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LE COMITÉ AUDITIONNE LA SOCIÉTÉ CIVILE EN VUE DE L'EXAMEN DES RAPPORTS DES PHILIPPINES, DU MYANMAR ET DE LA FRANCE

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a auditionné, cet après-midi, des représentants d'institutions nationales des droits de l'homme et d'organisations non gouvernementales au sujet de la mise en œuvre de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes dans les trois pays dont les rapports seront examinés cette semaine: les Philippines, le Myanmar et la France.

S'agissant des Philippines, la Commission nationale des droits de l'homme des Philippines a demandé au Comité d'inciter le pays à renforcer l'indépendance de cette Commission afin d'empêcher toute remise en cause de son mandat. Quant aux ONG, elles ont notamment fait observer que les femmes sont trop souvent ignorantes de leurs droits et n'ont ni connaissance des recours dont elles disposent, ni les moyens de s'adresser à la justice.

En ce qui concerne le Myanmar, les ONG ont mis l'accent sur les limites des réformes démocratiques opérées dans le pays, faisant observer que les femmes n'en ont guère profité. Par ailleurs, la Commission nationale des droits de l'homme est insuffisamment indépendante et ses ressources ne correspondent pas aux besoins, alors que des décennies de conflit ont été marquées par une violence sexuelle systématique associée à une impunité totale. Si certaines femmes ont acquis un rôle particulièrement important dans la vie publique du Myanmar, cela ne reflète en rien le rôle politique, bien faible, des femmes dans le pays, a-t-il été souligné.

Pour la France, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) et une représentante du Défenseur des droits ont souligné que si la législation en France était globalement satisfaisante, on était souvent confronté à un manque de concrétisation des droits. Ces institutions ont aussi relevé le problème des discriminations multiples, les tribunaux ayant tendance à les traiter séparément sans prendre en compte le cumul pouvant affecter le même individu.


Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport des Philippines.


Audition de la société civile

S'agissant des Philippines

National Rural Women Congress a fait part de sa préoccupation à la suite de l'assassinat d'un membre d'une ONG et a critiqué les atteintes aux activités des agriculteurs et des pêcheurs, du fait notamment des activités des investisseurs, Y compris dans le secteur des mines.

CEDAW Working Group Philippines a expliqué que les femmes marginalisées se heurtaient à un grand nombre d'obstacles, la lutte pour l'égalité étant extrêmement difficile. La participation des femmes aux affaires publiques est de fait quasiment impossible. Les femmes handicapées sont les plus affectées, notamment de par l'absence de protection sociale.

Women's Legal and Human Rights Bureau a déclaré, dans une déclaration commune avec une autre ONG, que les femmes étaient les parents pauvres des mesures prises à la suite des catastrophes naturelles qui frappent régulièrement le pays. Elles n'ont pas non plus accès à la justice s'agissant de celles qui sont victimes de violences ou de harcèlement.

Indigenous Women's Network in the Philippines a dénoncé, dans le cadre d'une déclaration commune avec deux autres organisations, la vulnérabilité croissante des femmes autochtones alors que l'État ne respecte pas ses obligations à leur égard. Des projets miniers empiètent sur des territoires traditionnels de communautés qui, dirigées traditionnellement par des hommes, ne prennent pas en compte les intérêts des femmes.

Dans une déclaration commune avec une autre ONG, EnGender Rights a expliqué que l'accès des jeunes aux moyens contraceptifs devait être approuvé par les parents, alors même qu'il n'existe pas d'éducation sexuelle à l'école. Les grossesses précoces et les décès en couche sont fréquents. En outre, les lesbiennes ne peuvent avoir la garde de leurs enfants, sans même mentionner les violences à leur encontre et à l'égard des personnes transgenres, l'impunité étant totale pour de tels faits. Les LGBT sont de fait privés de tout droit.

Defend Job Philippines a cité le cas de deux meurtres de femmes et a souligné que des poursuites sont parfois lancées contre des femmes sur la base de charges fabriquées de toutes pièces.

Centre for Migrant Advocacy a souligné que les ressources humaines et matérielles étaient insuffisantes pour simplement appliquer les décisions gouvernementales. L'État philippin ne dispose pas des mécanismes nécessaires pour assurer le suivi de ses décisions, selon l'ONG.

La Commission des droits de l'homme des Philippines a recommandé au Comité d'inciter l'État philippin à renforcer l'indépendance de la Commission afin d'empêcher toute remise en cause de son mandat. Par ailleurs, l'absence de données sur les personnes handicapées empêche de lutter efficacement contre les discriminations à leur encontre. Le Comité devrait inciter les Philippines à promouvoir l'interprétation en langue des signes. La loi sur la santé génésique et la parentalité responsable de 2012 est mise en œuvre de façon insatisfaisante, a en outre fait observer la Commission. Elle a attiré l'attention sur le cas d'une ville où les contraceptifs ont été retirés de la vente, le maire ayant opposé des raisons d'ordre moral. Des femmes sont jetées en prison pour avoir avorté, a en outre dénoncé la Commission.

S'agissant du Myanmar

CEDAW Action Myanmar a affirmé dans une déclaration commune avec trois autres ONG que la discrimination était profondément enracinée dans le pays. Les réformes démocratiques récentes ont été limitées et, de surcroît, les femmes n'en ont guère profité. Les femmes ont très peu de voies de recours, la Commission nationale des droits de l'homme ne disposant pas de l'indépendance et des ressources suffisantes. Des décennies de conflit ont été marquées par une violence sexuelle systématique assortie d'une impunité totale. L'ONG a souligné que si certaines femmes avaient acquis un rôle particulièrement important dans la vie publique du Myanmar, cela ne reflétait en rien le rôle des femmes dans le pays; ainsi, 13% seulement des députés sont des femmes. Il est urgent de prendre des mesures pour assurer leur participation par l'imposition de quotas, ont estimé ces ONG.

Women Peace Network-Arakan, au nom de plusieurs ONG, a d'autre part dénoncé la détérioration de la situation des Rohingyas dans l'État de Rakhine, qui affecte particulièrement les femmes. Les couples doivent demander une autorisation spéciale pour pouvoir se marier et la loi limite le nombre d'enfants qu'ils peuvent avoir, même s'il est difficile de savoir si ces dispositions sont vraiment appliquées. Nombre de personnes sont en situation d'apatridie, a ajouté l'oratrice.

S'agissant de la France

La Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF) a déclaré qu'une femme décédait tous les trois jours sous les coups de son conjoint et que, tous les ans, 84 000 femmes subissaient des violences dans le pays. Les Françaises pâtissent toujours d'un écart salarial de 19% par rapport aux hommes, a poursuivi l'ONG. Les femmes sont sous-représentées dans les métiers de l'information, ainsi que dans les conseils d'administration des sociétés du CAC40, alors que 6% seulement des PDG des entreprises du CAC40 sont des femmes. L'ONG a par ailleurs fait part de sa déception face à l'abandon des «ABCD de l'égalité» qui devaient œuvrer à lutter contre les stéréotypes de genre à l'école.

Regards de femmes a dénoncé la multiplication des attaques contre les droits et la dignité des femmes, sous couvert de traditions, de coutumes ou de pratiques religieuses inégalitaires. La vigilance de l'État pour résister à ces attaques, sous couvert de relativismes prétendus culturels – en réalité de hiérarchie misogyne archaïque – doit commencer dès l'école. L'éducation des filles et des garçons à l'égalité passe par la déconstruction des stéréotypes sexistes qui enferment les deux sexes dans une hiérarchie scélérate inacceptable. C'était pourtant le but des «ABCD de l'égalité», qui ont été retirés sous la pression d'une alliance de groupes fondamentalistes de plusieurs religions, a déploré l'ONG.

Stop IGM.Org a affirmé que les mutilations génitales intersexes étaient toujours préconisées par des corps médicaux publics, notamment par la Haute Autorité de santé qui prescrit l'amputation partielle du clitoris sur les enfants intersexes dans les premiers mois après la naissance. Le Gouvernement français doit reconnaître qu'il s'agit d'une question concernant les droits humains, a estimé l'ONG. Au lieu de supprimer ces mutilations, l'État préfère se concentrer uniquement sur les questions d'état civil et d'identité de genre, qui sont des questions marginales pour les enfants intersexes, selon elle. Elle a incité le Comité à proposer à la France d'interdire explicitement, en droit, ces pratiques.

L'Organisation des nations autochtones de Guyane a dénoncé la situation sanitaire, l'accès au droit à l'éducation, l'analphabétisme affectant particulièrement ces populations. Les femmes âgées et les enfants des régions enclavées ne disposent pas de pièces d'identité, ce qui les empêche d'accéder aux soins. L'Organisation a souligné que le principal problème de santé en Guyane provenait de la pollution au mercure contaminant le poisson.

Women's International League for Peace and Freedom (WILPF) a évoqué la violation des droits des femmes par les exportations et les transferts d'armes. Elle a exhorté le Gouvernement français à retirer toute licence d'exportation lorsqu'il y a risque pour la santé de la population civile. Par ailleurs, elle a dénoncé l'exploitation pratiquée par certaines sociétés contrôlant des usines textiles. Elle a enfin dénoncé les dégâts sanitaires causés par les essais nucléaires en Polynésie.
La Grande Loge féminine de France a déclaré que les femmes étaient régies par des lois votées par des hommes puisqu'il y a peu de femmes sénatrices, par exemple. Elle a aussi dénoncé l'inefficacité des mesures prises contre la violence sexiste.

L'Association de défense des droits de l'homme a dénoncé la discrimination envers les femmes musulmanes qui sont les premières victimes de l'islamophobie. La France se montre incapable d'accepter des modes alternatifs d'émancipation féminine, selon elle.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a évoqué l'impact des stéréotypes de genre sur l'absence de partage du pouvoir et des richesses. Elle a constaté que parmi les écarts de rémunération constatés, il existait une part résistant à toute explication rationnelle qui ne pouvait que relever de discriminations prohibées. Pour rééquilibrer les choses, une politique de quotas a été impulsée dans la fonction publique qui mériterait d'être approfondie et mieux suivie.

La Commission a ensuite attiré l'attention sur la situation des femmes migrantes à Calais, particulièrement menacées dans un environnement presqu'exclusivement masculin. D'une manière générale, les femmes précaires, les femmes migrantes, les femmes handicapées, les femmes appartenant à des minorités ethniques ou religieuses subissent les conséquences d'une double vulnérabilité, les politiques publiques ne les prenant quasiment pas en compte, ce qui rend peu visibles les discriminations ou violences spécifiques dont souffrent les femmes. La CNCDH s'alarme par ailleurs de la recrudescence des mutilations génitales féminines dont font part les associations de terrain.

La représentante de la CNDH a aussi abordé les problèmes des violences faites aux femmes et de l'accès à la justice. Elle a déploré, enfin, l'absence de véritable politique de lutte contre la traite des êtres humains; le plan d'action n'est pas opérationnel faute de moyens dédiés. La CNDH elle-même n'a pas bénéficié d'un euro supplémentaire alors qu'elle a été désignée comme rapporteur national indépendant sur la traite.

Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a attiré l'attention sur la coordination qui s'est nouée entre cette institution et la CNCDH. En trois ans et demi d'existence, le HCE s'est affirmé comme le mécanisme national chargé de promouvoir les droits des femmes et d'analyser l'état de l'égalité entre hommes et femmes et de proposer des recommandations. L'année 2012 a été marquée par une vraie volonté de mener une politique d'intégration transversale de l'égalité que portaient un Gouvernement paritaire et une Ministre des droits des femmes. Ce volontarisme, qui s'est traduit par une série de mesures innovantes, notamment la création du HCE, a connu «une forme de reflux» à la fin de 2014.

Le (bureau du) Défenseur des droits, qui a expliqué appliquer une «approche intersectionnelle» en matière de discrimination, a expliqué que ce n'était pas tant le dispositif législatif qui posait problème mais l'effectivité des droits. Sa représentante a cité plusieurs exemples, soulignant que le secteur public demeurait en retrait par rapport au rattrapage salarial, alors qu'il devrait être exemplaire à cet égard. Elle a souligné que le recours collectif, tel qu'il existe au Québec, pouvait constituer un mécanisme adapté, les femmes fonctionnaires hésitant à introduire un recours par crainte de retombées négatives sur leur carrière. Le non-respect des droits fondamentaux des étrangers en France est un autre exemple du manque de concrétisation de droits figurant dans la législation française, a poursuivi la représentante. Elle a aussi évoqué le fait que de nombreuses femmes victimes de violences ne portaient pas plainte pour diverses raisons, dont celle ayant trait au coût.

Dans le cadre de l'échange de vues qui a suivi ces interventions, des membres du Comité ont demandé des précisions aux représentants des ONG, souhaitant avoir des éclaircissements sur plusieurs points soulevés par ces dernières.

S'agissant des Philippines, une ONG a déploré que les communautés autochtones non musulmanes ne soient pas identifiées de façon spécifique et a exprimé le vœu qu'il y soit remédié. La Convention, par ailleurs, est très mal connue et les femmes des minorités n'ont ni la culture, ni les ressources pour accéder aux tribunaux, raison pour laquelle elles se tournent généralement vers les systèmes de justice traditionnelle. Les musulmanes se tournent ainsi vers les tribunaux de la charia qui font parfois preuve de discrimination de facto et de jure.

S'agissant du Myanmar, une ONG a fait observer qu'il existait très peu de refuges ou de foyers d'accueil pour les femmes victimes de violences. Quand des législations sont adoptées, l'absence de mécanismes ou de financements spécifiques ne garantissent en rien leur application. Des programmes de sensibilisation sont nécessaires en direction des victimes afin qu'elles utilisent les moyens de recours éventuellement à leur disposition. Il est très difficile de porter plainte dans les zones rurales, a-t-il en outre été souligné. D'une manière générale, il y a une absence totale de confiance en la justice, ont relevé les ONG.

Concernant enfin la France, une ONG a fait observer qu'une loi sur le devoir de vigilance des sociétés ayant des activités économiques à l'étranger devrait être adoptée prochainement. Une autre ONG a rappelé que toutes les femmes musulmanes ne portaient pas le voile et que nombreuses étaient celles à ne pas souhaiter l'application de la charia en France et à refuser l' «apartheid sexué». Une autre ONG a critiqué le projet de loi El Khomri qui impose le «devoir de neutralité» sur le lieu de travail, ce qui condamne les musulmanes qui ont fait le choix de porter le voile, par exemple, à une «mort économique et sociale». Il n'est pas question, selon elle, d'imposer quoi que ce soit à quiconque mais de permettre à toutes les femmes l'accès à la santé, au travail et aux loisirs. L'ONG a en outre dénoncé le chantage au port du voile pour les femmes souhaitant avoir une activité sportive sans avoir à se découvrir. La laïcité promeut la coexistence pacifique de tous les individus, qu'ils aient des convictions religieuses ou non, a-t-elle souligné.

Il est nécessaire de disposer d'une pièce d'identité pour pouvoir circuler sur le territoire guyanais, les barrages empêchant les femmes sans papiers de se rendre en ville pour se faire soigner par exemple, a pour sa part déploré une ONG.

Plusieurs experts ayant soulevé la question des moyens alloués aux institutions nationales de droits de l'homme, la Commission des droits de l'homme des Philippines a expliqué que les autorités du pays s'étaient engagées à un renforcement de ses moyens, 200 postes devant ainsi être créés afin de pouvoir disposer d'une meilleure représentation en province.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) de la France a indiqué qu'entre trois et cinq postes seraient nécessaires – soit un supplément de financement estimé entre 150 et 200 000 euros – alors que le budget total de la Commission est de 1,1 million d'euros. Il était prévu d'abonder le financement de la CNCDH sur le fonds de confiscation des avoirs criminels qui n'est toujours pas mis en œuvre, a-t-elle poursuivi. Quant aux ministères qui ne respectent pas les quotas de postes à responsabilité pour des femmes, il serait nécessaire d'en publier les données, a-t-elle ajouté.

L'islamophobie, définie comme une attitude hostile systématique envers les musulmans, s'exprime plus fréquemment envers des femmes, un fait qui n'est pas pris en compte par la justice, a poursuivi la CNCDH. Elle a souligné que la Convention était mal connue, contrairement à la Convention relative aux droits de l'enfant. Il y a un manque d'investissements sur les questions de droit international, a-t-elle déploré. En revanche, la Convention européenne des droits de l'homme est bien connue et pénètre le droit français, a-t-elle fait observer. Le HCE a pour sa part estimé qu'il serait nécessaire pour lui de disposer d'un budget suffisant pour pouvoir produire régulièrement un rapport sur le sexisme en France.

Il a par ailleurs été souligné qu'est actuellement posée en France l'éventualité de faire du sexisme un délit égal au racisme.


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CEDAW16.018F