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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE L’AFGHANISTAN

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport de l’Afghanistan sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, M. Farid Hamidi, Procureur général de l’Afghanistan, a d’emblée déclaré que son Gouvernement était résolument engagé à mettre un terme à l’impunité et à la torture, à purger ses institutions pour parvenir à des résultats tangibles à cet égard, et à démontrer au peuple afghan que « ses autorités sont différentes des terroristes ». L’Afghanistan vit depuis quarante ans entre conflits et régimes brutaux, a rappelé le Procureur général: cette situation a, en quelque sorte, insensibilisé le peuple à la répression et, trop souvent, poussé à l’adoption de cultures institutionnelles où les droits de l’homme ne sont pas respectés. Depuis quinze ans, l’Afghanistan tente de réorienter ses institutions. Une transformation substantielle a été engagée à cet égard en 2014 et se poursuit aujourd’hui pour éradiquer l’héritage des Taliban et des communistes et apaiser un climat marqué par le conflit et le chaos permanents. Cette initiative est difficile et se heurte à de vives résistances, comme en témoigne l’attaque terroriste extrêmement meurtrière perpétrée la semaine dernière contre le plus grand hôpital afghan. Les autorités doivent se battre contre des ennemis qui ne respectent aucune valeur, a souligné M. Hamidi.

Pour respecter ses obligations constitutionnelles, le Gouvernement afghan a lancé un ambitieux programme de réforme sociale visant en particulier les femmes : il comprend une révision du Code pénal et du Code de protection de l’enfance, a poursuivi le chef de la délégation afghane. L’autre grand axe de l’action publique est la lutte contre la corruption, un fléau que 95 % des Afghans disent subir au quotidien. Le Gouvernement applique depuis 2015 un Plan national d’élimination de la torture, qui prévoit des amendements législatifs, des efforts pédagogiques et une meilleure surveillance des conditions de détention, a ajouté M. Hamidi, précisant que le Code pénal avait été amendé pour contenir une définition adéquate de la torture et l’interdire explicitement à tous les niveaux et que le Code de procédure pénale était en train d’être amendé pour prévenir les périodes de détention préventive trop longues. M. Hamidi a également annoncé que le Conseil des Ministres venait de décider de signer le Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Le Président a aussi décidé de lever les réserves de l’Afghanistan à l’article 20 de la Convention et de créer un mécanisme national de prévention de la torture, a-t-il ajouté.

La délégation afghane était également composée de la Représentante permanente de l’Afghanistan auprès des Nations Unies à Genève, Mme Suraya Dalil, ainsi que d’autres représentants des Ministères des affaires étrangères, de l’intérieur et de la justice, du Conseil national de sécurité et de la Direction nationale de la sécurité.

La délégation a répondu aux questions et observations des membres du Comité s’agissant notamment du bilan des pertes civiles dues au conflit dans le pays ; des garanties de procédure, du traitement des détenus et des conditions carcérales ; du traitement des plaintes et de la lutte contre l’impunité et la corruption ; de l’incrimination de la torture ; de la peine de mort ; de la pratique des tests de virginité ; ou encore des réfugiés afghans à travers le monde. S’agissant de ces derniers, la délégation a confirmé que les autorités pakistanaises avaient délibérément provoqué l’an dernier le retour forcé de plusieurs centaines de milliers d’Afghans réfugiés dans leur pays. L’Union européenne rejette de plus en plus souvent les demandes d’asile déposées par des Afghans, a en outre fait observer la délégation. L’Afghanistan demande donc à ses voisins et à la communauté internationale de traiter les réfugiés afghans conformément à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, a-t-elle insisté, regrettant que certains États fassent du chantage à l’aide au développement pour obliger l’Afghanistan à accepter ses ressortissants expulsés.

M. Jens Modvig, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Afghanistan – et par ailleurs Président du Comité –, s’est dit conscient de l’influence négative de certains acteurs non étatiques sur l’action des pouvoirs publics, mais a relevé que cette situation ne retirait rien aux responsabilités des autorités afghanes dans le domaine de la lutte contre la torture. Il a salué les mesures déjà prises par les autorités afghanes contre la torture, notamment l’adoption du Décret présidentiel n°129 concernant l’interdiction de la torture, la création d’un Haut Conseil des prisons, l’application depuis 2014 d’un plan d’action national, la mise en œuvre du règlement concernant la gestion des prisons et centres de détention et la promulgation en février dernier de la loi sur l’élimination de la torture. M. Modvig a ensuite relevé que, selon un rapport de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) paru en 2015 au sujet du traitement des personnes détenues suite au conflit, l’application lacunaire du Décret présidentiel n°129 de 2015 sur le traitement des personnes détenues explique le faible nombre de plaintes contre les auteurs d’actes de torture et les problèmes d’accès des prisonniers aux soins médicaux.

Le corapporteur a ensuite fait état d’informations en possession du Comité selon lesquelles de hauts fonctionnaires et responsables politiques, à Kandahar notamment, seraient coupables de détentions au secret et arbitraires et d’actes de torture sur des détenus. La police nationale et la Direction nationale de la sécurité auraient recours à des chocs électriques, menaces et abus sexuels pour obtenir des aveux. La Commission nationale des droits de l’homme a conclu que 782 détenus avaient été victimes de torture en 2014, a en outre relevé M. Modvig, avant de s’interroger sur les raisons pour lesquelles les auteurs de ces actes ne sont pas traduits en justice. La corruption et le manque d’indépendance du système judiciaire sont endémiques en Afghanistan, a-t-il poursuivi.

M. Abdelwahab Hani, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Afghanistan, s’est dit particulièrement préoccupé par la présence d’enfants dans des centres de détention pour adultes, notamment dans la prison de Bagram gérée par les militaires. Il s’est dit étonné par la nomination à des postes de responsabilité d’officiers soupçonnés ou convaincus d’actes de torture et de sadisme et a observé qu’il existe un risque que les responsables de la police coupables de crimes ne bénéficient d’une impunité de fait.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le
rapport de l’Afghanistan et les rendra publiques à l'issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 12 mai prochain.

Demain après-midi, à 15 heures, le Comité achèvera l’examen du rapport de l’Argentine, entamé ce matin.



Présentation du rapport

Le Comité est saisi du deuxième rapport périodique de l’Afghanistan ainsi que de ses réponses à une liste de points à traiter que lui avait soumise le Comité.

M. FARID HAMIDI, Procureur général de l’Afghanistan, a déclaré d’emblée que son Gouvernement était résolument engagé à mettre un terme à l’impunité et à la torture, à purger ses institutions pour parvenir à des résultats tangibles à cet égard, et à démontrer au peuple afghan que « ses autorités sont différentes des terroristes ».

L’Afghanistan vit depuis quarante ans entre conflits et régimes brutaux, a rappelé le Procureur général: cette situation a, en quelque sorte, insensibilisé le peuple à la répression et, trop souvent, poussé à l’adoption de cultures institutionnelles où les droits de l’homme ne sont pas respectés. Depuis quinze ans, l’Afghanistan tente de réorienter ses institutions. Une transformation substantielle a été engagée à cet égard en 2014 et se poursuit aujourd’hui pour éradiquer l’héritage des Taliban et des communistes et apaiser un climat marqué par le conflit et le chaos permanents. Cette initiative est difficile et se heurte à de vives résistances, comme en témoigne l’attaque terroriste extrêmement meurtrière perpétrée la semaine dernière contre le plus grand hôpital afghan. Les autorités doivent se battre contre des ennemis qui ne respectent aucune valeur, a souligné M. Hamidi.

Pour respecter ses obligations constitutionnelles, le Gouvernement afghan a lancé un ambitieux programme de réforme sociale visant en particulier les femmes : il comprend une révision du Code pénal et du Code de protection de l’enfance. L’autre grand axe de l’action publique est la lutte contre la corruption, un fléau que 95 % des Afghans disent subir au quotidien. Dans ce cadre, le Président a créé le Haut Conseil de la gouvernance, de la justice et de la lutte contre la corruption et, l’an dernier, le Centre de justice contre la corruption.

Le Gouvernement applique depuis 2015 un Plan national d’élimination de la torture, a poursuivi le Procureur général. Ce Plan prévoit des amendements législatifs, des efforts pédagogiques et une meilleure surveillance des conditions de détention. La mise en œuvre du plan est ralentie par l’intensification depuis 2016 des actions terroristes, a relevé M. Hamidi. Mais des résultats concrets sont tout de même à signaler : le Code pénal a été amendé pour contenir une définition adéquate de la torture et l’interdire explicitement à tous les niveaux du système de justice pénale ; le Code de procédure pénale est en train d’être amendé pour prévenir les périodes de détention préventive trop longues.

La Commission nationale indépendante des droits de l’homme et la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) jouent toutes les deux un rôle important dans la surveillance des lieux de détention et la protection des droits des personnes détenues, a souligné le Procureur général. Les autorités sont en train de créer un mécanisme juridique pour permettre aux victimes de la torture d’accéder aux voies de recours. Résolues à lutter contre l’impunité, elles se sont engagées à traduire en justice les fonctionnaires qui se rendent coupables d’actes de torture.

M. Hamidi a annoncé également que le Conseil des Ministres venait de décider de signer le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en vue notamment de collaborer plus étroitement avec les mécanismes internationaux des droits de l’homme. Le Président a aussi décidé de lever les réserves de l’Afghanistan à l’article 20 de la Convention et de créer un mécanisme national de prévention de la torture.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. JENS MODVIG, Président du Comité et corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Afghanistan, s’est dit conscient de l’influence négative de certains acteurs non étatiques sur l’action des pouvoirs publics, mais a relevé que cette situation ne retirait rien aux responsabilités des autorités afghanes dans le domaine de la lutte contre la torture. M. Modvig a salué les mesures déjà prises par les autorités afghanes contre la torture, notamment l’adoption du Décret présidentiel n°129 concernant l’interdiction de la torture, la création d’un Haut Conseil des prisons, l’application depuis 2014 d’un plan d’action national, la mise en œuvre du règlement concernant la gestion des prisons et centres de détention et la promulgation en février dernier de la loi sur l’élimination de la torture.

M. Modvig a voulu savoir si la définition de la torture donnée par le Code de procédure pénale était conforme à la définition de la Convention, observant que le critère de « douleur aiguë » n’est pas couvert par la loi afghane. M. Modvig a demandé également quelles sanctions maximales sont prévues dans la nouvelle loi contre la torture adoptée en février.

Le corapporteur a demandé à la délégation de donner son évaluation de l’application du Décret présidentiel n°129 de 2015 sur le traitement des personnes détenues. M. Modvig a relevé que, selon un rapport de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) paru en 2015 au sujet du traitement des personnes détenues suite au conflit, l’application lacunaire du Décret explique le faible nombre de plaintes contre les auteurs d’actes de torture et les problèmes d’accès des prisonniers aux soins médicaux, entre autres problèmes. M. Modvig a demandé des renseignements sur le traitement judiciaire des cas de torture dénoncés pendant la période sous examen.

La délégation a en outre été priée de dire si tous les détenus bénéficient de mesures de prévention de la torture et des garanties juridiques fondamentales à cet égard – notamment pour ce qui est de l’accès rapide à un avocat et de la comparution rapide devant un juge. Le corapporteur a souligné que la jouissance concrète de ces garanties juridiques était l’un des meilleurs moyens de prévenir la torture. Il a demandé également des informations sur la capacité du système de justice pénale à fournir des statistiques sur la durée de la détention provisoire et sur les mesures qui seront prises pour augmenter le nombre d’avocats commis d’office.

M. Modvig a souligné d’autre part l’importance d’assurer l’accès des personnes détenues à des examens médicaux indépendants, en tant que garantie contre les mauvais traitements. La Commission indépendante des droits de l’homme pourrait se charger d’enquêtes et d’évaluations à ce sujet, a-t-il suggéré.

Le corapporteur a fait état d’informations en possession du Comité selon lesquelles de hauts fonctionnaires et responsables politiques, à Kandahar notamment, seraient coupables de détentions au secret et arbitraires et d’actes de torture sur des détenus. La police nationale et la Direction nationale de la sécurité auraient recours à des chocs électriques, menaces et abus sexuels pour obtenir des aveux. La Commission nationale des droits de l’homme a conclu que 782 détenus avaient été victimes de torture en 2014, a ajouté M. Modvig. Pour quelles raisons les auteurs de ces actes ne sont-ils pas traduits en justice, a-t-il demandé ? Quels mécanismes garantissent que les institutions qui reçoivent les plaintes pour torture vont effectivement enquêter sur ces faits?

M. Modvig a prié la délégation d’indiquer quel est le salaire mensuel d’un policier afghan et de dire quelles mesures sont prises pour dissuader les fonctionnaires de police de compléter leurs revenus par le biais de la corruption. La corruption et le manque d’indépendance du système judiciaire sont, selon les organisations non gouvernementales qui s’intéressent à ces questions, endémiques en Afghanistan, a poursuivi le corapporteur. La question se pose à cet égard de l’existence de mécanismes pour écarter les magistrats corrompus, a-t-il relevé. Il serait utile de savoir comment les autorités luttent contre l’infiltration par les Taliban des tribunaux locaux, a aussi relevé l’expert.

M. Modvig a enfin relevé que les établissements de détention manquent du personnel nécessaire pour prodiguer des soins de santé aux femmes détenues, compte tenu des normes culturelles qui interdisent à des femmes d’être soignées par des hommes.

M. Modvig a par la suite insisté pour savoir si la loi contre la torture couvrirait également les autres violations des droits de l’homme mentionnées dans la Convention. Le corapporteur a constaté un décalage entre les différentes statistiques sur la torture imputable aux forces de l’ordre qui sont fournies au Comité: les autorités parlent de 600 plaintes en la matière quand d’autres sources en évoquent plusieurs milliers. Des précisions devraient être données sur le contrôle des activités de la Direction nationale de la sécurité, a par ailleurs demandé M. Modvig. Quant au droit des personnes arrêtées et des détenus de consulter un médecin, il existe bel et bien, mais il semble difficile à mettre en œuvre concrètement, compte tenu notamment des carences en personnel médical, a souligné le corapporteur.

M. ABDELWAHAB HANI, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Afghanistan, a exprimé les condoléances du Comité au peuple afghan après le terrible attentat qui l’a frappé récemment. M. Hani a ensuite salué la mise en place d’un mécanisme de suivi des recommandations formulées par les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies et a demandé quelle en serait la composition. Il s’est également félicité de la décision toute récente des autorités afghanes de lever les réserves que le pays avait émises lors de sa ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Le fait que les autorités afghanes aient admis qu’un nombre considérable de citoyens afghans souffrent de troubles psychologiques et physiques imputables à des décennies de violence pose la question de l’application de l’article 14 de la Convention contre la torture, relatif au droit des victimes d’obtenir réparation et d'être indemnisées équitablement, compte tenu du fait que le nombre de personnes concernées se chiffre certainement en millions, a poursuivi M. Hani. Il a demandé à la délégation d’éclairer le Comité sur les mécanismes de justice transitionnelle qui ont été adoptés pour octroyer des réparations aux victimes de torture pendant la guerre et traduire les auteurs en justice. Il a aussi demandé des renseignements sur la démobilisation et la réintégration des enfants soldats.

Le corapporteur a observé que certains pays musulmans, comme le Koweït, ont aboli les châtiments corporels, ce qui montre qu’il est possible de donner des interprétations modernistes du droit islamique. L’Afghanistan doit privilégier la traduction des auteurs de torture devant la justice et ne pas se fier seulement à des mesures d’ordre administratif, a en outre recommandé M. Hani. Il a fait savoir que le Comité était particulièrement préoccupé par la présence d’enfants dans des centres de détention pour adultes, notamment dans la prison de Bagram gérée par les militaires.

M. Hani a ensuite demandé à la délégation de dire si le haut commandement des forces de sécurité était formé, sur l’ensemble du territoire et en particulier à Kandahar, à l’interdiction de la torture et de fournir une évaluation des effets de l’application du Décret présidentiel no 129 sur le traitement des prisonniers, notamment sous l’angle de la mise en œuvre des mesures concrètes de lutte contre la torture et les mauvais traitements qu’il recommande, notamment l’installation de caméras de sécurité dans les prisons.

Le corapporteur a par ailleurs prié la délégation de dire quelles mesures sont prises pour garantir que la Commission indépendante des droits de l’homme est en mesure de mener à bien son mandat sur l’ensemble du territoire afghan, y compris dans les locaux gérés par les forces armées, par les forces internationales, dans les zones frontalières et sur les lignes de front.

La MANUA a publié un rapport faisant état d’un pourcentage élevé de personnes disant avoir été victimes de tortures, ce qui justifie de qualifier la torture de « systématique » en Afghanistan, a déclaré M. Hani. Il s’agit là d’une défaillance chronique à revoir les méthodes d’interrogatoire, malgré les affirmations du Gouvernement afghan, malgré le Décret présidentiel et malgré le Plan d’action national, a-t-il regretté. Dans le même temps, a-t-il ajouté, les organes de surveillance n’ont pas démontré l’efficacité escomptée pour lutter efficacement contre les abus et les violations des dispositions de la Convention. M. Hani s’est dit étonné par la nomination à des postes de responsabilité d’officiers soupçonnés ou convaincus d’actes de torture et de sadisme.

M. Hani a par la suite constaté que les gardes du corps de M. Dostom arrêtés par le Procureur général refusaient de coopérer avec les autorités judiciaires: de quel moyen dispose la justice pour obliger les personnes concernées à rendre compte de leurs actes, a-t-il demandé? Le corapporteur a en outre observé qu’il existe un risque que les responsables de la police coupables de crimes ne bénéficient d’une impunité de fait. M. Hani a également relevé qu’un très grand nombre de personnes sont toujours en l’attente d’exécution capitale: quelles sont les intentions des autorités à l’égard de ces personnes, a-t-il demandé?

D’autres experts du Comité ont posé des questions sur les conditions de détention dans la prison de Pul-e-Sharki à Kaboul, conçue pour 5000 détenus mais qui en contenait plus de 7400 fin 2014 et dont la construction interrompue aurait donné lieu à une intense corruption. Un autre expert a voulu connaître les raisons du quintuplement de la population carcérale en Afghanistan en dix ans et a demandé des informations sur les mesures alternatives à la détention qui pourraient être prises.

Un autre expert a jugé intéressante une recommandation de la Commission indépendante des droits de l’homme de l’Afghanistan, demandant aux forces armées internationales présentes en Afghanistan de lui laisser rencontrer les personnes qu’elles détiennent. Une experte a demandé à la délégation de donner des statistiques sur le nombre de femmes détenues en Afghanistan et de préciser si elles bénéficient de services spécifiques et si elles sont surveillées par des femmes. L’experte s’est interrogée sur l’existence de programmes de formation contre la torture et, dans ce cadre, contre les violences sexistes. L’experte s’est également enquise des effets concrets des mesures juridiques prises pour protéger les femmes contre la violence.

Une experte a relevé l’existence en Afghanistan d’un système judiciaire parallèle aux mécanismes officiels qui sont défaillants. La question est de savoir comment reconstruire le pouvoir judiciaire; ce processus pourrait durer des décennies, pendant lesquelles les citoyens se tourneront vers la justice tribale ou informelle. Or, cette justice parallèle prend parfois des décisions horribles: le viol collectif d’une jeune fille, par exemple, décidé par une réunion de chefs de village, peut-il vraiment aider le peuple afghan à panser ses plaies, a demandé l’experte? Plusieurs experts ont en outre regretté la persistance en Afghanistan des tests de virginité et ont dit espérer que le Procureur général donnerait les impulsions nécessaires pour mettre fin à une pratique violente et humiliante, assimilable à une torture contre les femmes.

Un expert a relevé que la lutte contre l’impunité, présentée par le Procureur général comme l’une des priorités du Gouvernement, n’est de fait jamais mentionnée dans le rapport soumis au Comité. Au contraire, certaines indications dudit rapport laissent entendre que les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour remédier au problème de la torture qui, d’après les données officielles, semble généralisé en Afghanistan. Le rapport mentionne seulement que deux personnes ont été poursuivies dans ce contexte.

Une experte a demandé à la délégation de préciser la nature de la stratégie du Gouvernement face au problème des milliers d’Afghans qui partent en quête d’une vie meilleure.

Réponses de la délégation

En 2016, 3498 civils ont été tués et 7920 blessés dans le cadre de la guerre qui secoue l’Afghanistan, a indiqué la délégation. Les groupes insurgés utilisent les civils comme boucliers humains, a-t-elle rappelé. Les forces de sécurité ont pour instruction de refuser le combat dans les zones peuplées et de tout faire pour minimiser les pertes civiles, a-t-elle ajouté. En dépit de l’intensité des combats, les autorités ont démontré leur engagement à minimiser l’impact du conflit sur les civils par le biais d’une politique nationale de prévention, a-t-elle insisté. Le Gouvernement poursuit parallèlement la recherche d’un accord de paix avec certaines factions, a-t-elle rappelé. Si les progrès sont très lents, surtout avec les Taliban, les autorités ont cependant réussi à passer un accord de paix très important avec Gulbuddin Hekmatyar, qui pourrait servir de modèle à de nouvelles percées vers la paix, a déclaré la délégation. Le Gouvernement afghan est conscient du fait que les victimes de la violence en subissent les effets même après la signature d’accords de paix, a-t-elle ajouté.

La délégation a par la suite précisé que les groupes terroristes et non étatiques étaient responsables de 61% des civils tués dans la guerre, les forces gouvernementales de 20% et les forces internationales de 2%.

La délégation a en outre assuré que les autorités prenaient très au sérieux la question des réparations à octroyer aux civils victimes des conflits en Afghanistan. Le pays étant toujours en guerre – chaque jour, depuis quarante ans, entre 400 et 500 accrochages sont à signaler sur le territoire national –, la question de la justice transitionnelle ne peut encore se poser de manière directe. Mais les pouvoirs publics ont déjà pris des initiatives pour concrétiser le « devoir de mémoire » envers les victimes, par exemple en érigeant des monuments commémoratifs, a fait valoir la délégation.

S’agissant du traitement des détenus durant le conflit, la délégation a indiqué que face à une réalité de fait préoccupante, les autorités sont tout à fait conscientes de la nécessité de supprimer toutes les manifestations de mauvais traitement et d’impunité qui contredisent les principes fondateurs que sont la charia et le droit international. Le Ministère de la sécurité a d’ores et déjà dénoncé à la justice cinquante personnes accusées de torture, dont plusieurs gardes du corps du Vice-Président, M. Abdul Rashid Dostom, accusés de violences sexuelles sur un rival politique. Quant à l’ancien ministre de l’information, M. Wahidi, il a été démis de ses fonctions en raison d’abus de pouvoir, a précisé la délégation. Un général et un sénateur ont été traduits en justice pour des faits de corruption et d’abus de pouvoir, a-t-elle ajouté. L’impunité qui prévalait était au cœur de l’incapacité d’agir du Gouvernement : cette situation est en train d’évoluer, a-t-elle assuré.

La lutte contre la corruption des fonctionnaires afghans a pour objet non seulement de restaurer l’état de droit mais aussi de redresser les finances publiques, a précisé la délégation. Le Procureur général, M. Hamid, a assuré aux membres du Comité qu’il mènerait jusqu’à leur terme les procédures engagées contre les gardes du corps du général Dostom, aussi longues soient-elles; il s’est engagé à demander aux services responsables les renseignements nécessaires pour éclaircir les accusations de corruption ou d’abus de pouvoir à l’encontre d’autres hauts responsables.

La délégation a souligné que le Procureur général et le Ministre de la justice actuels n’appartiennent à aucun parti politique, ce qui est rare dans un pays comme l’Afghanistan.

Pour ce qui est du fonctionnement de la justice, des personnels supplémentaires – dont huit femmes chefs de service – ont été engagés pour étoffer le Ministère, a poursuivi la délégation. Cinq cent quarante juges ont été envoyés à l’étranger suivre des formations continues, a-t-elle fait valoir. D’autres mesures sont prises pour créer des structures juridiques afin de remédier au problème de l’exploitation sexuelle de jeunes garçons dans certaines régions du pays, laquelle est désormais punissable en vertu du Code pénal.

Le système de justice parallèle est désormais régi par la loi: les décisions des jirgas en matière civile doivent être sanctionnées par les autorités, a ensuite souligné la délégation. Lorsque les procédures parallèles impliquent des femmes, les deux parties en conflit doivent désigner une médiatrice. Les femmes représentent désormais 17% des effectifs du Parquet général. Des tribunaux provinciaux ont été créés pour entendre des violations des droits fondamentaux des femmes, a ajouté la délégation.

L’Afghanistan a ouvert cette année un dialogue avec la Cour pénale internationale, à laquelle il a donné des informations sur une dizaine de cas, a d’autre part indiqué la délégation.

Le Code pénal afghan donne de la torture une définition reprenant mot pour mot la définition de la Convention et prévoit des peines minimales de trois ans d’emprisonnement pour tout acte de torture, a ensuite précisé la délégation. En outre, il ne contient plus aucune disposition cautionnant les crimes dits d’honneur, a-t-elle ajouté.

S’agissant de l’application de la peine de mort en Afghanistan, la délégation a précisé que six personnes avaient été exécutées par pendaison en 2016: il s’agissait de terroristes confirmés ayant bénéficié d’un procès équitable, qui ont été condamnés pour des attentats ayant causé la mort de plusieurs dizaines de personnes, a-t-elle précisé. Actuellement, a ajouté la délégation, quelque 600 personnes sont en attente d’être exécutées, la plupart pour des faits tels que meurtre, viol et terrorisme. Le grand public est favorable à la peine de mort, a souligné la délégation. Le Gouvernement, qui doit appréhender ces questions avec beaucoup de prudence, envisage d’imposer un moratoire sur l’exécution de ces 600 personnes actuellement condamnées à mort. Après quarante années de guerre et d’atrocités, le Gouvernement afghan traite chaque cas de manière digne et responsable, a assuré la délégation.

Une commission est chargée de veiller à ce que chaque condamnation à mort ait bien été prononcée au terme d’une procédure parfaitement régulière et de conseiller le Gouvernement sur la manière d’aller de l’avant en vue d’une éventuelle révision des dispositions en vigueur, a par la suite indiqué la délégation. Le Président de la République dispose du droit de grâce, a-t-elle rappelé. La délégation a d’autre part déclaré que le système judiciaire afghan était d’essence islamique mais progressiste.

La Commission indépendante des droits de l’homme contrôle régulièrement les conditions de détention dans les prisons afghanes, a par ailleurs fait valoir la délégation. Cette Commission est saisie des plaintes des personnes qui estiment que leurs droits ont été bafoués. Les autorités sont conscientes des efforts qu’elles doivent encore consentir pour améliorer les conditions de détention, notamment en matière d’accès aux soins de santé. Les femmes détenues, en particulier, n’ont pas accès aux services de santé dont elles ont besoin. L’Afghanistan compte sur l’aide de la communauté internationale pour faire des progrès dans ce domaine, a indiqué la délégation. Le rapport périodique de la MANUA sur les conditions de détention en Afghanistan est un outil utile à cet égard, a-t-elle précisé.

La surpopulation n’est plus un problème dans les centres de détention des mineurs, a par la suite assuré la délégation. Les personnels chargés d’encadrer les mineurs détenus ont reçu, avec l’aide de la communauté internationale, une formation spécialisée axée sur la réinsertion; d’autre part, le Programme des Nations Unies pour le développement aide l’Afghanistan à remplir ses obligations en matière d’aide juridictionnelle.

Le Ministère de la justice ne dispose pas des capacités techniques pour produire des statistiques sur la durée de la détention provisoire, a en outre fait savoir la délégation.

En l’état actuel, les examens médicaux ne sont pas réalisés d’office au moment de l’arrestation d’une personne, a poursuivi la délégation. En revanche, tout justiciable qui estime avoir été mal traité a droit à un examen médical gratuit, a-t-elle fait valoir. Le Ministère de l’intérieur a passé un accord avec le Ministère de la santé pour faciliter l’accès aux services de santé dans les locaux de police, a-t-elle ajouté.

Plusieurs dizaines de séminaires de formation à la prévention de la torture sont organisés chaque année à l’intention des personnels pénitentiaires, a souligné la délégation.

En 2015 et en 2016, plusieurs hauts fonctionnaires coupables d’actes de torture ont été exclus de la fonction publique, sur dénonciation des victimes, a-t-elle en outre indiqué.

La police afghane paie un lourd tribut dans la lutte contre le terrorisme, au côté des forces armées, a rappelé la délégation. L’objectif des autorités est de lui donner davantage de moyens et d’améliorer son image auprès de la population, a-t-elle expliqué. Un protocole a été signé avec la Commission indépendante des droits de l’homme en vue de former tous les policiers à la prévention des actes de torture et au respect des droits des personnes détenues; mais les autorités manquent encore des moyens financiers de concrétiser cette démarche, a indiqué la délégation.

L’unité des droits de l’homme du Ministère de l’intérieur a reçu, en 2016-2017, 753 plaintes pour harcèlement, violence ou meurtre imputable à des policiers, a ensuite précisé la délégation. Le numéro de téléphone 119 ouvert aux citoyens a reçu trente-deux mille appels entre 2014 et 2016, dont plusieurs dénonciations de torture par les forces de l’ordre (police et armée), a-t-elle indiqué. Le Procureur général a ouvert plusieurs dizaines d’instructions à ce titre. En 2016, la direction des prisons a arrêté, pour sa part, 142 gardiens pour des faits de corruption et d’abus de pouvoir, soit un chiffre en diminution de 60% par rapport à l’année précédente.

Il est très difficile de lutter contre les policiers qui demandent des pots-de-vin, a ensuite fait observer la délégation, la seule solution consistant à augmenter les salaires et à améliorer la formation des agents. Le salaire d’un policier de base est de 115 dollars dans un quartier tranquille, pour monter à 174 dollars dans les secteurs dangereux, a précisé la délégation.

S’agissant enfin des problèmes rencontrés par les réfugiés afghans, la délégation a admis que les autorités nationales n’étaient pas prêtes à accueillir, à l’été 2016, plusieurs centaines de milliers d’Afghans expulsés du Pakistan. D’un autre côté, l’Union européenne rejette de plus en plus souvent les demandes d’asile déposées par des Afghans, a fait observer la délégation. L’Afghanistan demande donc à ses voisins et à la communauté internationale de traiter les réfugiés afghans conformément à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. La délégation a regretté que certains États fassent du chantage à l’aide au développement pour obliger l’Afghanistan à accepter ses ressortissants expulsés. Elle a également regretté qu’il n’existe pas d’instrument international régissant la prise en charge des personnes déplacées de force à l’intérieur de leur propre pays.

La délégation ayant été priée par des experts de confirmer que, de l’avis du Gouvernement afghan, les autorités pakistanaises avaient délibérément provoqué l’an dernier le retour forcé de plusieurs centaines de milliers d’Afghans réfugiés dans leur pays, la délégation afghane a répondu par l’affirmative. Elle en a voulu pour preuve la campagne systématique lancée par le Pakistan depuis 2016 pour chasser les Afghans de son territoire et qui a été accompagnée de mesures juridiques de répression ainsi que de pressions policières attestées par l’organisation internationale Human Rights Watch.

S’agissant de l’aide juridictionnelle, l’Afghanistan compte actuellement 2300 avocats pouvant être commis d’office, a d’autre part fait valoir la délégation. Le barreau organise à leur intention des formations, a-t-elle précisé, avant de rappeler que la Constitution accorde à tous les justiciables le droit de consulter un avocat pour leur défense. S’agissant des autres garanties juridiques offertes aux personnes confrontées à la justice, le Procureur général a indiqué qu’il veillait personnellement à ce que toute personne en détention ait accès à un médecin en cas de besoin, l’examen médical étant un élément très important de la prévention de la torture. Le nouveau comité chargé d’enquêter sur la torture peut effectuer des inspections inopinées dans tous les lieux de détention, a par ailleurs rappelé la délégation.

Les écarts statistiques selon les sources concernant les cas de torture dénoncés s’expliquent par des différences de méthodes de collecte des données: les autorités sont conscientes de la nécessité d’harmoniser leur pratique dans ce domaine.

Le « test de virginité » est une pratique culturelle institutionnalisée mais absente du droit afghan, a par ailleurs indiqué la délégation. L’État applique depuis un certain temps les mesures nécessaires pour éradiquer cette pratique, y compris en traduisant en justice des commissaires de police qui s’en seraient rendus coupables, a-t-elle assuré. L’évolution cet égard est très positive, a-t-elle affirmé.

Le Ministère de la justice a créé une commission chargée de la lutte contre le recrutement et l’exploitation des enfants, a par ailleurs souligné la délégation.

La délégation a tenu à préciser que l’Afghanistan envisageait de manière positive toute contribution de la communauté internationale pour l’aider à améliorer sa situation des droits de l’homme, y compris sous la forme de visites de terrain. L’élimination de la torture est un processus long qui doit engager la participation de la communauté internationale, a-t-elle insisté.



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