Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DE L'ARGENTINE
Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par l'Argentine sur les mesures qu'elle a prises pour donner effet aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Présentant ce rapport, M. Leandro Despouy, Ambassadeur, Représentant spécial pour les droits humains auprès du Ministère des relations extérieures et du culte de l'Argentine, a fait part de la longue expérience de son pays en matière de lutte contre l'impunité et a fait observer que l'Argentine a désormais ratifié la presque totalité des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme – alors que la dictature n'en avait en effet signé pratiquement aucun. Ce «retour au monde» en embrassant les principes des droits de l'homme a permis de conduire le processus démocratique avec succès, a-t-il ajouté. M. Despouy a par ailleurs attiré l'attention sur une décision très récente de la Cour suprême de justice, qui a élargi les critères de l'avortement «non punissable» (motifs pour lesquels un avortement ne doit pas faire l'objet de sanctions).
Pour ce qui est des prisons et de la situation carcérale, l'Argentine n'est pas dans une situation meilleure que celle de nombre de pays latino-américains, a ensuite reconnu M. Despouy, parlant à cet égard d'une situation d'urgence. D'autre part, la loi contre la torture est censée être mise en œuvre par le Congrès, mais celui-ci n'a pas attribué les responsabilités y afférentes, a-t-il ajouté. M. Despouy, qui a rappelé que son pays était une fédération, a par ailleurs souligné la nécessité d'harmoniser les codes de procédure pénale des différentes provinces, car – a-t-il reconnu – la situation actuelle donne lieu à des situations divergentes très préoccupantes. La délégation argentine est aussi intéressée à entendre l'opinion des experts sur des questions relatives à la liberté d'expression, à la violence institutionnelle, à la condition féminine ou encore à la diversité culturelle, a ajouté le Représentant spécial pour les droits humains. L'Argentine est déterminée à donner effet aux exigences d'un mécanisme dont elle est convaincue du caractère indispensable, a-t-il conclu à l'intention du Comité.
La délégation argentine était également composée de M. Héctor Marcelo Cima, Représentant permanent de l'Argentine auprès des Nations Unies à Genève; de M. Claudio Bernardo Avruj, Secrétaire aux droits humains de l'Argentine; du Secrétaire exécutif du Plan national des droits humains; ainsi que de représentants du Ministère de la justice et des droits humains et du Ministère des relations extérieures et du culte.
La délégation a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, du devoir de mémoire et des organisations de la société civile; de la réforme de la justice; de l'égalité entre les sexes; de l'interdiction de l'avortement; de la lutte contre la traite de personnes; de la prévention de la torture; de l'emploi des personnes handicapées; de la lutte contre les discriminations; de la situation des populations autochtones et des personnes d'ascendance africaine; de la loi sur l'accès à l'information publique; ainsi que des institutions de droits de l'homme.
Concluant ce dialogue, Mme Anja Seibert-Fohr, Vice-Présidente du Comité des droits de l'homme, a reconnu les efforts de l'Argentine, depuis la chute du régime militaire, ce pays ayant été à l'avant-garde de la lutte contre les disparitions forcées. Pourtant, il conviendrait de faire plus encore en matière de mise en œuvre du Pacte, particulièrement au niveau provincial, a-t-elle souligné. Il convient notamment pour l'Argentine d'améliorer les conditions de détention et de lutter contre les mauvais traitements, en rendant effectif le mécanisme de prévention de la torture, a-t-elle souligné. Les féminicides doivent être combattus, a-t-elle ajouté.
Auparavant, un membre du Comité a souligné que l'Argentine est l'un des grands champions de la promotion des normes de droits de l'homme. S'il n'y a rien à redire sur la Constitution argentine et la prise en compte des instruments internationaux au niveau fédéral, il n'en va pas nécessairement de même au niveau provincial, a toutefois souligné cet expert. Il s'est en outre inquiété qu'un Médiateur du peuple n'ait toujours pas été nommé. A par ailleurs été jugé préoccupant le démantèlement de plusieurs institutions en charge du respect des droits fondamentaux.
Des préoccupations ont également été exprimées au sujet de la situation régnant en milieu carcéral, s'agissant en particulier de l'absence de soins de santé ou encore de l'alimentation des détenus. De nombreux décès surviennent en prison et un sur quatre seulement font l'objet d'enquêtes, a relevé un membre du Comité, avant de se demander pourquoi le taux de mortalité en prison avait fortement augmenté, particulièrement dans les prisons de la province de Buenos Aires.
La situation régnant à cause des restrictions à l'interruption volontaire de grossesse a été qualifiée d'extrêmement choquante, alors que l'on estime à 23% la proportion des décès de femmes qui seraient dus à des avortements clandestins. Il s'agit de la première cause de mortalité maternelle, un phénomène qui s'est aggravé au sein des catégories les moins favorisées de la population, a souligné un expert. Une experte a mentionné le cas d'une femme poursuivie pour assassinat après avoir subi un avortement.
Un autre membre du Comité a cité un certain nombre de bavures policières présumées, s'inquiétant d'un manque de diligence ou d'une absence de volonté politique de faire toute la lumière sur ces affaires.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l'Argentine, qu'il rendra publiques à l'issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 15 juillet prochain.
Cet après-midi, le Comité se penchera sur son projet d'observation générale portant sur l'article 6 du Pacte, qui traite du droit à la vie.
Présentation du rapport de l'Argentine
Le Comité est saisi du rapport périodique de l'Argentine, élaboré en réponse à la liste de points à traiter que lui a adressée le Comité.
M. LEANDRO DESPOUY, Ambassadeur, Représentant spécial pour les droits humains auprès du Ministère des relations extérieures et du culte de l'Argentine, a fait part de la longue expérience de son pays en matière de lutte contre l'impunité et de renonciation aux coups de force militaires. En témoigne le fait que l'Argentine ait ratifié la presque totalité des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme; la dictature n'en avait en effet signé pratiquement aucun, a-t-il souligné. Ce «retour au monde» en embrassant les principes des droits de l'homme a permis de conduire le processus démocratique avec succès, a-t-il ajouté. Il s'est agi d'un parcours difficile, pour un pays qui a fait le maximum pour lutter contre l'impunité, a-t-il insisté. Un échange extrêmement constructif a eu lieu à ce sujet avec la communauté internationale, a-t-il rappelé.
L'Argentine entend montrer pendant le présent dialogue à cheval sur deux jours comment elle a donné suite aux recommandations du Comité, a poursuivi M. Despouy. Les instruments internationaux ont la même valeur que les lois nationales; ils sont directement reconnus par le droit national, a-t-il souligné. La ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées s'est inscrite dans le cadre de la lutte contre l'impunité, a-t-il fait observer. Le Représentant spécial pour les droits humains a par ailleurs attiré l'attention sur une décision très récente de la Cour suprême de justice, qui a élargi les critères de l'avortement «non punissable» (motifs pour lesquels un avortement ne doit pas faire l'objet de sanctions).
La délégation argentine entend s'exprimer sur un certain nombre de préoccupations du Comité – qui sont aussi partagées par d'autres organes des droits de l'homme, a indiqué M. Despouy. Il ne s'agit pas de les remettre en cause mais bien plutôt de les approfondir, a-t-il expliqué. Pour ce qui est des prisons et de la situation carcérale, l'Argentine n'est pas dans une situation meilleure que celle de nombre de pays latino-américains, a-t-il reconnu, parlant d'une situation d'urgence. D'autre part, la loi contre la torture est censée être mise en œuvre par le Congrès, mais celui-ci n'a pas attribué les responsabilités y afférentes, a ajouté M. Despouy. Aussi, la délégation argentine est-elle intéressée d'entendre les recommandations du Comité sur cette question, ainsi que sur le rôle qui serait dévolu à un défenseur des droits de l'homme.
M. Despouy, qui a rappelé que son pays était une fédération, a souligné la nécessité d'harmoniser les codes de procédure pénale des différentes provinces, car – a-t-il reconnu – la situation actuelle donne lieu à des situations divergentes très préoccupantes. La délégation argentine est aussi intéressée à entendre l'opinion des experts sur des questions relatives à la liberté d'expression, à la violence institutionnelle, à la condition féminine ou encore à la diversité culturelle, a ajouté le Représentant spécial pour les droits humains.
C'est dans cet esprit que la délégation argentine se félicite du présent examen et entend répondre, dans toute la mesure de ses capacités, aux questions qui lui seront adressées, a indiqué M. Despouy. L'Argentine est déterminée à donner effet aux exigences d'un mécanisme dont elle est convaincue du caractère indispensable, a-t-il conclu à l'intention du Comité.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Un membre du Comité a souligné que l'Argentine est l'un des grands champions de la promotion des normes de droits de l'homme, une attitude qui s'explique par son histoire. S'il n'y a rien à redire sur la Constitution argentine et la prise en compte des instruments internationaux au niveau fédéral, il n'en va pas nécessairement de même au niveau provincial, a toutefois souligné cet expert. Il s'est en outre inquiété qu'un Médiateur du peuple n'ait toujours pas été nommé. En outre, les budgets ne suivent pas pour donner plein effet aux mécanismes de protection des droits de l'homme, a-t-il relevé; on constate même plutôt un retour en arrière en matière de financement, a-t-il ajouté. Il s'est également inquiété d'une absence de clarté dans la répartition des attributions de la police et de l'armée. Il a notamment souhaité que la délégation s'exprime sur les formations aux droits de l'homme dispensées aux policiers et aux militaires.
Ce même expert s'est ensuite félicité de la création d'un système national de prévention de la torture, ainsi que de l'incrimination du féminicide. Il a appelé de ses vœux une meilleure collaboration avec la société civile, notamment dans la rédaction des rapports, relevant que les organisations de la société civile sont particulièrement dynamiques en Argentine.
En matière de disparitions forcées, existe-t-il un plan d'action, a demandé le même expert, avant de reconnaître la difficulté de la tâche pour des faits remontant à plus de quatre décennies? Il a toutefois jugé préoccupant le démantèlement de plusieurs institutions en charge du respect des droits fondamentaux, dont celle chargée de faire la lumière sur les faits survenus pendant la dictature. Il a aussi mentionné la disparition de la cellule chargée d'enquêter sur les violations survenues au sein de la Banque centrale.
L'expert s'est ensuite dit préoccupé par la situation régnant en milieu carcéral, s'agissant de l'absence de soins de santé ou encore de l'alimentation des détenus. De nombreux décès surviennent en prison et un sur quatre seulement font l'objet d'enquêtes, a-t-il relevé. Qu'entend faire l'État argentin face à ce que lui-même qualifie d'«urgence carcérale»? Cet expert a en outre déploré l'absence de données ventilées sur les procédures judiciaires engagées à la suite de brimades, de torture ou de mauvais traitements. Pourquoi le taux de mortalité en prison a-t-il fortement augmenté, particulièrement dans les prisons de la province de Buenos Aires, a-t-il demandé?
La loi contre le travail des enfants bénéficie-t-elle de mesures d'application, particulièrement en province, a par ailleurs demandé ce même expert? Il s'est aussi interrogé sur l'application de la loi interdisant les châtiments corporels. Il a relevé que, selon l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), l'Argentine est l'un des pays où les brimades à l'école sont les plus courantes. Les plans d'action ont-ils porté leurs fruits et ont-ils été déclinés aux niveau local et municipal?
Un autre membre du Comité a demandé à la délégation de préciser quelles dispositions législatives donnaient à la police la faculté de placer des individus en détention à des fins de vérification d'identité et quel contrôle judiciaire était en place pour déterminer la légalité de ce type de détention.
Une experte a souhaité avoir des statistiques actualisées relativement aux discriminations, s'agissant notamment des écarts salariaux entre hommes et femmes. Elle a par ailleurs demandé si la loi imposant aux entreprises de recruter 4% de personnes handicapées était appliquée. Quels mécanismes d'évaluation ont-ils été mis en place pour avoir une idée précise de la violence envers les femmes et des féminicides, a-t-elle également demandé? Elle a d'autre part souhaité avoir des précision sur l'instance en charge de la traite des personnes. La délégation dispose-t-elle de statistiques sur les plaintes parvenant à la ligne téléphonique d'assistance gratuite et leur aboutissement?
Une experte a mentionné le cas d'une femme poursuivie pour assassinat après avoir subi un avortement. Un membre du Comité avait auparavant abordé la question de l'interdiction de l'avortement en s'inquiétant de restrictions légales extrêmement strictes en la matière, y compris dans certains cas de viol. Il s'agit de la première cause de mortalité maternelle, un phénomène qui s'est aggravé au sein des catégories les moins favorisées de la population, a-t-il souligné. Il s'est enquis des mesures éventuellement prises en faveur de l'éducation sexuelle et de la contraception. La situation régnant à cause des restrictions à l'interruption volontaire de grossesse a été qualifiée d'extrêmement choquante, alors que l'on estime à 23% la proportion des décès de femmes qui seraient dus à des avortements clandestins.
Le même expert a abordé la question de la détention préventive qui, s'est-il inquiété, peut apparemment durer jusqu'à six ans avant le procès. Il a souhaité savoir quelle était la proportion des peines prononcées renvoyant à des mesures alternatives à la détention telles que la liberté sous caution, par exemple. Un autre membre du Comité s'est inquiété de l'utilisation des Taser (pistolets paralysants) par la police, une introduction qui été contestée jusque devant la Cour suprême. Des garanties contre son utilisation abusive ont-elles été prises?
Des inquiétudes ont également été exprimée face à la possibilité pour l'armée de l'air d'abattre tout avion soupçonné de transporter de la drogue; il pourrait s'agir là d'une absence de proportionnalité dans la réaction, a-t-il été souligné.
Des informations ont en outre été requises concernant l'état d'avancement de l'enquête sur l'assassinat présumé du procureur Alberto Nisman, qui s'est officiellement suicidé en 2015 à la veille de la publication d'un rapport potentiellement explosif pour la Présidence de la République.
Un autre membre du Comité a cité un certain nombre de bavures policières présumées, s'inquiétant d'un manque de diligence ou d'une absence de volonté politique de faire toute la lumière sur ces affaires; il est alors d'autant plus troublant de constater que ces faits se sont fréquemment accompagnés d'actes de torture et de tentatives de les couvrir.
Un expert, qui a relevé l'absence de «gens de couleur» au sein de la délégation, a confié qu'il n'avait jamais rencontré de diplomate argentin noir de toute sa carrière; c'est pourtant un groupe qui existe dans la société argentine, a-t-il fait observer. Existe-t-il des policiers ou encore des magistrats de couleur en Argentine, a-t-il demandé?
Un membre du Comité a souhaité que la délégation fasse le point sur les enfants disparus sous la dictature. Il a par ailleurs demandé si les électrochocs et des stérilisations étaient toujours pratiqués en milieu psychiatrique.
Un expert a souhaité que la délégation fournisse des données sur les mesures alternatives à la détention.
De nombreuses questions ont par ailleurs été posées par plusieurs membres du Comité relativement aux droits des peuples autochtones, s'agissant notamment de la propriété foncière. Les différends donnent couramment lieu à des incidents violents entre membres d'associations autochtones et force de l'ordre, a-t-il été relevé. Ainsi, même lorsque des engagements sont pris par les autorités afin d'accorder des titres de propriété, on constate des retards dans leur délivrance, ce qui suscite de fortes tensions.
Un expert a mis en doute le chiffre de 0,4% indiqué par la délégation relativement à la proportion de personnes d'ascendance africaine dans la population totale du pays.
Réponses de la délégation
En préambule à ses réponses, la délégation argentine a exprimé sa solidarité avec le peuple turc suite à l'attentat commis la veille à l'aéroport d'Istanbul.
Des consultations régulières et permanentes ont lieu avec les organisations de la société civile, qui apportent leur concours aux autorités dans le domaine des droits de l'homme, a ensuite indiqué la délégation.
Le Secrétariat aux droits de l'homme a été associé à une entité intitulée «Espace pour la mémoire» dont l'objectif est de préserver le devoir de mémoire. On ne peut parler d'un démantèlement au sens strict des institutions en charge des droits de l'homme, contrairement au sentiment que certains ont pu avoir, a assuré la délégation. Il a été entrepris d'optimiser le financement des programmes, aucun d'entre eux n'ayant été interrompu, a-t-elle fait valoir. Il n'est pas aisé de se rendre dans les tribunaux, parfois à diverses reprises, pour témoigner de la disparition de proches, a ajouté la délégation, expliquant que le Secrétariat aux droits de l'homme est précisément chargé, entre autres, d'assister ces personnes dans cette épreuve.
Un expert s'étant inquiété de la suppression de la cellule chargée d'enquêter sur les violations survenues au sein de la Banque centrale d'Argentine durant la dictature, la délégation a répondu que les recherches sur cette période étaient loin d'être closes. Elle a précisé qu'un protocole d'accord était en voie d'être conclu entre le Secrétariat des droits humains et la Banque centrale, qui vise notamment à poursuivre les recherches dans les archives de cette dernière afin de révéler les éventuels délits de lèse-humanité.
Il n'existe aucune politique délibérée de démanteler les programmes relatifs aux droits fondamentaux et il n'est pas question de fléchir dans l'effort du devoir de mémoire, a ensuite insisté la délégation.
Le travail du devoir de mémoire est une priorité pour l'Argentine, a assuré la délégation. Un cent-vingtième enfant enlevé sous la dictature a été retrouvé grâce au travail des Mères de la Place de mai, association qui bénéficie de subvention publiques, a-t-elle fait valoir. Une banque de données génétiques permet de poursuivre les recherches, a-t-elle en outre rappelé. Par ailleurs, des équipes médico-légales bien équipées, dont les effectifs ont été renforcés, participent aux recherches de personnes disparues, a insisté la délégation.
Par ailleurs, le Secrétariat aux droits de l'homme s'est attelé aux différentes questions relatives aux besoins et spécificités des populations autochtones qui, en Argentine, comptent environ un million de personnes, a poursuivi la délégation. Pour la première fois de l'histoire argentine, des représentants de ces peuples ont été reçus à la Présidence de la République, a-t-elle fait valoir. Une liste des priorités – accès à la terre, accès à la justice, besoins non satisfaits (en matière d'emploi notamment) – est en train d'être dressée s'agissant de ces populations, a précisé la délégation. Les questions autochtones relèveront désormais du Secrétariat aux droits humains, a-t-elle ensuite ajouté.
L'Argentine est un pays singulier, dans la mesure où une cinquantaine de peuples et d'ethnies différents ont contribué à la peupler, a-t-elle rappelé. Parmi ceux-ci, les Roms et les personnes d'ascendance africaine figurent au nombre des plus marginalisés, a reconnu la délégation.
Un expert ayant évoqué la situation de marginalisation des Argentins d'ascendance africaine, la délégation a souligné que ceux-ci étaient très peu nombreux – ils représentent 0,4% de la population – avant d'ajouter qu'ils méritaient autant que tout un chacun d'être protégés par l'État, ce dernier ayant le devoir d'œuvrer à leur inclusion. Il y a les descendants d'esclaves, ainsi que des immigrés venus d'autres pays latino-américains, du Pérou notamment, ainsi que du Sénégal. La délégation a précisé que l'esclavage avait été aboli en 1803, l'immigration massive en provenance d'Europe et du monde débutant par la suite, ce qui a entraîné un métissage massif et explique la faible proportion de Noirs. Environ 3% des Argentins affirment avoir une origine africaine éloignée, a précisé la délégation.
L'Institut national contre la discrimination, la xénophobie et le racisme a notamment lancé une campagne de «visibilisation» de la population d'ascendance africaine par la production d'un film de sensibilisation, ainsi que de documents d'information dont l'un est intitulé: «Argentina también es Afro» (l'Argentine est aussi afro).
Le Plan national de lutte contre les discriminations a consisté à procéder à un diagnostic et à une cartographie de la discrimination en Argentine en 2015, a indiqué la délégation. Les experts qui ont élaboré ce plan ont produit une série de recommandations qui, dans de nombreux cas, ont été largement reprises par des lois, des politiques publiques et des programmes adoptés ces onze dernières années, a-t-elle assuré.
Par ailleurs, une Direction nationale de la diversité sexuelle a été créée, a indiqué la délégation, avant de reconnaître un écart important entre la loi et la pratique en matière de respect de cette diversité.
Concernant les mesures antidiscriminatoires prises en faveur des personnes LGBT, la délégation a estimé nécessaire que soit approfondi par des politiques publiques le cadre juridique créé par la loi sur le «mariage égalitaire» (matrimonio igualitario). La réforme du Code civil a introduit l'«union de cohabitation» (Union Convivencial) pour tous les couples, qu'ils soient ou non de même sexe, a-t-elle précisé, attirant aussi l'attention sur la loi relative à l'identité de genre. L'Institut national contre la discrimination, la xénophobie et le racisme (INADI), ainsi que la Direction de la diversité sexuelle du Secrétariat des droits humains et le Ministère du travail unissent leurs efforts pour mener à bien des politiques publiques inclusives. La délégation a énuméré un certain nombre de programmes touchant en particulier au monde du travail.
En outre, des campagnes de sensibilisation sont menées axées sur des thèmes et des slogans tels que «la diversité enrichit l'environnement de travail» ou «Pour une égalité légale et réelle» ou encore «Que notre lieu de travail ne soit pas un placard». Des «recommandations pour assurer l'égalité» ont aussi été diffusées.
La délégation a ensuite attiré l'attention sur le lancement par le Ministère de la justice et des droits humains d'un programme ambitieux dit «Justice 2020» dont l'objectif est de restaurer la confiance des citoyens dans leur justice. Il s'agit de procéder à une réforme structurelle de la justice avec la participation de tous les acteurs concernés, des magistrats aux représentants de la société civile, en tâchant de parvenir à un consensus sur une réforme globale du système judiciaire. On entend faire en sorte que la justice soit plus proche de la population, plus moderne et plus indépendante. Il s'agit de la rendre plus accessible.
L'Argentine, qui a un système de justice inquisitoire, a prévu de passer progressivement à un système accusatoire, a ensuite précisé la délégation. D'ores et déjà, la détention préventive est une mesure exceptionnelle, a-t-elle affirmé, ajoutant que le Programme «Justice 2020» entend développer les aménagements de peine.
Par ailleurs, l'Argentine a invité le Rapporteur spécial contre la torture, dont elle attend la visite, a indiqué la délégation.
Le féminicide est une circonstance aggravante (du meurtre) pour laquelle l'auteur est passible de la prison à vie. Il y a eu 235 victimes en 2015, a indiqué la délégation.
Quarante-deux pour cent de la population active est féminine, l'écart salarial entre hommes et femmes atteignant 26%, a par ailleurs indiqué la délégation. Le Gouvernement entend ramener ce chiffre à 20% dans un premier temps. Des campagnes de sensibilisation ont lieu au sein des syndicats à cette fin.
Des actions sont menées en passant au crible les offres d'emploi et repérer celles qui ont un caractère discriminatoire, a ensuite souligné la délégation.
La lutte contre la violence sexiste est menée dans toutes les provinces afin d'informer les victimes de leurs droits, a poursuivi la délégation. Une ligne téléphonique – le 144 – a été mise en place qui, au premier trimestre de cette année, a reçu 21 000 appels, soit une hausse de 180% par rapport à la même période de l'an dernier. Des foyers d'accueil sont ouverts aux femmes en détresse, a ajouté la délégation.
L'avortement fait l'objet d'un protocole de prise en charge qui a été édicté en 2015, alors que la Constitution stipule que le droit à la vie est absolu, a ensuite indiqué la délégation. Ce protocole énumère les conditions sous lesquelles une interruption de grossesse peut être pratiquée; certaines provinces ne l'ayant pas adopté ou n'ayant pas adopté de protocole spécifique ont été rappelées à l'ordre, a fait valoir la délégation. Un futur projet de loi visera à faciliter les conditions de l'interruption volontaire de grossesse, a-t-elle assuré.
La délégation a par ailleurs assuré que les pouvoirs publics menaient une politique sanitaire volontariste en matière de santé sexuelle et génésique.
En matière de lutte contre la traite de personnes, un programme a visé à renforcer l'assistance et le soutien aux victimes, a d'autre part souligné la délégation. Les actions en justice sont en augmentation puisque l'on constate une hausse du nombre de plaintes - 779 plaintes ont été déposées au premier trimestre de cette année, a précisé la délégation. Les sanctions infligées ont été en moyenne de quatre ans et demi de prison, les tribunaux ayant tendance à alourdir les peines prononcées.
D'autre part, un projet de mécanisme national de prévention de la torture est en cours d'élaboration et devrait être examiné par les députés dans un avenir que la délégation argentine a indiqué espérer proche. Dans plusieurs provinces, dont celle de Buenos Aires, des efforts ont d'ores et déjà consentis pour créer des mécanismes de prévention, a ajouté la délégation.
La délégation a énuméré divers programmes dont celui contre la violence institutionnelle, le programme pour les peuples autochtones, le programme de formation aux droits de l'homme pour les forces armées et les personnels carcéraux. Des programmes d'assistance aux victimes de la dictature bénéficient d'un niveau de financement qui est l'un des meilleurs du monde, a-t-elle ajouté.
S'agissant de l'emploi des personnes handicapées, la délégation a indiqué que selon les données reçues de près de 90% des juridictions ministérielles, des entités décentralisées et des universités, sur un effectif total de quelque 340 000 fonctionnaires, plus de 3000 personnes handicapées bénéficiaient d'un emploi dans ces institutions, soit un taux global de 0,86%; ce taux est de 1,3% pour ce qui concerne les contrats à durée indéterminée et de 1,1% pour les temporaires. La délégation a ensuite exprimé l'espoir que le taux de 4% deviendrait progressivement réalité.
La délégation a ensuite démenti ou rectifié un certain nombre de points soulevés par des membres du Comité: les armes paralysantes (Taser) ne sont pas utilisées par les forces de l'ordre et les électrochocs ne font pas partie des méthodes thérapeutiques utilisées dans les hôpitaux psychiatriques, a-t-elle notamment indiqué. En vertu d'un décret-loi, la possibilité d'abattre des avions suspectés de transport clandestin de stupéfiants a été suspendue, a-t-elle ajouté, précisant qu'un projet de loi est en préparation afin d'encadrer plus précisément la lutte contre le trafic de stupéfiants.
L'Argentine affichait un grand retard en matière de droit d'accès à l'information publique, en comparaison des pays de la région, a reconnu la délégation. Y remédier a donc été l'une des priorités du Gouvernement qui est en place depuis seulement six mois, a-t-elle précisé. Le projet de loi soumis au Congrès en la matière a été adopté à une majorité écrasante qui a transcendé les clivages politiques, a-t-elle fait valoir.
Concluant ce dialogue, le chef de la délégation argentine a notamment déploré que toute la lumière n'ait pu être faite sur les deux attentats terroristes commis contre la communauté juive en 1992 et 1994. Le pays accuse un retard considérable en matière de lutte contre l'impunité, s'agissant notamment des disparitions forcées, a-t-il ajouté. L'Argentine a démontré que l'on pouvait néanmoins agir, un long chemin ayant tout de même été parcouru, a-t-il souligné. Il est important de reconnaître ces efforts, de même qu'il est important d'attirer l'attention sur les lacunes qui sont nombreuses, notamment dans le domaine carcéral ou encore en ce qui concerne la situation des peuples autochtones – qui est effectivement affligeante, a-t-il reconnu. L'un des problèmes majeurs touche à la disposition des provinces à mettre en œuvre les dispositions des instruments internationaux, a fait observer M. Despouy. Il a souligné que l'Argentine avait envoyé une invitation permanente aux procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme, prenant ainsi le contre-pied du Gouvernement précédent.
Remarques de conclusion
MME ANJA SEIBERT-FOHR, Vice-Présidente du Comité des droits de l'homme, a reconnu les efforts de l'Argentine, depuis la chute du régime militaire, ce pays ayant été à l'avant-garde de la lutte contre les disparitions forcées et des mesures visant à faire la lumière à leur sujet. Le Comité est satisfait de la prise en compte par l'Argentine de ses constatations; pourtant, il conviendrait de faire plus encore en matière de mise en œuvre du Pacte, particulièrement au niveau provincial, a poursuivi la Vice-Présidente du Comité. Il convient notamment pour ce pays d'améliorer les conditions de détention et de lutter contre les mauvais traitements, en rendant effectif le mécanisme de prévention de la torture, a-t-elle souligné. Les féminicides doivent être combattus, a-t-elle ajouté, avant de déplorer une application sélective des textes dans le domaine de l'avortement.
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CT16/025F