence et de discrimination à l’encontre de ressortissants haïtiens et dominicains au Chili. D’une manière générale, il y a eu des progrès au Chili, notamment sur le plan administratif, des circulaires ayant été publiées et la coordination ayant été renforcée, a admis la représentante de la société civile. Mais il faudrait que la législation elle-même soit amendée, s’agissant en particulier du droit à un procès équitable et des droits sociaux, a-t-elle ajouté, avant de souligner qu’une grande discrimination existe effectivement à l’encontre des personnes d’origine haïtienne.
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