Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME ET LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS TIENNENT UNE RÉUNION CONJOINTE HISTORIQUE
Le Comité des droits de l'homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ont tenu cet après-midi, au Palais des Nations à Genève, une réunion conjointe inédite dans le cadre de la célébration du cinquantième anniversaire de l'adoption des deux instruments dont ils ont pour mandat de surveiller l'application, à savoir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Ouvrant la réunion, M. Fabián Omar Salvioli, Président du Comité des droits de l'homme, l'a qualifiée d'historique, puisque c'est la première fois que les deux Comités tiennent une réunion conjointe. M. Salvioli a ensuite rappelé que les droits économiques, sociaux et culturels d'une part et les droits civils et politiques d'autre part étaient indivisibles, complémentaires et interdépendants, mais qu'un problème se présente lorsqu'il est question de la volonté et de la mise en œuvre. Pensons-nous réellement à cette indivisibilité lorsque chaque Comité formule ses observations finales ou lorsqu'il examine des cas individuels, s'est-il interrogé?
M. Waleed Sadi, Président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, a notamment a émis l'espoir qu'à l'avenir, les deux Comités puissent se rencontrer pour débattre de questions pour lesquelles la jurisprudence des deux parties converge. Ce serait ainsi un bon moyen de conserver l'esprit et la lettre de la Déclaration universelle des droits de l'homme, a-t-il estimé.
Mme Sarah Cleveland, membre du Comité des droits de l'homme, a rappelé le processus historique ayant contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948 et a rappelé que les tentatives de la transposer en un seul pacte se sont heurtées aux obstacles de la guerre froide qui a conduit l'Assemblée générale des Nations Unies, quatre ans plus tard, à opter pour un «jugement de Salomon» en divisant l'ensemble en deux pactes. Cela n'a pas empêché que l'unité, l'interdépendance et l'indivisibilité des deux Pactes soient réaffirmées avec le temps, a-t-elle souligné, faisant observer que de fait, très peu d'États n'en ont ratifié qu'un seul sur les deux.
M. Olivier de Schutter, membre du Comité du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, a noté que la non-discrimination et la nécessité de prendre pour la pleine réalisation des droits des mesures qui soient concrètes et ciblées devaient connaître une application immédiate. Les États ne sauraient s'abriter derrière la nécessité d'une progressivité dans la mise en œuvre des mesures pour reporter à plus tard la réalisation des droits fondamentaux de la personne, a-t-il souligné. Les deux organes conventionnels font face à des défis spécifiques, a poursuivi l'expert, insistant plus particulièrement sur la nécessité de s'appuyer sur les droits économiques, sociaux et culturels afin d'orienter la mondialisation vers le développement.
Plusieurs organisations non gouvernementales, États et membres des deux Comités ont ensuite pris part au débat.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels doit clore demain midi les travaux de sa 58ème session, alors que le Comité des droits de l'homme entamera demain matin, à 10 heures, l'examen du rapport initial du Ghana.
Aperçu de la réunion
Ouvrant la réunion, M. FABIÁN OMAR SALVIOLI, Président du Comité des droits de l'homme, l'a qualifiée d'historique, puisque c'est la première fois que les deux Comités tiennent une réunion conjointe.
M. WALEED SADI, Président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, a souligné que cette réunion conjointe démontrait que les deux Pactes, sans être nécessairement identiques, étaient néanmoins jumeaux. Le plus étonnant pour lui est qu'une telle réunion ne se soit pas tenue plus tôt. Il a émis l'espoir que dans l'avenir les deux Comités mandatés pour surveiller les droits fondamentaux reconnus par la Déclaration universelle des droits de l'homme puissent se rencontrer pour débattre de questions pour lesquelles la jurisprudence des deux parties converge. Ce serait ainsi un bon moyen de conserver l'esprit et la lettre de la Déclaration universelle, selon lui.
M. SALVIOLI a pour sa part rappelé que les droits économiques, sociaux et culturels d'une part et les droits civils et politiques d'autre part étaient indivisibles, complémentaires et interdépendants, mais qu'un problème se présente lorsqu'il est question de la volonté et de la mise en œuvre. Pensons-nous réellement à cette indivisibilité lorsque chaque Comité formule ses observations finales ou lorsqu'il examine des cas individuels, s'est-il interrogé? Tout cela ne doit pas rester théorique, ni demeurer au niveau des simples beaux discours, a-t-il insisté. Les organes conventionnels ont une lourde responsabilité car ils agissent pour l'homme, pour des êtres de chair et de sang qui n'ont qu'une seule vie et n'en auront pas de rechange.
MME SARAH CLEVELAND, membre du Comité des droits de l'homme, a rappelé le processus historique ayant contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948. Elle a rappelé que les tentatives de la transposer en un seul pacte se sont heurtées aux obstacles de la guerre froide qui a conduit l'Assemblée générale des Nations Unies, quatre ans plus tard, à opter pour un «jugement de Salomon» en divisant l'ensemble en deux pactes. Cela n'a pas empêché que l'unité, l'interdépendance et l'indivisibilité des deux Pactes soient réaffirmées avec le temps. De fait, très peu d'États n'en ont ratifié qu'un seul sur les deux, a-t-elle relevé. Ces cinquante dernières années, un grand nombre des différences perçues à l'origine entre les deux instruments se sont substantiellement érodées. La Déclaration de Vienne de 1993 a réaffirmé l'universalité, l'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits de l'homme, a-t-elle rappelé.
En général, a poursuivi l'experte, les observations finales des deux Comités reflètent l'interdépendance substantielle des droits dont ils ont la charge de surveiller l'application. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils protègent des droits identiques, qu'ils doivent être interprétés de la même manière ou qu'il n'y avait pas de différences dans les contenus et les méthodes de suivi. Mais les points communs sont plus grands qu'on ne le croit bien souvent, a-t-elle conclu.
M. OLIVIER DE SCHUTTER, membre du Comité du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, a noté que la non-discrimination et la nécessité de prendre pour la pleine réalisation des droits des mesures qui soient concrètes et ciblées devaient connaître une application immédiate. Les États ne sauraient s'abriter derrière la nécessité d'une progressivité dans la mise en œuvre des mesures pour reporter à plus tard la réalisation des droits fondamentaux de la personne, a-t-il souligné. Les deux organes conventionnels font face à des défis spécifiques, a poursuivi l'expert, insistant plus particulièrement sur la nécessité de s'appuyer sur les droits économiques, sociaux et culturels afin d'orienter la mondialisation vers le développement. Des événements comme les attentats du 11-Septembre ou la crise économique et financière de 2008 ont constitué un test quant à la réalité de l'application des Pactes, a-t-il souligné. La crise de la dette, les accords entre créanciers et débiteurs peuvent porter atteinte à des droits tels que le droit à l'alimentation ou le droit à l'éducation, a-t-il noté. Un autre défi concerne les obligations extraterritoriales et l'interdiction de prendre des décisions susceptibles d'avoir des retombées négatives au-delà des frontières nationales où elles sont prises. M. de Schutter a souligné qu'un autre défi touchait à la réalisation des Objectifs de développement durable en les inscrivant dans le respect des droits. «Après avoir gravi une montagne très élevée, on s'aperçoit qu'il y a d'autres montagnes», a-t-il conclu en citant l'ancien Président sud-africain Nelson Mandela.
Le Centre pour les droits civils et politiques a estimé nécessaire d'harmoniser les méthodes de travail des organes conventionnels. Cela permettrait en particulier de faciliter la prise en compte de l'avis des organisations non gouvernementales. Au moins une heure devrait être consacrée aux ONG à l'occasion de l'examen de chaque État partie, en s'assurant que ces échanges aient lieu à huis clos, afin de ne pas exposer les orateurs à des représailles, a estimé le Centre. Il a enfin souligné l'importance du suivi sur le terrain.
FIAN International a averti que le système des droits de l'homme semblait en train de perdre de sa légitimité. Or, les organes conventionnels sont les seules instances des Nations Unies où les droits de l'homme ne sont pas négociables, a-t-il souligné. Ce sont aussi des espaces, les seuls même, où les victimes peuvent faire entendre leur voix. Par ailleurs, l'ONG a dit craindre que les Objectifs de développement durable ne monopolisent toute l'attention, au détriment du respect des droits fondamentaux.
Au cours de l'échange de vues qui a suivi ces interventions, un expert a noté la nécessité de faire évoluer la réflexion dans le cadre d'un processus continu: ainsi le droit à la vie pourrait être conceptualisé de manière à reconnaître qu'il englobe le droit à une vie décente. Un autre expert a souligné qu'il faudra faire preuve de créativité et d'une vision pour établir une coopération prudente entre les divers Comités. Il faudrait rationnaliser nos procédures en envisageant des rapports partiellement intégrés, ce qui sans nul doute ferait plaisir aux États membres, a-t-il ajouté. On pourrait aussi imaginer la formulation de recommandations conjointes, a-t-il déclaré.
Un autre expert a estimé que les deux Comités devraient trouver une solution simple, rapide, pour intégrer les organisations non gouvernementales dans leurs activités officielles. Cet expert a ensuite estimé, sur un plan plus global, que certains droits étaient plus inhérents à la nature humaine que d'autres. L'idée généreuse et noble de l'interdépendance des droits a été utilisée par des dictatures, selon lui, pour bloquer les droits les plus fondamentaux, les droits politiques en particulier, en prétendant devoir faire des choix et privilégier le droit à la santé ou à l'éducation. Un autre expert a noté que des États invoquent l'insuffisance de ressources pour justifier des restrictions à la mise en œuvre de certains droits. L'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits de l'homme demeurent encore un idéal à atteindre, a fait observer un expert.
Constatant le silence des États et les avis émis en revanche par les ONG, un membre du Comité des droits de l'homme s'est demandé s'il convenait de s'en inquiéter ou de s'en réjouir. Jusqu'au début des années 90, a-t-il rappelé, les droits économiques, sociaux et culturels étaient considérés comme des droits de second ordre, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui: l'opinion s'est imposée selon laquelle il s'agit de droits inhérents à la nature humaine. Il a souligné l'importance qu'il y aurait pour les deux Comités à travailler en commun sur l'approche droits de l'homme du droit au développement. Un membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels a observé que si 168 États sont parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 164 à celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, une vingtaine d'États n'en avaient signé aucun. Comment peut-on affirmer dans ces États que les droits reconnus par la Déclaration universelle sont interdépendants et ne pas signer les Pactes qui les inscrivent dans le marbre, a-t-il demandé? Cet expert s'est par ailleurs inquiété de la réduction du nombre de langues utilisées par les organes conventionnels, désormais réduites à trois pour des raisons d'économie, se demandant comment on pourrait ainsi élargir l'audience des Comités. A notamment été déplorée la disparition du chinois parmi les langues de travail des organes conventionnels. Un expert arabophone a lui aussi déploré ce qu'il considère comme une «discrimination» linguistique de fait affectant le monde des droits de l'homme et s'est demandé comment on pouvait travailler dans trois langues seulement – des idiomes qui, a-t-il observé, sont tous originaires de la même région.
L'ex-République yougoslave de Macédoine a reconnu qu'il était décevant en effet qu'aucun État n'ait jugé bon de prendre la parole à ce stade de la réunion. De manière générale, les États parties se retrouvent dans une situation très déséquilibrée (les uns au regard des autres) puisque certains d'entre eux expriment des réserves à l'égard de dispositions des Pactes qu'ils ratifient néanmoins, a fait observer la délégation, ajoutant que ce déséquilibre se retrouve lors de l'Examen périodique universel au Conseil des droits de l'homme.
Une experte du Comité des droits économiques, sociaux et culturels a dit avoir le sentiment que les États ne manifestaient aucun intérêt pour les travaux des Comités. Elle a rappelé que les droits reconnus par les Pactes faisaient partie des obligations fondamentales des États parties et qu'ils n'avaient rien de facultatifs. Un de ses collègues a estimé qu'il serait utile d'établir une structure commune pour des actions conjointes des deux Comités.
L'Uruguay a convenu que peu d'États parties étaient représentés à la présente réunion conjointe, émettant l'hypothèse que cela pouvait être dû au fait que le Conseil des droits de l'homme est actuellement en session. À l'origine, un seul pacte avait été envisagé pour l'ensemble des droits de l'homme, a-t-il rappelé, faisant observer que cela aurait facilité la reconnaissance de l'indivisibilité des droits. L'Uruguay s'est félicité que les deux Comités affichent une volonté de coopérer et a souhaité savoir comment, de l'avis des experts de ces deux organes conventionnels, le Conseil des droits de l'homme pourrait favoriser leurs travaux.
L'Équateur a affirmé que les États représentés à la présente réunion étaient venus avant tout pour apprendre. Le pays a estimé qu'un meilleur travail de coordination entre les deux Comités était désirable.
Un expert a jugé positif que les organes conventionnels ne pâtissent pas de la politisation des débats fréquemment déplorée dans un organe politique comme le Conseil des droits de l'homme. On ne manie pas les allégations; on ne condamne personne au sein des Comités, a-t-il souligné. Les experts sont bien conscients que si certains droits ne peuvent attendre, s'agissant de la lutte contre la discrimination par exemple, la réalisation de certains droits économiques, sociaux et culturels prend en revanche du temps; les experts savent faire preuve de patience, a ajouté cet expert.
À l'instar d'intervenants l'ayant précédé, un expert du Comité des droits de l'homme a souligné la nécessité d'établir une jurisprudence commune entre les deux Comités. Enfin, une experte du Comité du droits économiques, sociaux et culturels a proposé que soit organisée une prochaine réunion conjointe afin que les deux organes échangent sur la manière dont ils traitent les «communications», à savoir les plaintes individuelles en vertu des Protocoles facultatifs aux Pactes. Un expert du Comité des droits de l'homme a émis l'espoir qu'il y aurait d'autres réunions conjointes avant 2026.
Concluant la réunion, le Président du Comité des droits de l'homme, M. SALVIOLI, a souligné qu'en matière de droits de l'homme, il fallait veiller à persévérer afin de toujours progresser. Les Comités ne peuvent continuer de travailler comme il y a quarante ans: les organes de droits de l'homme doivent se concerter, a-t-il affirmé. Tous les droits de l'homme sont essentiels et personne ne peut affirmer que la liberté d'expression soit plus importante que le droit à l'alimentation, par exemple, a souligné M. Salvioli.
M. SADI, Président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, a quant à lui souligné la nécessité de faire en sorte que l'événement de ce jour ne soit pas un fait unique. Si l'on est convaincu que ce rendez-vous a constitué quelque chose de précieux, il faut faire en sorte de renforcer les liens entre les deux Comités, a-t-il insisté. Il faut en particulier agir en direction d'une jurisprudence commune pour aller vers l'unification des missions et des objectifs communs des deux instances, a-t-il conclu.
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