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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU KENYA

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par le Kenya sur les mesures prises par ce pays pour donner effet aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Présentant ce rapport, Mme Maryann Njau-Kimani, conseillère pour les affaires constitutionnelles et de justice au bureau du Procureur général du Kenya, a déclaré que le Gouvernement kényan avait pris des mesures allant dans le sens d'une amélioration de la protection des droits de l'homme et de la lutte contre les discriminations. Toutefois, le pays est confronté à plusieurs défis qui entravent cette mise en œuvre, a-t-elle reconnu. Elle a rappelé que des élections générales se tiendront dans le pays en août 2017. Celles-ci pouvant être la source de tensions et donner lieu à des discours haineux et à des comportements violents, le Gouvernement a – afin d'y répondre – mis en place un organe de contrôle des médias dans le but de surveiller la diffusion de messages haineux et de permettre que des poursuites soient engagées, a-t-elle indiqué. Un mécanisme d'alerte rapide appelé «la plateforme Uwiano» (plateforme de la cohésion) a également été mis en place. Au total, quelque 225 personnes ont été formées pour exercer une activité de contrôle sur tout le territoire pendant la période pré-électorale et durant le scrutin, a précisé Mme Njau-Kimani. Les données collectées sont envoyées à une unité centrale qui en fait une analyse permettant de prendre les mesures adaptées, a-t-elle ajouté.

S'agissant du cadre législatif, la loi sur la cohésion nationale et l'intégration est en cours d'amendement afin d'élargir la définition du délit de discours de haine pour que celle-ci soit en harmonie avec la Convention, a poursuivi Mme Njau-Kimani. Cet amendement, qui prévoit en outre des sanctions plus élevées, est actuellement en deuxième lecture devant le Parlement, a-t-elle précisé. Elle a ensuite indiqué que le Kenya avait mis en œuvre des mesures d'action affirmative destinées à gommer les inégalités et les phénomènes de marginalisation économique dans le pays. La loi sur les terres communautaires de 2016 interdit toute forme de discrimination en matière d'accès à la terre et garantit les droits fonciers des communautés autochtones, a-t-elle en outre fait valoir. Des amendements à la loi sur les terres ont par ailleurs été adoptés afin de mettre en place un système d'indemnisation pour les victimes d'injustices liées à l'accès à la terre. Un fonds a été établi par la Constitution de 2010 afin d'assurer un accès aux services de base pour les populations vivant dans des régions reculées, a en outre fait valoir Mme Njau-Kimani.

La délégation kényane était également composée, entre autres, de M. Stephen Ndungu Karau, Représentant permanent du Kenya auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants du bureau du Procureur général du Kenya. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les experts du Comité s'agissant, notamment, des discours de haine; des injustices historiques, de la question foncière, des évictions (expulsions) forcées et des questions de logement; de la situation des minorités ethniques et des populations autochtones; des questions d'accès à l'emploi, à l'éducation et à la santé; de l'aide juridictionnelle; des discriminations contre les femmes; ou encore de la situation des albinos.

M. Nicolas Marugán, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kenya, s'est félicité de la mise en place d'une nouvelle Constitution en 2010, qui ouvre la voie à la mise en place d'un cadre législatif permettant une protection exhaustive des droits de l'homme. Il a toutefois souligné que le corpus législatif kényan n'incluait pas toutes les dispositions prévues par la Convention et a fait observer que la loi sur la cohésion nationale et une partie de la définition des discriminations fournie par la Constitution n'étaient pas totalement alignées sur les dispositions de la Convention. M. Marugán s'est par ailleurs inquiété de ce que des milliers de personnes apatrides issues de communautés minoritaires, notamment des Nubiens et des personnes appartenant au peuple Makondé, avaient des difficultés à obtenir des papiers d'identité.

Une autre membre du Comité a rappelé que la terre (question foncière) constituait une question essentielle dans le domaine de la lutte contre les discriminations et s'est inquiétée des déplacements forcés imposés aux communautés pastorales et aux populations autochtones. D'immenses portions de terres, notamment au nord du pays, appartiennent à de grands exploitants ou parfois à des cartels, a-t-elle fait observer. Cette même experte a noté que de nombreuses personnes victimes de déplacements internes lors des élections de 2007 ont fait valoir qu'elles n'avaient pas été suffisamment indemnisées. En outre, toutes les personnes déplacées n'ont pas encore pu rentrer chez elles. Certains ont déclaré qu'avait été opérée une distribution partiale des indemnisations, en fonction des groupes ethniques et des régions auxquels les individus appartenaient. S'interrogeant sur la récupération des terres ancestrales par des populations autochtones ayant subi des déplacements, un autre expert s'est particulièrement inquiété du sort des Endorois, des Sengwer et des Ogiek.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Kenya et les rendra publiques à l'issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 12 mai prochain.


Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de Chypre, qu'il achèvera demain matin.


Présentation du rapport du Kenya

Le présent dialogue s'établit sur la base du rapport du Kenya, ainsi que de la liste de points à traiter préalablement adressée au pays par le Comité. Le Comité est également saisi du document de base du Kenya contenant des renseignements généraux et factuels relatifs à l'application des instruments auxquels cet État est partie, à l'intention des organes conventionnels concernés.

MME MARYANN NJAU-KIMANI, conseillère pour les affaires constitutionnelles et de justice au bureau du Procureur général du Kenya, a réaffirmé l'engagement de son pays à mettre en œuvre les principes de la Convention. Elle a assuré que le Gouvernement kényan avait pris des mesures allant dans le sens d'une amélioration de la protection des droits de l'homme et de la lutte contre les discriminations. Toutefois, le pays est confronté à plusieurs défis qui entravent cette mise en œuvre, a rappelé Mme Njau-Kimani. Elle a souligné que des élections générales se tiendront dans le pays en août 2017. Celles-ci pouvant être la source de tensions et donner lieu à des discours haineux et à des comportements violents, le Gouvernement a – afin d'y répondre – mis en place un organe de contrôle des médias dans le but de surveiller la diffusion de messages haineux et de permettre que des poursuites soient engagées. Une approche interinstitutionnelle a par ailleurs été adoptée associant des services de l'État et des acteurs non étatiques afin de surveiller la bonne tenue des réunions politiques qui auront lieu avant les élections de 2017. Un mécanisme d'alerte rapide appelé «la plateforme Uwiano» (plateforme de la cohésion) a également été mis en place. Au total, quelque 225 personnes ont été formées pour exercer une activité de contrôle sur tout le territoire pendant la période pré-électorale et durant le scrutin, a précisé Mme Njau-Kimani. Les données collectées sont envoyées à une unité centrale qui en fait une analyse permettant de prendre les mesures adaptées, a-t-elle ajouté.

S'agissant du cadre législatif, la loi sur la cohésion nationale et l'intégration est en cours d'amendement afin d'élargir la définition du délit de discours de haine pour que celle-ci soit en harmonie avec la Convention, a poursuivi Mme Njau-Kimani. Cet amendement, qui prévoit en outre des sanctions plus élevées, est actuellement en deuxième lecture devant le Parlement.

Mme Njau-Kimani a ensuite indiqué que le Kenya avait également mis en œuvre des mesures d'action affirmative destinées à gommer les inégalités et les phénomènes de marginalisation économique dans le pays. La loi sur les terres communautaires de 2016 interdit toute forme de discrimination en matière d'accès à la terre et garantit les droits fonciers des communautés autochtones, a-t-elle en outre souligné. Des amendements à la loi sur les terres ont par ailleurs été adoptés afin de mettre en place un système d'indemnisation pour les victimes d'injustices liées à l'accès à la terre. D'autre part, a ajouté la cheffe de la délégation kényane, la loi sur l'extraction minière de 2016 prévoit une répartition de ressources issues de l'exploitation minière comme suit: 70% pour le Gouvernement; 20 % pour les comtés; 10 % pour les communautés, afin de s'assurer que l'exploitation de ces ressources ne conduise pas à un appauvrissement des populations vivant sur ces terres.

Un fonds a été établi par la Constitution de 2010 afin d'assurer un accès aux services de base pour les populations vivant dans des régions reculées, a en outre fait valoir Mme Njau-Kimani. Ce fonds été doté de 74,7 millions de dollars pour l'exercice financier 2017-2018. La décentralisation permet par ailleurs une participation plus forte des communautés aux débats concernant les sujets qui les intéressent de près. La loi sur l'autorité nationale pour l'emploi de 2016 offre par ailleurs un cadre légal pour la mise en place de mesures d'action affirmative dans le domaine de l'accès au marché du travail, a ajouté Mme Njau-Kimani.

En 2016, le Président a demandé la constitution d'un fonds de compensation afin de soulager les victimes d'injustices historiques. Pour la période 2016-2017, 10 millions de dollars ont été mis de côté en vue de rendre ce fonds opérationnel, a en outre indiqué Mme Njau-Kimani. Un programme pour la promotion de la diversité au sein des services publics a été mis sur pied en 2016 afin de faire en sorte que la fonction publique représente la diversité de la société, a-t-elle poursuivi, précisant que les gouvernements des comtés y sont associés afin de promouvoir le recrutement de populations issues de groupes minoritaires au sein des autorités locales.

Mme Njau-Kimani a ensuite souligné la nécessité de lier la lutte contre les discriminations à la lutte contre la pauvreté. À cet égard, ont été adoptées la stratégie Vision 2030 ainsi que diverses mesures afin d'éradiquer la pauvreté et d'apporter une aide effective aux personnes vulnérables, notamment les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. Un montant de 2,4 milliards de dollars est prévu pour le financement de tous ces programmes pour la période 2017-2018, a précisé la cheffe de délégation.

Un fonds doté d'un budget de 7 millions de dollars a également été mis en place pour 2016-2017 afin de financer des mesures d'action affirmative à l'intention des femmes, notamment dans le domaine de l'emploi. Le Kenya est aujourd'hui déterminé à assurer une représentation plus importante des femmes dans les institutions du pays, a assuré Mme Njau-Kimani. Des formations ont été dispensées aux leaders des principaux partis politiques afin de promouvoir le rôle des femmes en politique, a-t-elle également fait valoir.

S'agissant des nombreuses personnes déplacées à l'intérieur du pays à l'issue de la crise post-électorale de 2007 et des déplacements forcés des populations forestières, Mme Njau-Kimani a indiqué que le Gouvernement kényan avait permis la réinstallation de 19 000 personnes déplacées qui vivaient précédemment dans des camps.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. NICOLAS MARUGÁN, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kenya, s'est félicité de la mise en place d'une nouvelle Constitution en 2010 qui ouvre la voie à la mise en place d'un cadre législatif permettant une protection exhaustive des droits de l'homme. Il a toutefois souligné que le corpus législatif kényan n'incluait pas toutes les dispositions prévues par la Convention. Il a demandé si le Gouvernement kényan était disposé à faire la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention reconnaissant la compétence du Comité à recevoir des plaintes individuelles. Le rapporteur a par ailleurs fait observer que la loi sur la cohésion nationale et une partie de la définition des discriminations fournie par la Constitution n'étaient pas totalement alignées sur les dispositions de la Convention. M. Marugán a ensuite déploré le manque d'informations concernant les sanctions prises contre des actes de discrimination raciale. Il a donc souhaité obtenir des statistiques ventilées et des renseignements sur les plaintes pour discrimination raciale, les enquêtes menées à leur sujet et les poursuites engagées par les procureurs ou autres organes compétents. Selon le rapport (paragraphe 63), en juin 2013, la Commission pour la cohésion nationale et l'intégration avait enquêté sur 680 plaintes, dont 30 ont été transférées au Procureur général pour examen et poursuites, l'abandon des poursuites ayant été prononcé dans 50 cas. Mais rien n'est dit sur les domaines de discrimination afférents aux plaintes déposées, a relevé le rapporteur. Il s'est par ailleurs enquis des indemnisations prévues pour les victimes de discriminations.

M. Marugán s'est inquiété de l'absence d'une législation d'ensemble contre la discrimination et a souhaité savoir ce qu'il en est d'une éventuelle législation interdisant expressément la discrimination dans des domaines tels que le logement. Il a par ailleurs souhaité obtenir des informations sur la mise en œuvre du programme de développement Vision 2030, y compris les mesures adoptées pour combattre l'extrême pauvreté.

Concernant la Commission pour la cohésion nationale et l'intégration, il a souhaité en savoir davantage sur les ressources financières et humaines aux mains de cette institution ainsi que sur les garanties assurant son indépendance vis-à-vis du Gouvernement kényan.

Soulignant que l'accès à la justice constituait un levier important non seulement pour la lutte contre les discriminations mais aussi pour la réduction de la pauvreté, le rapporteur s'est ensuite enquis des mesures d'aide juridique prévues pour les justiciables.

M. Marugán a d'autre part demandé des informations sur la révision de la législation nationale relative aux discours de haine en vue de garantir sa conformité avec l'article 4 de la Convention.

M. Marugán a par ailleurs souhaité obtenir des détails sur les plaintes pour discrimination reçues par la Commission nationale des droits de l'homme dans le domaine du travail. Il a demandé si le Gouvernement kényan avait l'intention de ratifier la Convention n°189 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les travailleuses et travailleurs domestiques.

Le rapporteur a en outre rappelé que 400 000 réfugiés, dont 300 000 Somaliens, étaient présents sur le sol kényan et a relevé que la Commission nationale des droits de l'homme du Kenya avait été saisie d'une requête concernant une mesure de plafonnement du nombre des réfugiés sur le territoire national. M. Marugán a souhaité en savoir davantage sur cette mesure ainsi que sur l'état des camps de réfugiés dans le pays. Il s'est par ailleurs inquiété de ce que des milliers de personnes apatrides issues de communautés minoritaires, notamment des Nubiens et des personnes appartenant au peuple Makondé, avaient des difficultés à obtenir des papiers d'identité.

Le rapporteur ensuite a fait observer que le secteur des ONG équivalait aujourd'hui à presque la moitié des employés du secteur public; or, des informations font état de relations peu constructives et d'une coordination insuffisante entre l'État et les ONG, a-t-il relevé, avant de s'enquérir du financement dont dispose la société civile.

Une autre membre du Comité a déploré que le rapport du Kenya ne fournisse pas un véritable état des lieux des discriminations sur le territoire national. Elle s'est enquise de la composition ethnique de la société. Elle a en outre regretté que le degré de répartition des ressources entre les différentes couches de la population n'apparaisse pas non plus dans le rapport. Elle a ensuite relevé que la terre (question foncière) constituait une question essentielle dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Elle a souhaité obtenir des précisions sur les différents types de propriété reconnus par le droit interne. L'experte s'est ensuite inquiétée des déplacements forcés imposés aux communautés pastorales et aux populations autochtones. D'immenses portions de terres, notamment au nord du pays, appartiennent à de grands exploitants ou parfois à des cartels, a-t-elle fait observer, avant de s'enquérir des mesures mises en place par la justice afin d'assurer une redistribution égalitaire des terres. Cette même experte a noté que de nombreuses personnes victimes de déplacements internes lors des élections de 2007 ont fait valoir qu'elles n'avaient pas été suffisamment indemnisées. En outre, toutes les personnes déplacées n'ont pas encore pu rentrer chez elles. Certains ont déclaré qu'avait été opérée une distribution partiale des indemnisations, en fonction des groupes ethniques et des régions auxquels les individus appartenaient.

Concernant les bidonvilles, la même experte a demandé des informations complémentaires concernant les évictions forcées de personnes vivant dans ces logements informels et s'est enquise des garanties juridiques dont elles disposent. Elle s'est inquiétée de ce que les progrès effectués dans les bidonvilles en matière d'assainissement étaient encore insuffisants, aggravant les risques de conflits ethniques dans ces lieux.

Un expert a demandé des précisions concernant la récupération des terres ancestrales par des populations autochtones ayant subi des déplacements. Il s'est particulièrement inquiété du sort de la communauté Endorois. Quels résultats ont donné les efforts déployés par ces communautés expulsées de leurs terres pour recevoir des indemnisations? Concernant le peuple Sengwer, l'expert a fait observer que ces populations ont été victimes d'expulsions forcées de leurs terres ancestrales: 90 maisons appartenant à des Sengwer auraient été brûlées depuis mars 2017 par les services forestiers kényans (KFS) et ces violences auraient donné lieu à une vague de discriminations à l'égard de ces communautés. L'expert a par ailleurs fait observer qu'en 2016, les Ogiek ont mis en place une commission afin de résoudre le problème de l'accès à leurs terres ancestrales. Cette communauté avait en effet fait l'objet d'un déplacement obligatoire suite au basculement de leur terre sous une appellation protégée; mais cette terre a finalement été attribuée à d'autres communautés sans qu'aucune possibilité de récupération ne soit prévue pour les Ogiek. L'expert s'est enquis des mesures adoptées par le Kenya afin de rendre la justice accessible aux peuples autochtones et s'est inquiété du manque de confiance généralisé de ces populations autochtones envers les symboles de l'autorité kényane en général. Il a également souhaité obtenir des informations sur la situation des femmes issues de communautés minoritaires victimes de discriminations multiples. Enfin, l'expert s'est inquiété de constater que la législation nationale prévoit qu'une personne non autochtone peut être propriétaire de 100 000 hectares maximum alors qu'un autochtone ne peut en posséder que 5000.

Un autre expert s'est inquiété des difficultés sociales que connaissent les albinos et a demandé des informations sur les mesures mises en place pour protéger ces personnes. Il a par ailleurs demandé des précisions sur la définition que donne le Gouvernement kényan du terme d'«ethnie».

Un autre expert a demandé des précisions concernant la mise en œuvre d'une mesure d'amnistie visant une jeune personne qui avait revendiqué son appartenance à un groupe terroriste.

Un expert a souhaité savoir si des mesures étaient prévues pour poursuivre et sanctionner des personnalités politiques proférant ou diffusant des discours haineux sur des bases ethniques, religieuses ou autres. Cet expert s'est inquiété de la possibilité d'une recrudescence des discours haineux dans les médias à l'approche des élections. Il s'est également inquiété de violences auxquelles se seraient livrées les forces de l'ordre contre des camps de réfugiés.

Une experte s'est inquiétée que le taux d'analphabétisme soit particulièrement élevé parmi les populations d'éleveurs (jusqu'à 95%). Elle a souhaité savoir si l'État kényan avait prévu des mesures destinées à améliorer l'accès de ces populations à l'éducation. Elle a également demandé des informations sur la manière dont les programmes scolaires abordaient les questions de l'identité et des communautés minoritaires.

Réponses de la délégation

S'agissant des personnes déplacées internes, la délégation a souligné qu'elles ne sont pas issues d'un groupe ethnique unique. Ce phénomène des déplacements internes concerne en effet de nombreuses communautés. Le Gouvernement a alloué 6 milliards de shillings kényans à un fonds destiné à fournir des terres ou des liquidités et ayant ainsi contribué à la réinstallation des personnes déplacées internes, a ajouté la délégation. Elle a précisé que ce fonds prévoyait également la réalisation de campagnes de sensibilisation sur la non-discrimination afin que les personnes ne fassent pas l'objet de discrimination dans les zones où elles ont été réinstallées.

Un projet de loi a été élaboré qui prévoit des conditions pour l'autorisation d'éviction de terres, a par la suite souligné la délégation. De telles évictions peuvent concerner des terres publiques, privées ou communautaires et doivent suivre des procédures strictes découlant du droit international. Il n'y a pas eu d'évictions récentes, a assuré la délégation. La loi sur la propriété foncière communautaire couvre et protège pleinement les droits des populations autochtones, a-t-elle fait valoir. Cette loi prévoit notamment
qu'un inventaire soit fait pour déterminer le statut des terres. Elle prévoit que même si une terre communautaire est utilisée à des fins de services publics (infrastructures publiques), la communauté en garde tout de même l'usufruit. Les peuples autochtones peuvent être propriétaires de terres communautaires sans limite de superficie, a en outre assuré la délégation.

La délégation a par ailleurs fait valoir que dans le cadre des mesures visant à réparer les injustices historiques, le Gouvernement kényan a mis en place une équipe spéciale chargée d'élaborer des directives en matière d'éviction. Les ONG sont conviées à émettre des propositions.

En 2017, 10 millions de dollars ont été alloués au fonds chargé d'indemniser les victimes d'injustices historiques pour la période 1963-2008. La loi sur les injustices historiques couvre les doléances sur un cas de non-respect du droit foncier ou un grief lié à un déplacement qui n'a pas été résolu par les tribunaux entre 1895 et 2010, a d'autre part rappelé la délégation. La loi kényane prévoit, dans de tels cas, la compensation ou encore la réinstallation des victimes, a précisé la délégation, avant de rappeler que les personnes qui se considéraient victimes d'injustices historiques disposaient de cinq ans pour présenter leur plainte.

Pour ce qui est des questions de logement, la délégation a indiqué qu'en août 2016, quelque 822 nouveaux logements ont été construits dans la zone de Kibera, au sud de Nairobi. L'objectif du Gouvernement est désormais de construire 200 logements par an afin de lutter contre le phénomène des implantations sauvages, a-t-elle précisé, soulignant que ce phénomène ne concernait pas seulement un groupe ethnique particulier, mais tous. La délégation a par ailleurs souligné que le Gouvernement remettait des titres de propriété aux occupants des bidonvilles afin que leur droit d'y résider soit protégé.

Toute personne titulaire d'un bail arrivant à expiration doit faire une nouvelle demande afin de voir renouvelé le contrat. Les autorités peuvent exiger de céder la terre si elle est destinée à un usage public, comme par exemple pour l'installation d'un hôpital ou la construction d'une route, a ajouté la délégation.

Concernant le cas du peuple Sengwer, la délégation a assuré qu'aucune éviction n'était menée actuellement à son encontre. Elle a indiqué que dans le cadre de l'inventaire foncier actuellement réalisé, les Sengwer pouvaient faire enregistrer leurs terres afin de les faire reconnaître comme terre communautaire.

S'agissant des discours de haine, la délégation a fait valoir qu'une révision de la loi, actuellement en deuxième lecture au Parlement, avait été engagée afin d'élargir la définition du délit d'incitation à la haine et de la rendre pleinement conforme à la Convention. Cette définition inclut désormais, en autres, l'impression ou la publication de documents incitant à la haine sur Internet, l'utilisation d'images stéréotypées, l'utilisation de messages codés, de logos ou de drapeaux incitant à la haine raciale, ou encore les humiliations. Les sanctions prévues ont par ailleurs été augmentées: elles incluent des amendes pouvant atteindre 5 millions de shillings ainsi que des peines de 1 à 5 ans d'emprisonnement.

Pour ce qui est du traitement réservé aux politiciens qui se rendent coupables de discours de haine, la délégation a expliqué que ces derniers engageaient souvent de grands avocats qui réussissent fréquemment à retarder la procédure et à obtenir des avantages. Ces affaires peuvent aller jusqu'à la Cour suprême, a précisé la délégation.

Les médias disposent d'une structure d'autorégulation, le Conseil des médias, et peuvent appliquer des mesures disciplinaires en cas de manquement, a poursuivi la délégation. Le Conseil des médias du Kenya est chargé d'impulser des normes dans le domaine des médias et facilite la médiation en cas de différends entre les médias et le Gouvernement, entre les médias et le public ou entre médias. Ce Conseil comprend une commission des plaintes, composée de sept personnes en poste pour trois ans et qui dispose de 14 jours pour statuer sur la recevabilité d'une plainte. Il existe par ailleurs un code de conduite pour les journalistes leur interdisant de véhiculer des discours incitant à la haine, a ajouté la délégation. Un nouveau code a été mis en place obligeant les radios à prévoir quelques secondes de décalage entre le direct et la diffusion, à des fins de contrôle, a-t-elle en outre fait valoir.

S'agissant des statistiques relatives aux plaintes pour discours haineux, la délégation a indiqué que 1240 plaintes avaient été reçues ces deux dernières années: 60 ont donné lieu à une enquête, 50 ont été transmises au parquet; il y a eu 6 acquittements et 36 cas sont toujours en suspens. La délégation a fait observer que les enquêtes et les poursuites se sont avérées difficiles du fait d'un manque de connaissance des dispositions en vigueur de la part des juges et des agents de police ainsi que d'une difficulté à apporter des éléments de preuves. Les témoins craignent pour leur part de faire l'objet de menaces ou de représailles de la part des auteurs des faits, a ajouté la délégation.

La direction du parquet n'a pas de prérogatives en matière d'enquête mais peut demander à la police d'en réaliser, a d'autre part souligné la délégation.

Dans le contexte de l'emploi dans la fonction publique, les personnes victimes de discrimination peuvent se retourner contre l'État et engager des recours.

La loi prévoit par ailleurs que toute personne s'étant rendue coupable de discrimination ne pourra plus occuper un poste politique ni bénéficier d'un mandat électif après sa condamnation.

La délégation a indiqué qu'aucune sanction n'avait pour l'instant été prononcée pour un cas de discrimination raciale.

Concernant le recrutement des personnes issues des minorités ethniques dans l'emploi public, la délégation a indiqué que les districts qui ne respectent pas les quotas imposés par la loi disposent d'un délai de six mois pour mettre en œuvre les recommandations prévues en la matière. Depuis 2014, plusieurs personnes issues de minorités, notamment des Luo, sont représentées dans l'administration et les institutions nationales, a fait valoir la délégation. Dans certains districts, les annonces de vacance de postes administratifs sont publiées dans les journaux en langues minoritaires.

Une commission nationale a révélé que cinq minorités ethniques sur la trentaine que compte le pays occupent une grande majorité des emplois publics (70%), a ensuite précisé la délégation. Or, la Constitution exige un strict respect de l'égalité des chances en matière d'emploi, y compris dans le secteur public, a-t-elle rappelé. Des efforts sont donc entrepris par les autorités afin de permettre l'accès et la représentation des minorités issues de régions marginalisées dans les institutions et les services publics. Une stratégie a été mise en place en 2016 afin de promouvoir la diversité de recrutement, notamment dans les secteurs de la justice et de la police.

La délégation a ensuite indiqué que la loi de 2016 sur l'aide juridictionnelle prévoit une assistance pour les personnes vulnérables. La loi détermine qui sont les fournisseurs de l'aide juridictionnelle: des avocats commis d'office sont nommés soit par le Gouvernement, soit par des organisations de la société civile. Cette loi établit également un fonds pour l'aide juridictionnelle, doté d'un million de dollars pour la période 2017/2018. La loi prévoit par ailleurs d'encourager l'accès à la justice pour les indigents et les groupes marginalisés.

L'institution nationale des droits de l'homme (Commission nationale des droits de l'homme) peut recevoir des plaintes, ce qui constitue une alternative aux tribunaux, a d'autre part rappelé la délégation. Le Gouvernement du Kenya encourage également le règlement des différends à travers des procédures alternatives aux procédures judiciaires, a-t-elle ajouté. À cette fin, en mars dernier, 65 médiateurs ont été formés afin de régler des affaires de discrimination dans différents secteurs et 82 affaires ont été réglées par cette voie, a-t-elle précisé.

Pour répondre aux discriminations contre les femmes, le Gouvernement s'est notamment engagé à investir davantage dans l'éducation primaire et secondaire, a ensuite fait valoir la délégation. En mars dernier, 8 millions de dollars ont été alloués à un fonds destiné à promouvoir l'accès des femmes à l'emploi, notamment dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche. La lutte contre les grossesses précoces et l'aide au retour à l'école des jeunes filles ayant accouché est au cœur de la politique du Gouvernement kényan, a précisé la délégation. Davantage de médecins interviennent désormais dans les régions isolées, a-t-elle fait valoir. Le Gouvernement a par ailleurs ouvert des opportunités d'emplois pour les femmes handicapées notamment pour promouvoir leur embauche dans l'administration.

Quelque 10 millions de dollars ont été alloués aux différentes régions du pays pour l'amélioration du sort des personnes handicapées et la lutte contre les discriminations à leur encontre.

En ce qui concerne l'albinisme, la délégation indiqué qu'une commission nationale des albinos avait été mise en place il y a plusieurs années pour encourager leur inclusion dans la vie publique nationale. Un fonds spécial pour les handicapés prévoit qu'une somme soit spécifiquement allouée en faveur des albinos, a ajouté la délégation. Par ailleurs, une journée nationale est consacrée à la question des albinos afin de sensibiliser la population au sort de ces personnes.

La délégation a par ailleurs souligné que la pauvreté variait en fonction des régions. Des investissement supplémentaires ont été réalisés, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé, afin d'alléger la pauvreté à travers tout le territoire. Ces efforts se sont soldés par un taux de scolarisation accru et l'embauche de nouveaux enseignants. La délégation a rappelé qu'au Kenya, l'éducation est obligatoire. La loi prévoit que toutes les communautés doivent s'assurer que leurs enfants reçoivent une instruction. Des services d'accès gratuit aux soins de santé maternelle ont été développés qui ont permis de faire baisser d'un tiers le nombre annuel de décès de nouveau-nés, a fait valoir la délégation.

Des festivals annuels promeuvent le riche patrimoine culturel du Kenya, y compris les cultures minoritaires, a par ailleurs indiqué la délégation.

Concernant les mariages homosexuels, la délégation a indiqué qu'ils étaient admis dans certaines ethnies, pour les femmes notamment, dans le cas où une femme veuve souhaite faire adopter son enfant par une autre femme.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CERD17/009F