Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME SE PENCHE SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET AU MALI
Le Conseil des droits de l'homme a commencé, ce matin, l'examen des questions liées à l'assistance technique et au renforcement des capacités en entendant les exposés de l'Experte indépendante sur la situation des droits l'homme en République centrafricaine et de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Mali, avec lesquels il a eu des débats séparés.
Dans une mise à jour orale, Mme Marie-Thérèse Keita-Bocoum, Experte indépendante sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine, a constaté que, depuis sa dernière visite en juin 2016, le Gouvernement, avec l'appui de ses partenaires, avait fait des avancées significatives dans l'élaboration d'un cadre législatif et institutionnel, avec notamment l'adoption de lois organiques, l'accession à des conventions internationales relatives aux droits de l'homme, l'adoption d'un plan de relèvement et la nomination d'un procureur de la Cour pénale spéciale. L'Experte indépendante a souligné cependant que la situation demeurait fragile et que les avancées institutionnelles et législatives devaient être consolidées au plus vite par des actions tangibles en matière de rétablissement de la sécurité et de l'autorité de l'État, de démobilisation et désarmement, de lutte contre l'impunité et de réconciliation nationale – au péril de «voir les populations se faire justice elles-mêmes et le cycle de violence recommencer».
Au cours du débat qui a suivi la mise à jour orale de Mme Keita-Bocoum, plusieurs pays* et organisations non gouvernementales** ont salué la tenue, l'an dernier, d'élections libres, transparentes et crédibles en République centrafricaine. Toutefois, une majorité d'intervenants s'est inquiétée de la dégradation de la situation humanitaire et sécuritaire dans le pays. Plusieurs orateurs, à commencer par la délégation centrafricaine elle-même, ont regretté le sous-financement des programmes humanitaires destinés à la République centrafricaine.
M. Suliman Baldo, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Mali, y a noté une évolution positive ces derniers mois, avec l'installation des autorités à Kidal, à Gao et à Menaka. Cependant, la situation sécuritaire dans le nord et le centre du Mali reste extrêmement volatile, comme en témoigne le nombre très élevé de fermetures d'école dans les zones affectées, a précisé M. Baldo. Les civils y sont exposés à d'énormes risques, du fait des groupes armés et extrémistes qui s'en prennent tant aux civils qu'aux autorités maliennes et aux forces internationales. Quant à la riposte du Gouvernement malien et des forces internationales, elle ne respecte pas toujours les normes internationales en matière de droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme, a observé l'Expert indépendant. Il a cependant salué les progrès du Mali dans le domaine de la justice transitionnelle et s'est félicité de l'appui et de la solidarité dont la communauté internationale fait preuve aux côtés du Mali.
S'exprimant suite à la présentation de M. Baldo, de nombreux intervenants ont dit leur inquiétude quant au regain de tensions observable au Mali. La recrudescence des actes terroristes a été jugée particulièrement préoccupante par de nombreux orateurs alors que, comme l'avait relevé l'Expert indépendant, plusieurs groupes terroristes se sont récemment coalisés. Dans ce contexte, de nombreux appels ont été lancés pour l'application rapide de l'Accord de paix et de réconciliation issu du processus d'Alger. Plusieurs États et représentants d'ONG ont cependant dénoncé les violations des droits de l'homme commises dans le cadre de la lutte antiterroriste au Mali.
Le Conseil entame, à la mi-journée, un débat sur la situation des droits de l'homme à Haïti et en Lybie.
Assistance technique et renforcement des capacités
Examen de la situation des droits de l'homme en République centrafricaine
Mise à jour orale
Dans une mise à jour orale, MME MARIE-THERESE KEITA-BOCOUM, Experte indépendante sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine, a indiqué qu'elle s'était rendue dans le pays du 25 janvier au 3 février. Elle y a constaté que, depuis sa dernière visite en juin 2016, le Gouvernement, avec l'appui de ses partenaires, avait fait des avancées significatives dans l'élaboration d'un cadre législatif et institutionnel, dont l'adoption de lois organiques, l'accession à des conventions internationales relatives aux droits de l'homme, l'adoption d'un plan de relèvement et la nomination d'un Procureur de la Cour pénale spéciale. L'Experte indépendante a souligné que la situation demeure fragile et que les avancées institutionnelles et législatives doivent être consolidées au plus vite par des actions tangibles en matière de rétablissement de la sécurité et de l'autorité de l'État, de démobilisation et désarmement, de lutte contre l'impunité et de réconciliation nationale, au risque de «voir les populations se faire justice elles-mêmes et le cycle de violence recommencer».
Malheureusement, a poursuivi Mme Keita-Bocoum, les développements positifs contrastent avec la réalité sur le terrain, la situation sécuritaire s'étant fortement détériorée dans les préfectures de Ouaka, Haute Kotto, Nana Gribizi, Ouham et Ouham Pende, avec des conséquences terribles pour les civils. Des tensions et des violences persistent également dans le quartier PK5 de Bangui, la capitale.
L'Experte indépendante a ajouté que le conflit centrafricain connaît une mutation rapide car le pays est en proie à une série de conflits locaux mettant aux prises des groupes armés ayant des alliances surprenantes, selon elle. En effet, les conflits qui semblaient opposer les communautés chrétiennes et musulmanes auparavant ont évolué vers des conflits entre des groupes qui seraient nationalistes, et d'autres qui seraient étrangers, avec parfois une connotation ethnique dangereuse. De l'avis de Mme Keita-Bocoum, la préoccupation principale des Centrafricains qu'elle a rencontrés demeure l'insécurité liée à la présence ou aux actions de ces groupes armés qui règnent en maîtres sur plus de 60% du territoire et bénéficient d'une totale impunité. Leur présence limite considérablement la liberté de mouvement des populations.
S'agissant de la restauration effective de l'autorité de l'État en dehors de Bangui et récemment de Bambari, l'Experte indépendante a constaté que peu de progrès ont été enregistrés, les préfets, sous-préfets, procureurs, magistrats, gendarmes, policiers et autres fonctionnaires ayant fui leurs zones d'affectation, ou ne s'y étant jamais rendus, pour des raisons sécuritaires. Lorsque ces autorités sont présentes, leurs prérogatives sont confisquées par les groupes armés dans les zones sous leur contrôle. Ces groupes exercent la justice d'une manière illégale, se rendant responsables d'exactions contre les personnes accusées de sorcellerie, de détentions illégales, de tortures et de mauvais traitements.
Quant à la situation humanitaire, Mme Keita-Bocoum a déclaré qu'elle a connu un net recul dans les zones touchées par la recrudescence de la violence. Près de la moitié de la population aurait besoin d'une assistance humanitaire. À la fin de février 2017, plus de 470 000 Centrafricains avaient trouvé refuge dans les pays voisins, et plus de 400 000 étaient déplacés à l'intérieur du pays. D'autre part, l'insécurité et l'infrastructure routière défectueuse ne permettent pas l'accès des organisations humanitaires à toutes les populations dans le besoin. Mme Keita-Bocoum a appelé les donateurs à financer le Plan de réponse humanitaire pour 2017-2019 pour la République centrafricaine présenté à Genève en décembre dernier.
L'Experte indépendante a affirmé que le retour des Centrafricains réfugiés au Cameroun, en République démocratique du Congo, au Tchad et au Congo constitue un défi majeur et une composante essentielle de la réconciliation nationale. Ce retour doit se faire dans la dignité, la sécurité et sur une base volontaire. Elle a regretté par ailleurs les retards dans la concrétisation des activités prioritaires du Plan national de relèvement et de consolidation de la paix issu de la Conférence des bailleurs de fonds à Bruxelles, en novembre 2016.
De son côté, le programme de démobilisation et de désarmement (DDRR) a suscité un engouement des groupes armés mais, là encore, les moyens promis par les bailleurs de fonds pour mettre en œuvre les activités prioritaires tardent à être décaissées. Saluant l'initiative africaine pour la paix et la réconciliation sous l'égide de l'Union africaine, la CEEAC, et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), soutenue par l'Angola, le Congo et le Tchad, qui consolide les efforts de paix jusque-là éparpillés, Mme Keita-Bocoum a appelé à un processus de paix transparent, inclusif et respectueux de la souveraineté nationale. Elle a également recommandé de tourner la page de l'impunité et d'entrer dans l'ère de l'État de droit, de la paix et du développement.
Dans cette optique, la mise en place de la Cour pénale spéciale, attendue impatiemment, donnera un signal fort, en particulier avec la nomination du procureur Toussaint Muntazini Mukimapa. L'Experte indépendante a noté, lors de sa visite à Bambari, que dans la Ouaka et la Haute-Kotto, les combats et cycles de représailles ont engendré de nombreuses violations des droits de l'homme, des communautés ayant été attaquées parce qu'assimilées à des groupes armés en raison de leur appartenance ethnique. L'Experte indépendante a également été informée d'exactions contre des musulmans arabes et goulas.
Mme Keita-Bocoum a salué l'intervention musclée de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique pour stopper l'avancée sur Bambari des éléments du Front populaire pour la renaissance de Centrafrique (FPRC) et le départ négocié des chefs de guerre de l'UPC («Mouvement pour l'unité et la paix en Centrafrique»), du FPRC et des anti-Balaka. Elle a appelé les groupes armés à cesser le feu définitivement et à s'engager de bonne foi dans le DDRR et le processus de paix. Mme Keita-Bocoum a enfin attiré l'attention du Conseil sur la situation dans la ville de Birao, enclavée et avec des services inexistants.
Pays concerné
La République Centrafricaine a reconnu avoir besoin une fois encore de l'aide et de l'assistance internationales. Malgré des efforts incontestables, la récupération de la pleine souveraineté de l'État n'est pas achevée, ce qui empêche le Gouvernement d'exercer pleinement son pouvoir régalien. Les groupes armés ne sont pas assez inquiétés, a regretté la délégation centrafricaine. La République centrafricaine a besoin d'aide et d'assistance concrètes afin d'assurer la reddition de compte. Des promesses avaient été faites dans ce sens par la communauté internationale, mais elle n'ont pas été tenues, a déploré la délégation.
Débat interactif
L'Union européenne a affirmé que le niveau de violence restait très élevé en République centrafricaine. Toutefois, certains progrès en matière de protection des civils sont à noter. L'objectif est la stabilisation durable du pays, via une cessation des violences et une réintégration des bandes armées. La Tunisie, s'exprimant au nom du Groupe africain, a souligné que les pillages et les violations des droits de l'homme persistaient en République centrafricaine. Certains groupes armés n'écoutent pas la volonté de la communauté internationale et des Centrafricains eux-mêmes. La récente nomination du procureur du tribunal spécial (cour pénale spéciale) est une bonne chose; ce tribunal doit être opérationnel le plus rapidement possible, a ajouté la Tunisie.
Le Royaume-Uni a salué les élections pacifiques et crédibles qui se sont tenues l'an dernier en République centrafricaine. Toutefois, le niveau des violences reste très préoccupant. Le plan de construction de la paix doit être mis en œuvre, par le biais de la démobilisation, du désarmement et de la réintégration. Le plan d'action humanitaire est sous-financé, a en outre regretté la délégation britannique. L'Égypte a également salué la tenue d'élections pacifiques et crédibles dans le pays. Le Gouvernement de la République centrafricaine doit poursuivre ses efforts dans la reddition de compte. Abondant dans le même sens, la France a salué la volonté des autorités démocratiquement élues de République centrafricaine d'assurer la reddition de compte. La France est très préoccupée par la persistance de la violence armée, à des fins souvent criminelles. La protection des civils est une priorité et doit être menée sous l'égide de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique (MINUSCA). L'appui et la coordination de la communauté internationale restent essentiels.
La Belgique a salué la coopération de la République centrafricaine avec l'Experte indépendante. La dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire est très préoccupante, a ajouté la délégation belge. La Belgique s'est en outre engagée à fournir une assistance financière à la stabilisation de la République centrafricaine. Le recrutement des enfants dans les groupes armés est extrêmement préoccupant et doit être une priorité, a-t-elle ajouté.
La faiblesse du système judiciaire est une des causes des violences qui se perpétuent en République centrafricaine, ont estimé les Pays-Bas, qui ont indiqué participer à la Cour pénale spéciale. La délégation néerlandaise demande aux autorités centrafricaines de faire davantage pour lutter contre l'impunité. Cette justice est essentielle pour garantir la paix, ont poursuivi les États-Unis, ajoutant que toute tentative d'amnistie ne serait pas la bienvenue si la République centrafricaine souhaite assurer la paix et la justice. Dans ce contexte, les États-Unis déplorent que les autorités ne mènent pas d'enquêtes appropriées concernant les actes de violences et les violations des droits de l'homme commises par les forces de police et de sécurité.
Parmi les autres défis auxquels la République centrafricaine doit faire face, il y a la sécurité et la restauration de l'autorité de l'État, a souligné le Portugal, observant que la sécurité n'est effective que dans la capitale, Bangui. Par ailleurs, le Portugal souhaite savoir comment faire en sorte de prévenir les affrontements, qui semblent prendre une tournure ethnique, comme le relève l'Experte indépendante. Le Togo est quant à lui préoccupé par la présence en République centrafricaine de groupes armés qui, en plus de commettre toutes sortes d'exactions contre les civils, recrutent des enfants. Le pays et la communauté internationale doivent lutter contre ces groupes, y compris par des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR), a indiqué la délégation togolaise. Il faut en effet que ce processus de désarmement, démobilisation et réinsertion soit accéléré, a déclaré le Mali, rejoint sur ce point par la Côte d'Ivoire, cette dernière précisant connaître, sur la base de son expérience, les efforts à déployer pour sortir d'un conflit.
Le Bénin, qui a indiqué appuyer lui aussi l'impératif de justice, a demandé à la communauté internationale d'aider la République centrafricaine. L'Algérie et le Soudan aussi estiment que l'aide et l'accompagnement de la communauté internationale sont plus qu'urgents pour restaurer la paix et la réconciliation nationale. Cette aide est d'autant plus urgente que l'appui actuel n'est pas à la hauteur des besoins «légitimes» de la République centrafricaine, a déclaré la République du Congo, avant de demander aux bailleurs de fonds de tenir leurs engagements vis-à-vis de ce pays. Si l'on veut éviter l'implosion de la République centrafricaine, avec de graves conséquences pour toute la région, il est temps d'agir, a insisté la République du Congo. Du point de vue du Maroc, il faut en effet que les promesses de la conférence des donateurs de novembre 2016 soient tenues.
Au nombre des organisations non gouvernementales qui se sont exprimées, World Evangelical Alliance, au nom également de la Confédération internationale d'organismes catholiques d'action charitable et sociale (Caritas Internationalis), a soutenu les efforts déployés par les leaders chrétiens et musulmans en République centrafricaine pour promouvoir une paix et un dialogue authentiques. Ces efforts ont abouti à des résultats tangibles, même si la situation dans le pays reste très fragile et volatile. Le processus de reconstruction repose fortement sur la capacité de l'État centrafricain à assurer la protection de ses citoyens car, malgré la présence de la MINUSCA, l'insécurité reste forte dans l'ensemble du pays et la population en fait les frais. Dès lors, l'établissement, à moyen terme, d'une armée nationale efficace, bien formée et qui bénéficie de la pleine confiance de la population est indispensable. Pour cette raison, les Forces armées centrafricaines doivent être dotées des ressources, des compétences et d'une composition représentative de la population, afin de reprendre le flambeau d'une MINUSCA qui a beaucoup perdu de son crédit dans le pays.
La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) a rappelé que l'établissement d'une paix durable en République centrafricaine passe en priorité par une lutte constante et résolue contre l'impunité des auteurs de crimes internationaux et de violations graves des droits de l'homme. La FIDH a également jugé indispensable le renforcement du système judiciaire, alors que persistent les violences au nord et au centre du pays. Les enquêtes conduites par la Ligue centrafricaine des droits de l'homme et l'Observatoire centrafricain des droits de l'homme sur l'ensemble du territoire ont permis d'identifier des dizaines de victimes des crimes les plus graves, notamment de meurtres, de violences sexuelles et de torture; il ne s'agit que d'une partie des victimes, qui se rajoutent aux centaines encore anonymes.
La Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (RADDHO) a déclaré que la République centrafricaine revient de loin mais reste incapable de faire face aux problèmes de sécurité. Le pays dépend presqu'entièrement de l'assistance humanitaire, a ajouté l'ONG, avant de se demander comment renforcer le fonctionnement de la cour pénale spéciale dans la lutte contre l'impunité.
Réponses et conclusions de la République Centrafricaine et de l'Experte indépendante
La République centrafricaine a regretté que la communauté internationale reste impuissante face à la situation dans le pays. Les promesses et les diagnostics doivent cesser, l'assistance financière doit être maintenant effective pour garantir que l'État puisse exercer la plénitude de son rôle.
MME KEITA-BOCOUM a relevé que les juridictions nationales se trouvaient en République centrafricaine dans un véritable état de déliquescence. Pourtant, malgré la création d'un tribunal spécial (cour pénale spéciale), ces juridictions nationales seront en première ligne pour assurer la reddition de compte. La population n'a pas confiance en la justice, a insisté l'Experte indépendante. L'administration pénitentiaire doit être démilitarisée et les juges déployés sur l'ensemble du territoire, a-t-elle poursuivi. La société civile doit également être renforcée pour assurer la protection des victimes et des témoins. La question de la transhumance doit également être abordée, afin que le conflit ne dégénèrent pas dans les pays voisins. La MINUSCA doit renforcer son rôle, a ajouté Mme Keita-BocouM. Un programme de réinsertion des jeunes et des enfants enrôlés dans les forces armées est indispensable, a-t-elle indiqué. Le droit à l'éducation et à la santé doivent être assurés et un volet consacré aux violences sexuelles doit être créé.
Il faut continuer de financer le plan humanitaire, a poursuivi l'Experte indépendante. L'an dernier, seulement 36% de ce plan a été financé, alors que le conflit se poursuit et que le nombre de personnes déplacées et de réfugiés continue d'augmenter. Les fonds qui ont été promis à Bruxelles n'ont toujours pas été décaissés, notamment ceux dévolus à la réinsertion des jeunes, a insisté Mme Keita-BocouM. Une accentuation des financements pour les juridictions nationales est absolument nécessaire, a-t-elle ajouté.
Il y a eu d'immenses progrès en République centrafricaine, a salué Mme Keita-BocouM. Ces efforts doivent être encouragés et appuyés par la communauté internationale, a-t-elle souligné. En conclusion, l'Experte indépendante a mis en garde contre un conflit qui prend des contours ethniques après avoir été avant tout religieux.
Examen de la situation des droits de l'homme au Mali
Le Conseil est saisi du rapport de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Mali (A/HRC/34/72, version préliminaire en anglais).
Présentation du rapport
M. SULIMAN BALDO, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Mali, a indiqué que ses voyages de novembre 2016 et mars 2017 avaient eu pour but d'évaluer la mise en œuvre de l'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d'Alger. Si le rapport de novembre observait un retard dans la mise en œuvre de cet accord, celui de mars au contraire note une évolution positive, avec l'installation des autorités à Kidal, à Gao et à Menaka. Le rapport note aussi le lancement des patrouilles mixtes à Gao.
Cependant, la situation sécuritaire dans le nord et le centre du Mali reste extrêmement volatile, comme en témoigne le nombre très élevé de fermetures d'école dans les zones affectées, a précisé M. Baldo. Les civils y sont exposés à d'énormes risques, du fait des groupes armés et extrémistes qui s'en prennent tant aux civils qu'aux autorités maliennes et aux forces internationales. La riposte du Gouvernement malien et des forces internationales ne respecte pas toujours les normes internationales en matière de droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme, a observé l'Expert indépendant. Le Mali est par ailleurs confronté à une impunité, tant pour les crimes commis dans le passé et ceux commis aujourd'hui. Son système judiciaire n'est pas à même de s'attaquer aux problèmes à cause de sa faible présence, ou de son absence, dans des étendues entières du pays.
En revanche, le Mali a fait des avancées significatives dans les domaines de la justice transitionnelle, avec l'ouverture officielle des antennes régionales de la Commission de vérité, justice et réconciliation et le début des dépositions, en janvier. Le Mali a également promulgué, en juillet dernier, la loi sur la reformation de la Commission nationale des droits de l'homme, conforme aux normes internationales, s'est réjoui l'Expert indépendant. M. Baldo s'est enfin félicité de l'appui et de la solidarité dont la communauté internationale fait preuve aux côtés du Mali.
Pays concerné
Le Mali a précisé que, face aux abus des droits de l'homme commis dans les zones contrôlées par l'État, les autorités judiciaires déploient des efforts importants pour donner une réponse judiciaire à tous les cas rapportés. Elles ouvrent des enquêtes et poursuivent en justice, y compris les éléments des forces armées. Le Mali a également souligné que les abus de droits de l'homme mentionnés dans le rapport sont, dans une large majorité, le fait des groupes armés djihadistes, à savoir la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) et Ansar Eddine. En ce qui les concerne, les autorités mettent en œuvre l'Accord pour la paix et la réconciliation, a assuré la délégation malienne.
Débat
La Tunisie, au nom du Groupe africain, s'est inquiétée du nombre élevé d'exécutions sommaires commises par des groupes islamistes armés dans le sud et le centre du Mali. Ces groupes terroristes ont enrôlent des enfants, occupent des villages et menacent de mort toute personne qui collaborerait avec les forces de l'ordre, et cherchent à imposer leur version de la loi islamique. Le Groupe africain a toutefois enregistré des progrès en matière de droits économiques, sociaux et culturels au Mali, notamment à travers la mise en œuvre du Programme d'urgence pour la relance du développement des régions du Nord et du programme de reconstruction et de relance économique.
L'Égypte a encouragé le gouvernement malien à poursuivre sa coopération avec l'Expert indépendant. Elle a affirmé que les attaques terroristes continuent à mettre à mal la stabilité et la sécurité du Mali, qui aurait besoin d'une assistance supplémentaire pour garantir la primauté de la loi, la cohésion sociale et la réconciliation. Partageant les préoccupations citées par M. Baldo, les Pays-Bas ont fait part de leur inquiétude croissante face à l'insécurité occasionnée par les groupes extrémistes, en particulier dans les régions de Segou et Mopti, qui menace la paix et la stabilité de tout le pays. Manifestant la même préoccupation, le Bénin a salué le lancement en février 2017 des premières patrouilles mixtes constituées par les combattants représentant les parties à l'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Il s'est également félicité des progrès réalisés par le Gouvernement malien dans le domaine de la justice transitionnelle.
L'Algérie est revenue à son tour sur l'insécurité qui prévaut au nord et au centre du Mali, jugeant que ce pays nécessite une approche globale et holistique avec la participation de toutes les parties prenantes nationales. L'Algérie a appelé le Conseil à offrir l'assistance technique nécessaire au pays. Le Libye a encouragé le Gouvernement malien à appliquer le plan d'action pour la mise en œuvre de l'Accord pour la paix et la réconciliation, et à redoubler d'efforts en ce qui concerne la redevabilité de tous les acteurs de crimes et de violations des droits de l'homme, notamment les responsables de l'enrôlement forcé d'enfants. Le Soudan a appelé tous les signataires de l'Accord à le mettre en œuvre en toute bonne foi, et la communauté internationale, à apporter assistance technique et renforcement des capacités au Mali.
De l'avis de la France, la prise en compte des droits de l'homme dans la mise en œuvre de l'Accord pour la paix et la réconciliation, en particulier pour la lutte contre l'impunité, est indispensable pour permettre une stabilisation durable du pays. La France a ainsi encouragé les parties signataires à intensifier leurs efforts pour l'installation d'autorités intérimaires dans toutes les régions du nord du Mali. La France a en outre salué l'opérationnalisation de la Commission vérité, justice et réconciliation et la nomination des chefs d'antennes régionales, de même que la promulgation de la loi portant création de la Commission nationale des droits de l'homme au Mali.
L'Union européenne a vivement condamné les violations et atteintes aux droits de l'homme que les groupes extrémistes et terroristes continuent de perpétrer contre les civils et les acteurs humanitaires, en particulier au nord et au centre du Mali. Parallèlement, la pauvreté, les inégalités et la faiblesse du redéploiement de l'autorité et des services de l'État favorisent l'expansion de l'extrémisme violent. Pour l'Union européenne, la lutte antiterroriste doit être menée dans le respect du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire. L'Union européenne a aussi jugé essentiel de renforcer la confiance entre populations locales et forces de sécurité, et de soutenir le retour de l'autorité.
Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a regretté que la loi du Mali n'interdise pas les pratiques traditionnelles préjudiciables aux jeunes filles, en particulier les mutilations génitales et le mariage précoce. L'UNICEF a prié le Gouvernement malien d'honorer ses engagements en adoptant une loi sur la violence fondée sur le sexe. Le Danemark a appelé à l'amélioration du système de justice malien en ce qui concerne les exactions à l'égard des femmes et des filles. Les droits de l'homme doivent figurer au cœur des efforts tendant à une paix durable. Quel rôle la communauté internationale peut-elle encore jouer dans cette perspective, s'est demandé le Danemark.
La Belgique a estimé urgent que l'ensemble des parties au Mali redoublent d'efforts pour mettre en œuvre l'Accord pour la paix et la réconciliation, notamment ses dispositions essentielles relatives aux droits de l'homme. Les violences faites aux femmes, y compris sexuelles et fondées sur le sexe, sont elles aussi préoccupantes: les victimes de ces violences devraient pouvoir obtenir justice et réparation en toutes circonstances. La Belgique soutient le Mali à hauteur d'1,5 millions d'euros dans le cadre du troisième Plan d'action pour la résolution 1325 du Conseil de sécurité, sur «les femmes, la paix et la sécurité».
Les États-Unis ont souligné que malgré l'accord signé en juin 2015, les conflits violents se poursuivent dans le nord du Mali avec des allégations d'exécutions extrajudiciaires, d'enlèvements et de détention arbitraires, d'abus sexuels et de torture dans le contexte des hostilités entre la Plateforme des milices du nord et la Coordination des mouvements de l'Azawad. Les États-Unis ont demandé quelles mesures supplémentaires les pays pourraient envisager de prendre pour répertorier les violations des droits de l'homme et exiger que leurs auteurs en rendent compte. Le Royaume-Uni a, comme d'autres délégations, invité le Gouvernement à dénoncer l'esclavage moderne qui persiste au Mali par le truchement de la traite des personnes et qui toucherait plus de cent mille personnes.
Le Togo, l'Angola, la Côte d'Ivoire, l'Espagne et le Maroc ont salué la coopération des autorités du Mali avec l'Expert indépendant, ainsi que leurs progrès en matière de protection et de promotion des droits de l'homme. Le Maroc a déclaré qu'il fallait reconnaître que, malgré des moyens limités, les autorités maliennes tiennent leurs engagements en matière de droits de l'homme. Le Togo a salué l'adoption d'une loi sur les droits de l'homme et la création d'un mécanisme de soutien aux victimes. L'Angola et le Mozambique ont regretté que la mise en œuvre de l'accord de paix ait pris du retard, ce qui a des répercussions sur la protection des droits de l'homme au Mali.
La République centrafricaine a invité la communauté internationale à procurer aux autorités maliennes une assistance technique et des fonds afin d'aider le Mali dans son combat pour la protection des droits de l'homme. La communauté internationale doit faire barrage à toutes velléités afin que le Mali puisse défendre son intégrité territoriale, a souligné la Côte d'Ivoire. L'Angola a encouragé les autorités maliennes à renforcer sa coopération avec les mécanismes des droits de l'homme des Nations Unies. Le Mozambique a expliqué que la situation sécuritaire est source de préoccupations car la population malienne ne peut exercer l'ensemble de ses droits de l'homme.
La République centrafricaine s'est déclarée fortement préoccupée par les tensions persistantes dans le nord et le centre du Mali. Elle a rappelé que la protection des droits de l'homme et la lutte contre l'impunité sont essentielles pour une réconciliation durable. Pour l'Espagne, il reste des efforts à faire concernant le soutien des victimes de violences sexuelles. Il est nécessaire d'asseoir l'autorité de l'État sur tout le territoire.
Plusieurs organisations non gouvernementales ont aussi participé au débat. La Fédération internationale des ligues de droits de l'homme (FIDH) s'est dite inquiète de la continuation des violences sur le terrain et, dans le centre du Mali, du désengagement de l'État en parallèle à la montée de l'insécurité. La réponse de l'armée malienne s'est accompagnée de nombreuses violations des droits de l'homme et la plupart des procédures judiciaires à l'encontre des auteurs de violations des droits de l'homme dans le centre et le nord du pays ne sont pas assez efficaces, a regretté la FIDH. La Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme a elle aussi souligné que la situation sur le terrain devenait préoccupante. L'insécurité croissante met en péril les efforts déployés pour la mise en œuvre de l'accord de paix.
Le Service international pour les droits de l'homme s'est réjoui de la promulgation de la loi portant création de la Commission nationale des droits de l'homme qui est conforme aux Principes de Paris.
Le Bureau international catholique de l'enfance a souligné que les enfants étaient les plus grandes victimes du conflit. Ils sont enrôlés dans les groupes armés et privés d'éducation. L'abandon scolaire est la cause des mariages précoces et des violences sexuelles, notamment. La plupart des victimes ne portent pas plainte en raison de la méfiance des familles à l'égard du système de justice.
Réponses et conclusions du Mali et de l'Expert indépendant
Le Mali a réaffirmé son engagement pour la promotion et la défense des droits de l'homme et contre l'impunité. À cette fin, le Mali coopérera plus étroitement avec la MINUSMA. Il a demandé le renouvellement du mandat de l'Expert indépendant.
M. BALDO a pour sa part souligné que le retard dans l'application du processus de paix d'Alger contribue de manière dramatique à la dégradation de la situation humanitaire au Mali. On observe des tentatives, de la part des groupes extrémistes, d'exploiter les tensions sociales liées aux faibles ressources disponibles les régions du centre du Mali. Des dissidences parmi les groupes signataires de l'accord de paix sont à déplorer, car elles ont causé des violences. Le manque de discipline parmi les groupes armés est un véritable problème pour la consolidation de la paix. Les groupes terroristes cherchent à profiter des retards dans la mise en application de l'Accord de paix pour s'implanter. De surcroît, les trafics en tous genres bénéficient aux groupes extrémistes, ce qui démontre que la question malienne est également régionale. Malheureusement, le Mali ne peut pas faire face seul à ces problèmes transfrontaliers, a poursuivi l'Expert indépendant. La montée de l'insécurité n'excuse pas la faiblesse de la présence de l'État sur des étendues entières du pays, ce qui expose les populations locales aux appels aux armes des groupes armés.
Par ailleurs, le Mali peut et doit investir davantage dans la magistrature et le système judiciaire. Le secteur de la justice malien dispose de moins d'1% des ressources budgétaires de l'État. Il s'agit donc aussi d'une question de volonté politique. Une grève importante de la magistrature malienne et des greffiers est venue symboliser ces difficultés. Le Mali peut également investir dans le déploiement d'équipes judicaires dans les territoires, là où se font tous les trafics. L'Expert indépendant a observé en outre que si certaines décisions prises par le Mali démontrent la volonté du Gouvernement de protéger les droits des femmes, toutefois, dans les faits, les femmes restent victimes de nombreuses discriminations au Mali.
__________
*Les délégations et organisations non gouvernementales suivantes ont pris la parole dans le cadre du débat sur l'examen de la situation des droits de l'homme en République centrafricaine: Union européenne; Tunisie (au nom du Groupe africain); Royaume-Uni; Égypte; France; Belgique; Pays-Bas; États-Unis; Portugal; Togo; Mali; Côte d’Ivoire; Bénin; Algérie; Soudan; République du Congo; Maroc; World Evangelical Alliance (au nom également de la Confédération internationale d'organismes catholiques d'action charitable et sociale - Caritas Internationalis); Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH); et la Rencontre Africaine pour la défense des droits de l'homme.
*Les délégations et organisations non gouvernementales suivantes ont pris la parole dans le cadre du débat sur l'examen de la situation des droits de l'homme au Mali: Tunisie (au nom du Groupe africain); Égypte; Pays-Bas; Bénin; Algérie; Libye; Soudan; France; Union européenne; Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF); Danemark; Belgique; États-Unis; Royaume-Uni; Togo; Angola; Côte d’Ivoire; Espagne; Maroc; Mozambique; République centrafricaine; Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH); Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme; Service international pour les droits de l'homme; et le Bureau international catholique de l'enfance.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel