Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE L’ITALIE
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport de l’Italie sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Après que M. Maurizio Enrico Luigi Serra, Représentant permanent de l’Italie auprès des Nations Unies à Genève, eut souligné que les autorités italiennes croyaient fermement dans la promotion et la protection des droits de l'homme pour tous, y compris pour ce qui est de la lutte contre toutes les formes de torture, de violence et de discrimination, M. Gennaro Migliore, Sous-Secrétaire d’État aux affaires judiciaires de l’Italie, a déclaré que son pays avait, depuis 2014, introduit de profonds changements dans ses politiques pour protéger les droits fondamentaux des personnes détenues et, plus généralement, pour prévenir tout risque de traitement inhumain ou dégradant.
Ainsi, au terme d’un long processus, le Parlement italien a-t-il adopté en 2017 la loi intégrant dans le Code pénal le crime de torture et celui d’incitation à la torture. Les autorités sont conscientes que la loi venue combler la lacune qui subsistait jusqu’alors en la matière est perfectible, a déclaré M. Migliore, avant d’ajouter qu’il écouterait donc attentivement les suggestions et critiques du Comité à ce sujet. Par ailleurs, a souligné le Sous-Secrétaire d’État, le Code pénal et le Code de procédure pénale ont été modifiés cette année en vue, notamment, de renforcer les droits des victimes, de simplifier les procédures de contrôle de la détention par les magistrats et de faciliter le recours aux mesures alternatives à la détention. M. Migliore a ensuite indiqué que quelque 57 000 personnes étaient détenues dans les prisons italiennes en 2017, contre 65 000 en 2013.
M. Fabrizio Petri, Président du Comité interministériel des droits de l’homme du Gouvernement de l’Italie, a fait savoir que son pays avait demandé à toutes les parties concernées d’assurer des conditions de vie acceptables dans les centres d’accueil pour migrants en Libye. Il a aussi indiqué que l’Italie œuvrait à l’application de projets visant la stabilisation de la Libye.
Également composée de nombreux représentants des Ministères de l’intérieur, des affaires étrangères et de la justice, la délégation italienne a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s’agissant, principalement, de la définition de la torture dans le Code pénal, du délai de prescription pour ce crime, de la gestion des flux de migrants et de la coopération avec la Libye dans ce contexte, ainsi que des conditions de détention en Italie.
M. Claude Heller Rouassant, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Italie, a salué la volonté politique de l’Italie de respecter ses engagements en matière de protection des droits de l’homme. Il s’est toutefois dit étonné du temps qu’il a fallu à l’Italie pour intégrer la torture en tant que crime dans son Code pénal. S’agissant de l’accueil des migrants, le corapporteur a tout d’abord souligné que les politiques européennes dans ce domaine manquaient de cohérence: en Italie même, seuls 2000 demandeurs d’asile – au lieu des 40 000 prévus – ont été redirigés vers d’autres pays européens pour y être accueillis comme le prévoient les accords en vigueur. En outre, a déploré l’expert, les politiques européennes tendent de plus en plus à confier à des pays d’autres régions la gestion des flux migratoires vers l’Europe. L’expert a souligné que la crise migratoire actuelle était marquée par de véritables atrocités. Il a rappelé à l’Italie que les accords qu’elle a passés avec la Libye ne l’exonèrent pas de ses responsabilités en matière de protection ; cela est d’autant plus vrai que ces accords ne tiennent aucun compte des violations des droits de l’homme systématiques qui sont commises en Libye, a relevé M. Heller Rouassant.
M. Sébastien Touzé, corapporteur pour l’examen du rapport de l’Italie, a pour sa part observé que les conditions d’exécution des peines en Italie sont dominées depuis longtemps par le problème de la surpopulation carcérale. Il a en outre jugé inquiétants plusieurs acquittements prononcés par la justice italienne en faveur de personnes accusées de violences sur des détenus.
Durant le débat, la délégation a expliqué que la baisse de 30% du flux des migrants en provenance de la Libye était due en partie à la stabilisation progressive de ce pays et au renforcement des capacités des autorités légitimes, mais aussi aux efforts de l’Italie auprès des pays de départ et de transit des migrants pour créer des emplois et ainsi limiter l’attractivité de l’Europe. Ces facteurs ont permis de faire baisser de manière significative le nombre de décès dans la Méditerranée, a déclaré la délégation.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Italie et les rendra publiques à l'issue de la session, le 6 décembre prochain.
Le Comité entamera vendredi matin, à 10 heures, l’examen du rapport de Maurice (CAT/C/MUS/4).
Présentation du rapport
Le Comité était saisi des cinquième et sixième rapports combinés de l’Italie (CAT/C/ITA/5-6), élaboré sur la base d’une liste de points à traiter préparée par le Comité.
Après que M. MAURIZIO ENRICO LUIGI SERRA, Représentant permanent de l’Italie auprès des Nations Unies à Genève, eut souligné que les autorités italiennes croyaient fermement dans la promotion et la protection des droits de l'homme pour tous, y compris pour ce qui est de la lutte contre toutes les formes de torture, de violence et de discrimination, M. GENNARO MIGLIORE, Sous-Secrétaire d’État aux affaires judiciaires de l’Italie, a déclaré que son pays avait, depuis 2014, introduit de profonds changements dans ses politiques pour protéger les droits fondamentaux des personnes détenues et, plus généralement, pour prévenir tout risque de traitement inhumain ou dégradant. Ainsi, au terme d’un long processus, le Parlement italien a-t-il adopté en 2017 la loi intégrant dans le Code pénal le crime de torture et celui d’incitation à la torture. Les autorités sont conscientes que la loi venue combler la lacune qui subsistait jusqu’alors en la matière est perfectible, a déclaré le Sous-Secrétaire d’État, avant d’ajouter qu’il écouterait donc attentivement les suggestions et critiques du Comité à ce sujet.
Les autorités italiennes ont d’autre part lancé une série de débats en vue de la création d’une institution nationale de droits de l’homme conforme aux Principes de Paris, une question dont est aussi saisie la commission des questions constitutionnelles du Sénat, a poursuivi M. Migliore. En revanche, a-t-il précisé, l’Italie s’est déjà dotée, en 2016, d’un mécanisme national de prévention de la torture.
Par ailleurs, a souligné le Sous-Secrétaire d’État, le Code pénal et le Code de procédure pénale ont été modifiés cette année en vue, notamment, de renforcer les droits des victimes, de simplifier les procédures de contrôle de la détention par les magistrats et de faciliter le recours aux mesures alternatives à la détention. M. Migliore a ensuite indiqué que quelque 57 000 personnes étaient détenues dans les prisons italiennes en 2017, contre 65 000 en 2013. Le Ministère de la justice a appliqué des mesures alternatives à la détention au profit de 45 000 personnes en 2017, contre seulement 26 000 en 2011, a-t-il fait valoir. Une même tendance à la baisse est perceptible au sein du système de justice pour mineurs, a ajouté M. Migliore. D’autre part, les autorités ont pris des mesures pour garantir le droit des prisonniers de travailler ; par ailleurs, elles ont finalement fermé les hôpitaux psychiatriques judiciaires, remplacés par des institutions d’application de mesures de sécurité (REMS en italien).
Les migrations massives doivent être gérées par des stratégies à plusieurs niveaux traitant des causes profondes du phénomène, a ensuite souligné le Sous-Secrétaire d’État. C’est pourquoi les autorités italiennes ont passé un accord de coopération avec les autorités de la Libye en vue de stabiliser la situation dans ce pays. En 2016, l’Italie a reçu 123 000 demandes d’asile, ce qui la situe en la matière au troisième rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a indiqué M. Migliore. Dans ce contexte, l’Italie a notamment adopté, en 2017, un décret-loi portant sur l’accélération des procédures dans le domaine de la protection internationale, en particulier par le recrutement de 250 experts de ces questions. Le même texte régit l’ouverture de « hot spots » (punti di crisi) conformes aux règles de l’Union européenne [en matière d’accueil de migrants], mettant ainsi fin à l’incertitude juridique qui entourait ces structures, a précisé le Sous-Secrétaire d’État.
M. Migliore a enfin insisté sur l’importance que les autorités de son pays accordent à la formation continue des policiers et des gendarmes dans des domaines tels que l’élimination du profilage racial, les droits des minorités et les droits de l’homme.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. CLAUDE HELLER ROUASSANT, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Italie, a salué la volonté politique de l’Italie de respecter ses engagements en matière de protection des droits de l’homme, volonté dont témoigne en particulier la présentation de ses rapports devant les organes de traités.
Le corapporteur s’est toutefois dit étonné du temps qu’il a fallu à l’Italie pour intégrer la torture en tant que crime dans son Code pénal. Il a aussi regretté que la définition de la torture figurant dans la législation italienne ne soit pas conforme à celle donnée par la Convention, car le texte de loi concerné impose un seuil très élevé pour caractériser le crime de torture, avec des critères difficiles à définir tels que « grande violence » ou « cruauté ». L’expert a de même regretté que la définition s’applique à toute personne qui commet un acte de torture – ce qui revient à diluer la responsabilité des agents de l’État, a estimé M. Heller Rouassant, avant de recommander à l’Italie de modifier sa définition de la torture afin de la mettre en conformité avec la Convention, y compris pour ce qui est de l’imprescriptibilité du crime de torture.
M. Heller Rouassant a ensuite observé que malgré l’existence en Italie de plusieurs organes chargés de protéger les droits de l’homme, ce pays n’avait toujours pas créé d’institution nationale de droits de l’homme: il a donc recommandé qu’une telle institution soit créée à titre prioritaire et de manière conforme aux Principes de Paris garantissant l’indépendance de telles institutions. Le corapporteur a par ailleurs indiqué avoir rencontré le responsable du mécanisme national de prévention de la torture: il apparaît que ledit mécanisme peut visiter tous les lieux de détention, y compris les lieux de rétention de migrants. Mais, étant donné l’ampleur de la crise humanitaire qui, en la matière, sévit en Italie depuis plusieurs années, les attributions du mécanisme devraient être renforcées, a estimé M. Heller Rouassant.
S’agissant précisément des problèmes relatifs à l’accueil des migrants, le corapporteur a tout d’abord souligné que les politiques européennes dans ce domaine manquaient de cohérence: en Italie même, seuls 2000 demandeurs d’asile – au lieu des 40 000 prévus – ont été redirigés vers d’autres pays européens pour y être accueillis comme le prévoient les accords en vigueur. En outre, a déploré l’expert, les politiques européennes tendent de plus en plus à confier à des pays d’autres régions la gestion des flux migratoires vers l’Europe. Dans ce contexte, il semble ainsi que l’Italie fasse appel aux garde-côtes libyens pour empêcher le passage de migrants, a relevé le corapporteur.
Le rapport de l’Italie décrit plusieurs structures d’accueil et de tri des migrants, a ensuite relevé le rapporteur. Or, quatre centres de tri en Sicile seulement doivent accueillir la majorité des migrants, faute de centres de redistribution, a regretté M. Heller Rouassant. Quant aux centres de crise mentionnés dans le rapport et dans la déclaration du Sous-Secrétaire d’État, a ajouté le rapporteur, ils sont marqués par des conditions de vie très difficiles, par la non-prise en charge des migrants mineurs, par l’utilisation excessive de la force, par le manque de formation des fonctionnaires chargés d’y évaluer la situation des personnes qui ont besoin de protection et par le risque d’expulsion collective de migrants sur la base du seul critère de la nationalité – 95 Nigérians ayant ainsi été expulsés le 26 janvier dernier.
Le corapporteur a ensuite relevé que selon la loi, les migrants ne peuvent être rapatriés qu’à des conditions très strictes et l’immigration illégale n’est plus considérée comme un crime. Or, l’application de la loi laisse à désirer puisqu’un migrant qui tente de revenir en Italie après une première expulsion fait toujours l’objet de poursuites pénales, a-t-il fait observer. Il a en outre rappelé que la loi italienne dispose qu’avant de procéder à une expulsion, les autorités doivent s’assurer des conditions dans le pays de destination. M. Heller Rouassant a regretté la régression en matière de protection des demandeurs d’asile que constitue, selon lui, l’adoption du décret DL/13/2017, qui supprime le droit de faire appel d’un rejet de la demande d’asile et sape ainsi la protection des migrants.
Toujours dans le domaine migratoire, M. Heller Rouassant a rappelé à l’Italie que les accords qu’elle a passés avec la Libye ne l’exonèrent pas de ses responsabilités en matière de protection. Cela est d’autant plus vrai que ces accords ne tiennent aucun compte des violations des droits de l’homme systématiques qui sont commises en Libye, a relevé l’expert. La politique de renvoi systématique en Libye de tous les migrants arrivant par la Méditerranée centrale suscite aussi les inquiétudes des Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la torture et sur les droits des migrants, a insisté M. Heller Rouassant. Constatant que le flux de migrants en provenance de la Libye avait chuté de 70% entre l’été 2016 et l’été 2017, il s’est dit inquiet par les informations selon lesquelles les autorités italiennes auraient passé des accords avec des bandes de passeurs criminels pour freiner les flux migratoires.
M. Heller Rouassant a d’autre part prié la délégation de donner des informations sur la suite donnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à la décision de la Cour suprême italienne d’acquitter, au motif de la raison d’État, des fonctionnaires responsables du transfèrement de M. Abu Omar à une agence de renseignement étrangère. Évoquant d’autres cas d’expulsion, le rapporteur a observé que le Ministère de l’intérieur semblait disposer, dans ce domaine, d’un pouvoir discrétionnaire qui mérite des explications.
M. Heller Rouassant a dit avoir relevé dans le rapport [paragraphe 46] la mention du fait que les violences policières commises pendant la réunion du G8 à Gênes, en 2001, avaient entraîné une refonte complète de la formation des policiers. Pourtant, a noté l’expert, les organisations non gouvernementales font état de la persistance de discours et comportements racistes dans les forces de l’ordre, en particulier à l’encontre des migrants.
M. SÉBASTIEN TOUZÉ, corapporteur pour l’examen du rapport de l’Italie, a pour sa part relevé que le régime restrictif de liberté applicable aux personnes liées à la mafia ou soupçonnées d’activités terroristes prévoyait des peines sans aucune proportionnalité avec le crime commis. En outre, pour réintégrer les personnes concernées dans le système carcéral normal, le système de preuve impose de démontrer que les liens entre le détenu et son organisation d’origine sont inexistants, a relevé M. Touzé: cela implique qu’en l’absence de preuve de fin du lien – soit en cas de silence, sans aucun acte positif – le régime se perpétue de manière systématique. L’expert a prié la délégation de dire quel contrôle peut être exercé sur les décisions portant prolongation de ce régime. M. Touzé a ajouté que le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) avait relevé la sévérité du traitement infligé aux prisonniers soumis à ce régime spécial, s’agissant notamment de la surveillance vidéo permanente qui peut leur être imposée ou encore de la limitation à dix minutes par mois de leur droit de voir les membres de leur famille proche.
S’agissant du régime carcéral général, M. Touzé a observé que les détentions préventives représentent près de 40% de la population carcérale, alors que la moyenne dans les pays de l’Union européenne est de 25%. Cette situation s’explique par le recours quasi-systématique à la détention préventive et au refus, lui aussi quasi-systématique, d’envisager des mesures alternatives à la détention. L’expert s’est donc enquis des moyens mis en œuvre pour remédier à cette situation.
Les conditions d’exécution des peines sont dominées depuis longtemps par le problème de la surpopulation carcérale, qui atteint presque 120%, a ensuite souligné M. Touzé. En pratique, le CPT a constaté que 16% des prisonniers vivent dans des cellules de moins de 4 mètres carrés, a-t-il précisé. Il a rappelé que la Cour européenne des droits de l'homme avait en 2013, par l’arrêt pilote Torreggiani, condamné l’Italie pour des conditions de détention déplorables, notamment dues à la surpopulation des cellules. L’expert a voulu savoir si, depuis lors, les autorités avaient pris des mesures permettant d’assurer que les normes minimales du CPT en matière de surface des cellules soient appliquées dans toutes les prisons italiennes.
M. Touzé a également demandé des informations sur l’application concrète du régime d’isolement cellulaire, auquel ont été soumis en 2016 quelque 298 prisonniers. L’isolement ayant une incidence sur l’état mental des prisonniers, la délégation a été priée de dire ce qui est fait pour assurer la surveillance de leur état psychologique. En outre, de nombreuses allégations font état de violences commises régulièrement dans les prisons italiennes, a poursuivi le corapporteur, avant de prier la délégation de fournir des statistiques sur l’ampleur de ce problème. L’expert a aussi demandé à la délégation de fournir des informations sur les affaires Cucchi (victime d’un homicide involontaire par des policiers en prison), Assarag, Gola et Rotundo.
S’agissant du respect des garanties juridiques fondamentales en Italie, M. Touzé s’est félicité du caractère complet de l’arsenal juridique garantissant la protection des citoyens contre les violences policières et les arrestations arbitraires. Il a cependant ajouté que la question se posait de savoir si ces dispositions sont appliquées dans la pratique par les autorités compétentes, par exemple par la police judiciaire. La délégation a été priée de communiquer le nombre de plaintes déposées pour arrestation arbitraire.
M. Touzé a ensuite rappelé que l’Italie avait été condamnée très récemment par la Cour européenne des droits de l'homme pour des violences policières commises pendant le sommet du G8 à Gênes, en 2001. Or, suite à ces événements violents, la Cour de cassation italienne avait prononcé, pour les mêmes faits, 37 acquittements pour prescription des faits, quatre acquittements et seulement sept condamnations ; comment la délégation explique-t-elle le grand nombre d’acquittements pour des faits graves commis par des agents publics, a demandé le corapporteur? Il a également voulu savoir quelles suites avaient été données aux violences policières commises contre des opposants à la construction de la ligne de TGV Lyon-Turin.
M. Touzé s’est ensuite enquis du critère de détermination du plafond pour pouvoir bénéficier du droit à l’aide juridictionnelle. Quelles mesures sont-elles prévues pour que chaque personne détenue par la police soit informée de ses droits dès le début de sa privation de liberté et pour que les avocats puissent assister efficacement les détenus durant la détention par la police, a-t-il en outre demandé?
S’agissant de l’accès aux soins de santé, M. Touzé a regretté que les examens médicaux sur les personnes placées en détention se déroulent toujours en présence d’officiers de police. Il a en outre voulu savoir si l’examen médical à l’arrivée de tout prisonnier était possible dans toutes les prisons et s’il était automatique. M. Touzé a observé que le taux de suicide en prison progressait légèrement en Italie et s’est enquis des mesures prises pour prévenir ce phénomène. L’expert a souligné à ce propos le lien entre la tendance suicidaire et le placement à l’isolement carcéral.
Pour ce qui est de la répression des actes de torture, M. Touzé s’est interrogé sur le rôle du Service disciplinaire, dans la mesure où les sanctions qu’il prononce contre le personnel pénitentiaire responsable de mauvais traitements sur des détenus tombent hors du champ de la répression pénale. Le corapporteur a par ailleurs observé que les personnes se trouvant en détention rencontrent de grandes difficultés à déposer plainte lorsqu’elles sont victimes de mauvais traitements par des gardiens. Il a en outre jugé inquiétants plusieurs acquittements prononcés par la justice italienne en faveur de personnes accusées de violences sur des détenus. M. Touzé a enfin regretté que le rapport ne contienne pas d’information sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture commis par des agents publics.
Une experte du Comité a demandé à la délégation de dire si l’Italie assurait un suivi judiciaire des mutilations génitales féminines pratiquées à l’étranger sur des femmes résidant en Italie.
Un autre expert a déploré que les expulsions de personnes pour des motifs liés à la sécurité nationale ne soient pas accompagnées de mesures de protection suffisantes. Depuis janvier 2017, 73 étrangers auraient été expulsés pour ce motif, soit six fois plus que l’année dernière, a-t-il souligné, ajoutant que les autorités italiennes considèrent ces expulsions comme un moyen efficace de lutte contre le terrorisme. Mais, a fait observer cet expert, les organisations non gouvernementales relèvent pour leur part que la loi qui permet ces expulsions ne définit pas la notion de sécurité nationale. Des juristes estiment que les autorités disposent, ici encore, d’un grand pouvoir discrétionnaire, a insisté l’expert : le risque est donc que l’Italie n’expulse une personne vers un pays où sa vie ou son intégrité physique seraient menacées.
Un autre expert a insisté sur l’importance fondamentale du droit à la sécurité de la personne humaine, avant de dénoncer les renvois collectifs de migrants en haute mer, qui privent ces personnes de leur droit de déposer une demande d’asile et les confrontent au risque de subir des sévices. L’expert a déploré la « double sous-traitance » des migrations par les États : sous-traitance par les milices et bandes de passeurs dans les pays de départ, et prise en charge des migrants par les organisations non gouvernementales dans les pays d’accueil. Une experte a pour sa part recommandé à l’Italie de passer des conventions avec les pays d’origine pour assurer le retour en toute sécurité des mineurs non accompagnés. La délégation a été priée de décrire les conditions d’accueil des migrants dans les punti di crisi (hot spots) ouverts par les autorités italiennes.
M. JENS MODVIG, Président du Comité, a souligné que l’examen médical d’entrée pratiqué sur les personnes détenues était un excellent moyen de contrôle et a rappelé que le résultat de cet examen – s’il contient des observations utiles pour établir que des actes de torture ont été commis – devait être transmis immédiatement à l’autorité judiciaire. M. Modvig a voulu savoir si le médecin avait son mot à dire à cet égard et a demandé à la délégation de donner des statistiques sur le nombre de cas de torture dénoncés à ce stade.
Après que la délégation eut apporté un certain nombre de réponses (voir ci-dessous) aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité, M. Heller Rouassant a fait observer que la crise migratoire actuelle était marquée par de véritables atrocités et que la délégation donnait de cette situation une vision très optimiste.
M. Touzé a pour sa part souligné que certains États profitent d’une zone grise pour se défausser de leurs obligations sur des acteurs tiers qui, de par la fragilité de leur statut étatique, ne peuvent pas voir leur responsabilité engagée au plan juridique. L’expert a aussi demandé s’il était possible de consulter le mémorandum d’accord entre les polices italienne et libyenne au sujet du renvoi de personnes vers la Libye, afin de déterminer s’il contient des mesures de protection suffisantes.
Un expert du Comité a fait observer que si le nombre de migrants ayant traversé la Méditerranée avait baissé de 30%, le nombre de personnes détenues dans les centres de détention pour migrants illégaux en Libye est, lui, passé de 7000 à près de 20 000 en un an. On assiste là à une sous-traitance des problèmes migratoires, a expliqué l’expert.
D’autres questions ont porté sur la stratégie de lutte contre la traite des êtres humains en Italie et sur l’aide juridictionnelle accordée aux demandeurs d’asile.
Réponses de la délégation
La délégation a indiqué que la définition de la torture inscrite dans le Code pénal autorisait le juge à interpréter la règle en fonction des circonstances. Les comportements caractéristiques de la torture décrits dans la loi, non cumulatifs, visent à couvrir le plus grand nombre de cas: en d’autres termes, il suffit qu’un comportement corresponde à un seul de ces critères pour que l’on soit en présence d’un acte de torture, a expliqué la délégation. Elle a souligné que la mention de l’incitation à la torture dans le Code pénal était importante dans le contexte de l’action policière, qui relève du collectif.
Les termes utilisés dans le Code pénal pour définir la torture sont très proches de ceux du texte de la Convention, a ajouté la délégation. La loi en la matière permet de poursuivre non seulement des policiers mais, plus généralement, toute personne à qui est confiée la garde de personnes vulnérables – notamment des personnes hospitalisées ou des élèves. La loi, qui vient d’être adoptée, sera applicable à tout délit survenu après le mois de juillet 2017, a ajouté la délégation.
La loi prévoit que le crime de torture est prescrit après quinze ans, un délai de prescription prolongeable de trois ans, a ensuite précisé la délégation. Ce délai de prescription équivaut à trois fois la durée moyenne d’une procédure judiciaire complète (première instance, appel, cassation) en Italie, a-t-elle ensuite indiqué.
S’agissant des flux et de l’accueil des migrants, la délégation a déclaré que la coopération avec la Libye doit se faire malgré la situation difficile qui règne dans ce pays. Les initiatives italiennes avec la Libye sont validées par l’Union européenne et se font en coopération étroite avec les institutions des Nations Unies, a-t-elle ajouté. Les objectifs de l’Italie sont notamment de renforcer les capacités de la Libye dans le contrôle de ses frontières et de développer le potentiel d’accueil humanitaire et la protection des droits de l’homme sur le terrain avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a indiqué la délégation. Près de cent millions d’euros sont engagés par l’Italie dans ces projets, a-t-elle précisé. Dans ce cadre, a poursuivi la délégation, le Gouvernement italien est en train d’examiner des projets d’infrastructures au profit de certaines municipalités libyennes afin de contribuer à la stabilisation politique, économique et sociale de la Libye. Le but général est non seulement d’encourager le retour des migrants dans leurs pays d’origine, mais aussi d’améliorer leur protection. Un comité italo-libyen, comprenant des représentants des Nations Unies, a été créé très récemment pour encadrer ce processus, a indiqué la délégation italienne.
La baisse de 30% du flux des migrants en provenance de la Libye est due en partie à la stabilisation progressive de ce pays et au renforcement des capacités des autorités légitimes, a déclaré la délégation. Elle est aussi imputable aux efforts de l’Italie en amont, auprès des pays de départ et de transit des migrants, pour créer des emplois et ainsi limiter l’attractivité de l’Europe. Enfin, les rapatriements forcés depuis l’Italie, comme depuis tous les autres pays européens, ont eux aussi un effet sur les flux migratoires, a ajouté la délégation. Tous ces facteurs ont permis de faire baisser de manière significative le nombre de décès dans la Méditerranée, a déclaré la délégation.
D’autre part, l’Italie, si elle respecte elle-même pleinement le principe de non-refoulement inscrit dans sa propre loi depuis 1998, n’est pas en mesure de dicter aux garde-côtes libyens leur conduite, a fait observer la délégation. Elle a rappelé que le code de conduite des organisations non gouvernementales actives dans les secours aux migrants avait été adopté à l’initiative de l’Italie; il a pour objet principal de sécuriser les opérations de secours en veillant au respect des normes de sécurité par les ONG.
La délégation a par la suite souligné que l’accord entre les autorités italiennes et libyennes n’était pas un traité international, mais une déclaration d’intention à durée limitée et à caractère non contraignant. Cette politique de l’Italie avec la Libye est avalisée par la Commission européenne et, dans ce contexte, les deux tiers de l’engagement financier de l’Union européenne en faveur de la Libye sont destinés au soutien aux migrants. La délégation italienne a estimé que l’on ne serait fondé à parler de sous-traitance du problème migratoire à la Libye que si l’on avait décidé de confier aux seuls garde-côtes de ce pays la mission d’intervenir dans les eaux internationales, ce qui n’est pas du tout le cas.
L’assistance humanitaire aux migrants en Libye est une priorité pour l’Italie, a ensuite affirmé la délégation, insistant sur les fortes sommes allouées par le Ministère des affaires étrangères aux organisations non gouvernementales qui travaillent auprès des migrants hébergés en Libye.
En Italie même, les « hot spots » servent de points d’accueil initial, au débarquement des migrants, a rappelé la délégation, avant de souligner que l’hébergement proprement dit ne se fait pas dans ces structures. L’accueil des migrants est régi par des procédures opérationnelles normalisées au niveau européen, a-t-elle souligné. En particulier, a-t-elle précisé, les migrants sont informés immédiatement, par des représentants de l’OIM et du HCR travaillant sur place, de leurs droits et des procédures en matière d’asile.
L’Italie met tous ses ports à la disposition des opérations de secours de migrants en Méditerranée, a par la suite ajouté la délégation. L’accueil initial des migrants est assuré dans ces ports par les « hot spots », après quoi les migrants sont très rapidement redirigés vers des centres d’accueil à l’intérieur du pays ; les délais de transfert vont de trois à quinze jours, mais il convient de noter que ce dernier délai concerne le « hot spot » de Lampedusa (un ancien centre fermé transformé) – une île qui, il est vrai, est mal reliée au continent, a fait observer la délégation. L’Italie a renoncé à ouvrir des « hot spots » flottants, a-t-elle ajouté. La question, posée par un expert, de la légitimité des « hot spots », structures d’accueil temporaires et ouvertes, ne se pose donc pas, a estimé la délégation.
Les requérants d’asile peuvent travailler deux mois après l’acceptation de leur demande d’asile, a en outre indiqué la délégation. Le système d’accueil italien repose sur des petites structures locales favorables à l’intégration sociale des migrants, a-t-elle souligné.
La quasi-totalité des migrants sont identifiés par un prélèvement d’empreintes digitales, a d’autre part expliqué la délégation. Cette opération n’est pas acceptée par tous les migrants et la police est autorisée, dans des limites clairement définies par la loi italienne, à user en dernier ressort d’une force proportionnée pour imposer cette formalité, a-t-elle précisé.
L’Italie applique de manière très large le principe de non-refoulement, a assuré la délégation, citant en exemple le refus des autorités d’expulser vers l’Iraq un terroriste condamné en Italie. L’Italie ne procède pas non plus à des expulsions collectives, chaque cas étant examiné au cas par cas.
De 6% à 9% seulement des étrangers en attente d’expulsion de l’Italie sont placés dans des centres de rétention: il s’agit toujours de personnes dangereuses qui ont déjà refusé un ordre d’expulsion par le passé, a d’autre part indiqué la délégation.
La délégation a indiqué qu’en 2016, 15 000 recours étaient pendants en matière de protection internationale.
Les migrants mineurs non accompagnés sont protégés contre le refoulement aux frontières, a assuré la délégation. Ils sont obligatoirement pris en charge par les autorités, qu’ils demandent ou non l’asile, a-t-elle indiqué. La loi qui vient d’être adoptée autorise le placement de ces mineurs dans des familles d’accueil. En août 2017, on recensait quelque 18 400 mineurs non accompagnés en Italie, a précisé la délégation. L’identification des mineurs se fait dans les dix jours après l’arrivée; s’il n’est pas possible de déterminer l’âge exact d’une personne, elle bénéficiera du doute et sera considérée comme mineure.
La délégation a ensuite souligné que l’Italie procédait, avec l’aide de l’OIM, à la recherche des familles de mineurs non accompagnés. Le retour effectif des quelques mineurs non accompagnés que l’Italie est en mesure de rapatrier dans leur pays est organisé avec les ambassades concernées, a-t-elle ajouté.
S’agissant des conditions de détention, la délégation a rappelé que l’Italie avait dû très tôt se doter d’instruments législatifs contre la criminalité organisée. Le régime spécial réservé aux détenus mafieux concerne 721 personnes, dont huit femmes, a précisé la délégation. Quinze détenus sont soumis à ce régime depuis août 1992: il s’agit notamment de chefs d’organisations mafieuses et de responsables de l’assassinat des magistrats antimafia Falcone et Borsellino. Ce régime a pour objectif principal de séparer les détenus concernés du reste de la population carcérale et dans la pratique, les conditions de détention sont plus souples que ce qui est prévu par la loi, notamment en ce qui concerne les visites familiales, a ajouté la délégation.
La surpopulation carcérale est une réalité en Italie, a confirmé la délégation. La norme qui sert en Italie aux calculs dans ce domaine est l’une des plus rigoureuses d’Europe, de sorte qu’un établissement dit surpeuplé en Italie ne sera pas toujours considéré comme tel dans un autre pays, a fait valoir la délégation. L’arrêt Torreggiani de la Cour européenne des droits de l'homme a incité l’Italie à améliorer les conditions de détention, a d’autre part souligné la délégation, avant de faire état d’expérimentations en cours visant à autoriser les détenus à laisser la porte de leur cellule ouverte jusqu’à huit heures par jour.
La délégation a indiqué que seulement 17% des personnes placées en détention provisoire n’ont pas été jugées en première instance.
La délégation a d’autre part souligné que les organes de surveillance des lieux de détention effectuent leurs visites hors de la présence des personnels pénitentiaires.
La délégation a souligné que les médecins sont tenus de dénoncer les traces de torture ou de mauvais traitements qu’ils constatent lors des examens médicaux de personnes détenues.
S’agissant de cas particuliers mentionnés par des membres du Comité, la délégation a précisé que les deux policiers convaincus d’avoir battu le détenu Carlos Gola avaient été condamnés à indemniser leur victime. Elle a ensuite indiqué que des poursuites pénales avaient aussi été engagées contre les gardiens de M. Assarag, pour violation de la vie privée, et que cette plainte pénale a été classée, le détenu ayant à son tour été poursuivi pour calomnie puis expulsé pour des faits de terrorisme.
En ce qui concerne la lutte contre la violence à l’égard des femmes, la délégation a indiqué que le Gouvernement avait pris des initiatives législatives visant à renforcer la protection des femmes, en complément des mesures de répression existantes. Les statistiques montrent une légère diminution des meurtres de femmes ainsi que des actes de discrimination à leur encontre entre 2014 et 2017, a fait valoir la délégation.
Enfin, la délégation a fait valoir que les victimes de la traite des êtres humains bénéficient de mesures de protection et d’intégration en Italie, avec notamment l’octroi d’un permis de séjour. La loi italienne reconnaît les victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et de travail et leur offre des prestations au bénéfice de leur santé physique et psychologique. Plus de 1500 personnes ont bénéficié cette année d’une prise en charge à ce titre, la majorité en provenance d’Afrique, a précisé la délégation.
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CAT /17/26F