Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE L’ARGENTINE
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport de l’Argentine sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant ce rapport, M. Claudio Bernardo Avruj, Secrétaire aux droits de l’homme et au pluralisme culturel de la nation de l’Argentine, a déclaré que l’orientation de toutes les politiques de droits de l’homme de son pays était basée sur le principe de la reconnaissance préalable d’un problème avant la prise de mesures concrètes pour le résoudre. Pour éliminer la torture, il importe donc de prendre la mesure des pratiques dans le système carcéral et au sein des forces de sécurité. À cet égard, certaines pratiques enracinées au sein des forces de sécurité, du système carcéral et des différents secteurs des pouvoirs publics représentent une véritable dette que la démocratie argentine doit solder par des mesures de prévention et de correction, a déclaré M. Avruj. Les compétences du Ministère de la justice et des droits de l’homme ont à cet égard été renforcées, au profit notamment des programmes « Vérité et justice » et de protection des victimes des violences, a-t-il par ailleurs indiqué. D’autres changements institutionnels ont pour but de donner un rôle prépondérant au renforcement des compétences des fonctionnaires au profit de la défense des droits fondamentaux des victimes, a-t-il ajouté.
Sur le plan législatif, le système national de prévention de la torture créé par la loi sera appliqué par un Comité national de prévention de la torture, qui agira au niveau provincial, a ensuite indiqué M. Avruj. En matière de statistiques, a-t-il ajouté, l’une des premières mesures du nouveau Gouvernement élu en 2015 a été de décréter « l’état d’urgence administrative » pour le système statistique national, qui n’est plus en mesure de donner des chiffres fiables.
Complétant cette présentation, Mme Marta Varela, sénatrice et Présidente de la Commission bicamérale du défenseur du peuple, a expliqué que l’organisation fédérale de l’Argentine octroie aux provinces d’importantes compétences, assorties d’obligations, dans le domaine de la prévention de la torture. Précisément, la Commission bicamérale coordonne l’action des provinces et mène, d’autre part, un processus de dialogue autour de la création du Comité national de prévention de la torture.
La délégation argentine était également composée, entre autres, de M. Héctor Marcelo Cima, Représentant permanent de l’Argentine auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de plusieurs autres représentants du Ministère des affaires étrangères, du Sous-secrétariat à la protection des droits de l’homme, du Conseil fédéral des droits de l’homme et du Plan d’action national en matière de droits de l’homme.
La délégation a répondu aux questions des membres du Comité portant, notamment, sur les grandes orientations du nouveau Gouvernement ; l’accueil des migrants ; la réforme de la justice et la création prochaine d’un registre national des détenus ; le Défenseur du peuple ; le mécanisme national de prévention de la torture ; les conditions carcérales, l’isolement carcéral et la durée de la détention préventive ; les « violences institutionnelles » ; l’incrimination du féminicide ; ou encore la définition de la torture.
M. Claude Heller Rouassant, Vice-Président du Comité et corapporteur pour l’examen du rapport argentin, a salué les mesures prises par l’Argentine pour prendre la mesure des violations des droits de l’homme commises pendant la dictature et pour y apporter des réponses judiciaires. Il a rendu hommage à la décision d’annuler l’amnistie octroyée dans un premier temps aux responsables du terrorisme d’État perpétré dans le cadre du « Plan Condor », décision qui a abouti à la condamnation à de lourdes peines de prison, ces dernières années, d’officiers convaincus d’avoir commis des crimes dans les années 1970. En outre, la « politique de mémoire » menée par l’Argentine est exemplaire pour toute l’Amérique latine, a déclaré M. Heller Rouassant. Cependant, a poursuivi le corapporteur, l’Argentine reste confrontée à une faiblesse institutionnelle qui l’empêche d’appliquer complètement, au niveau local, les mesures de prévention de la torture et de respecter ainsi ses obligations internationales. Le pays est également confronté à des lacunes statistiques: il ne dispose en effet pas de registre national des détenus, a déploré l’expert.
Il manque, d’autre part, dans les textes juridiques argentins, une définition détaillée de la torture, a poursuivi le corapporteur. M. Heller Rouassant a ensuite observé que la nomination du Défenseur du peuple était retardée depuis de nombreuses années. De même, les mécanismes de prévention de la torture prévus ne sont pas opérationnels, a-t-il relevé. Le corapporteur s’est ensuite inquiété de la criminalisation des migrants en Argentine. Il a également évoqué le problème de la surpopulation carcérale, le nombre de détenus ayant doublé en seize ans, pour dépasser 70 000 personnes en 2016.
M. Kening Zhang, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Argentine, a observé que de nombreuses informations parvenues au Comité font état de la persistance de torture et de mauvais traitements dans les prisons, dont les personnels appliquent toujours des méthodes héritées des militaires: passage à tabac, suffocation, violences collectives, bizutage, entre autres. Il faut ajouter à cela l’existence, au sein même des prisons, d’un système de racket avec la complicité des gardiens; de fouilles humiliantes; de violences entre détenus et de la mise à l’isolement de détenus ayant demandé une protection; de transferts arbitraires et systématiques de détenus; et, au niveau de la police, d’abus de pouvoir et de violence physique et verbale, qui dans certains cas ont entraîné la mort de personnes, a énuméré M. Zhang. Or, ces violences ne donnent lieu à quasiment aucune poursuite, a regretté l’expert; les victimes refusent généralement de déposer plainte par crainte de représailles.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Argentine et les rendra publiques à l'issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 12 mai prochain.
Demain matin, à partir de 10 heures, le Comité tiendra - en salle XVII du Palais des Nations – une réunion publique consacrée à la révision de son Observation générale sur l’article 3 de la Convention.
Présentation du rapport
Le Comité est saisi des cinquième et sixième rapports périodiques de l’Argentine (CAT/C/ARG/Q/5-6).
M. CLAUDIO BERNARDO AVRUJ, Secrétaire aux droits de l’homme et au pluralisme culturel de la nation de l’Argentine, a déclaré que l’orientation de toutes les politiques de droits de l’homme de son pays était basée sur le principe de la reconnaissance préalable d’un problème avant la prise de mesures concrètes pour le résoudre. Pour éliminer la torture, il importe donc de prendre la mesure des pratiques dans le système carcéral et au sein des forces de sécurité. À cet égard, certaines pratiques enracinées au sein des forces de sécurité, du système carcéral et des différents secteurs des pouvoirs publics représentent une véritable dette que la démocratie argentine doit solder par des mesures de prévention et de correction, a déclaré M. Avruj.
Dans ce contexte, le Gouvernement argentin a pour objectif de faire en sorte que les politiques publiques se traduisent en mesures concrètes de lutte contre les pratiques nocives, a insisté le Secrétaire aux droits de l'homme. Les compétences du Ministère de la justice et des droits de l’homme ont à cet égard été renforcées, au profit notamment des programmes « Vérité et justice » et de protection des victimes des violences, a-t-il indiqué. D’autres changements institutionnels ont pour but de donner un rôle prépondérant au renforcement des compétences des fonctionnaires au profit de la défense des droits fondamentaux des victimes, a-t-il ajouté.
Sur le plan législatif, le système national de prévention de la torture créé par la loi sera appliqué par un Comité national de prévention de la torture, qui agira au niveau provincial, a ensuite indiqué M. Avruj. Le Secrétariat des droits de l’homme et du pluralisme culturel de la nation a lancé plusieurs projets visant à créer des mécanismes nationaux et locaux pour prévenir la torture des détenus placés en isolement carcéral, a-t-il précisé. Pour créer ces mécanismes, les autorités misent sur la recherche du consensus avec les provinces, dans le respect du caractère fédéral de l’Argentine, a-t-il souligné. Mais l’application de ces mécanismes au plan régional est encore disparate, a-t-il admis. L’Argentine a également créé une commission chargée de réfléchir à une réforme du Code pénal afin de le mettre en conformité avec les engagements internationaux pris par l’Argentine dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et contre le trafic de drogue, a indiqué M. Avruj.
S’agissant du système pénitentiaire, le Conseil fédéral de la justice est chargé, depuis 2008, d’harmoniser les politiques et conditions de traitement des détenus entre la capitale et les provinces. Dans ce contexte, la Conseil fédéral pénitentiaire a tenu sa première réunion en 2017 pour présenter une nouvelle campagne de promotion des « Règles Mandela » (Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus).
En matière de statistiques, l’une des premières mesures du nouveau Gouvernement élu en 2015 a été de décréter « l’état d’urgence administrative » pour le système statistique national, qui n’est plus en mesure de donner des chiffres fiables, a rappelé M. Avruj. Des représentants des ministères publics du pays ont participé à un échange de vues sur la manière d’améliorer la production de statistiques pour donner davantage de transparence au fonctionnement du système judiciaire. L’Argentine doit admettre la réalité pour mieux corriger le tir, a souligné M. Avruj. La volonté politique existe d’aller de l’avant, comme en témoigne la présence dans la délégation de la Présidente de la Commission bicamérale du défenseur du peuple, a-t-il conclu.
Complétant cette présentation, MME MARTA VARELA, sénatrice et Présidente de la Commission bicamérale du défenseur du peuple, a alors expliqué que l’organisation fédérale de l’Argentine octroie aux provinces d’importantes compétences, assorties d’obligations, dans le domaine de la prévention de la torture. Précisément, la Commission bicamérale coordonne l’action des provinces et mène, d’autre part, un processus de dialogue autour de la création du comité national de prévention de la torture. Ce comité sera composé de parlementaires et de représentants du Ministère de la justice, d’organisations non gouvernementales et des autorités locales. La Commission est en particulier chargée du processus de sélection et de nomination des membres de ce comité et elle gère la sélection du titulaire du mandat de Défenseur du peuple, dont la nomination devrait intervenir en juillet, a précisé Mme Varela.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. CLAUDE HELLER ROUASSANT, Vice-Président du Comité et corapporteur pour l’examen du rapport argentin, a salué les contributions que le Comité a reçues émanant d’institutions publiques, d’organisations non gouvernementales et même d’universités, qui – avec le rapport de l’État – lui ont permis d’examiner la situation en Argentine. M. Heller Rouassant a d’autre part salué les mesures prises par l’Argentine pour prendre la mesure des violations des droits de l’homme commises pendant la dictature et pour y apporter des réponses judiciaires. Il a rendu hommage à la décision d’annuler l’amnistie octroyée dans un premier temps aux responsables du terrorisme d’État perpétré dans le cadre du « Plan Condor » de sinistre mémoire, décision qui a abouti à la condamnation à de lourdes peines de prison, ces dernières années, d’officiers convaincus d’avoir commis des crimes dans les années 1970. En outre, la « politique de mémoire » menée par l’Argentine est exemplaire pour toute l’Amérique latine, a déclaré M. Heller Rouassant.
Cependant, a poursuivi le corapporteur, l’Argentine reste confrontée à une faiblesse institutionnelle qui l’empêche d’appliquer complètement, au niveau local, les mesures de prévention de la torture et de respecter ainsi ses obligations internationales. Le pays est également confronté à des lacunes statistiques: il ne dispose en effet pas de registre national des détenus, a déploré l’expert.
Il manque, d’autre part, dans les textes juridiques argentins, une définition détaillée de la torture, a poursuivi le corapporteur; la définition qu’en donne le Code pénal, par exemple, est lacunaire, notamment sous l’angle des sévices psychiques ou psychologiques, a-t-il fait observer. La délégation a été priée de dire si les autorités argentines allaient modifier le Code pénal à cet égard. M. Heller Rouassant a aussi voulu savoir si l’Argentine envisageait de renforcer les effectifs policiers et judiciaires ainsi que son système d’aide juridictionnelle.
M. Heller Rouassant a ensuite observé que la nomination du Défenseur du peuple était retardée depuis de nombreuses années: quelle procédure sera suivie pour cette nomination et comment son indépendance financière sera-t-elle assurée, a-t-il demandé? De même, les mécanismes de prévention de la torture prévus ne sont pas opérationnels, a relevé M. Heller Rouassant. Le Comité aimerait que le processus de sélection des membres du Comité national de prévention de la torture soit transparent et qu’il tienne compte des exigences de compétence et d’indépendance, a-t-il souligné. Les conditions de participation de la société civile à cette institution devraient aussi être précisées, de même que les précautions qui sont envisagées pour éviter sa politisation, a-t-il insisté. En outre, toutes les provinces ne disposent pas encore du cadre juridique nécessaire pour la prévention de la torture et, lorsque les institutions existent, elles ne sont pas toujours dotées des budgets adéquats, a relevé M. Heller Rouassant.
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, environ cinq mille réfugiés attendent d’être fixés sur leur sort par l’Argentine, a d’autre part relevé le corapporteur. Il a prié la délégation de fournir des renseignements sur les refus de regroupement familial prononcés dans certains cas et sur la tendance, qui semble orientée à la baisse, s’agissant de l’accueil des requérants d’asile. M. Heller Rouassant s’est inquiété à ce propos de la criminalisation des migrants en Argentine, observant qu’environ 20% de la population carcérale est étrangère. Il a demandé des informations sur les conditions de détention des étrangers dans le contexte de la croissance de la criminalité internationale et du tourisme. La délégation a été priée de fournir des informations sur les conditions de détention des migrants d’origine africaine et sur les mesures prises pour éviter les mauvais traitements infligés aux migrants par les forces de sécurité.
Le corapporteur a ensuite souligné que le système pénitentiaire argentin était, à la lecture des nombreuses informations dont dispose le Comité, confronté à un problème de surpopulation carcérale. Les données montrent clairement qu’il importe de prendre ce problème à bras-le-corps : le nombre de détenus a doublé en seize ans pour dépasser 70 000 personnes en 2016, s’est inquiété M. Heller Rouassant. Or, le rapport contient l’affirmation contraire, assurant que l’Argentine ne connaît pas de problème de surpopulation carcérale, a-t-il relevé. Les autorités tiennent-elles compte des critères internationaux dans ce domaine, s’est interrogé M. Heller Rouassant? Il a relevé que le Code de procédure pénale argentin autorise la mise en détention provisoire pendant des périodes pouvant atteindre deux ans.
M. Heller Rouassant a demandé à la délégation de fournir des explications non seulement sur la très grande augmentation du nombre des détenus, mais aussi sur les accusations de persécution, de la part de policiers, à l’encontre de transsexuels et de travestis. Il a déploré que les mesures de séparation des prévenus et des condamnés soient insuffisantes et que des gardiens usent de la torture comme sanction disciplinaire – plus de 700 cas en 2015 –, entraînant chaque année des décès. Certains détenus peuvent rester de longs mois enfermés de manière préventive dans des lieux inadaptés, gardés par des policiers peu formés aux tâches de surveillance et où les conditions sanitaires sont insuffisantes, s’est en outre inquiété M. Heller Rouassant. Des organisations non gouvernementales signalent en outre que certains établissements pénitentiaires sont régis selon des méthodes héritées de la dictature, a-t-il relevé. Enfin, a observé le corapporteur, douze ans après la mort de plusieurs détenus dans la prison de Magdalena, on attend toujours la traduction des responsables en justice, a fait observer le corapporteur. Il serait intéressant de savoir à combien de procédures judiciaires les dénonciations d’actes de torture ont donné lieu, a-t-il ajouté.
M. KENING ZHANG, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Argentine, a demandé à la délégation de dire si la formation aux droits de l’homme qui est dispensée aux forces de l’ordre et aux gardiens de prison est obligatoire – ceci alors que, selon certains renseignements, les forces de sécurité argentines ne semblent pas avoir suivi le processus de démocratisation consécutif à la chute de la dictature. L’expert a également voulu savoir dans quelle mesure les gardiens de prison et les personnels médicaux carcéraux sont formés à la détection des actes de torture et si les visites médicales à l’entrée en prison sont pratiquées dans des conditions acceptables d’indépendance et de confidentialité.
M. Zhang a remarqué que le Procureur des prisons fédérales avait fait savoir qu’il ne pouvait accéder à certains détenus dans les prisons provinciales et dans les commissariats de police: quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour améliorer cette situation? M. Zhang s’est également enquis du nombre de plaintes déposées par des détenus se disant victimes de violences sexuelles de la part des gardiens. Il a d’autre part regretté que les rapports successifs de l’Argentine ne montrent aucune amélioration du fonctionnement du «registre national des affaires de torture et de mauvais traitements» créé en 2010, lequel recense uniquement les plaintes déposées auprès du Procureur des prisons et pas celles déposées auprès des tribunaux.
S’agissant des conditions de détention, M. Zhang a observé que de nombreuses informations parvenues au Comité font état de la persistance de torture et de mauvais traitements dans les prisons, dont les personnels appliquent toujours des méthodes héritées des militaires: passage à tabac, suffocation, violences collectives, bizutage, entre autres. Il faut ajouter à cela l’existence, au sein même des prisons, d’un système de racket avec la complicité des gardiens; de fouilles humiliantes; de violences entre détenus et de la mise à l’isolement de détenus ayant demandé une protection; de transferts arbitraires et systématiques de détenus; et, au niveau de la police, d’abus de pouvoir et de violence physique et verbale, qui dans certains cas ont entraîné la mort de personnes, a énuméré M. Zhang. Or, ces violences ne donnent lieu à quasiment aucune poursuite, a regretté l’expert. Leurs victimes refusent généralement de déposer plainte par crainte de représailles, tandis que les procureurs jugent que les actes incriminés ne sont correspondent pas aux critères qualificatifs de torture. La délégation a été priée de répondre à ces préoccupations concernant l’apparente impunité dont bénéficient les auteurs d’actes de torture.
M. Zhang a ensuite relevé en outre que le « registre national des féminicides » avait signalé 235 meurtres de femmes en 2015, donc seuls sept ont donné lieu à une condamnation. Dans 20% des cas, la victime avait déjà déposé plainte contre l’auteur des faits, bien souvent un ancien partenaire intime (70 % des cas), a souligné le corapporteur. La délégation a été priée de donner des précisions sur l’application du plan d’action national contre la violence sexiste adopté en juillet 2016.
Le corapporteur a par la suite indiqué avoir été approché par un groupe de lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués victimes de discrimination et de violences en Argentine. Le groupe recommande à cet égard l’interdiction des interventions chirurgicales sur les enfants transsexuels jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de pouvoir décider eux-mêmes de leur sexe et demande que des indemnisations soient accordées aux personnes victimes de telles interventions sans leur consentement.
D’autres experts du Comité se sont interrogés sur la pratique consistant à placer certains détenus à l’isolement 23 heures sur 24 pour des motifs relevant en fait du manque de place en prison. Un expert a rappelé que la mise à l’isolement doit être entourée de garanties et n’être notamment prononcée que par une autorité compétente selon des critères objectifs – des garanties qui ne sont pas prévues par la loi argentine. Les personnes placées en isolement cellulaire doivent avoir accès à un avocat et pouvoir recevoir des visites, a insisté l’expert. Un autre expert a constaté que le Comité des droits de l’homme, examinant un rapport de l’Argentine en 2016, se déclarait déjà préoccupé, lui aussi, par le recours fréquent à l’isolement carcéral pour des motifs liés à la surpopulation carcérale. Or, a fait observer cet expert, le rapport examiné aujourd’hui par le Comité contre la torture affirme qu’il n’y a pas de problème de surpopulation carcérale en Argentine.
Les mesures prises pour prévenir la violence entre détenus sont impressionnantes, a admis une experte du Comité, saluant notamment le programme orienté sur les détenus particulièrement agressifs et les délinquants sexuels. La délégation a été priée d’exposer les résultats de ces programmes.
Une experte a observé que la désignation des membres du Conseil de la magistrature était soumise à une supervision politique qui a entraîné des protestations de la part de la société civile.
Un expert a demandé des précisions quant à la portée réelle du mandat du Procureur des prisons, dont les organisations non gouvernementales estiment qu’il est trop restreint. Selon ces organisations, 1930 personnes sont mortes depuis 2010, victimes de la «violence institutionnelle», a relevé l’expert.
Un autre expert a demandé à la délégation de préciser quels types de garanties diplomatiques les autorités argentines demandent aux États tiers dans le cadre de demandes d’extradition ou de procédures de refoulement. La délégation peut-elle donner un exemple de refus des autorités de donner une suite favorable à ces démarches du fait de préoccupations quant aux garanties fournies?
Un membre du Comité a voulu savoir si un décès en détention entraînait automatiquement l’ouverture d’une enquête et la réalisation d’une autopsie.
La délégation a en outre été priée de préciser si les organisations non gouvernementales garderaient le droit de contrôler les conditions de détention même après la création du Comité national de prévention de la torture.
Réponses de la délégation
La délégation a précisé que les deux grandes orientations du nouveau Gouvernement argentin sont la recherche de la vérité en tant que condition de l’instauration d’une démocratie authentique et la volonté de poursuivre l’intégration de l’Argentine au sein de la communauté internationale, ce qui implique pour les autorités de respecter pleinement les exigences du système international des droits de l’homme. Le pouvoir judiciaire argentin a pris l’engagement d’accélérer les procédures judiciaires concernant les crimes contre l’humanité : il bénéficie pour ce faire de toute l’autonomie qui lui est assurée par le principe d’indépendance des trois pouvoirs, a ajouté la délégation.
L’Argentine reste un pays d’accueil, a poursuivi la délégation; cinquante communautés y coexistent de manière paisible et exemplaire. Hors de toute xénophobie, les immigrés sont intégrés de manière à tirer le meilleur parti possible de leur contribution précieuse. Droits de l’homme et sécurité n’étant pas mutuellement exclusifs, le contrôle des frontières n’a d’autre but que d’écarter les personnes qui bafouent les lois, a précisé la délégation. L’Argentine n’autorise pas la détention de migrants, a-t-elle précisé: seule est admise la rétention en attente d’un renvoi hors du pays, rétention d’une durée maximale de trente jours reconductible sous certaines conditions. La rétention s’effectuera dans des locaux adaptés qui seront bientôt mis à la disposition des autorités, a indiqué la délégation, avant de faire valoir que la durée des procédures pour les expulsions ordonnées par les juges compétents a été considérablement raccourcie par la loi. Les garanties de procédures sont octroyées aux personnes concernées, notamment pour ce qui est de l’accès à un avocat. Les personnes victimes de traite des êtres humains bénéficient de mesures de protection, a en outre souligné la délégation.
Les principes de non-refoulement et de traitement le plus favorable sont au cœur de la politique suivie en matière d’expulsion d’étrangers: dans ce contexte, le risque de torture encouru par la personne susceptible d’être expulsée est évalué de manière systématique par le juge, en fonction des circonstances personnelles des requérants. De même, les assurances diplomatiques sont évaluées à leur juste valeur par le juge. En 2016, 234 personnes ont été expulsées d’Argentine et à ce stade, 57 l’ont été en 2017, a fait savoir la délégation. Les Ukrainiens et les Syriens sont majoritaires dans l’octroi de l’asile en Argentine. L’Argentine entend poursuivre sa politique d’accueil des réfugiés syriens et palestiniens, entre autres, a indiqué la délégation.
S’agissant des assurances diplomatiques, la délégation a indiqué que dans l’affaire Sonnenfeld, le tribunal voulait s’assurer que la peine de mort ne serait pas requise contre la personne devant faire l’objet d’une mesure d’expulsion.
Le Ministère de la justice et des droits de l’homme est chargé de procéder à une vaste réforme de la justice (Justicia 2020), a poursuivi la délégation. En effet, les citoyens sont de plus enclins à saisir la justice, a-t-elle fait observer, soulignant que cela oblige les autorités à en moderniser et simplifier le fonctionnement. Dans ce cadre, la composition du Conseil de la magistrature sera revue pour y supprimer toute ingérence du pouvoir exécutif, a précisé la délégation.
La délégation a par ailleurs souligné que l’Argentine s’attelait à la création d’un registre national des personnes détenues. Un groupe d’experts est justement en train de travailler à la création d’un tel système national d’enregistrement des personnes détenues, qui devrait être présenté cet été, a-t-elle précisé.
La nomination du Défenseur du peuple doit, compte tenu de l’importance de son mandat, rencontrer l’approbation de la majorité des acteurs politiques du pays, a souligné la délégation. Le Sénat sera appelé à désigner, à une majorité des deux tiers, le Défenseur parmi trois candidats sélectionnés au préalable par la Commission bicamérale du Défenseur du peuple, a-t-elle précisé.
La présence de la société civile dans le Comité argentin de prévention de la torture est assurée par le fait qu’elle est appelée à avaliser la nomination de trois de ses membres, a ensuite fait valoir la délégation. Ce Comité doit, en vertu de la loi, mettre en place des mesures de prévention de la torture et travailler à cette fin avec les organisations non gouvernementales et les institutions locales. Le mandat des commissaires est de quatre ans, avec une réélection possible; ils sont notamment choisis sur la base de leur éthique et de leur parcours professionnel dans le domaine de la prévention de la torture. Lorsqu’il sera pleinement opérationnel, ce Comité travaillera de manière complémentaire avec le mandat du Procureur pénitentiaire, a précisé la délégation. Les deux institutions pourront coordonner leurs actions en vue d’étendre les activités de prévention de la torture à l’ensemble du pays.
La délégation a précisé que la structure fédérale de l’Argentine explique que toutes les provinces ne soient pas au même stade de l’application des règles et bonnes pratiques dans le domaine de la prévention de la torture. Le mécanisme national de prévention de la torture aura précisément pour mission de renforcer les mécanismes régionaux et d’inciter les autorités provinciales à être plus efficaces dans ce domaine.
Le Ministère de la justice applique en outre les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant afin de mieux répondre aux besoins des mères détenues et de leurs enfants.
Les autorités ont d’ores et déjà lancé une réforme pour mieux encadrer l’isolement carcéral. Quant à la durée de la détention préventive, elle devrait être réduite grâce à une réforme du Code de procédure pénale, qui viendra modifier le déroulement des enquêtes, a indiqué la délégation. Au lieu de la détention préventive, l’Argentine estime utile de recourir à des mesures alternatives telles que le port d’un bracelet électronique, a-t-elle souligné. En cas de flagrant délit, les audiences pénales seront filmées et enregistrées, a-t-elle ajouté. Tant le ministère public que la défense auront l’obligation d’assister aux audiences, dans le cadre d’une réforme visant à garantir une aide juridictionnelle de meilleure qualité, a-t-elle insisté.
La surpopulation carcérale est une réalité en Argentine, a déclaré la délégation, faisant observer que l’affirmation contraire dans le rapport était le fait du gouvernement précédent. La surpopulation atteindrait 10% dans l’ensemble du pays, avec d’importantes variations régionales, a-t-elle précisé. Pour y remédier, les autorités ont lancé un programme de construction et de rénovation qui devrait permettre de créer 18 000 places supplémentaires (dont 10 300 places dans la région du Grand Buenos Aires) et désengorger ainsi le système, a fait valoir la délégation. Plus de la moitié des personnes détenues le sont dans la région de Buenos Aires, a-t-elle rappelé.
La surpopulation carcérale s’explique à la fois par l’accroissement démographique, par la situation politique, par l’augmentation de la criminalité et enfin par les problèmes que rencontre le système judiciaire lui-même, a expliqué la délégation: 60% de la population carcérale est en effet composée de personnes en détention préventive. C’est cette situation que les autorités veulent améliorer grâce à la réforme Justicia 2020, a-t-elle insisté.
En cas de décès en prison, un juge d’instruction est libre de demander une autopsie s’il le souhaite ou en fonction des circonstances. Le ministère public recense chaque année depuis dix ans entre 40 et 50 décès en prison. En 2016, 33 de ces décès ont fait l’objet d’une information judiciaire, a précisé la délégation. Le ministère public agit en totale indépendance du pouvoir judiciaire, a-t-elle souligné.
Les autorités ont organisé des formations pour les personnels pénitentiaires afin d’améliorer la prise en charge des détenus, de réprimer la torture et de lutter contre la corruption dans le système carcéral. Les fonctionnaires sont notamment formés au «Protocole d’Istanbul», qui contient les normes générales pour rechercher et documenter les situations de torture.
La délégation a précisé que le Procureur pénitentiaire fédéral avait reçu plusieurs centaines de dénonciations pour «violences institutionnelles», allant des simples voies de fait aux actes de torture.
Les victimes des violences institutionnelles et des actes de torture, de même que du terrorisme d’État (1976-1983), bénéficient de compensations forfaitaires, à moins qu’elles ne souhaitent faire valoir leurs droits devant la justice: les compensations seront alors calculées sur la base des dispositions du droit civil et commercial. Le suivi des dossiers est assuré de manière active par les défenseurs du peuple au niveau des provinces, l’objectif étant de faire en sorte qu’aucun crime ne reste impuni. Quatre cents anciennes victimes du terrorisme d’État et de violences institutionnelles (et une victime du franquisme) sont prises en charge par un institut médico-social spécialisé.
Des registres national et provinciaux ont été créés par différentes instances pour recenser les procédures judiciaires pour faits de torture et autres traitements inhumains, a indiqué la délégation. De même, certaines organisations non gouvernementales se sont dotées de leurs propres mécanismes de collecte de données relatives au suivi des victimes, par exemple. Il est donc nécessaire de créer un système unifié de rapport et de dénonciation, a souligné la délégation.
En 2016, 1577 plaintes ont été déposées pour discrimination par des femmes, des membres des communautés autochtones et des militants politiques, a ensuite indiqué la délégation.
Le féminicide est un délit autonome dans le Code pénal: crime contre la femme, il est considéré comme une forme aggravée d’homicide volontaire, a ensuite indiqué la délégation, précisant qu’en 2016, 236 personnes avaient été condamnées pour ce crime. Entre 2015 et 2016, plus de 26 000 appels ont été reçus sur la ligne d’appel de secours (le 144).
L’avortement est légal en Argentine s’il est pratiqué à des fins thérapeutiques ou si la grossesse est le résultat d’un viol, a d’autre part rappelé la délégation. Pour assurer l’accès dans tout le pays aux informations sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et sur les procédures y afférentes, les autorités gèrent un numéro d’appel gratuit, a-t-elle précisé.
L’adoption du nouveau Code de procédure pénale a été suspendue car l’outil ne répond pas à toutes les exigences liées à la structure fédérale de l’Argentine et à ses obligations internationales. Plusieurs projets de loi concernant la mise à jour du Code de procédure pénale et d’autres textes sont à l’examen du Sénat, a fait savoir la délégation.
Le programme national de lutte contre l’impunité a pris des mesures radicales contre les fonctionnaires convaincus de manquement à l’éthique: plusieurs préfets ont ainsi été révoqués, a d’autre part fait valoir la délégation.
De l’avis des autorités, la définition de la torture adoptée par l’Argentine est suffisamment complète, a d’autre part déclaré la délégation. En l’état, la justice invalide tous les aveux obtenus sous la torture, de même que tous les actes judiciaires basés sur de tels aveux, a souligné la délégation.
La délégation a d’autre part souligné que le Ministère de la justice avait pris des mesures pour répondre aux besoins spécifiques des personnes transsexuelles emprisonnées. S’agissant des opérations chirurgicales sur des personnes transsexuelles, il a été précisé que les personnes mineures (âgées de 3 à 16 ans) sont toujours entendues dans les procédures qui les concernent. Un acte de chirurgie doit être validé par le tuteur légal ou par un juge, le cas échéant, et l’Argentine garantit à toute personne le droit de s’identifier au genre de son choix, a assuré la délégation.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
CAT17/007F