Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LES RAPPORTS SUR LES DROITS CULTURELS ET SUR LA DÉFENSE DES DROITS DE L'HOMME DANS LA LUTTE ANTITERRORISTE
Le Conseil des droits de l'homme a tenu, à la mi-journée, son débat interactif croisé avec le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste – M. Ben Emmerson – et avec la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels – Mme Karima Bennoune. Le Conseil a auparavant achevé son débat interactif, entamé hier, sur la situation des défenseurs des droits de l'homme et sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant son rapport, M. Emmerson a attiré l'attention du Conseil sur la nécessité d'exiger des comptes de responsables publics qui ont commis des violations des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste, comme ce fut le cas sous l'Administration Bush. Le Rapporteur spécial a ensuite vivement déploré que le Président Trump lui ait «glacé le sang» en annonçant, lors de sa prise de fonctions, que commettre un acte de torture était acceptable en tant qu'arme de lutte contre le terrorisme. Le Rapporteur spécial a par ailleurs jugé essentiel d'adapter l'architecture des Nations Unies dans le domaine de la lutte antiterroriste aux situations actuelles.
Mme Bennoune a pour sa part rendu compte de la visite qu'elle a effectuée à Chypre en rappelant qu'historiquement, l'île a connu des destructions de biens culturels à grande échelle, incluant des sites religieux, des villages et des cimetières et causant de grande souffrances. S'agissant de son rapport thématique, la Rapporteuse spéciale a indiqué qu'il présente une cartographie de la manière dont l'extrémisme violent empiète sur les droits culturels. À la suite de cette présentation, Chypre est intervenue à titre de pays concerné.
Dans le cadre du débat interactif qui a suivi la présentation de ces deux rapports, de nombreux intervenants* ont pris la parole. A notamment été soulevée la question de la définition du terrorisme, certains s'inquiétant que plusieurs États visent des défenseurs des droits de l'homme sous cette appellation. De nombreuses délégations ont souscrit à l'idée de réformer l'architecture de la lutte antiterroriste des Nations Unies. S'agissant des droits culturels, il a notamment été relevé que certains groupes terroristes s'en prenaient délibérément à des sites culturels.
Achevant son débat sur les défenseurs des droits de l'homme et sur la torture, le Conseil a entendu de nombreux orateurs**. A notamment été déploré la tenue de discours favorables à la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Cet après-midi, le Conseil entamait son débat interactif croisé avec la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées et avec l'Expert indépendant sur l'exercice des droits de l'homme par les personnes atteintes d'albinisme.
Fin de l'examen des rapports sur les défenseurs des droits de l'homme et sur la torture
Fin du débat
À la reprise du débat interactif entamé hier avec le Rapporteur spécial sur la torture, M. Nils Melzer, l'Ukraine a regretté la tolérance actuelle envers les discours politiques violents qui cautionnent la torture. La délégation a dénoncé en particulier la pratique, attestée par des preuves sans équivoque, selon elle, d'«interrogatoires musclés» et de plusieurs formes de torture par la Russie contre les Tatars de Crimée, notamment, et déploré l'impunité dont bénéficient les auteurs de tels actes. L'Albanie a également condamné l'encouragement à la torture dans le discours politique.
La Tunisie s'est prononcée contre toutes les formes de torture, rappelant à cet égard que cette violation grave des droits de l'homme est rigoureusement interdite par le droit international. Au niveau national, le Gouvernement tunisien a mis en place un Comité contre la torture et soumis son rapport au Comité des Nations Unies chargé du suivi de l'application de la Convention contre la torture.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui travaille dans les centres de détention d'une centaine de pays, y a remarqué une attitude tolérante envers la torture. Le CICR appuie le projet d'étude du Rapporteur spécial sur le phénomène émergent de la torture pratiquée sur des migrants. Avec ses partenaires du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le CICR recueille des informations sur ces actes de torture auprès d'ex-détenus. Le CICR a appelé à l'unité contre la torture sous toutes ses formes.
L'Indonésie a noté avec intérêt que le Rapporteur spécial examine de près les actes de torture et les traitements inhumains et dégradants commis par des acteurs non étatiques. La Lettonie s'est dite favorable aux priorités thématiques dégagées par le Rapporteur spécial sur la torture, qu'elle a invité à examiner la question des exactions contre des détenus.
L'Uruguay a donné des informations sur les mesures qu'il a prises depuis la visite du Rapporteur spécial sur la torture, en particulier la réforme du Code pénal et la création d'une unité spécialisée dans les droits de l'homme dans le cadre du suivi des crimes commis pendant la dictature. Les autorités luttent contre la surpopulation carcérale et organisent des réunions mensuelles intersectorielles consacrées aux problèmes rencontrés dans les lieux de détention.
Pour les organisations non gouvernementales, Conectas Direitos Humanos a souligné l'importance du Protocole d'Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). Des procédures administratives laxistes sont souvent responsables de la surpopulation carcérale, notamment au Brésil, a relevé l'organisation.
L'Organisation pour la communication en Afrique et la promotion de la coopération économique internationale (OCAPROCE Internationale) a félicité le Parlement mauritanien d'avoir créé un mécanisme national de prévention de la torture. L'OCAPROCE a aussi salué les efforts de la Mauritanie pour faciliter l'accès à ce pays par les experts des droits de l'homme des Nations Unies.
L'Organisation mondiale contre la torture a attiré l'attention du Conseil sur les allégations de torture dans le contexte de l'état d'urgence en Turquie. À cet égard, a observé le Mouvement international de la réconciliation, le couvre-feu imposé dans les villages kurdes masque le recours systématique à la torture. L'organisation s'est félicitée de la visite du Rapporteur spécial en Turquie.
L'Association pour la prévention de la torture a demandé au Rapporteur spécial quel type d'appui il attendait de la part de la société civile, des États et des délégations. La Comisión Mexicana de Defensa y Promoción de los Derechos Humanos, Asociación Civil a déclaré que la torture restait une pratique généralisée au Mexique, sous prétexte de lutter contre la délinquance. Cette pratique s'accompagne d'une impunité générale. L'ONG demande que les organes des Nations Unies aident le Mexique à lutter contre ce phénomène.
S'agissant du rapport de M. Michel Forst, Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, la Tunisie a plaidé, à l'instar de la plupart des délégations, pour l'instauration d'un climat propice aux activités des défenseurs des droits de l'homme. L'Albanie a relevé que le contexte international actuel était tout à fait hostile au travail des défenseurs des droits de l'homme. Elle a critiqué plus particulièrement les violences ciblant les femmes qui défendent les droits humains.
Le Canada a estimé que la présence des défenseurs des droits de l'homme est indispensable au sein d'une société démocratique. Les individus et les groupes qui défendent les droits des minorités, notamment en matière de protection de l'environnement, le font souvent au prix de leur vie, a souligné le Canada. Le Canada recommande l'élaboration d'outils pratiques concernant la protection des défenseurs des droits de l'homme contre les actes d'intimidation et de représailles. Le Ghana a appuyé les défenseurs des droits de l'homme en ce qu'ils demandent au pouvoir de rendre des comptes. Le Prix des défenseurs des droits de l'homme décerné par le Ghana a pour objectif de réduire les violations des droits de ces personnes qui agissent, en règle générale, pour le bien du public.
La Lettonie a dit partager les préoccupations du Rapporteur spécial et a salué l'engagement de M. Forst à mener de nouvelles études sur les questions émergentes de par le monde dans ce contexte. L'Uruguay a demandé au Rapporteur spécial comment il comptait collaborer avec le Sous-Secrétaire général aux droits de l'homme sur la question des représailles et menaces contre les défenseurs des droits de l'homme.
La République arabe syrienne s'est interrogée, pour sa part, sur la pertinence de la définition des défenseurs des droits de l'homme. La déléguée a aussi demandé au Rapporteur spécial de ne pas outrepasser son mandat, comme il fait au paragraphe 83 du rapport qu'il a soumis à la présente session.
Pour les institutions nationales de droits de l'homme et les organisations non gouvernementales, l'Alliance mondiale des institutions nationales de droits de l'homme a jugé fondamental le travail du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme. Les institutions nationales, qui sont elles-mêmes considérés comme des défenseurs des droits de l'homme, demandent que les auteurs de représailles et menaces soient poursuivis en justice et condamnés.
La Fondation Alsalam a signalé le cas d'un défenseur des droits de l'homme victime d'un procès inique au terme duquel il risque 18 ans de prison, à Bahreïn. La répression violente de la société civile et des défenseurs des droits de l'homme dans ce pays est inquiétante, a dit la Fondation. La Fondation de la Maison des droits de l'homme a attiré l'attention du Conseil sur un défenseur des droits de l'homme injustement torturé et condamné en Azerbaïdjan. Ce pays suit une voie de plus en plus autoritaire, a mis en garde l'ONG.
France Liberté: Fondation Danielle Mitterrand a condamné la répression et les procédures judiciaires iniques dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme au Sahara occidental, territoire occupé par le Maroc depuis quarante ans. East and Horn of Africa Human rights defenders a dénoncé les représailles contre les défenseurs des droits de l'homme en Tanzanie. L'ONG a observé que la menace terroriste sert trop souvent de prétexte pour déroger à l'état de droit, comme c'est le cas en Éthiopie depuis la proclamation de l'état d'urgence.
Asian Legal Resource Centre s'est inquiété de la situation des défenseurs des droits de l'homme dans des pays tels que le Bangladesh, la Chine, le Pakistan et la Thaïlande, où des arrestations arbitraires, des détentions provisoires prolongées, des cas de torture et d'exécutions extrajudiciaires sont à déplorer.
Le Conseil indien d'Amérique du Sud a condamné les violations des droits des peuples autochtones en Amérique du Nord. Le principe de l'autodétermination des peuples autochtones est systématiquement bafoué par les gouvernements fantoches imposés par les États-Unis. Le CISA a demandé au Conseil de se saisir de cette question. Peace Bridages International Switzerland a alerté le Conseil sur les violences subies par les défenseurs des droits des peuples autochtones au Mexique. La délégation a toutefois salué les mesures de protection prises par l'État de Chihuahua.
Le Service international pour les droits de l'homme a demandé aux États de soutenir fermement le mandat du Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l'homme. L'organisation s'est dite préoccupée par la recrudescence des actes de violence par des sociétés militaires et de sécurité privées. Elle a demandé au Rapporteur spécial de montrer aux entreprises comment elles peuvent jouer un rôle positif dans la protection des défenseurs des droits de l'homme. Enfin, Lawyer's Rights Watch Canada a demandé au Rapporteur spécial des informations sur l'adoption par les États de la «loi modèle sur la protection des défenseur(e)s» élaborée par un réseau international de défenseurs des droits de l'homme et d'organisations de la société civile, mentionnée au paragraphe 19 du rapport de M. Melzer.
Réponses et conclusions des experts
M. MIACHAEL FORST, Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l'homme, a déclaré que l'une des priorités de son mandat serait d'étudier les violences commises par des entreprises sur des défenseurs des droits de l'homme. Il enverra des demandes de renseignements aux États, à la société civile et aux entreprises à cet effet. Le Rapporteur spécial mettra aussi l'accent sur le suivi de ses communications afin d'inciter les États à y répondre. Le Rapporteur spécial s'est dit enfin disposé à offrir son expertise dans le contexte de la célébration, en 2018, du vingtième anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l'homme.
M. NILS MELZER, Rapporteur spécial sur la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants, a assuré qu'il s'efforcerait de ne pas dupliquer les travaux d'autres mandats des Nations Unies, même s'il compte travailler avec eux. Il entend aussi, pour définir ses priorités, consulter des experts et les États. Il abordera la question des actes de torture imputables à des acteurs non étatiques. Mais, a-t-il dit, son mandat ne dispose que d'un seul collaborateur qui doit non seulement organiser son travail, mais aussi s'occuper des communications. Il a demandé aux États de le soutenir davantage.
Examen des rapports sur la protection des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste et sur les droits culturels
Présentation de rapports
Le Conseil est saisi du rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste (A/HRC/34/61, à paraître en français). Il est également saisi du rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels (A/HRC/34/56 et Add.1).
M. BEN EMMERSON, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a présenté son dernier rapport annuel, qui résume les activités menées durant ses six années de mandat et formule des recommandations de changements structurels pouvant être apportés à l'architecture institutionnelle des Nations Unies pour traiter des questions relevant de ce mandat, de manière à garantir une place primordiale aux droits de l'homme dans la lutte contre l'extrémisme violent et les groupes et réseaux terroristes au niveau international.
M. Emmerson a noté les progrès remarquables accomplis par la Tunisie en termes de respect des droits de l'homme tout en luttant contre le terrorisme et a salué la manière dont il a été accueilli dans ce pays durant sa récente visite, effectuée il y a un mois et au sujet de laquelle un rapport sera soumis au Conseil en mars prochain.
S'agissant de son mandat, le Rapporteur spécial a attiré l'attention du Conseil sur la nécessité d'exiger des comptes de la part des responsables publics ayant commis des violations des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste, comme ce fut le cas sous l'Administration Bush. Il a jugé absolument nécessaire de faire comparaître devant la justice tous les responsables américains impliqués dans les cas de détention au secret et les programmes de torture mis en œuvre sous l'ère Bush-CIA. En effet, a-t-il précisé, si de nombreuses années se sont écoulées depuis cette ère, les enquêtes n'en ont pas moins révélé que de très hauts responsables de cette Administration qui ont autorisé ou participé à cette conspiration criminelle internationale ont été épargnés et sont demeurés impunis, alors même qu'ils sont bien connus. M. Emmerson a affirmé que de tels hauts responsables devraient être poursuivis et condamnés à des peines proportionnelles à la gravité de leurs crimes. Les États-Unis continuent d'avoir des obligations internationales contraignantes pour crimes de torture, a insisté le Rapporteur spécial, exhortant la communauté internationale à ne jamais fermer les yeux sur la torture, y compris sur les actes commis par le passé, non seulement en ce qui concerne ceux qui ont perpétré les crimes mais également ceux qui les ont autorisés en fournissant une justification légale tendancieuse. C'est précisément la seule manière de tirer les leçons du passé, a assuré M. Emmerson.
Le Rapporteur spécial a ensuite vivement déploré que le Président Trump lui ait «glacé le sang» en annonçant, lors de sa prise de fonctions, que commettre un acte de torture était acceptable en tant qu'arme de lutte contre le terrorisme et en confirmant sa volonté personnelle d'autoriser le recours à la torture. Cela démontre un degré élevé d'inaptitude à gouverner, a déclaré M. Emmerson, déplorant que l'une des nations les plus puissantes du monde, de surcroît l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, soit ouvertement disposée à abandonner nos valeurs collectives sous prétexte de les défendre.
Dans ce contexte, l'un des objectifs clés de l'ONU dans le cadre de la lutte antiterroriste reste la promotion des droits de l'homme, a poursuivi le Rapporteur spécial, avant d'esquisser les grandes lignes de ses propositions relatives au changement structurel à apporter à l'architecture onusienne à la lumière, notamment, des profonds changements de la nature même du terrorisme international durant la période de son mandat. M. Emmerson a en effet expliqué que ces six dernières années, le nombre d'organisations extrémistes et terroristes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord a proliféré, leur modus operandi s'étant développé. Certains de ces groupes contrôlent de grandes portions de territoires, ont mis en place des structures quasi-gouvernementales et ont fracturé l'intégrité territoriale des États. Surtout, ils ont commis des violations graves et massives des droits de l'homme, y compris des crimes de génocide, et ils sont bien financés et actifs dans le recrutement des combattants terroristes, tout en participant à des conflits armés. Partant, l'approche des Nations Unies en matière de lutte contre le terrorisme, purement fondée sur la sécurité, est un échec, a affirmé M. Emmerson, arguant que les groupes armés non étatiques engagés dans l'extrémisme violent représentent désormais la plus grande menace mondiale à deux des piliers de l'ONU: la protection de la paix et la sécurité internationales et la promotion des droits de l'homme. Dans ce contexte, les distinctions entre terrorisme et conflit armé ont été graduellement érodées, conduisant ainsi à une confusion sur les normes juridiques applicables.
Il est essentiel que l'architecture des Nations Unies soit adaptée aux situations actuelles, a insisté le Rapporteur spécial. L'intention déclarée de l'ONU d'intégrer la protection des droits de l'homme ne se traduira jamais dans la réalité sans une révision des responsabilités et des chevauchements des 38 entités, souvent sous-financées, qui s'en occupent actuellement, a expliqué M. Emmerson, attirant l'attention sur le fait que son mandat est le seul qui s'occupe de façon explicite et exclusive de la lutte antiterroriste sous l'angle des droits de l'homme. Il importe cependant de ne pas sous-estimer le travail en matière de droits de l'homme mené dans ce domaine par d'autres entités des Nations Unies comme le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, la branche de prévention du terrorisme de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ou encore l'Equipe spéciale contre le terrorisme, par exemple. Les Nations Unies doivent mettre en place une stratégie cohérente et exhaustive sur la question des droits de l'homme et de la lutte contre le terrorisme, et analyser les causes et conditions ayant contribué à l'émergence du terrorisme, a proposé M. Emmerson, encourageant à évaluer la situation des droits de l'homme dans les pays concernés et à établir une instance unique sur ce phénomène mondial au sein de l'ONU. Il serait opportun, par exemple, de créer un poste de Secrétaire général adjoint pour la coordination antiterroriste, qui pourrait en particulier œuvrer de concert avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, a-t-il indiqué. Pour sa part, le nouveau Secrétaire général de l'ONU devrait veiller à un équilibre entre les trois piliers de l'Organisation. Le Rapporteur spécial a relevé au passage les propositions du Secrétaire général soumises lors d'une réunion spéciale de l'Assemblée générale il y a une semaine.
MME KARIMA BENNOUNE, Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, a rendu compte de la visite qu'elle a effectuée à Chypre en rappelant qu'historiquement, l'île a connu des destructions de biens culturels à grande échelle, incluant des sites religieux, des villages et des cimetières et causant de grande souffrances. Elle a précisé que durant sa visite, les autorités chypriotes turques avaient interdit l'accès aux sites religieux dans le nord de l'île. Elle a fermement condamné ces restrictions et souligné que les biens culturels ne doivent pas servir de moyen de pression. La Rapporteuse spéciale a également constaté des incidents émanant d'extrémistes de droite dans le sud, caractérisés notamment par des attaques physiques et des insultes. Elle a par ailleurs déploré les coupes budgétaires opérées dans les services et départements culturels – des coupes qui ont été d'environ 45% entre 2013 et sa visite en juin 2016. Mme Bennoune a adressé une série de recommandations au Gouvernement de la République de Chypre et aux autorités chypriotes turques, notamment pour ce qui est de faciliter l'accès aux lieux culturels, du nord au sud de l'île; de mener des enquêtes sur toutes les allégations d'abus et attaques contre des biens culturels; et de ratifier le Protocole additionnel au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels.
S'agissant de son rapport thématique, Mme Bennoune a indiqué qu'il présente une cartographie de la manière dont l'extrémisme violent empiète sur les droits culturels. Ce type d'extrémisme s'efforce généralement de détruire toute expression ou opposition culturelle contraire à son dessein. Divers fondamentalismes religieux ont cherché à punir l'expression culturelle en la taxant de blasphème, en usant de lois discriminatoires à l'encontre des femmes, ou par des campagnes de harcèlement voire par la violence. La Rapporteuse spéciale a précisé que de son point de vue, les gouvernements ne devraient pas commettre l'erreur de penser qu'ils peuvent désigner des groupes sous le vocable d' «extrémisme non violent», lorsque le prix de cet aveuglement est payé par des femmes, notamment quand ces dernières ne peuvent pas exercer leurs droits culturels. Les extrémistes ne seront pas totalement désarmés tant que leur idéologie n'est pas rejetée, en accord avec les principes et normes des Nations Unies, a insisté Mme Bennoune. Les États doivent donc cesser de soutenir ces idéologies, a-t-elle souligné.
La Rapporteuse spéciale a indiqué que l'un des moyens de lutter contre ce phénomène de l'extrémisme apparaît donc être l'éducation, l'art, la science et la culture. C'est pour cette raison qu'elle a ajouté s'inquiéter des mesures d'austérités prises dans certains pays, qui affectent les domaines culturels et éducatifs. Mme Bennoune s'est également dite préoccupée par le fait que les extrémistes ciblent non seulement les lieux culturels, mais aussi les personnalités qui interviennent dans ce domaine ou des personnes qui cherchent à accéder à une éducation, comme dans le nord du Nigéria, en Afghanistan ou au Kenya, entre autres.
Pays concerné
S'exprimant en tant que pays concerné par le rapport de Mme Bennoune, Chypre a indiqué être très attachée à la protection des droits culturels, raison pour laquelle ce pays a appuyé le mandat de la Rapporteuse spéciale. La délégation chypriote a rappelé que le rapport fait suite à une invitation de la République de Chypre. Le Gouvernement chypriote reste perplexe s'agissant de points (soulevés par la Rapporteuse spéciale) qui n'ont rien avoir avec les droits culturels, a ajouté la délégation. Elle a rappelé que la Constitution de Chypre était le fruit d'un débat politique très sensible et a jugé sage de ne pas revenir sur cette question à travers ce mandat. D'autre part, le rapport de Mme Bennoune ne donne pas une image précise et exacte de la culture à Chypre, a affirmé la délégation. Un titulaire de mandat des Nations Unies a l'obligation de respecter les dispositions du droit international, a-t-elle poursuivi, relevant que le rapport utilise une terminologie ambiguë lorsqu'il parle des «autorités du Nord». Cela aurait dû être évité, a insisté la délégation. De plus, le rapport de Mme Bennoune omet toute référence directe aux obligations de la Turquie concernant les droits de l'homme et à la destruction massive du patrimoine culturel de l'île depuis 1974. Les territoires occupés relèvent de règles spécifiques que l'on retrouve dans les conventions de La Haye et de Genève, a souligné Chypre. La délégation chypriote regrette par ailleurs que le présent rapport de la Rapporteuse spéciale ait été distribué extrêmement tard, ce qui empêche d'avoir un véritable dialogue interactif sur ce document. La Rapporteuse spéciale doit respecter les limites de son mandat, a conclu la délégation.
Débat
S'agissant de la question des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste, l'Union Européenne a souhaité en savoir davantage sur la distinction entre terrorisme et conflit armé. L'Union Européenne a repris à son compte l'appel de la rapporteuse spéciale à protéger les groupes vulnérables des actes terroristes. La France, s'associant à la déclaration de l'Union Européenne, a souligné le rôle important des Nations Unies et s'est félicitée de la volonté de réforme du Rapporteur spécial concernant l'architecture des Nations Unies en matière de terrorisme. a France, à l'instar de la Bosnie-Herzégovine, a fait part des efforts qu'elle déploie pour lutter contre l'extrémisme religieux. L'Organisation de la coopération islamique (OCI) a fait part de son soutien au plan du Secrétaire général pour lutter contre l'extrémisme violent. L'OCI a en outre appelé à une solidarité et une coopération internationales accrues. Elle s'est également dite préoccupée par le retour des discours haineux de toutes sortes, notamment l'islamophobie.
L'Algérie a réitéré son soutien à la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels et a déploré l'impact du terrorisme sur les droits culturels. Les intellectuels et artistes algériens ont été la cible des groupes terroristes dans les années 1990, a rappelé la délégation algérienne.
Le Royaume-Uni a salué la recommandation du Rapporteur spécial sur la protection des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste de réformer l'architecture antiterroriste des Nations Unies. Le Royaume-Uni a souligné que la lutte contre le terrorisme ne pouvait se faire au détriment des droits de l'homme. La Bosnie-Herzégovine a souligné que la lutte contre le terrorisme est contre-productive si elle viole les droits de l'homme.
Israël a indiqué être confronté à deux défis. D'abord, la nécessité d'atténuer l'impact du terrorisme sur le peuple israélien et ensuite celle de respecter les droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme. Des chefs irresponsables créent une culture de haine parmi les Palestiniens, a affirmé la délégation israélienne, déplorant que Gaza soit aux mains d'un groupe terroriste. Le Hezbollah, qui est également un groupe terroriste, s'arme dangereusement, a ajouté Israël.
Le Brésil a indiqué être favorable à une définition claire du terrorisme et a souligné que le droit à la vie privée doit être préservé des actions d'autres pays.
La Fédération de Russie a souligné l'importance de la coopération internationale sous l'égide des Nations Unies dans la lutte contre le terrorisme. Toutefois, la Fédération de Russie estime que le rôle principal en matière de prévention doit être joué par les États.
Le Qatar a souligné qu'une approche purement sécuritaire vis-à-vis du terrorisme est vouée à l'échec. La lutte contre le terrorisme doit également prendre en compte les dimensions socioéconomiques. Par ailleurs, le Qatar a indiqué qu'il fallait faire une différence entre le terrorisme et la résistance légitime à l'oppression.
Le Conseil de l'Europe a rappelé s'être doté d'un Protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme. Ce Protocole prévoit la création d'un réseau d'échange d'informations entre les membres de la police.
La Suisse a dit soutenir la création d'un poste de Secrétaire général adjoint chargé de coordonner la stratégie antiterroriste mondiale. Elle a demandé que la notion de terrorisme ne soit pas employée à mauvais escient: pour la Suisse, il n'est en effet pas acceptable de qualifier de terroristes et de criminaliser les activités en faveur des droits de l'homme et du droit international humanitaire. La Belgique a voulu savoir comment s'opèrerait cette coordination de la stratégie antiterroriste dans la pratique.
Les Pays-Bas ont souhaité savoir comment les Nations Unies pourraient limiter les capacités de financement de groupes terroristes comme l'État islamique. La Libye, pays qui subit de plein fouet ce phénomène, a insisté lui aussi sur la nécessité d'assécher les réseaux de financement et de recrutement des groupes terroristes à travers les médias sociaux, notamment.
Alors que personne n'est à l'abri du terrorisme, les États doivent utiliser tous les mécanismes des Nations Unies pour lutter contre ce phénomène, a dit la Chine. Le Mexique s'est dit très préoccupé par la discrimination envers les migrants, qui pourrait encourager l'extrémisme.
Le Venezuela a pour sa part observé que le terrorisme d'État est toujours d'actualité, comme en témoignent l'usage de drones armés pour déstabiliser des États souverains, le soutien aux groupes terroristes, et les assassinats et emprisonnements illégaux. L'Égypte s'est dite préoccupée par certaines contradictions dans le rapport du Rapporteur spécial et l'a prié de se référer au texte des résolutions pertinentes.
En ce qui concerne les droits culturels, la Sierra Leone a souligné le rôle des femmes dans le contexte des droits culturels et a insisté sur la nécessité de prendre des mesures en leur faveur.
La France s'est félicitée que la défense des droits culturels soit enfin intégrée à la lutte contre le terrorisme. A l'inverse, la Fédération de Russie a déploré que la Rapporteuse spéciale ait outrepassé son mandat en s'intéressant à la question de l'extrémisme.
Le Conseil de l'Europe a indiqué avoir adopté une nouvelle Convention visant à pénaliser les infractions relatives aux biens culturels, qui devrait contribuer à la lutte contre le financement du terrorisme.
La Grèce a appuyé la déclaration de Chypre et a rappelé que l'invasion et l'occupation de Chypre avaient provoqué une privation des droits culturels des Chypriotes. La Grèce a par ailleurs vivement rejeté l'emploi des termes «autorités chypriotes turques». La responsabilité des violations des droits de l'homme dans la partie occupée de Chypre revient à l'État occupant, a insisté la délégation grecque.
Cuba a dit appuyer le mandat du Rapporteur spécial dans le domaine des droits culturels: elle présentera à cet égard un projet de résolution qu'elle prie tous les États de soutenir. L'Équateur a souligné la nécessité de sanctionner de manière exemplaire les atteintes au patrimoine culturel commis par des extrémistes.
Le Pérou, qui a rappelé avoir connu deux décennies de fondamentalisme entre 1980 et 2000, a déclaré que cette époque lui avait permis de comprendre que l'on ne peut protéger les droits de l'homme en faisant l'impasse sur les droits culturels. L'Italie a dit partager le point de vue de Mme Bennoune quant au rôle primordial de l'éducation et de la culture. L'Italie a souligné à cet égard le rôle crucial de la coopération entre l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et le Haut-Commissariat aux droits de l'homme.
La Chine s'est dite déterminée à protéger les droits culturels de sa population, comme elle s'y attelle déjà.
Réponses et conclusions des rapporteurs spéciaux
M. EMMERSON a souligné qu'il fallait veiller à assurer une meilleure protection des droits de l'homme et mieux prendre en compte les droits de l'homme dans tous les mécanismes de lutte contre le terrorisme. Le Rapporteur spécial a indiqué ne pas être accord pour dire que le Conseil des droits de l'homme n'est pas un lieu approprié pour évoquer la question des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste; cette thématique se place au contraire au cœur des préoccupations de ce Conseil et il est approprié que le Conseil s'empare de la question de la réforme de l'architecture des Nations Unies dans ce domaine. On ne peut pas évoquer le terrorisme sans évoquer le droit des victimes du terrorisme, a en outre souligné M. Emmerson.
L'essentiel est de veiller à ce que dans le contexte d'un conflit armé, les actions d'un belligérant qui sont conformes au droit international ne puissent pas être taxées de terrorisme, a poursuivi le Rapporteur spécial. Le danger est que le recours à la force pour lutter contre le terrorisme soit qualifié de crimes de guerre, a-t-il fait observer. Il faut être clair quant aux mots utilisés, a conclu M. Emmerson.
En réponse à l'intervention de la délégation de Chypre, MME BENNOUNE a affirmé que la référence à la Constitution chypriote s'inscrivait bien dans le cadre de son mandat. Il faut renforcer les droits culturels de tous les habitants de Chypre, a-t-elle souligné. Or, les citoyens voient leurs droits culturels violés en raison notamment de la Constitution qu'ils n'ont pas élaborée eux-mêmes, a-t-elle fait observer.
La Rapporteuse spéciale a ensuite souligné que le droit humanitaire était complémentaire des droits de l'homme. Elle a expliqué que si les États soutenaient son rapport, il fallait qu'ils garantissent la liberté d'action et la liberté d'organisation et de réunion de la société civile car cette dernière fournit des alternatives au fondamentalisme et l'extrémisme. Mme Bennoune a par ailleurs insisté sur la nécessité de parvenir à la levée de toutes les réserves émises à l'égard de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ces réserves empêchant aujourd'hui l'universalité des droits de l'homme.
Mme Bennoune a d'autre part expliqué que la prise en compte de la vague croissante du fondamentalisme et de l'extrémisme faisait partie de son mandat et devait être prise en compte dans la perspective de la violation des droits culturels. Enfin, la Rapporteuse spéciale a insisté sur la nécessité de se pencher sur les effets des mesures d'austérité sur les droits culturels. Dans ce contexte, les programmes culturels sont souvent réduits voire annulés ou transmis au secteur privé, a-t-elle fait observer.
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*Les délégations suivantes ont pris la parole dans le cadre du débat sur la protection des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste et sur les droits culturels: Union Européenne, France, Bosnie-Herzégovine, Organisation de la coopération islamique (OCI), Algérie, Royaume-Uni, Israël, Brésil, Fédération de, Qatar, Conseil de l'Europe, Suisse, Belgique, Pays-Bas, Libye, Mexique, Venezuela, Égypte, Sierra Leone, Grèce, Cuba, Équateur, Pérou, Italie, Chine.
**Les délégations suivantes ont pris la parole dans le cadre du débat sur les défenseurs des droits de l'homme et sur la torture: Ukraine, Albanie, Tunisie, Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Indonésie, Lettonie, Uruguay, Tunisie, Albanie, Canada, Ghana, Lettonie, Uruguay, République arabe syrienne.
**Les organisations non gouvernementales ont pris la parole dans le cadre du débat sur les défenseurs des droits de l'homme et sur la torture : Alliance mondiale des institutions nationales de droits de l’homme; Conectas Direitos Humanos; Organisation pour la communication en Afrique et la promotion de la coopération économique internationale (OCAPROCE Internationale); Fondation Alsalam; Organisation mondiale contre la torture- OMCT; Mouvement international de la réconciliation; Association pour la prévention de la torture; Comisión Mexicana de Defensa y Promoción de los Derechos Humanos, Asociación Civil; Fondation de la Maison des droits de l'homme; France Libertés: Fondation Danielle Mitterrand; East and Horn of Africa Human rights defenders; Asian Legal Resource Centre; Conseil indien d'Amérique du Sud; Peace Bridages International Switzerland; Service international pour les droits de l'homme; Lawyers' Rights Watch Canada.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel