Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EXAMINE LE RAPPORT DU CAMEROUN
Le Comité des droits de l’homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par le Cameroun sur les mesures que le pays a prises pour appliquer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Présentant ce rapport, M. Anatole Fabien Marie Nkou, Représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève, a fait valoir les réformes entreprises par le Gouvernement camerounais sur les plans législatif, institutionnel, judiciaire et réglementaire. Il a notamment évoqué la création, en janvier 2017, d’une commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, pour maintenir la paix et consolider l’unité nationale. Mais ces efforts se heurtent à un environnement sécuritaire marqué par la lutte contre le terrorisme et une situation humanitaire préoccupante, ainsi que par la crise sociale qui secoue certaines régions du pays, a poursuivi M. Nkou. En effet, le Cameroun subit depuis 2013 les affres du groupe terroriste Boko Haram, dont les attaques ont déjà fait 2000 morts, a-t-il précisé. Cette situation, couplée à la situation sécuritaire dans les pays voisins, a provoqué un afflux massif de réfugiés et de personnes déplacées au Cameroun.
S’agissant de la crise sociale, M. Nkou a expliqué que des revendications corporatistes ont été exprimées en 2016 dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Alors que l’État avait engagé le dialogue et adopté des mesures structurelles et fonctionnelles pour y apporter des solutions, ces revendications ont été déportées sur le champ politique avec la réclamation violente de la partition du Cameroun par un courant sécessionniste. Le 1er octobre dernier, au nom de la prétendue déclaration d’indépendance des régions mentionnées, des attaques conduites par des bandes armées ont été enregistrées visant les institutions, l’intégrité du territoire et les forces de l’ordre, a indiqué le Représentant permanent.
Malgré un environnement socioéconomique particulièrement difficile, la situation des droits de l’homme est allée s’améliorant au Cameroun, a toutefois indiqué M. Nkou, assurant que son Gouvernement était résolu à poursuivre les efforts pour consolider ses acquis tout en demeurant conscient des difficultés qui subsistent.
Au cours du dialogue qui s’est noué entre les experts membres du Comité et la délégation dirigée par M. Nkou, des préoccupations ont été exprimées par des experts s’agissant de l’ampleur de la corruption au Cameroun, qualifiée de systémique et considérée comme risquant de compromettre la réalisation des droits de l’homme. Un expert a fait état d’informations concordantes au sujet du problème de la torture au Cameroun et de l’absence d’un mécanisme de contrôle indépendant. Les efforts du Gouvernement dans ce domaine sont insuffisants, compte tenu du nombre croissant de personnes victimes de la torture dans des centres de détention, a-t-il affirmé. Il a demandé à la délégation de commenter les informations selon lesquelles la présence de forces militaires étrangères pourrait contribuer à la commission d’actes de torture, comme sur la base de Salak.
Un autre expert a demandé des renseignements sur le décès en détention du journaliste Germain Ngota. Il a observé que plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales font état de décès de personnes sous la torture au Cameroun. De même, les ONG dénoncent des procès politiques au Cameroun ainsi que des représailles contre les défenseurs des droits de l’homme, a insisté l’expert. Un autre expert a demandé à la délégation de dire où en était la procédure judiciaire relative à l’affaire Francine Laure Kamdem Kamga, abattue en 2010 par des gendarmes, et de donner son avis sur des allégations crédibles selon lesquelles sept personnes auraient été exécutées le 19 novembre 2014 dans le village de Bornori; 200 personnes auraient été arrêtées le 27 décembre 2014 dans l’extrême nord du Cameroun, dont 130 seraient portées disparues; et trente décès auraient été recensés suite aux violences à caractère sécessionniste du 1er octobre dernier. Le même expert a rappelé que le Comité s’était déjà ému de dispositions contraires à l’égalité entre les sexes dans le droit civil et pénal camerounais. Une experte a quant à elle fait observer que la société civile avait documenté de nombreux cas de violences commises sur des personnes LGBTI détenues.
Une experte a souligné que le Comité était saisi de renseignements fiables concernant la précarité des conditions de détention dans les prisons camerounaises, marquées par la surpopulation et des émeutes ayant déjà entraîné des décès de détenus.
La délégation camerounaise a déclaré que les événements dans les deux régions anglophones du Cameroun avaient fait officiellement 17 décès – et non trente comme l’a laissé entendre un expert. Ces morts ne sont pas toutes dues aux balles, mais aussi à la bousculade, a-t-elle précisé. Dans le Nord-Ouest, on a recensé neuf décès: cinq pendant les opérations et quatre à la suite d’une tentative d’évasion, a-t-elle ajouté, avant de rappeler le déroulement des événements ayant précédé les manifestations qui ont lieu dans le Nord-Ouest du pays et de souligner que ce mois-ci, il était devenu clair que le Cameroun était confronté à une tentative de sécession.
Outre M. Nkou, la délégation camerounaise était composée de représentants des Ministères de la justice, des relations extérieures, de la défense et de l’administration territoriale et de la décentralisation, ainsi que de la Délégation générale à la sûreté nationale. Elle a répondu aux questions des membres du Comité concernant toute une série de sujets.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Cameroun et les rendra publiques à l’issue de la session, qui doit s’achever le vendredi 10 novembre prochain.
Le Comité entamera cet après-midi, à 15 heures, l’examen du rapport de la Roumanie (CCPR/C/ROU/5).
Présentation du rapport du Cameroun
Le Comité était saisi du cinquième rapport du Cameroun (CCPR/C/CMR/5) établi sur la base d’une liste de points à traiter élaborée par le Comité.
Présentant ce rapport, M. ANATOLE FABIEN MARIE NKOU, Représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève, a déclaré que l’adoption en 2015 d’un plan d’action national de promotion et de protection des droits de l’homme constituait la déclinaison stratégique de l’intégration des droits de l’homme dans les politiques publiques camerounaises. Pour les traduire dans les faits, le Gouvernement a entrepris des réformes aux plans législatif, institutionnel, judiciaire et réglementaire. Sur le plan législatif, le Cameroun a notamment ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés. Quant à la loi 2016/007, intéressant le Code pénal, elle renforce la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, notamment des femmes et des enfants, à travers de nouvelles incriminations sanctionnant les mutilations génitales féminines, le harcèlement sexuel et la traite des personnes, notamment.
Sur le plan institutionnel, M. Nkou a fait valoir la création par ordonnance de la commission d’indemnisation en cas de détention ou de garde à vue abusive, logée au sein de la Cour suprême, ainsi que la réactivation de la commission de la carte de presse, en vue d’assainir l’accès à la profession de journaliste. Il a également mentionné la création d’un comité interministériel chargé de la gestion des urgences concernant les réfugiés au Cameroun, afin d’assurer une gestion concertée de l’urgence humanitaire imposée par les déplacements massifs de populations dus notamment aux exactions de la secte Boko Haram. Le Cameroun a aussi créé, le 23 janvier 2017, une commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, pour maintenir la paix et consolider l’unité nationale, a ajouté le Représentant permanent.
M. Nkou a en outre rendu compte de l’adoption de la « politique nationale de genre », d’un plan d’action national pour l’élimination des pires formes de travail des enfants ainsi que d’une réforme en cours du système d’enregistrement des naissances.
Mais, a relevé le Représentant permanent, ces efforts se heurtent à un environnement sécuritaire marqué par la lutte contre le terrorisme et une situation humanitaire préoccupante, ainsi que par la crise sociale qui secoue certaines régions du pays. En effet, le Cameroun subit depuis 2013 les affres du groupe terroriste Boko Haram, dont les attaques ont déjà fait 2000 morts, a précisé M. Nkou. Cette situation, couplée à la situation sécuritaire dans les pays voisins, a provoqué un afflux massif de réfugiés et de personnes déplacées au Cameroun: le pays comptait plus de 345 000 réfugiés en août 2017 et 240 000 personnes déplacées internes.
S’agissant de la crise sociale, M. Nkou a expliqué que des revendications corporatistes ont été exprimées en 2016 dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Alors que l’État avait engagé le dialogue et adopté des mesures structurelles et fonctionnelles pour y apporter des solutions, ces revendications ont été déportées sur le champ politique avec la réclamation violente de la partition du Cameroun par un courant sécessionniste. Le 1er octobre dernier, au nom de la prétendue déclaration d’indépendance des régions mentionnées, des attaques conduites par des bandes armées ont été enregistrées visant les institutions, l’intégrité du territoire et les forces de l’ordre, a indiqué le Représentant permanent.
Cependant, malgré un environnement socioéconomique particulièrement difficile, la situation des droits de l’homme est allée s’améliorant au Cameroun, a conclu M. Nkou, assurant que son Gouvernement était résolu à poursuivre les efforts pour consolider ses acquis tout en demeurant conscient des difficultés qui subsistent.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Un expert du Comité a salué la création par le Cameroun d’un comité interministériel de suivi des recommandations et décisions issues des institutions internationales et régionales de droits de l’homme et a félicité le pays pour les mesures qu’il a prises afin d’améliorer la protection des droits de l’homme. Mais l’expert a aussi relevé que certaines lois – comme la loi contre le terrorisme de 2014 et la loi sur la cybercriminalité – ne sont peut-être pas compatibles avec le Pacte. Il a en outre constaté que le Cameroun n’avait pas répondu, dans son rapport, aux questions portant sur l’applicabilité du Pacte.
L’expert a aussi regretté le délai très long qui peut séparer le moment où le Comité formule des constatations s’agissant des communications (plaintes individuelles) dont il est saisi par des particuliers et le moment où les autorités se décident à répondre aux préoccupations du Comité – jusqu’à dix ans dans certains cas.
Le même expert s’est par ailleurs dit préoccupé par le recul du Cameroun dans le classement des États affectés par la corruption. « Il est de fait », a dit l’expert, « que le phénomène de la corruption devient systémique » et risque de compromettre la réalisation des droits de l’homme par les obstacles que la corruption engendre quant à la jouissance des services publics. L’État perdrait ainsi plusieurs dizaines de milliards de francs CFA chaque année, a souligné cet expert. Il a en outre regretté que la lutte contre la corruption serve de prétexte pour écarter des adversaires politiques.
L’expert a enfin fait état de renseignements et informations concordants concernant le problème de la torture au Cameroun et a déploré l’absence d’un mécanisme de contrôle indépendant des actes de torture. Il a constaté avec satisfaction que le rapport contient des informations statistiques sur les sanctions prononcées contre des personnes convaincues de torture, notamment des militaires; il a néanmoins estimé que les efforts du Gouvernement étaient insuffisants, compte tenu du nombre croissant de personnes victimes de la torture dans des centres de détention. Il a demandé à la délégation de commenter les informations selon lesquelles la présence de forces militaires étrangères pourrait contribuer à la commission d’actes de torture, comme sur la base de Salak.
Une experte a demandé des précisions sur l’indépendance de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés du Cameroun, compte tenu du mode de nomination de ses membres par le Président de la République. Elle s’est en outre enquise de la composition de cette Commission, qui compte le Président du Sénat parmi ses membres, et s’est interrogée sur les entraves à sa mission, notamment l’interdiction qui lui a été faite récemment de visiter certains lieux de détention.
La même experte a ensuite voulu savoir si la loi incriminait spécifiquement le viol conjugal au même titre que d’autres pratiques néfastes pour les femmes. Elle a demandé à la délégation de dire si le Gouvernement camerounais entendait prendre des mesures supplémentaires pour éliminer ces pratiques dans toutes les régions.
Un expert a rappelé que le Comité s’était déjà ému de dispositions contraires à l’égalité entre les sexes dans le droit civil et pénal camerounais. Il a évoqué la pénalisation potentiellement problématique de l’adultère dans le Code pénal, qui se double d’une formulation discriminatoire envers les femmes. L’expert a voulu savoir s’il est exact que le droit civil permet au mari de refuser à sa femme le droit de travailler hors du domicile. Il a ensuite salué les mesures prises pour améliorer la place des femmes dans la société, mais s’est inquiété du faible nombre de femmes à des postes à responsabilité.
Le même expert a demandé à la délégation de dire où en était la procédure judiciaire relative à l’affaire Francine Laure Kamdem Kamga, abattue en 2010 par des gendarmes, et de donner son avis sur des allégations crédibles selon lesquelles sept personnes auraient été exécutées le 19 novembre 2014 dans le village de Bornori; 200 personnes auraient été arrêtées le 27 décembre 2014 dans l’extrême nord du Cameroun, dont 130 seraient portées disparues; et trente décès auraient été recensés suite aux violences à caractère sécessionniste du 1er octobre dernier.
Un expert a voulu savoir si les femmes camerounaises sont informées que la polygamie est une forme de discrimination à leur encontre, cette pratique devant donc être éliminée à ce titre. Une autre forme de discrimination envers les femmes est l’âge minimal du mariage, qui est de 16 ans pour les filles alors qu’il est de 18 ans pour les garçons.
Une experte a insisté sur la nécessaire interdiction de toute discrimination à l’encontre des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et a demandé à la délégation de donner des statistiques sur le nombre de personnes homosexuelles poursuivies et détenues sur la base du Code pénal camerounais. L’experte a ajouté que la société civile avait documenté de nombreux cas de violences commises sur des personnes LGBTI détenues. Le Cameroun envisage-t-il d’interdire dans son Code pénal la discrimination contre les personnes LGBTI, a demandé l’experte?
Une experte s’est interrogée sur les attributions du mécanisme de lutte contre la traite des êtres humains au Cameroun et sur les moyens accordés par les pouvoirs publics à la protection des victimes de la traite et à leur participation aux procès.
D’autres questions ont porté sur les mesures prises et l’argent dépensé par l’État pour assurer l’accès des personnes handicapées aux activités civiques – comme les élections – et de la vie quotidienne.
Un autre expert a voulu savoir s’il y avait eu au Cameroun des enquêtes sur les violations des droits de l’homme, y compris des allégations d’exécutions extrajudiciaires et de torture, commises en 2008 à l’encontre de civils, dans le contextes des manifestations au cours desquelles plus de 200 personnes auraient perdu la vie. L’expert a par ailleurs regretté que les statistiques fournies dans le rapport au sujet de l’application de la peine de mort s’arrêtent à 2012. Il a en outre voulu savoir quels crimes entraînent la peine capitale au Cameroun.
Un expert a observé que plusieurs organes conventionnels se sont dits préoccupés par le taux la mortalité maternelle élevée au Cameroun, imputable en partie à la pratique d’avortements dans des conditions dangereuses. La délégation a été priée de dire ce que le Cameroun avait fait pour répondre à ces préoccupations et de fournir des renseignements sur les traitements d’urgence accessibles aux femmes enceintes.
Un expert a demandé si la formation des magistrats aux droits de l’homme avait eu un effet concret sur le respect des droits fondamentaux des citoyens. Dans ses observations finales antérieures, le Comité avait recommandé au Cameroun de réduire la période de détention avant jugement, d’accélérer les procédures et de faire respecter le Code de procédure pénale, a rappelé l’expert, demandant quelles mesures avaient été prises à ces fins.
Le même expert a cité un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme faisant état d’arrestations illégales et arbitraires de personnes soupçonnées de faire partie de Boko Haram, 180 personnes étant portées disparues. L’expert a en outre fait part de sa préoccupation face à la situation des réfugiés et des personnes déplacées de force dans l’extrême nord du Cameroun.
Une experte a souligné que le Comité était saisi de renseignements fiables concernant la précarité des conditions de détention dans les prisons camerounaises, marquées par la surpopulation et des émeutes ayant déjà entraîné des décès de détenus.
Un expert a prié la délégation de dire comment avait été assuré le suivi des anciennes recommandations du Comité s’agissant de la réduction des compétences des tribunaux militaires en matière d’affaires civiles. Il a rappelé que le Comité n’acceptait pas que des civils soient jugés par des tribunaux militaires.
Une experte a demandé des statistiques sur le nombre de personnes incarcérées dans les lieux de détention camerounais. Elle s’est en outre enquise du fonctionnement de la commission électorale du Cameroun (Elecam) et du processus de nomination de ses membres. L’experte a ensuite fait état des difficultés que rencontrent les Pygmées et les Mbororos en matière d’accès à l’eau et à la terre et s’est enquise de l’efficacité réelle de l’action publique dans ce domaine.
Un expert a demandé des renseignements sur le décès en détention du journaliste Germain Ngota. Il a observé que plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales font état de décès de personnes sous la torture au Cameroun. De même, les ONG dénoncent des procès politiques au Cameroun ainsi que des représailles contre les défenseurs des droits de l’homme, a insisté l’expert. Il a demandé à la délégation d’assurer que les personnes qui ont collaboré avec le Comité ne subiront pas de représailles une fois de retour au Cameroun.
Les anglophones du Cameroun allèguent depuis longtemps qu’ils sont victimes de discrimination, a souligné un membre du Comité. Un expert a voulu savoir si les personnes vivant dans l’extrême nord du Cameroun bénéficiaient bien des mêmes droits que les autres habitants du pays.
Réponses de la délégation
La délégation a déclaré que les événements dans les deux régions anglophones du Cameroun avaient fait officiellement 17 décès, et non trente comme l’a laissé entendre un expert. Ces morts ne sont pas toutes dues aux balles, mais aussi à la bousculade, a précisé la délégation. Dans le Nord-Ouest, on a recensé neuf décès: cinq pendant les opérations et quatre à la suite d’une tentative d’évasion, a-t-elle ajouté.
Pour comprendre les manifestations qui ont lieu dans le Nord-Ouest du Cameroun, a ensuite ajouté la délégation, il faut préciser que le Gouvernement avait répondu de bonne foi aux revendications corporatistes exprimées par des avocats anglophones en 2016. La grève de ces avocats a fait monter d’un cran leurs revendications, qui ont pris un tour politique. Le 16 novembre 2016, les prétoires sont désertés ; le 21 novembre, les enseignants se joignent aux avocats et des mots d’ordre de manifestation sont lancés. Les manifestations dégénèrent rapidement en émeutes. Le Gouvernement, qui avait déjà répondu aux demandes initiales des avocats anglophones, cède cependant aux nouvelles demandes exprimées en novembre.
En décembre 2016, le Président de la République rappelle que le Cameroun est un et indivisible. En août 2017, les services de sécurité trouvent une cache d’armes. Le 30 août, le chef de l’État demande la libération des leaders anglophones. Des bombes artisanales explosent en septembre. En octobre, il devient clair que le Cameroun est confronté à une tentative de sécession.
Professionnels depuis 2001, les soldats de l’armée camerounaise ont subi stoïquement les agressions de manifestants que l’on ne peut qualifier de pacifiques, a poursuivi la délégation, donnant lecture d’une liste de biens détruits et de blessures subies par les forces de l’ordre pendant ces événements. Aucun pays au monde n’accepterait que des individus mettent à mal les institutions de l’État, a insisté la délégation. Elle a fait remarquer que les militants blessés sont actuellement soignés aux frais du Gouvernement, ce qui montre qu’il n’y a aucune volonté de leur nuire.
S’agissant des événements de 2008, Amnesty International a toujours évoqué 130 morts: mais ce chiffre comprend aussi des personnes disparues dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, a ensuite affirmé la délégation. Le Ministère de la justice a collaboré avec cette ONG, a-t-elle précisé.
Le Ministre de la défense a toujours été clair, a poursuivi la délégation: les éléments des forces de défense qui se rendent coupables de torture ou d’exactions en mission font toujours l’objet d’enquêtes, et de sanctions si nécessaire. Le Ministère de la justice publie les statistiques des personnes jugées: en 2015, 21 cas ont été jugés, toutes violations des droits de l’homme confondues, a indiqué la délégation. La Commission des droits de l’homme a visité environ quarante établissements de détention ces dernières années, a-t-elle ajouté.
La création d’un mécanisme national de prévention de la torture dans les lieux de détention fait l’objet de consultations avec la société civile, a d’autre part indiqué la délégation. On parle notamment de confier cette tâche à la Commission nationale des droits de l’homme, a-t-elle précisé. Les fonctionnaires qui recourent à la torture sont poursuivis en justice et condamnés, a assuré la délégation, avant de préciser qu’en 2016, quelque 175 fonctionnaires au total avaient été poursuivis, dont certains pour des faits de torture. Les personnes appartenant aux autorités traditionnelles doivent elles aussi rendre des comptes si elles recourent à la torture, a ajouté la délégation.
Répondant aux questions sur l’avortement, la délégation a indiqué que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’était autorisée que si la vie de la mère est en danger. Les avortements consécutifs à un viol ou pour sauver la santé de la mère ne sont pas interdits au Cameroun, a-t-elle par la suite affirmé. L’accès aux services de santé procréative est l’une des priorités du Cameroun, a fait savoir la délégation; l’objectif est de réduire la mortalité maternelle et d’augmenter le nombre de naissances vivantes. Il est envisagé de déployer davantage de personnels qualifiés pendant les accouchements.
Le Gouvernement a mis en place des programmes de santé sexuelle et procréative pour aider les femmes à accéder à des services de qualité et pour mieux lutter contre le VIH/sida, a par la suite ajouté la délégation.
La réparation due aux victimes de la traite des êtres humains est réglée dans le cadre de la sanction des coupables. La formation des policiers et des gendarmes aux problèmes rencontrés par les victimes se fait en coopération avec la France, a précisé la délégation. D’autre part, depuis 2014, un comité national est chargé de concevoir un programme national de lutte contre le travail des enfants.
Le comité interministériel sur la traite des êtres humains vise à coordonner l’action des secteurs concernés en fonction des moyens disponibles, a ensuite ajouté la délégation.
La délégation a en outre souligné que la loi camerounaise réprime la traite des êtres humains et la mise en esclavage. Les définitions de ces deux crimes correspondent aux définitions admises au plan international, notamment dans la Convention de Palerme et les Protocoles s’y rapportant, a-t-elle fait valoir.
En matière d’applicabilité du Pacte, la délégation a cité plusieurs jugements prononcés au Cameroun qui s’appuient directement sur des articles du Pacte. Elle a constaté que, d’une manière générale, les magistrats camerounais sont particulièrement bien informés de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qu’ils n’hésitent pas à invoquer dans leurs jugements. De même, les tribunaux n’hésitent pas à faire prévaloir le droit civil contre le droit coutumier, par exemple pour défendre les droits fondamentaux des femmes. Le Ministère de la justice organise des formations au droit international relatif aux droits de l’homme, de manière à disposer, à terme, d’une masse critique de magistrats bien informés des obligations du Cameroun au titre des instruments internationaux de droits de l’homme.
La Cour suprême du Cameroun a le pouvoir de casser les décisions du droit coutumier qui sont contraires à la loi, a en outre indiqué la délégation. Le lien conjugal n’est pas un empêchement aux poursuites en cas de viol, a-t-elle assuré. Entre autres violences à l’égard des femmes, les mutilations génitales sont désormais criminalisées par le Code pénal et font l’objet de campagnes d’information accompagnées de mesures de sensibilisation des chefs religieux, a souligné la délégation.
L’État ayant ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, il forme les magistrats à en appliquer directement les dispositions quand le droit national est contraire à la norme internationale, a expliqué la délégation. D’autre part, a-t-elle ajouté, l’écart de traitement entre les hommes et les femmes dans le mariage s’explique par l’acceptation de la polygamie par le droit camerounais. La délégation a assuré que les Camerounaises sont actives depuis des décennies dans la vie économique nationale. Les chiffres montrent d’autre part que le secteur de l’emploi informel occupe davantage de personnes – hommes et femmes – que le secteur de l’emploi formel. Enfin, le Code électoral oblige les partis politiques à inscrire sur leurs listes au moins une moitié de femmes: cela explique la récente explosion du nombre d’élues au Cameroun, a fait valoir la délégation.
L’homosexualité est une infraction au Cameroun; qui plus est, elle est contraire à la morale. Cela n’empêche pas que les autorités garantissent le respect de la vie privée des personnes homosexuelles. Il n’est pas question en l’état de retirer ce délit du Code pénal, a déclaré la délégation.
Le problème de la corruption est réel au Cameroun, a admis la délégation; mais il fait l’objet de mesures de répression résolues. S’agissant de la lutte contre la corruption instrumentalisée à des fins politiques, la délégation a observé que, sur le plan strictement juridique, ce sont les tribunaux qui sont chargés de caractériser les faits de corruption et d’inculper les personnes concernées. Outre les institutions nationales, chaque ministère gère sa propre cellule de lutte contre la corruption, a ajouté la délégation.
Le Cameroun a récemment signé avec le Nigéria et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés un accord relatif au retour volontaire des réfugiés, a ensuite indiqué la délégation.
La délégation a observé que deux constatations sur huit formulées par le Comité avaient trouvé une solution. Les autorités sont actuellement en train de négocier un dédommagement avec au moins deux personnes concernées. Seule la difficulté de ces démarches explique les retards pris dans la réponse apportée aux constatations du Comité, a assuré la délégation.
La Commission camerounaise des droits de l’homme a été accréditée avec le Statut « A » de conformité aux Principes de Paris auprès du Comité international de coordination des institutions nationales de droits de l’homme, compte tenu notamment de son budget conséquent et de l’indépendance de son action, a fait valoir la délégation. La nomination de ses membres par le Président de la République n’a aucune incidence sur l’autonomie de cette institution, a-t-elle assuré.
La délégation a par ailleurs fait observer que les locaux carcéraux à la disposition des autorités sont insuffisants dans le cadre de la lutte contre la secte Boko Haram, qui entraîne de nombreuses arrestations. Suite au décès de 25 personnes détenues dans un local carcéral improvisé, l’expertise médicale a conclu à un empoisonnement ; les officiers responsables ont été relevés de leurs fonctions et leur jugement n’a pas encore abouti, car tous les témoins n’ont pas été entendus, a indiqué la délégation.
La surpopulation carcérale est réelle au Cameroun: 29 000 détenus environ pour 17 900 places, mais la situation varie selon les régions, a ensuite ajouté la délégation. La moitié des personnes détenues ont déjà été condamnées, a-t-elle précisé. L’infrastructure a été améliorée grâce à la construction et à la réhabilitation de prisons et grâce aussi à la connexion des établissements au réseau d’adduction d’eau. De 2005 à 2017, les crédits alloués à la nourriture (dans les prisons) ont augmenté pour être portés de 116 à 290 francs CFA par détenu, a fait valoir la délégation. Des efforts ont également été consentis dans la mise à disposition de personnels soignants pour les détenus et des passerelles ont été créées avec le système national de santé, a-t-elle ajouté.
Répondant à des questions des membres du Comité au sujet de l’emprisonnement pour dettes, la délégation a précisé qu’un locataire qui ne s’acquitte pas de son loyer et refuse de libérer le bien loué est expulsable: le refus de libérer le bien loué peut être pénalisé, et non la dette elle-même, a-t-elle expliqué.
En 2010, a ensuite expliqué la délégation, une altercation entre transporteurs et forces de l’ordre a entraîné la mort d’une passagère, Francine Laure Kamdem Kamga. Les gendarmes incriminés ont été traduits en justice : un gendarme a été condamné pour homicide involontaire et mis à la retraite d’office; un autre gendarme a été condamné à trois ans de prison ferme et un troisième gendarme à deux ans de prison ferme, en 2013. Ces peines ont fait l’objet d’un appel en 2015 et une audience aura lieu dans quelques jours, a précisé la délégation.
La loi contre le terrorisme de 2014 est conforme aux normes des droits de l’homme, a d’autre part assuré la délégation. La définition de l’acte terroriste reprend mot pour mot celle donnée par les instruments régionaux africains de lutte contre ce phénomène. La loi prévoit des peines proportionnées à l’importance des crimes commis: emprisonnement à vie ou peine de mort pour les actes ayant entraîné la mort, par exemple. La loi prévoit également des garanties procédurales. Un débat a eu lieu au sujet des compétences attribuées aux tribunaux militaires, a noté la délégation: à cet égard, il faut avoir conscience du fait que la lutte contre Boko Haram a placé l’armée en première ligne. Dans le contexte de la lutte antiterroriste, les accusés ne parlent généralement ni anglais ni français: aussi, ont-ils droit à un interprète, a fait valoir la délégation. En outre, le droit d’engager un recours leur est aussi garanti. Le tribunal militaire de Yaoundé a, de 2013 à 2017, acquitté plus de 50 personnes poursuivies pour des faits de terrorisme sur 96 déférées à la justice.
La peine de mort, qui n’a pas été appliquée au Cameroun depuis de nombreuses années, n’est prononcée que pour les crimes les plus graves, a rappelé la délégation. Compte tenu de l’aspect dissuasif de la peine de mort, le Cameroun n’envisage pas à l’heure actuelle de l’exclure de son arsenal juridique, a-t-elle ajouté.
L’indépendance de la magistrature est garantie par des mesures organiques et procédurales, a fait valoir la délégation. Quant à la collusion entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire dénoncée par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, elle a déjà fait l’objet d’une mise à jour publique par les autorités, a-t-elle ajouté.
La délégation a aussi admis qu’il demeurait des lacunes dans l’infrastructure judiciaire, qui expliquent certaines lenteurs et certains dépassements des délais de détention.
La délégation a enfin assuré que les personnes qui ont collaboré avec le Comité pourraient prendre contact avec le Ministère de la justice dès lundi prochain pour convenir avec lui de nouvelles activités.
Remarques de conclusion
M. YUJI IWASAWA, Président du Comité, a déclaré que le Comité avait pris acte des progrès du Cameroun dans un certain nombre de domaines. Mais des préoccupations demeurent, a-t-il ajouté: le problème de la corruption a été évoqué, de même que la discrimination à l’encontre des femmes, la discrimination au motif de l’orientation sexuelle et la pénalisation des homosexuels, les exécutions extrajudiciaires, les violations des droits de l’homme commises par les forces de sécurité en 2008, la pratique courante de la torture, ou encore les conditions de détention. Les membres du Comité ont aussi fait part de leurs préoccupations s’agissant de l’indépendance de la justice et de la liberté de réunion, a ajouté M. Iwasawa.
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CT/17/38F