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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE LA RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport de la République de Moldova sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, M. Dorin Purice, Vice-Ministre de l'intérieur de la République de Moldova, a assuré que son pays s'était engagé à interdire totalement la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Malheureusement, a admis le Vice-Ministre, certaines pratiques héritées du système soviétique n’ont pas toutes disparu, comme en témoigne le cas d'Andrei Braguta, cette personne arrêtée pour un simple dépassement de limite de vitesse et qui est décédée en prison en raison de carences systémiques; l’affaire, qui implique sept personnes dont trois policiers, se trouve entre les mains de la justice, a fait savoir M. Purice.

M. Purice a ensuite présenté les principales mesures prises par son Gouvernement pour lutter contre la torture et les mauvais traitements. En octobre 2016, a-t-il notamment souligné, le Gouvernement moldove a créé le mécanisme national de prévention de la torture prévu par la loi de 2014 sur le Médiateur. En 2013, a poursuivi le Vice-Ministre, la République de Moldova a ratifié le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du Conseil de l’Europe. La même année, le Gouvernement publiait, à l'intention des procureurs, des recommandations sur la manière d’instruire les cas de torture et de traitements inhumains et dégradants. Le Gouvernement moldove a par ailleurs modifié les articles du Code de procédure pénale relatifs aux enquêtes sur les cas de torture. Il a en outre créé, au sein du Bureau du Procureur, un office compétent pour mener des enquêtes criminelles sur des actes de torture. D’autre part, la Stratégie de renforcement du système pénitentiaire 2016-2020 a été adoptée en décembre 2016 en vue d'améliorer les conditions de détention, d'éliminer le surpeuplement carcéral et de lutter contre la violence en prison.

La délégation moldove était également composée de plusieurs représentants des Ministères des affaires étrangères, de l’intérieur, de la justice et de la santé, ainsi que de représentants de l’Inspection générale de la police et du Parquet. Elle a répondu aux nombreuses questions soulevées par les experts membres du Comité s’agissant, notamment, de la Transnistrie ; de la lutte contre la corruption ; de la loi sur la réhabilitation des victimes ; de l’affaire Braguta ; des garanties de procédure ; de la suite donnée aux événements de 2009 ; des conditions de détention ; du mécanisme de prévention de la torture ; ou encore des questions d’asile.

Mme Felice Gaer, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de la République de Moldova, a salué les progrès notables réalisés par le pays dans le domaine juridique, se félicitant notamment de l’amendement apporté au Code pénal qui aggrave les sanctions prévues pour actes de torture et mauvais traitements, ainsi que de loi qui a été adoptée obligeant à transmettre au procureur, dans les 24 heures, toute allégation de torture ou de mauvais traitement. Mme Gaer a aussi salué la création d’un nouveau mécanisme national de prévention de la torture, tout en observant que cette institution semblait limiter son action à des visites annoncées – et non pas inopinées – de lieux de détention. La corapporteuse a en outre rappelé les préoccupations déjà exprimées par le Comité s’agissant du droit accordé à la police moldove de détenir une personne pendant trois jours dans un « isolateur » avant même qu’un mandat d’arrêt n’ait été émis à son encontre. Elle a d’autre part demandé à la délégation de dire comment il avait pu être possible que personne – ni policier, ni procureur, ni avocat et ni même personnel pénitentiaire médical concerné – ne signale au parquet les actes de violence et de torture subis par feu Andrei Braguta pendant sa détention dans un commissariat de police. D’autre part, la suite donnée aux événements de 2009 montre qu’il demeure en République de Moldova un problème d’impunité, a estimé Mme Gaer.

M. Claude Heller Rouassant, également corapporteur pour l’examen du rapport moldove, a pour sa part estimé que la réaction de l’État partie était insuffisante s’agissant de la dénonciation rapide des actes de torture et de mauvais traitement et de la poursuite des auteurs de tels actes, les condamnations restant exceptionnelles. Il a demandé des explications sur la hausse considérable, depuis quelques années, du nombre de décès de personnes détenues dans les centres de détention moldoves. Il s’est inquiété des conditions de détention dans le pays, soulignant que le problème de la surpopulation carcérale semble particulièrement aigu en République de Moldova où il y a 8000 détenus pour 5000 places. M. Heller Rouassant a constaté que les mesures prises à ce jour par les autorités moldoves n’avaient pas abouti au changement radical de perspective qui s’imposerait, à savoir l’application d’une politique de « tolérance zéro » contre tout acte de torture ou mauvais traitement au sein du système de justice pénale. Il est très préoccupant, a ajouté le corapporteur, d’entendre des informations sur l’internement forcé de personnes souffrant de maladie mentale ainsi que sur la possibilité de leur imposer des interruptions de grossesse.

Pendant le débat, la délégation moldove a assuré que la volonté politique des autorités moldoves de combattre la torture est bien réelle. Elle a en outre demandé aux pays qui ont une influence dans la région d’aider la République de Moldova à mettre un terme au conflit en Transnistrie – un conflit vieux de 26 ans.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la République de Moldova et les rendra publiques à l'issue de la session, qui doit clore ses travaux le 6 décembre prochain.

Demain après-midi à 15 heures, le Comité entendra les réponses du Cameroun aux questions que lui ont posées les experts ce matin.

Présentation du rapport de la République de Moldova

Le Comité était saisi du troisième rapport périodique de la République de Moldova (CAT/C/MDA/3).

Présentant ce rapport, M. DORIN PURICE, Vice-Ministre de l'intérieur de la République de Moldova, a assuré que son pays s'était engagé à interdire totalement la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Malheureusement, a admis le Vice-Ministre, certaines pratiques héritées du système soviétique n’ont pas toutes disparu, comme en témoigne le cas d'Andrei Braguta, cette personne arrêtée pour un simple dépassement de limite de vitesse et qui est décédée en prison en raison de carences systémiques; l’affaire, qui implique sept personnes dont trois policiers, se trouve entre les mains de la justice, a fait savoir M. Purice.

M. Purice a ensuite présenté les principales mesures prises par son Gouvernement pour lutter contre la torture et les mauvais traitements. En octobre 2016, a-t-il notamment souligné, le Gouvernement moldove a créé le mécanisme national de prévention de la torture prévu par la loi de 2014 sur le Médiateur. Le règlement concernant l'organisation et le fonctionnement du Bureau du Médiateur a été approuvé en 2015.

En 2013, a poursuivi le Vice-Ministre, la République de Moldova a ratifié le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du Conseil de l’Europe. La même année, le Gouvernement publiait, à l'intention des procureurs, des recommandations sur la manière d’instruire les cas de torture et de traitements inhumains et dégradants. Le Gouvernement moldove a par ailleurs modifié les articles du Code de procédure pénale relatifs aux enquêtes sur les cas de torture. Il a en outre créé, au sein du Bureau du Procureur, un office compétent pour mener des enquêtes criminelles sur des actes de torture. D’autre part, la Stratégie de renforcement du système pénitentiaire 2016-2020 a été adoptée en décembre 2016 en vue d'améliorer les conditions de détention, d'éliminer le surpeuplement carcéral et de lutter contre la violence en prison. En juin 2017, la République de Moldova a adopté la loi sur la lutte contre le terrorisme, fortement orientée sur les activités de prévention.

En ce qui concerne les événements du 7 avril 2009 qui avaient entraîné des violations graves des droits de l'homme à Chisinau, les autorités compétentes ont ouvert des enquêtes sur 108 plaintes pour allégations d’actes torture par la police, a ensuite indiqué M. Purice. Ces enquêtes ont entraîné 71 procédures pénales et une commission spécialement créée par les autorités a indemnisé 273 personnes, a fait savoir M. Purice. Parallèlement, des actions spécifiques visant à promouvoir la « tolérance zéro contre la torture » ont été menées à l’intention du personnel pénitentiaire, notamment sous la forme de programmes de formation et d’ateliers sur la prévention de la torture et des mauvais traitements.

En ce qui concerne les droits des détenus, M. Purice a indiqué qu'en septembre 2012, le Département des institutions pénitentiaires avait élaboré un plan de lutte contre la torture et les mauvais traitements dans le système pénitentiaire. La République de Moldova a d’autre part approuvé sa Stratégie de protection de l'enfance 2014-2020. En ce qui concerne la coopération avec la société civile, des accords de coopération ont été conclus avec plusieurs organisations. Enfin, des négociations ont été engagées avec la Banque de développement du Conseil de l'Europe pour la construction d'une nouvelle maison d'arrêt à Chisinau, établissement conforme aux normes européennes, a conclu M. Purice.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

MME FELICE GAER, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de la République de Moldova, a salué les progrès notables réalisés par le pays dans le domaine juridique. Elle s’est notamment félicitée de l’amendement apporté au Code pénal qui aggrave les sanctions prévues pour actes de torture et mauvais traitements, ainsi que de loi qui a été adoptée obligeant à transmettre au procureur, dans les 24 heures, toute allégation de torture ou de mauvais traitement. Mme Gaer a aussi salué la création d’un nouveau mécanisme national de prévention de la torture.

La corapporteuse a cependant exprimé sa préoccupation s’agissant du transfert, par la police moldove, de personnes vers la Transnistrie pour y être incarcérées. Elle s’est enquise des mesures prises par les autorités moldoves pour garantir que toutes les personnes puissent jouir des droits de l’homme en Transnistrie.

Mme Gaer a ensuite rappelé les préoccupations déjà exprimées par le Comité s’agissant du droit accordé à la police moldove de détenir une personne pendant trois jours dans un « isolateur » avant même qu’un mandat d’arrêt n’ait été émis à son encontre. Mme Gaer a d’autre part demandé à la délégation de dire comment il avait pu être possible que personne – ni policier, ni procureur, ni avocat et ni même personnel pénitentiaire médical concerné – ne signale au parquet les actes de violence et de torture subis par feu Andrei Braguta pendant sa détention dans un commissariat de police.

S’agissant du mécanisme national de prévention de la torture, Mme Gaer s’est interrogée sur les fonctions de cette institution, observant qu’elle semblait limiter son action à des visites annoncées (et non pas inopinées) de lieux de détention. L’experte a voulu savoir si le mécanisme était habilité par la loi à procéder à des visites inopinées et combien de visites il avait déjà effectuées. Elle a également voulu connaître les mesures prises pour augmenter le budget du mécanisme et pour sensibiliser le public à son action.

Mme Gaer a en outre prié la délégation de dire si les personnes détenues bénéficiaient, en droit et en pratique et dès les premiers moments de la privation de liberté, des garanties fondamentales, notamment des droits de consulter un avocat et un médecin de leur choix, d’informer un membre de leur famille et de contester la légalité de leur arrestation. La corapporteuse a également voulu savoir si les personnes détenues étaient informées dans leur langue des charges qui pèsent contre elles et si du matériel d’enregistrement audiovisuel était disponible dans tous les lieux où des personnes sont susceptibles d’être détenues.

La corapporteuse s’est d’autre part enquise des réformes lancées par l’État pour faire en sorte que le secteur de la justice soit indépendant, impartial et efficace et pour que les magistrats ne soient pas tentés de compléter leurs revenus par des pots-de-vin et d’autres moyens illégaux. La délégation a aussi été priée de dire comment l’État faisait en sorte que les magistrats soient nommés et promus en fonction de critères basés sur le mérite.

Mme Gaer a ensuite cité un rapport du Conseil de l’Europe selon lequel les policiers de la République de Moldova bénéficient d’une certaine impunité pour les actes de torture et de mauvais traitements qu’ils commettent, les enquêtes sur ces faits étant inefficaces et les sanctions trop légères.

La corapporteuse s’est en outre inquiétée de l’existence de dispositions contradictoires, dans le droit moldove, s’agissant des sanctions contre les auteurs – privés ou institutionnels – de traite d’êtres humains. Elle a voulu savoir si des mineurs victimes de la traite avaient déjà été accusés et condamnés pour des faits de prostitution. Elle a également souhaité connaître les raisons de la baisse du nombre de poursuites pour traite d’êtres humains entre 2015 et 2016.

Mme Gaer a enfin demandé à la délégation de donner des précisions sur le recours à la médiation pour résoudre des cas de violence domestique qui mériteraient peut-être un traitement pénal. L’experte s’est enquise des mesures prises pour améliorer les méthodes d’enquête de la police moldove concernant les affaires de viol et de violence domestique.

Mme Gaer a par la suite voulu savoir si le Gouvernement moldove pourrait en faire davantage pour que les habitants de la Transnistrie jouissent effectivement de leurs droits fondamentaux. Elle a en outre observé que la société civile moldove dénonçait régulièrement l’incapacité des autorités à sanctionner les auteurs de torture, incapacité qui a pour effet d’aggraver la méfiance de la population envers la police et la justice.

D’autre part, la suite donnée aux événements de 2009 montre qu’il demeure en République de Moldova un problème d’impunité, a estimé la corapporteuse.

M. CLAUDE HELLER ROUASSANT, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport moldove, a pris note des mesures prises par l’État partie pour éliminer la torture de la pratique des policiers. Il a néanmoins estimé que la réaction de l’État partie était insuffisante s’agissant de la dénonciation rapide des actes de torture et de mauvais traitement et de la poursuite des auteurs de tels actes, les condamnations étant exceptionnelles – seules deux peines privatives de liberté ayant été prononcées dans 18 affaires jugées.

M. Heller Rouassant a ensuite relevé que le mécanisme national de prévention de la torture travaille parallèlement au Défenseur du peuple et au Médiateur des droits des enfants, mais que son statut est mal défini par la loi, ce qui entraîne des confusions dans son fonctionnement. Le Défenseur du peuple – dont les fonctions en matière de prévention de la torture ont été reprises depuis 2016 par le mécanisme – a fait savoir qu’à son avis le mécanisme ne répondait pas aux exigences du Protocole facultatif se rapportant à la Convention [et prévoyant « l’établissement d’un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté »].

Le corapporteur a par ailleurs demandé des explications sur la hausse considérable, depuis quelques années, du nombre de décès de personnes détenues dans les centres de détention moldoves. Il s’est inquiété d’informations laissant apparaître que les conditions d’accès des détenus aux soins de santé sont insuffisantes et que les interrogatoires ne sont pas systématiquement réalisés en présence d’un avocat. D’autres préoccupations relatives au traitement des détenus portent sur la ventilation des locaux, les conditions sanitaires et d’hygiène médiocres et les compétences des personnels soignants affectés aux lieux de détention, a ajouté M. Heller Rouassant, observant que de nombreuses plaintes portent sur ces problèmes. Le problème de la surpopulation carcérale semble particulièrement aigu en République de Moldova, a ajouté le corapporteur, soulignant que le pays comptait près de 8000 détenus pour 5000 places.

M. Heller Rouassant a constaté que les mesures prises à ce jour par les autorités moldoves n’avaient pas abouti au changement radical de perspective qui s’imposerait, à savoir l’application d’une politique de « tolérance zéro » contre tout acte de torture ou mauvais traitement au sein du système de justice pénale.

Le Comité européen de prévention de la torture fait état d’une amélioration de la situation des personnes détenues dans les locaux de police, a relevé le corapporteur, avant de faite observer que de nombreuses plaintes portent néanmoins toujours sur les brutalités exercées contre des personnes interrogées afin de leur extorquer des aveux et de souligner que les autorités ne donnent pas suite à ces plaintes. Il semble même que des pressions soient exercées sur les personnes qui voudraient porter plainte, a-t-il ajouté. La République de Moldova doit prendre à bras le corps le problème de l’impunité qui découle concrètement de cette réalité, a recommandé M. Heller Rouassant.

Le corapporteur a d’autre part estimé que le nombre de mineurs en conflit avec la loi qui sont victimes de mauvais traitement ou de torture justifiait de modifier les sanctions prises à l’encontre des jeunes et en particulier d’envisager de renoncer à la détention en ce qui les concerne. L’expert a ensuite regretté que le rapport n’apporte pas de réponses suffisantes aux questions du Comité concernant le recours au régime d’isolement pour certains détenus et certaines personnes placées en institutions psychiatriques, s’agissant notamment du fondement juridique d’un tel recours. Il est très préoccupant, a insisté le corapporteur, d’entendre des informations sur l’internement forcé de personnes souffrant de maladie mentale ainsi que sur la possibilité de leur imposer des interruptions de grossesse.

M. Heller Rouassant s’est enfin dit préoccupé par l’adoption en 2016 d’une loi interdisant la « propagande homosexuelle », loi calquée sur le modèle russe. La République de Moldova risque ainsi d’institutionnaliser des restrictions importantes aux droits de l’homme, a mis en garde le corapporteur.

Évoquant à son tour l’affaire Braguta, M. Heller Rouassant a ensuite relevé que l’obligation de dénoncer au Procureur tout acte de torture n’avait pas été respectée dans ce cas d’espèce. Il a recommandé de créer un mécanisme de coordination pour garantir l’application des règles existantes. L’expert a rappelé que les mauvais traitements infligés par les policiers le sont, en général, pendant les premiers moments de l’arrestation.

M. Heller Rouassant a par ailleurs recommandé aux autorités moldoves de mettre l’accent sur la formation des responsables de centres de détention, afin qu’ils soient capables de combattre l’emprise de groupes de détenus sur la vie quotidienne dans les prisons.

Un autre membre du Comité a voulu savoir si la République de Moldova entendait enregistrer systématiquement les interrogatoires de police et si l’avocat d’une personne interrogée par la police pouvait assister à l’intégralité de l’interrogatoire.

Une experte a salué les réformes très positives de la République de Moldova pour dépasser le cadre juridique hérité de la période précédant 1991. L’experte a cependant souligné que d’autres mesures restent à prendre pour appliquer pleinement l’état de droit dans ce pays. Elle a voulu savoir à qui incombait la charge de la preuve dans les affaires de torture: l’examen des procédures montre qu’il revient souvent aux victimes d’apporter la preuve de ce qu’elles ont subi, a relevé l’experte. Elle a en outre regretté que le système judiciaire soit en décalage avec le problème des violences exercées contre certains détenus.

Un expert a salué le sérieux et l’utilité des informations communiquées au Comité par la République de Moldova. Il a voulu savoir dans quelle mesure les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme étaient analysées par les autorités moldoves pour contribuer à améliorer la législation et la pratique dans ce pays. Ce même expert a d’autre part constaté la diminution de moitié du taux d’acceptation des demandes d’asile par la République de Moldova, parallèlement au doublement du nombre de requérants et à un grand nombre de décisions de renvoi. L’expert a voulu connaître les raisons de ce triple phénomène.

Un expert a voulu savoir si les autorités envisageaient d’autres mesures que le placement en détention des requérants d’asile durant l’examen de leur demande et, d’une manière générale, si elles imaginaient pouvoir réformer le système pénal afin de réduire le nombre des incarcérations.

Plusieurs questions ont porté sur les mauvais traitements infligés aux enfants placés dans des orphelinats et des institutions psychiatriques; il a été relevé que les institutions psychiatriques ne sont soumises à aucune surveillance.

D’autres questions ont porté sur la possibilité pour les personnes placées à l’isolement d’engager un recours contre leur placement en isolement, ou encore sur la surpopulation carcérale. Il a été observé que des groupes criminels se sont constitués dans les prisons, avec parfois la complicité de surveillants, au détriment de la sécurité des détenus.

M. JENS MODVIG, Président du Comité, s’est enquis de la procédure et de la réglementation applicables en ce qui concerne l’examen médical que les détenus doivent subir dans les 24 heures après leur arrestation. La question se pose de savoir qui, du médecin ou du procureur, est chargé d’établir l’existence de lésions corporelles sur des personnes détenues. M. Modvig a souhaité savoir à qui les médecins faisaient allégeance dans leur prestation de serment: à la profession médicale ou à la justice? Le Président a ensuite relevé que la République de Moldova montrait l’exemple pour ce qui est de la distribution de méthadone et de préservatifs dans les prisons.

M. Modvig a ensuite souhaité savoir à quels montants les victimes de violence ou de torture avaient droit à titre de dédommagement pour le préjudice subi. Il a en outre prié la délégation de préciser qui était chargé de dénoncer au Procureur un cas de torture ou des lésions suspectes dans le cadre d’une procédure policière.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions des membres du Comité concernant la Transnistrie, la délégation moldove a indiqué qu’il s’agissait là d’un « État fantôme » non reconnu, occupé par une armée étrangère et « marqué par la pauvreté et l’iniquité ». La situation en Transnistrie est un problème majeur pour le respect des droits de l’homme dans la République de Moldova, a ajouté la délégation. Tout le problème est de trouver des moyens de faire respecter les droits fondamentaux des habitants de cette région, notamment en les informant des droits dont ils jouissent au titre de la législation de la République de Moldova, a-t-elle souligné.

Revenant par la suite sur la question de la Transnistrie, la délégation a dit que le Gouvernement moldove faisait déjà beaucoup pour régler le problème, surtout en comparaison des gouvernements précédents qui tiraient des bénéfices financiers de cette situation. Le problème de corruption des autorités moldoves étant résolu, il est désormais possible d’envisager des solutions, a affirmé le chef de la délégation moldove. Les autorités moldoves actuelles demandent aux pays qui ont une influence dans la région de les aider à mettre un terme au conflit en Transnistrie – un conflit vieux de 26 ans.

La loi sur la réhabilitation des victimes de délits a été adoptée en 2016 et elle concerne aussi les victimes de la torture, a ensuite fait valoir la délégation. Cette loi, qui entrera en vigueur au début de 2018, prévoit notamment des indemnités financières et un soutien psychologique en faveur des victimes, a-t-elle précisé.

Interpellée au sujet de la corruption dans le secteur de la justice, la délégation a fait état de progrès en matière de prévention de la corruption en général. La Stratégie nationale de lutte contre la corruption 2017-2020 a permis de juger et de sanctionner pénalement 14% de cas de corruption supplémentaires, a-t-elle précisé. Deux cents personnes ont fait l’objet d’enquête au sein de la fonction publique, dont cinq procureurs, quinze maires et 39 policiers, a fait savoir la délégation. En outre, a-t-elle ajouté, les autorités tiennent à jour des statistiques concernant les cas de corruption ventilées par parti politique; le parti au pouvoir compte pour 6% des cas dénoncés, par exemple. L’ancien Premier Ministre, notamment, a été condamné à neuf ans de prison pour des faits de corruption, a précisé la délégation.

La justice a procédé à plusieurs enquêtes pour faire toute la lumière sur l’affaire Braguta, de manière à en éviter toute exploitation politique, a poursuivi la délégation. Deux plaintes pour abus de pouvoir ont été déposées dans ce contexte, a fait savoir la délégation. Une enquête pour négligence médicale a aussi été ouverte et tous les personnels médicaux et paramédicaux concernés ont été interrogés, a-t-elle ajouté. Le juge ayant émis le mandat d’arrêt contre M. Braguta fait lui aussi l’objet d’une enquête, a précisé la délégation. Trois détenus et un policier passent actuellement en jugement pour avoir torturé M. Braguta: le policier a été placé en résidence surveillée. Dix autres policiers sont incriminés.

L’affaire Braguta est imputable en partie à la persistance de stéréotypes concernant les personnes qui souffrent de troubles mentaux – des stéréotypes qui sont difficiles à éradiquer du jour au lendemain, a ensuite expliqué la délégation. Le Ministère de la justice a émis des directives pour aider les procureurs à se comporter de manière adéquate dans de tels cas, a-t-elle indiqué.

Le Code de procédure pénale stipule que chaque plainte pour fait de torture est examinée par le Procureur, a poursuivi la délégation moldove. Cette procédure n’a pas été suivie dans le cas de l’affaire Braguta, a-t-elle observé, espérant que cela ne reste qu’une exception. Face à une plainte pour torture, le Procureur doit faire procéder à un examen médical complet de la personne, y compris au plan psychologique : l’ONG Memoria contribue de manière très précieuse aux efforts dans ce domaine, a précisé la délégation.

S’agissant des garanties de procédure, la délégation a ajouté que toute personne arrêtée doit être informée du motif de son arrestation dans les six heures – ou sous douze heures avec l’accord d’un juge. Elle a aussi indiqué que seules des personnes inculpées peuvent être détenues avant leur procès et ce pour une période maximale de douze mois, y compris (leur détention pendant) la durée de l’enquête. Le Ministère de l’intérieur a adopté une « charte des droits des personnes détenues », traduite en onze langues, a précisé la délégation.

Quant aux aveux obtenus sous la torture, ils ne sont pas admis par les tribunaux, a souligné la délégation. Le Code de procédure pénale autorise l’enregistrement des interrogatoires sur demande des justiciables ou si les autorités le jugent nécessaire. Cette mesure facultative va être rendue obligatoire, a indiqué la délégation.

Depuis 2012, a ensuite ajouté la délégation, le Code de procédure pénale dispose de la manière pratique d’entendre les témoins et victimes de moins de quinze ans dans les affaires de violence intrafamiliale, de crimes sexuels et de traite des êtres humains.

Les institutions officielles de l’État sont tout à fait conscientes des répercussions de la torture sur l’ensemble de la société, a assuré la délégation. La volonté politique de combattre ce phénomène est bien réelle, a-t-elle déclaré.

Le Programme des Nations Unies pour le développement a aidé la République de Moldova à installer des caméras de surveillance dans les lieux de détention et dans les locaux du Ministère de la justice, a par ailleurs indiqué la délégation.

Tous les actes de violence dénoncés aux autorités sont analysés dans le cadre d’un système statistique complet. Les décisions des tribunaux sont analysées de même, a en outre souligné la délégation.

Les événements de 2009 ont donné lieu, notamment, à 42 poursuites pour faits de torture et 19 pour abus de pouvoir; dix non-lieu ont été prononcés ; quatre hauts responsables ont été poursuivis ; trois personnes ont été condamnées à dix ans et deux ans de prison, a ensuite indiqué la délégation. Au moment des procès, la législation contre la torture n’était pas aussi stricte qu’actuellement, a-t-elle rappelé, avant d’ajouter qu’en 2012, les autorités ont versé plus de 40 000 euros de dédommagement aux victimes.

Au sein du Ministère de la défense, entre 2016 et 2017, cinquante militaires – dont plusieurs officiers – ont fait l’objet d’enquêtes pour des faits de bizutage, a d’autre part indiqué la délégation.

Les formes les moins graves de mauvais traitements peuvent être sanctionnées par des amendes, a confirmé la délégation, observant toutefois que le montant de ces amendes est très élevé par comparaison avec le revenu moyen des agents de police moldoves. Il est néanmoins prévu de durcir les sanctions, a fait savoir la délégation.

La République de Moldova fait l’objet de nombreuses plaintes pour torture devant la Cour européenne des droits de l'homme, a confirmé la délégation. Cela s’explique par le fait que les Moldoves connaissent bien leurs droits et qu’ils n’ont pas encore pleinement confiance dans le système de justice national. La République de Moldova a été choisie pour appliquer, avec le soutien de la Commission européenne, un projet visant à donner effet aux recommandations de l’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, M. Manfred Nowak.

S’agissant des conditions de détention, les quatre cellules d’isolement situées dans les locaux de la police ne peuvent servir à purger des peines de prison, a précisé la délégation. Sept centres de détention préventive ont été fermés l’an dernier car ils ne répondaient plus aux conditions fixées par le Comité contre la torture, a-t-elle fait valoir. D’ici à 2020, la République de Moldova mettra à niveau quinze centres régionaux de détention provisoire, dans un effort destiné à faire cesser tout mauvais traitement dans les locaux de police.

La stratégie du Gouvernement moldove en matière d’amélioration des conditions de détention vise aussi une bonne gestion des ressources humaines et la formation des personnels pénitentiaires, en vue de changer les comportements envers les détenus, a indiqué la délégation. Le Gouvernement s’efforce en outre d’améliorer la qualité des soins de santé dispensés en prison, grâce notamment à l’affectation de jeunes médecins. Il est aussi prévu que les soins puissent à l’avenir être remboursés par le système de sécurité sociale.

Les autorités envisagent effectivement de revoir certaines incriminations pénales pour réduire le nombre de personnes détenues dans les prisons, a en outre indiqué la délégation.

La délégation a d’autre part précisé qu’une structure spécialisée basée dans les prisons était chargée de faire rapport au Procureur en cas de lésions suspectes sur une personne détenue.

Le financement du mécanisme de prévention de la torture est assuré par l’État à hauteur de six millions d’euros, a par ailleurs indiqué la délégation. Le mécanisme visite des prisons, des hôpitaux et des lieux de formation; ses membres n’ont jamais été empêchés d’exercer leur mission, a assuré la délégation.

La répression de la traite des enfants a donné lieu à l’inculpation de 19 personnes en 2017, a par ailleurs indiqué la délégation.

En 2016, a poursuivi la délégation, le Code pénal a été amendé afin de sanctionner plus sévèrement la violence intrafamiliale. Dans ce type d’affaire, les tribunaux peuvent prononcer un ordre d’éloignement dans les 24 heures suivant le dépôt d’une main courante, a en outre précisé la délégation.

La police moldove – qui est détachée de l’armée, contrairement à la pratique de l’époque soviétique – est désormais au service de la population, a souligné la délégation. Les autorités insistent beaucoup sur la formation des policiers à la manière de traiter les crimes motivés par la haine, a-t-elle précisé.

La République de Moldova a ratifié le Protocole facultatif à la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité, a en outre fait valoir la délégation.

S’agissant des mesures visant à favoriser l’égalité entre les sexes, la délégation a informé le Comité de l’existence, au sein du Ministère de l’intérieur, d’un mécanisme de promotion de la place des femmes dans la société. L’action porte notamment sur le renforcement de la présence des femmes dans la police, avec pour objectif un minimum de 15% de femmes officiers, a-t-elle précisé.

La délégation a observé que la stabilisation des conflits en Ukraine et en Syrie avait entraîné une baisse du nombre de demandes d’asile en République de Moldova. Elle a indiqué que 169 personnes avaient demandé l’asile dans le pays entre 2016 et 2017, parmi lesquelles 37 ont été placées en rétention administrative pour avoir franchi illégalement la frontière moldove. La plupart des requérants viennent de l’Ukraine et de la Fédération de Russie, a précisé la délégation.

Par principe, aucun demandeur d’asile ne peut être expulsé de la République de Moldova vers un territoire où il risquerait de subir la torture ou des mauvais traitements, a assuré la délégation en réponse à des questions sur le respect du principe de non-refoulement.

En matière d’asile, la loi protège les demandeurs d’asile sans aucune discrimination, a ensuite souligné la délégation. Toute demande d’asile déposée par une personne détenue est transmise au service des migrations du Ministère de l’intérieur. Les demandes d’asile sont examinées au cas par cas. Le requérant débouté peut faire appel de la décision le concernant devant les tribunaux moldoves, a ajouté la délégation.

Quant au projet de loi sur la « propagande homosexuelle » mentionné par un expert du Comité, il a été rejeté par le Parlement, a fait savoir la délégation.



Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CAT /17/23F