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LE COMITÉ AUDITIONNE LA SOCIÉTÉ CIVILE AU SUJET DES RAPPORTS DU PARAGUAY, DE L’AFRIQUE DU SUD ET DE L’UKRAINE

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a entendu, ce matin, des intervenants de la société civile au sujet de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale au Paraguay, en Afrique du Sud et en Ukraine – trois des quatre pays dont les rapports seront examinés cette semaine.

S'agissant du Paraguay, l’attention a été attirée sur la situation des peuples autochtones au regard, notamment, des questions foncières et de la pauvreté et des discriminations sociales dont elles souffrent.

Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, ont particulièrement été débattues les conséquences des mesures d’action affirmative mises en place dans le pays après l’abolition de l’apartheid afin de remédier à l’exclusion que ce système avait provoqué.

S’agissant enfin de l’Ukraine, le dialogue a essentiellement porté sur la situation des Roms; sur la xénophobie et les discours et actes haineux; ainsi que sur les conséquences de l’annexion de la Crimée et de la sécession de régions de l’est du pays avec le soutien de la Fédération de Russie.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport du Paraguay qu’il achèvera demain matin.


Audition de la société civile

S’agissant du Paraguay

M. MAXIMILIANO MENDIETA (Tierra Viva) a rappelé qu’il y existait encore de nombreux obstacles concernant la mise en place des mesures pour lutter contre la pauvreté et les discriminations sociales dont souffrent les populations autochtones. Ces discriminations s’expliquent principalement par la structure économique du pays, qui est basée sur un modèle agricole latifundiste aux mains de grands propriétaires terriens. Le Paraguay est le pays dont la répartition des terres est la moins bonne du monde. En outre, les populations locales souffrent des produits toxiques utilisés dans l’agriculture ainsi que des expulsions dues à une déforestation massive.

Le Paraguay a été condamné à de multiples reprises par la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour le traitement de ses populations autochtones, a poursuivi l’orateur. Les défenseurs des droits de l’homme qui militent en faveur des populations autochtones font l’objet de pressions et de condamnations de la part de la justice paraguayenne. L’ONG a cité l’exemple de deux défenseurs dont l’un a été menacé de mort, l’autre ayant subi des pressions de la justice; aucune enquête n’a été ouverte sur la menace de mort, a insisté l’ONG, précisant avoir pourtant elle-même pu apporter la preuve d’une telle menace. Les défenseurs des droits des communautés menacées ne reçoivent aucune protection des pouvoirs publics, a ajouté l’orateur.

M. AVELINO DUARTE (Tierra Viva) a expliqué que les populations au Paraguay étaient confrontées à un manque de terres, en raison notamment de l’inexistence de titres de propriété. Il a estimé que l’État apportait une assistance insuffisante aux peuples autochtones, ce qui explique la pauvreté, voire la misère dans laquelle ils vivent. L’intervenant a déploré l’absence de services publics, notamment pour ce qui est des centres de santé. Les peuples autochtones sont attachés à leur autonomie, notamment territoriale; mais les promesses faites ne sont pas tenues et les victoires enregistrées restent purement théoriques, a souligné l’ONG. Les enfants scolarisés ne bénéficient guère de cantines, a-t-elle ajouté, rappelant en outre que les gens se soignent essentiellement avec la médecine traditionnelle. Tout cela explique que ces populations s’efforcent de s’organiser en fédérant leurs forces, afin de soutenir en particulier le combat pour la terre et contre les évictions.

Dans le cadre du dialogue qui a suivi ces présentations, un expert a évoqué le Congrès national des peuples autochtones, souhaitant savoir si tous les peuples autochtones du Paraguay y avaient participé. Il a en outre souhaité savoir si le mouvement autochtone était uni ou s’il était traversé de courants divers. Un autre expert s’est inquiété d’informations faisant état d’une augmentation de la prostitution urbaine de la part de personnes d’origine autochtone et a fait observer qu’il pourrait s’agir d’un symptôme de discrimination institutionnalisée. Un autre membre du Comité a demandé si l’élaboration du rapport s’était accompagnée d’une concertation avec la société civile. Un autre expert s’est enquis des raisons pour lesquelles le projet de loi sur la discrimination raciale n’avait pas abouti. Des questions ont également été posées sur les menaces envers des défenseurs des droits de l’homme. Un experte a souhaité savoir si les ONG étaient satisfaites du recensement des peuples autochtones et de leur classement en cinq familles linguistiques.

Les représentants de Tierra Viva ont expliqué que tous les autochtones n’étaient pas représentés au sein du Congrès national des peuples autochtones. Ils ont en outre déploré un manque de concertation avec l’État dans le cadre des processus de consultation qu’il convient de mener afin d’obtenir le consentement libre et éclairé des populations concernant les projets de développement qui les concernent. Le budget de l’institution en charge des peuples autochtones – l’Institut paraguayen des autochtones (Instituto Paraguayo del Indígena - INDI) – a été réduit de plus de 40% cette année, ont ajouté les intervenants. Cet Institut ne compte que deux avocats, ce qui donne une idée des limites de son influence, s’agissant notamment des affaires relatives aux conflits fonciers, ont-ils souligné.

Les représentants de Tierra Viva ont par ailleurs affirmé que le Paraguay était le seul pays à compter une population en état d’isolement volontaire en dehors de l’Amazonie, un droit à l’isolement qui n’est pas reconnu par l’État. L’exploitation de la forêt est massive et l’extraction de pétrole se fait sans consultation avec les populations locales, ont-ils souligné. En outre, l’absence de cadastre a pour conséquence que la justice est souvent conduite à se prononcer en cas de conflit foncier; or, la justice a tendance à accéder aux prétentions des grandes entreprises. Le rejet du projet de texte contre la discrimination s’explique par une absence de consensus au sujet de la notion de discrimination, l’État étant uniquement disposé à admettre comme telle une «violation du droit à l’égalité», ont d’autre part expliqué les intervenants.

S’agissant de l’Afrique du Sud

M. JOHAN KRUGER, représentant du syndicat Solidarity, a rappelé que l’Afrique du Sud était encore une jeune démocratie. Il a estimé que le système d’action affirmative (ou « mesures spéciales » de protection), fondamentalement axé sur la race, était allé trop loin dans ce pays. Chaque secteur économique est censé représenter exactement la diversité démographique sud-africaine; or, certains postes restent vacants lorsque certaines catégories y sont surreprésentées, a-t-il fait observer. On ne saurait accepter que l’on refuse une promotion à un travailleur sous prétexte que sa race ou son ethnie figure déjà en nombre excessif dans la catégorie du poste visé, a-t-il insisté. Il existe une classification raciale institutionnalisée qui a des conséquences graves pour les minorités du pays, a-t-il ajouté. Le Comité doit orienter l’Afrique du Sud quant aux meilleurs moyens d’appliquer une discrimination positive empreinte de bon sens, a estimé le représentant de Solidarity. On ne saurait réparer un tort en instaurant une politique qui se voudrait à l’inverse de celle du passé, mais qui s’apparente en fait à une forme d’apartheid déguisé, a souligné une autre intervenante.

Dans le cadre du dialogue qui a suivi, une experte a demandé à l’intervenant si son syndicat avait été consulté lors de l’élaboration du rapport sud-africain. Elle s’est en outre enquise du bilan que l’on pouvait tirer de ce qui a été entrepris depuis la fin de l’apartheid, il y a plus de vingt ans. Un membre du Comité a demandé si était en voie d’être comblé l’abîme séparant la majorité de la population de la catégorie minoritaire de la population qui contrôlait l’économie du temps de l’apartheid. Un expert a demandé des précisions sur les «tribunaux spéciaux pour l’égalité», tandis qu’une de ses collègue a souhaité savoir si une discrimination positive était appliquée au niveau parlementaire.

Le représentant de la société civile a indiqué ne pas avoir été consulté, rappelant que le Gouvernement sud-africain avait tardé à élaborer son rapport. Les ONG ont élaboré un rapport parallèle qui est resté sans écho, a-t-il affirmé. Plus d’une trentaine d’actions en justice ont été lancées afin de réussir à cristalliser une jurisprudence sur l’«action affirmative», a-t-il ensuite indiqué. L’apartheid était un système profondément ancré qu’il était impossible de rayer d’un trait de plume en instaurant la démocratie, a-t-il ensuite déclaré. La marge de manœuvre dont jouissent les minorités se rétrécit, alors même que certaines d’entre elles ont souffert de l’apartheid, a-t-il en outre observé. On assiste à la croissance de la classe moyenne, dont l’influence s’est exprimée récemment dans les urnes, a-t-il poursuivi. Plus de 70% des écoles sont néanmoins toujours dysfonctionnelles dans les zones traditionnellement défavorisées. Quant à la représentation au Parlement, le mode d’élection étant le scrutin majoritaire, ce qui est favorable à l’ANC (Congrès national africain), il est difficile de faire progresser les choses en faveur des minorités, a-t-il été affirmé.

S’agissant de l’Ukraine

M. OLEKSANDR PAVLICHENKO, Directeur adjoint du Kharkiv Human Rights Protection Group, a estimé nécessaire pour l’Ukraine d’amender la loi sur les minorités nationales, afin de la rendre conforme aux normes internationales, en particulier celles du Conseil de l’Europe. Il a en outre noté l’imprécision du Code pénal s’agissant de la discrimination raciale. Il a par ailleurs souligné le grave problème posé par les actes de xénophobie, de discours et d’actes haineux; les principales victimes en sont des étudiants africains, ainsi des personnes de confession juive ou originaires du Caucase. Il convient de renforcer les normes antidiscriminatoires afin de mieux protéger les étrangers et les apatrides, a-t-il ajouté. Le plus grand défi pour les droits de l’homme et les droits des minorités provient, selon lui, de l’annexion de la Crimée et de la sécession de régions de l’est du pays avec le soutien de la Fédération de Russie. L’un des problèmes les plus graves concerne la situation des Tatars de Crimée, a-t-il insisté. D’autre part, la situation des Roms demeure difficile du fait d’une discrimination profondément enracinée à leur encontre, a-t-il poursuivi; il s’agit de la population ayant eu le plus à souffrir du conflit dans l’est de l’Ukraine, ayant en effet été déplacée avant de se trouver ensuite confrontée à de graves difficultés dans les régions d’accueil, a-t-il expliqué.

MME GALINA BOCHEYA, représentante de Right to Protection, a estimé que les droits des personnes ayant besoin d’une protection internationale n’étaient pas respectés en Ukraine, alors que l’indépendance du pays remonte maintenant à tout de même un quart de siècle. Les instruments internationaux en la matière ne sont pas appliqués, a-t-elle insisté; des défaillances graves sont constatées dans le traitement des étrangers, s’agissant en particulier du principe de non-refoulement ou encore des conditions d’intégration des migrants – et ce, en dépit des dispositions législatives existantes. La procédure d’asile peut être interrompue et entraîner un refoulement, a insisté l’oratrice. Il n’existe pas de volonté politique gouvernementale dans ce domaine, ce qui explique le faible nombre de demandes d’asile. En outre, les conditions d’accueil sont déplorables en l’absence de soutien des autorités. L’intervenante a par ailleurs dénoncé la mise en cause de fait de la nationalité ukrainienne des Tatars de Crimée qui se voient exiger des documents supplémentaires à leurs passeport et papiers d’identité pour pouvoir bénéficier de prestations de l’État.

M. VOLODYMYR KONDUR, représentant de Roma Human Rights Ukraine, a rappelé que les Roms avaient un niveau d’instruction faible, très peu d’entre eux ayant atteint le niveau secondaire. Les Roms sont fréquemment chômeurs, tandis que leurs enfants sont en butte à l’hostilité même des enseignants, a-t-il insisté. Aussi, a-t-il recommandé que soient organisées des campagnes de sensibilisation dans les écoles et que soient dégagés des moyens spécifiques pour l’enseignement des enfants roms. Chacun doit pouvoir disposer de documents d’identité, alors même que des données non officielles laissent entendre que près de 300 000 personnes en seraient dépourvues, a d’autre part souligné l’orateur. Des réformes administratives et une décentralisation sont en outre indispensables, a-t-il ajouté.

Lors du dialogue qui a suivi ces présentations, un membre du Comité a attiré l’attention sur la difficulté d’analyser la situation de ce pays du fait que le rapport de base remonte à 1998, qu’il est par conséquent complètement obsolète et que le rapport lui-même est déjà vieux d’une année. L’expert a par ailleurs fait observer que seul un très petit nombre d’affaires de discrimination aboutissaient en justice. Il a constaté que le problème rom était encore aggravé dans le cas ukrainien par la situation dans les régions échappant au contrôle gouvernemental. S’il existe une certaine sympathie pour les déplacés non roms en provenance de ces régions, il n’en va pas de même pour les déplacés roms, certains d’entre eux préférant même retourner dans la région qu’ils ont fuie, a fait observer l’expert. Il a ailleurs relevé que la justice ne jouait pas son rôle.

Les représentants des ONG ont attiré l’attention sur l’hostilité à laquelle se heurtaient les personnes déplacées, les Tatars de Crimée en particulier, notamment dans la région de Kherson notamment; la passivité des autorités est en cause, ont-ils estimé. Il a en outre été souligné que la loi de 2011 contre les discriminations serait satisfaisante si elle était véritablement appliquée. Une action publique de sensibilisation est nécessaire à cet égard, a-t-il été affirmé.

La situation des Roms, qui pâtissent déjà d’un manque de papiers d’identité et d’un manque d’éducation, a été aggravée par le conflit dans l’est de l’Ukraine, a-t-il été souligné. La stratégie en leur faveur souffre d’une insuffisance de financement, a ajouté une ONG.



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CERD16/016F