Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE MAURICE
Le Comité contre la torture a examiné, vendredi dernier et cet après-midi, le rapport de Maurice sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant ce rapport, M. Maneesh Gobin, Ministre de la justice, des droits de l’homme et des réformes institutionnelles de Maurice, a fait part des nouvelles dispositions législatives que son pays a prises depuis la présentation du précédent rapport. C’est ainsi que le Code pénal de 2003 a été amendé pour contenir la même définition de la torture que celle énoncée à l’article premier de la Convention, a-t-il notamment fait valoir. La Commission nationale des droits de l’homme a quant à elle subi des changements structurels profonds avec la création, en son sein, d’une Division des droits de l’homme, d’une Division des plaintes contre la police et d’un mécanisme national de prévention de la torture. La Division des plaintes contre la police a enregistré depuis 2014 quelque 2177 plaintes : 1875 ont été traitées, 294 sont en cours d’examen et le solde a été transmis aux autorités civiles et militaires compétentes pour engager des poursuites. A également été créée une commission indépendante des plaintes contre la police qui sera bientôt opérationnelle et est appelée à remplacer la Division susmentionnée.
M. Gobin a par ailleurs fermement condamné l’amputation illégale, par le Royaume-Uni, de l’archipel des Chagos du territoire national de Maurice, en 1965 (c’est-à-dire avant l’accession de Maurice à l’indépendance), ainsi que l’expulsion des Mauriciens d’origine chagossienne qui vivaient dans l’archipel. Il a condamné l’utilisation de Diego Garcia, dans l’archipel des Chagos, comme lieu de transit pour le transfèrement de personnes victimes de torture.
Également composée de plusieurs représentants du Ministère de la justice et du Ministère des affaires étrangères, ainsi que du Commissaire aux prisons et du Secrétaire permanent du Bureau du Premier Ministre, la délégation mauricienne a répondu aux questions des membres du Comité portant, notamment, sur la procédure d’inculpation provisoire et la détention préventive ; sur les diverses institutions chargées des plaintes contre la police et de la prévention de la torture ; sur l’interdiction de la torture et le traitement des plaintes pour torture ; des migrants et des questions d’asile ; des questions de formation ; de la lutte contre la traite de personnes ; ou encore des conditions carcérales, des décès en prison et des mineurs en conflit avec la loi.
M. Alessio Bruni, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de Maurice, s’est étonné que le délit de torture ne soit pas sanctionné à Maurice par des peines correspondant à la gravité de ce crime. Il s’est en outre enquis des mesures prises pour réduire la durée de la détention préventive à Maurice, que la Commission nationale des droits de l’homme a jugée beaucoup trop longue. M. Bruni a par ailleurs fait observer que la lecture de la presse mauricienne montrait que les prisons du pays sont surpeuplées.
M. Abdelwahab Hani, corapporteur pour l’examen du rapport de Maurice, s’est étonné du faible nombre de plaintes pour mauvais traitements par la police qui sont transmises au Directeur des poursuites publiques. Il a en outre relevé que le mécanisme national de prévention avait recensé, en 2015, 34 plaintes de détenus pour des questions liées à l’eau et à l’assainissement et trois suicides en prison. M. Hani a par ailleurs suggéré que le principe de nullité des aveux obtenus sous la torture soit formellement consacré par la loi mauricienne.
À l’instar de M. Bruni, M. Hani a souligné que la révocation d’un membre de la commission nationale des droits de l’homme contredisait totalement le principe d’indépendance défendu dans les Principes de Paris applicables aux institutions nationales de droits de l'homme.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de Maurice et les rendra publiques à l'issue de la session, le 6 décembre prochain.
Demain après-midi, à 15 heures, la Bulgarie répondra aux questions qui lui ont été posées ce matin par les membres du Comité.
Présentation du rapport
Le Comité était saisi du quatrième rapport périodique de Maurice (CAT/C/MUS/4), établi sur la base d’une liste de points à traiter préparée par le Comité.
M. MANEESH GOBIN, Ministre de la justice, des droits de l’homme et des réformes institutionnelles de Maurice, a assuré que son pays n’avait cessé, depuis son indépendance en 1968, de s’engager pour les valeurs universelles de la démocratie, de l’état de droit et de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales – valeurs qui ont été au cœur de son développement et de ses politiques. Maurice entend en particulier remplir ses obligations au titre des instruments internationaux de droits de l’homme auxquelles elle est partie. Elle a ainsi soumis récemment ses rapports périodiques au titre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a indiqué M. Gobin.
Depuis la présentation de son précédent rapport périodique au Comité contre la torture, Maurice a adopté de nouvelles dispositions législatives en vue de la protection des droits de l’homme, a poursuivi le Ministre. S’agissant de l’application de la Convention contre la torture, le Code pénal de 2003 contient la même définition de la torture que celle énoncée à l’article premier de cet instrument international, a-t-il fait valoir. Une loi votée en 2012 a en outre permis la création, au sein de la Commission nationale des droits de l’homme, d’une Division des plaintes contre la police, a-t-il ajouté. La même année, a-t-il complété, une loi a été adoptée pour donner effet au Protocole facultatif se rapportant à la Convention [concernant « l’établissement d’un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté »].
M. Gobin a ensuite précisé que la loi sur la protection des droits de l’homme avait été amendée en 2013 afin de renforcer la Commission nationale des droits de l’homme. L’institution a subi des changements structurels profonds avec la création, en son sein, d’une Division des droits de l’homme, d’une Division des plaintes contre la police et d’un mécanisme national de prévention de la torture, a-t-il insisté. Les principales fonctions de ce dernier mécanisme sont de sensibiliser les personnels à la nécessité de respecter les droits de l’homme des détenus et d’effectuer des visites dans les prisons, a indiqué le Ministre, avant d’ajouter que la formation dispensée par le mécanisme est basée sur le Manuel des Nations Unies pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ou Protocole d’Istanbul).
Quant à la Division des plaintes contre la police, elle a enregistré depuis 2014 quelque 2177 plaintes : 1875 ont été traitées, 294 sont en cours d’examen et le solde a été transmis aux autorités civiles et militaires compétentes pour engager des poursuites. Parallèlement, les autorités ont aussi créé une commission indépendante des plaintes contre la police, présidée par un ancien juge de la Cour suprême, a fait savoir M. Gobin.
Le problème de la violence domestique préoccupe beaucoup le Gouvernement de Maurice, a d’autre part assuré M. Gobin. Pour combattre ce fléau, le Ministère de l’égalité entre les sexes a renforcé le cadre législatif ainsi que les capacités des acteurs concernés et a lancé des campagnes de sensibilisation. La loi a été amendée à plusieurs reprises pour mieux protéger les victimes de la violence domestique. Le Gouvernement a en outre créé une coalition nationale contre la violence domestique chargée d’améliorer le cadre de protection des victimes. Cette coalition a recommandé, en 2015, de créer un observatoire de la violence domestique et de mettre au point des procédures pour garantir la sécurité des victimes et les tenir éloignées des auteurs de violence.
Le Parlement doit se prononcer en 2018 sur l’adoption d’une nouvelle loi sur la protection de l’enfance, qui devrait très certainement traiter de la question des châtiments corporels sous toutes leurs formes, a poursuivi M. Gobin, avant d’assurer qu’il veillerait personnellement à ce que le régime anachronique dit de l’« enfant hors de contrôle » soit lui aussi traité d’une manière intelligente par la nouvelle loi.
M. Gobin a par ailleurs fermement condamné l’amputation illégale, par le Royaume-Uni, de l’archipel des Chagos du territoire national de Maurice, en 1965 (c’est-à-dire avant l’accession de Maurice à l’indépendance), ainsi que l’expulsion des Mauriciens d’origine chagossienne qui vivaient dans l’archipel. Le Ministre mauricien de la justice, des droits de l'homme et des réformes institutionnelles a condamné l’utilisation de Diego Garcia, dans l’archipel des Chagos, comme lieu de transit pour le transfèrement de personnes victimes de torture.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. ALESSIO BRUNI, corapporteur pour l’examen du rapport de Maurice, a demandé à la délégation de dire si les toutes les dispositions de la Convention avaient été incorporées dans la législation de Maurice pour permettre aux tribunaux mauriciens d’appliquer les obligations définies par la Convention. M. Bruni a voulu savoir en outre si un acte de torture pourrait être considéré comme justifié dans certaines conditions de danger extrême pour la sécurité publique.
Le corapporteur a ensuite souhaité savoir pourquoi le délit de torture n’était pas sanctionné à Maurice par des peines correspondant à la gravité de ce crime. Il a relevé que le trafic de stupéfiants était sanctionné plus sévèrement.
Le corapporteur s’est félicité que la Division chargée du mécanisme national de prévention de la torture soit opérationnelle depuis 2014 au sein de l’institution nationale de droits de l’homme. Il s’est enquis du nombre de plaintes ayant donné lieu à des enquêtes de la part de cette Division et des résultats de ces enquêtes. Il s’est également enquis des sanctions prises au terme des enquêtes réalisées par la Division des plaintes contre la police, avant de demander à la délégation pourquoi les autorités avaient jugé nécessaire de créer, parallèlement à cette dernière Division, une commission indépendante des plaintes contre la police.
M. Bruni s’est d’autre part interrogé sur les mesures prises pour réduire la durée de la détention préventive à Maurice, que la Commission nationale des droits de l’homme a jugée beaucoup trop longue. Il a également voulu savoir quand seraient adoptés les différents projets de loi mentionnés dans le rapport s’agissant de la justice juvénile.
M. Bruni s’est en outre enquis de la manière dont Maurice donnait effet au principe de non-refoulement d’une personne vers un pays où elle risquerait de subir la torture. Il a aussi voulu savoir si Maurice serait prête à se doter d’un cadre législatif relatif à l’asile, afin de respecter ses obligations en matière de protection internationale, notamment pour ce qui a trait aux procédures d’évaluation des demandes d’asile.
M. Bruni a fait observer que la lecture de la presse mauricienne montrait que les prisons du pays sont surpeuplées : Maurice compte quelque 2800 détenus pour 2200 places, soit un taux de surpopulation de 117%, avec des pointes à 127%. L’expert a voulu savoir si la construction prévue de nouvelles prisons suffirait à résorber cette surpopulation et si les autorités envisageaient d’adopter des mesures alternatives à la détention, comme le port du bracelet électronique.
M. Bruni a par la suite suggéré à Maurice d’envisager d’autres formes de dédommagement aux victimes que la seule indemnité financière, comme par exemple les garanties de non-répétition. Il a renvoyé Maurice à l’observation générale n° 3 du Comité, qui traite justement de cette question.
Enfin, M. Bruni s’est dit préoccupé par la révocation d’un membre de la commission nationale des droits de l’homme mauricienne, révocation officiellement motivée par l’appartenance politique de la personne concernée. L’expert a rappelé que les normes internationales relatives aux institutions nationales de droits de l’homme posent le principe de l’indépendance de ces institutions, un principe qui a donc été bafoué en l’espèce.
M. ABDELWAHAB HANI, corapporteur pour l’examen du rapport de Maurice, s’est pour sa part interrogé sur le contenu des formations aux droits de l’homme dispensées aux policiers et au personnel pénitentiaire et a voulu savoir si la Convention faisait dans ce contexte l’objet d’un enseignement spécifique. L’ensemble des agents publics et autres agents concernés sont-ils formés aux exigences de la prévention de la torture dans les lieux de privation de liberté, a-t-il insisté ? Qu’en est-il en outre des mesures prises pour évaluer l’efficacité de ces formations ?
Constatant que Maurice avait récemment fait des progrès en termes de capacité à traiter les plaintes de détenus contre la police, M. Hani a demandé à la délégation de fournir des statistiques concernant l’aboutissement de ces plaintes. Il s’est aussi interrogé sur les suites judiciaires données à six affaires de violences à l’égard de policières au sein de la police (mentionnées au paragraphe 86 du rapport). Il s’est également étonné du faible nombre de plaintes pour mauvais traitements par la police qui sont transmises au Directeur des poursuites publiques (paragraphe 89 du rapport).
S’agissant des violences familiales, le corapporteur s’est félicité de l’organisation d’Assises de la famille, qui ont donné lieu à un inventaire des insuffisances du cadre juridique concernant la protection de la famille. Il s’est enquis des mesures prises pour combler les lacunes dans ce domaine.
M. Hani a ensuite salué la création à Maurice d’un tribunal ayant compétence sur la détention provisoire et la libération de personnes accusées d’une infraction (Bail and Remand Court, paragraphe 94). Malheureusement, a observé l’expert, la création de ce tribunal s’est accompagnée d’une augmentation du nombre des personnes placées en détention provisoire, ce qui semble contradictoire.
Pour ce qui est des conditions de détention, M. Hani a observé que Maurice s’était dotée d’une unité d’intervention chargée de maintenir l’ordre dans les lieux de détention ; il s’est enquis des garanties existantes pour assurer que cette unité respecte les droits de l’homme lors de ses interventions. Il a par ailleurs demandé des statistiques sur le nombre de violences entre détenus dans les prisons mauriciennes – violences évoquées mais non chiffrées dans le rapport, a-t-il relevé.
M. Hani a également prié la délégation de dire comment les autorités allaient s’assurer que la commission indépendante des plaintes contre la police (appelée à remplacer la Division des plaintes contre la police) soit effectivement indépendante. Il s’est étonné qu’une plainte déposée par une policière contre un supérieur hiérarchique ait été classée. L’expert s’est enquis des réparations prévues pour les victimes de torture et de mauvais traitements à Maurice.
S’agissant de l’irrecevabilité des aveux extorqués sous la torture, le corapporteur a rappelé qu’il s’agissait d’un principe fondamental de la Convention et s’est étonné de l’affirmation figurant dans le rapport selon laquelle la « cour d’appel annulera rarement une condamnation fondée sur une déclaration que le tribunal de première instance a jugée recevable » (paragraphe 117 du rapport).
M. Hani a également demandé des renseignements complémentaires sur le nombre d’« enfants de la rue » ou « vivant dans la rue » à Maurice; sur les mesures concrètes prises contre la violence domestique; ainsi que sur les plaintes pour mauvais traitement déposées par les habitants des îles Chagos.
M. Hani a ensuite relevé que le mécanisme national de prévention avait recensé, en 2015, 34 plaintes de détenus pour des questions liées à l’eau et à l’assainissement et trois suicides en prison et a souhaité savoir si l’État avait suivi les recommandations formulées à cette occasion par le mécanisme.
M. Hani a par ailleurs suggéré que le principe de nullité des aveux obtenus sous la torture soit formellement consacré par la loi mauricienne.
Le corapporteur a d’autre part constaté, à la lecture des statistiques fournies, que seule une infirme partie des plaintes déposées par les détenus est effectivement traitée par la Division des plaintes contre la police.
À l’instar de M. Bruni, M. Hani a souligné que la révocation du chef des enquêtes de la commission nationale des droits de l’homme contredisait totalement le principe d’indépendance défendu dans les Principes de Paris.
Un autre expert du Comité a souligné que le renvoi de requérants d’asile vers leur dernier pays de transit, comme le pratique Maurice, peut entraîner des risques pour leur sécurité.
Une experte a pour sa part observé que le Comité consultatif sur l’égalité des sexes de Maurice relevait des « insuffisances et faiblesses » dans la lutte contre la violence familiale (paragraphe 36 du rapport). Elle s’est enquise des sanctions prévues pour les crimes commis au sein de la famille. La même experte a ensuite relevé que les plaintes pour viol ou traite des êtres humains faisaient l’objet de procédures judiciaires très longues, aboutissant parfois à des peines insuffisamment sévères.
Une autre experte a rappelé le principe essentiel selon lequel une personne ne saurait être jugée une deuxième fois pour les mêmes faits ; aussi, l’experte a-t-elle demandé des explications au sujet de l’affirmation figurant au paragraphe 15 du rapport selon laquelle « le tribunal peut (…) ordonner que l’intéressé soit rejugé pour le délit auquel il avait été inculpé ou un délit mineur (…) ».
Une experte s’est enquise du nombre de violences commises par des policiers contre des enfants et des sanctions qui ont été prononcées contre les responsables.
Une experte a voulu savoir si les périodes passées en détention provisoire étaient effectivement déduites des peines prononcées par les tribunaux mauriciens.
M. JENS MODVIG, Président du Comité, a observé que l’examen médical de routine des détenus mentionné dans le rapport n’est pas la même chose que le droit du détenu de demander une assistance médicale à tout moment. Le Président a aussi relevé que les examens médicaux en prison et dans les commissariats de Maurice, tels que décrits dans le rapport, ne sont pas conformes aux normes internationales en termes de confidentialité. Ce manque de confidentialité risque alors d’empêcher les détenus de faire part des mauvais traitements qu’ils pourraient avoir subis. M. Modvig a en outre voulu savoir si les réparations et indemnisations prévues par l’article 14 de la Convention étaient effectivement garanties à Maurice.
Réponses de la délégation
La délégation a expliqué que le problème de la procédure d’inculpation provisoire – mentionné par un expert en relation avec cette procédure qui est effectivement encore en vigueur à Maurice – serait réglé par une révision de la loi sur le modèle britannique. Lorsqu’une personne est arrêtée, elle est présentée aussitôt que possible devant un juge, comme l’exige la Constitution. L’arrestation sur la base d’un soupçon raisonnable a pour objet d’empêcher la personne d’échapper à la justice. Mais cette personne ne sera pas jugée immédiatement sur la base d’une accusation, l’enquête devant avoir lieu avant le procès. Entre-temps, le magistrat doit pouvoir exercer un contrôle sur l’accusé : il prononce donc une inculpation provisoire, a expliqué la délégation. Ce système de justice pénale qui existe depuis environ un siècle ne pourra être modifié du jour au lendemain ; il faudra pour cela attendre que le projet de loi sur les procédures policières et les preuves judiciaires devienne une loi et que tous les magistrats et policiers soient formés à la nouvelle procédure, a indiqué la délégation.
En réponse aux questions d’autres experts, la délégation a fait observer que la libération sous caution n’est pas sans risque : elle peut en effet aboutir à la libération de personnes dangereuses, mais il existe aussi le risque opposé de maintenir un innocent en détention. Les affaires de lutte contre le trafic de stupéfiants impliquent bien souvent de devoir dénouer des ramifications internationales, ce qui allonge la durée des enquêtes et, la plupart du temps, les personnes soupçonnées sont maintenues en détention, a en outre souligné la délégation.
La durée excessive de la détention préventive concerne en général des procédures impliquant des trafiquants de drogues, car ces affaires ont des ramifications internationales, a insisté la délégation.
La loi révisant les modalités d’application de la détention préventive à Maurice est quasiment sous toit, a fait savoir la délégation : son adoption dépend uniquement du calendrier parlementaire, a-t-elle indiqué.
Les périodes de détention préventive sont déduites de la durée de la peine définitive, un principe établi par la Cour suprême, a en outre indiqué la délégation.
Pour ce qui est des mesures alternatives à la détention, la délégation a fait valoir que la pose de bracelet électronique est assez courante à Maurice.
S’agissant du contrôle de la validité des déclarations faites devant les tribunaux de première instance, la délégation a précisé que le paragraphe 117 du rapport ne fait que constater que la cour d’appel annule rarement une condamnation fondée sur une déclaration que le tribunal de première instance a jugée recevable, car elle juge uniquement sur dossier, conformément à la pratique de la common law. Néanmoins, en cas de flagrance, rien, du point de vue juridique, ne lui interdit d’invalider une déclaration litigieuse.
Les autorités sont toujours très respectueuses de l’indépendance des institutions, a assuré la délégation, ajoutant cependant que, pour ce qui est de la révocation d’un membre de la commission nationale des droits de l’homme, les autorités avaient eu de bonnes raisons d’intervenir comme elles l’ont fait.
L’actuelle Division chargée des plaintes contre la police, qui ne peut pas compter en son sein de policiers enquêtant sur des policiers, ne dispose pas toujours des compétences nécessaires pour toutes les enquêtes, a relevé la délégation. Quant à la Commission pour les plaintes contre la police (appelée à remplacer ladite Division), elle sera bientôt opérationnelle et sera présidée par un haut magistrat garant de son indépendance, a indiqué la délégation.
La délégation a demandé au Comité de quel modèle Maurice pourrait s’inspirer pour améliorer son mécanisme national de prévention de la torture, au-delà des seules activités de prévention. Le mécanisme devra en particulier déterminer le point d’équilibre entre le respect des droits des détenus et les exigences de la discipline, en particulier dans le contexte de la répression des trafics en prison, a indiqué la délégation.
Le mécanisme national de prévention a des pouvoirs étendus : il peut notamment enquêter sur les plaintes déposées par les détenus et formuler toutes les recommandations qu’il juge nécessaires pour améliorer les conditions de détention, a par la suite précisé la délégation.
La délégation a indiqué ne pas avoir connaissance de carence dans l’accès des détenus à un conseil juridique.
Pour ce qui est de l’interdiction de la torture, la délégation a ensuite affirmé que l’intégration des dispositions de la Convention dans la loi mauricienne était suffisante en l’état, notamment dans le Code pénal et dans la Constitution, cette dernière interdisant la torture et les châtiments inhumains, avec pour seule exception les châtiments légitimes. La loi n’autorise aucun acte de torture, même en cas d’extrême urgence nationale, a insisté la délégation.
À ce jour, a indiqué la délégation, aucune plainte n’a été adressée au mécanisme de prévention de la torture créé en 2014. Les plaintes reçues par la Division des plaintes contre la police font systématiquement l’objet d’enquête, a-t-elle en outre assuré, avant de préciser que cette Division a récemment été saisie d’une plainte, après avoir été saisie de deux plaintes en 2016 et d’une plainte en 2015. La Division transmet ses conclusions à la commission disciplinaire des forces de police, laquelle est alors chargée de prononcer les sanctions, a expliqué la délégation. La commission indépendante des plaintes contre la police devrait entrer en fonction très bientôt, son budget ayant déjà été voté, a de nouveau souligné la délégation.
S’agissant du décès d’une personne en détention préventive, les données recueillies ont été transmises en août dernier à la Division, laquelle doit prendre la décision d’engager ou non des poursuites, a poursuivi la délégation. Pour prévenir les décès en prison, a-t-elle ajouté, les locaux sont inspectés régulièrement et les détenus sont privés de tout objet pouvant servir à un suicide. Un psychologue à plein temps a aussi été recruté : il est chargé de suivre les détenus instables, a ajouté la délégation.
Trois suicides par pendaison ont eu lieu en prison en 2015, la moyenne étant d’un ou deux suicides par an, a ensuite précisé la délégation. Chaque personne condamnée subit une visite médicale d’entrée, afin de déterminer dans quel type d’établissement elle doit être détenue et si elle présente des fragilités au plan psychologique.
Les autorités ont décidé d’installer des caméras de surveillance dans les deux lieux de détention gérés par la police ainsi que dans les salles d’interrogatoire, a en outre souligné la délégation.
La loi sur la protection contre la violence familiale prévoit notamment des mesures d’éloignement, a d’autre part indiqué la délégation. Les tribunaux disposent d’une grande marge de manœuvre pour appliquer la loi, a-t-elle précisé. Le cadre de protection des femmes contre la violence a récemment été renforcé, a-t-elle ajouté ; la notion de violence a ainsi été étendue à toutes les personnes vivant sous le toit familial et sont également réprimés les menaces et les actes de cruauté, ainsi que les incitations à commettre des violences.
Si le viol est érigé en infraction par le Code pénal, rien n’est prévu pour condamner explicitement le viol conjugal, a admis la délégation. Cependant, la loi sur la violence familiale condamne déjà le fait d’obliger son conjoint à agir d’une manière contraire à sa volonté, a-t-elle souligné. La question du viol conjugal pourra être abordée dans le cadre de la révision de la loi sur les infractions sexuelles, a ajouté la délégation.
La délégation a ensuite attiré l’attention du Comité sur les difficultés matérielles auxquelles Maurice est confrontée et qui limitent sa capacité à accueillir des requérants d’asile. S’agissant du sort d’un ressortissant érythréen mentionné par un expert, la délégation a fait savoir que les autorités mauriciennes avaient obtenu de la Suède qu’elle accueille cette personne.
La nouvelle loi sur l’extradition (2017) prévoit deux cas de figure : l’extradition vers un pays membre du Commonwealth et l’extradition vers des États tiers, a expliqué la délégation. Lorsque le cas se présente, Maurice doit s’assurer que le pays d’accueil traitera correctement la personne, qui ne devra en particulier pas être victime de torture, ni de discrimination.
La loi antiterroriste n’est pas utilisée pour emprisonner des personnes sans preuve, a d’autre part assuré la délégation. La stratégie nationale antiterroriste s’inscrit dans la Stratégie mondiale de l’ONU dans ce domaine, basée notamment sur la prévention et sur le respect des droits de l’homme.
La formation des fonctionnaires concernés, de près ou de loin, par les questions judiciaires, est assurée par l’Institut des études juridiques et légales. Il n’y a pas encore de formation spécifique à la Convention, ni à son Protocole facultatif, a reconnu la délégation, ajoutant qu’elle ferait une recommandation en ce sens à l’Institut. Des séances de formation au Protocole d’Istanbul sont dispensées aux personnels de sécurité et il serait utile que le personnel médical en bénéficie lui aussi, a ajouté la délégation.
La délégation s’est par la suite engagée à travailler à étendre les formations relatives aux droits des détenus à toutes les catégories de personnels concernés.
Les Chagossiens étant considérés comme des citoyens à part entière, les plaintes qu’ils déposent ne bénéficient pas d’un traitement particulier, a ensuite indiqué la délégation. Les autorités mauriciennes sont d’avis que l’expulsion des Chagossiens de leur archipel constitue en soi un mauvais traitement : c’est pourquoi ils bénéficient de prestations sociales complémentaires, a expliqué la délégation.
Maurice n’est pas épargnée par le problème de la traite des personnes, en particulier des enfants, a par ailleurs admis la délégation. Actuellement, les tribunaux préfèrent invoquer la loi sur la protection de l’enfance pour réprimer ce problème. Aussi, les autorités ont-elles décidé de former les policiers à l’existence et aux spécificités de la nouvelle loi contre la traite des êtres humains, qui servira désormais de cadre juridique pour l’action de la police et de l’inspection du travail, en particulier.
S’agissant de la capacité du tribunal d’ordonner qu’un individu soit jugé deux fois pour un même fait, la délégation a précisé que cette démarche nécessite la production de nouvelles preuves déterminantes. Ce cas très rare n’est pas inenvisageable, ce qui explique qu’il soit mentionné dans la loi, a-t-elle expliqué.
Les mineurs en conflit avec la loi bénéficient toujours de mesures de protection, depuis l’instruction jusqu’au procès, a ensuite fait valoir la délégation, avant de préciser que le Parlement serait saisi d’un projet de loi réformant la justice pour mineurs.
Aucun enfant n’a été victime de violence policière, a en outre assuré la délégation.
Deux organes d’inspection sont chargés de contrôler les conditions carcérales à Maurice, a d’autre part indiqué la délégation. La surpopulation carcérale n’atteint plus 117% à Maurice, notamment grâce à l’ouverture de la prison de Melrose, d’une capacité de mille places, et d’établissements spécialisés pour les femmes et pour les filles, a-t-elle assuré. Le taux d’occupation des prisons à Maurice est actuellement de 70% et l’on compte un gardien pour deux détenus, a-t-elle précisé.
Les autorités font tout leur possible pour éviter que les détenus condamnés et les personnes en détention préventive ne se croisent, a par ailleurs indiqué la délégation.
Chaque prison dispose d’une unité de santé, a en outre fait valoir la délégation. Les détenus reçoivent les produits d’hygiène de base – eau, savons et shampoing, par exemple.
Les gardiens de prison sont formés à la manière de rétablir l’ordre lors de troubles en prison ; sauf dans certains cas bien définis – autodéfense, protection de la vie d’autrui, prévention d’une évasion, notamment – les gardiens doivent user de moyens non violents, a en outre précisé la délégation.
La délégation a précisé que l’arrivée d’une personne dans une salle d’interrogatoire était systématiquement enregistrée, de même que la longueur de l’interrogatoire et l’heure d’arrivée et de départ de son avocat. Aucune personne n’est admise en prison sans avoir subi au préalable un examen médical, a-t-elle ajouté. La présence de la police pendant un examen médical s’impose parfois pour des raisons de sécurité et peut même être requise par le personnel soignant, a indiqué la délégation.
L’invalidité des preuves obtenues sous la torture est un principe déjà appliqué dans la pratique, a d’autre part fait déclaré la délégation.
Remarques de conclusion
À l’issue de ce dialogue, M. GOBIN a souligné que Maurice avait pour priorité de respecter ses engagements en matière de droits de l’homme et de faire en sorte que la population jouisse de tous ses droits. Il a assuré que Maurice considérait la torture comme un crime et a indiqué avoir pris bonne note des observations constructives du Comité.
Le Président du Comité, M. MODVIG, a proposé à Maurice de remettre au Comité un rapport de suivi sur trois ou quatre points particulièrement importants dans un délai d’un an.
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CAT/17/27F