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LE COMITÉ POUR LA PROTECTION DES DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS EXAMINE LE RAPPORT DE LA TURQUIE

Compte rendu de séance

Le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial de la Turquie sur les mesures qu'elle a prises pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Présentant ce rapport, M. Mehmet Ferden Çarikçi, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que la Convention est un outil essentiel; sa pertinence est indiscutable et il est essentiel d'élargir le nombre d'États parties à cet instrument, a-t-il déclaré, constatant que son pays était le seul à l'avoir ratifié en Europe. Plus de six millions de Turcs sont des travailleurs migrants, principalement sur le vieux continent mais aussi ailleurs dans le monde, a par ailleurs rappelé M. Çarikçi. Une nouvelle Loi sur les étrangers et la protection internationale a été promulguée en 2013 afin de combler le vide dû à l'absence d'une loi sur l'asile et d'harmoniser la législation turque avec l'acquis européen sur la base de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, a indiqué le Représentant permanent. Avec la promulgation de cette Loi, a été reconnu le principe de non-refoulement, qui était toutefois déjà respecté par la Turquie avant cette date, s'agissant des personnes risquant d'être torturées ou de subir des mauvais traitements, a indiqué M. Çarikçi.

Le Représentant permanent a ensuite abordé la question de la situation des Syriens vivant en Turquie depuis que la guerre civile a éclaté dans leur pays. La Turquie maintient une politique de «porte ouverte» sans aucune discrimination depuis 2011, a souligné M. Çarikçi, ajoutant que là encore, le principe de non-refoulement est respecté sans aucune restriction. À l'heure actuelle, la Turquie héberge plus de 2,7 millions de Syriens, ainsi que 300 000 Iraquiens, a-t-il précisé. Depuis janvier dernier, les Syriens ont accès au marché du travail local, a-t-il fait valoir. La situation est problématique s'agissant de la scolarisation des mineurs, a-t-il reconnu: sur 750 000 enfants syriens d'âge scolaire présents sur le territoire turc, plus de la moitié ne fréquentent pas l'école en raison d'un manque de locaux et d'enseignants. Quant à l'accord conclu entre la Turquie et l'Union européenne le 18 mars dernier, il a d'abord une visée humanitaire, son principal objectif étant de prévenir la perte de vies humaines en mer Égée, de démanteler les réseaux de passeurs et de remplacer la migration irrégulière par la migration régulière, a expliqué M. Çarikçi. Alors que l'on enregistrait près de 7000 passages quotidiens en octobre dernier et 2000 en janvier et février derniers, ce chiffre est tombé à 900 le mois dernier (mars 2016), a-t-il indiqué. Si l'accord est effectivement respecté par les deux parties, la Turquie est convaincue qu'il portera rapidement ses fruits et permettra de stopper complètement les traversées irrégulières, a-t-il conclu.

L'imposante délégation turque était également composée de représentants du Ministère du travail et de la sécurité sociale; du Ministère de la justice; du Ministère de l'intérieur; du Ministère de l'éducation nationale; de l'institution du Médiateur; et de la Mission permanente de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève.

La délégation a répondu aux questions des experts du Comité s'agissant, entre autres, des retombées de la guerre civile en Syrie, de la situation des quelque 2,7 millions de Syriens réfugiés en Turquie et de l'accord signé le mois dernier avec l'Union européenne; des mineurs non accompagnés; de la rétention administrative des étrangers en attente d'expulsion; des migrants irréguliers; de la lutte contre la traite de personnes; des Turcs ayant émigré, de leur droit de vote et des services consulaires à leur disposition; de la lutte contre le travail des enfants; des permis de travail, y compris pour les travailleurs domestiques et pour les travailleurs saisonniers; ou encore du Médiateur et de l'institution nationale des droits de l'homme.

M. Pablo Ceriani Cernadas, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport, a affirmé que le Comité était tout à fait conscient des défis rencontrés par la Turquie, pays d'origine, de transit et de destination de migrants. Alors que près de trois millions de réfugiés sont hébergés par la Turquie, on n'a pas constaté le même esprit d'accueil ailleurs dans le monde, a rappelé le corapporteur, citant le cas de l'Union européenne. Constatant que le nombre d'étrangers retenus était en forte hausse et a souhaité savoir si la Turquie prévoyait d'augmenter le nombre de centres de rétention. S'agissant du récent accord signé entre la Turquie et l'Union européenne, le corapporteur s'est enquis de ce qu'il advenait dans ce contexte des personnes renvoyées par la Grèce vers la Turquie. Sont-elles détenues? Peuvent-elles demander l'asile? Risquent-elles d'être renvoyées vers des pays comme l'Erythrée, l'Afghanistan ou le Pakistan, a-t-il demandé? La Turquie veille-t-elle à ce que les dispositions de l'accord avec l'Union européenne soient conformes à celles de la Convention, a par ailleurs demandé M. Ceriani Cernadas?

M. Prasad Kariyawasam, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, a fait observer que la plupart des pays d'accueil de migrants n'avaient pas ratifié la Convention, soulignant que la Turquie pouvait constituer un modèle en matière d'application de la Convention pour le reste du continent européen. Il a constaté que l'accès au marché du travail des réfugiés faisait d'eux des travailleurs migrants ipso facto et non plus des réfugiés. Aussi, M. Kariyawasam a-t-il souhaité savoir s'ils pouvaient adhérer à des syndicats, s'ils étaient traités sur un pied d'égalité en matière salariale et de quelles garanties ils bénéficiaient en matière de conditions du travail. Des mesures sont-elles prises pour garantir l'enregistrement des naissances, afin d'éviter l'apatridie, a d'autre part demandé le corapporteur?


Le Comité adoptera ultérieurement, dans le cadre de séances privées, ses observations finales sur le rapport de la Turquie et les rendra publiques à l'issue de la session, qui doit clore ses travaux vendredi prochain, 22 avril, date de la prochaine et dernière séance publique de cette vingt-quatrième session.


Présentation du rapport de la Turquie

Le Comité est saisi du rapport initial de la Turquie (CMW/C/TUR/1), élaboré à partir de la liste de points à traiter (CMW/C/TUR/QPR/1) que lui a adressée le Comité.

M. MEHMET FERDEN ÇARIKÇI, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, a constaté que 25 ans après l'adoption de la Convention et plus d'une dizaine d'années après sa ratification par la Turquie, les difficultés et les menaces se sont multipliées s'agissant des questions en jeu. Avec l'accroissement mondial de la mobilité humaine, le nombre de migrants est en hausse, a-t-il souligné. Chaque jour, des conflits et d'autres facteurs de déstabilisation contraignent des milliers de personnes à quitter leur patrie, a-t-il insisté. Face à cette situation, la Convention est un outil essentiel, sa pertinence est indiscutable et il est essentiel d'élargir le nombre d'États parties à cet instrument, a déclaré le Représentant permanent de la Turquie, constatant que son pays était le seul à l'avoir ratifié en Europe. Plus de six millions de Turcs sont des travailleurs migrants, principalement sur le vieux continent mais aussi ailleurs dans le monde, a par ailleurs rappelé M. Çarikçi.

La Turquie reconnaît l'égalité en matière de droits et de dignité de tout être humain, rejetant toute discrimination, a poursuivi le Représentant permanent. La société turque n'est pas simplement la juxtaposition de communautés ou de groupes, mais bien plutôt une fusion d'individus d'origines diverses qui ont fait de cette terre leur patrie à travers les siècles. Chacun est égal à son voisin, quelles que soient son origine, son ethnie, sa race ou sa langue, a insisté M. Çarikçi.

La discrimination positive en faveur des femmes, des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées est reconnue par la Constitution qui prévoit une clause de «mesures spéciales» en leur faveur, a par ailleurs fait observer M. Çarikçi. Ces cinq dernières années, l'indépendance de la justice a été renforcée, a-t-il ajouté. Une nouvelle loi sur les étrangers et la protection internationale a été promulguée en 2013 afin de combler le vide dû à l'absence d'une loi sur l'asile et d'harmoniser la législation turque avec l'acquis européen sur la base de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

Une institution nationale des droits de l'homme a été créée en 2012 et répond aux Principes de Paris, a poursuivi le Représentant permanent de la Turquie. Une institution du Médiateur a également été inaugurée en 2013 afin de contribuer à la promotion et à la protection des droits de l'homme dans le domaine de l'administration publique, a-t-il ajouté. Les étrangers peuvent porter plainte auprès du Médiateur même s'il ne dispose pas de l'autorité pour s'immiscer dans des décisions de quelque institution que ce soit en matière de migration, a-t-il précisé. Le Médiateur peut faire des propositions visant à annuler des décisions si une violation des droits et intérêts est relevée à la suite d'une décision, a-t-il indiqué.

Plusieurs programmes de formation existent qui sont principalement destinés aux fonctionnaires chargés de l'application des lois – policiers, gendarmes et magistrats, en particulier. Des actions de sensibilisation du public sont également menées. Les politiques d'intégration des migrants réfugiés ne font pas de différence avec les citoyens turcs en matière de droits et libertés fondamentaux, a souligné M. Çarikçi.

Avec la promulgation de la loi de 2013 sur la protection internationale, a été reconnu le principe de non-refoulement, qui était toutefois déjà respecté par la Turquie avant cette date, s'agissant des personnes risquant d'être torturées ou de subir des mauvais traitements, a poursuivi M. Çarikçi.

Le Représentant permanent a ensuite abordé la question de la situation des Syriens vivant en Turquie depuis que la guerre civile a éclaté dans leur pays il y a maintenant plus de cinq ans, entraînant le départ de plus de 4,6 millions d'entre eux. La Turquie maintient une politique de «porte ouverte» sans aucune discrimination depuis 2011, a souligné M. Çarikçi. Là encore, le principe de non-refoulement est respecté sans aucune restriction, a-t-il ajouté. À l'heure actuelle, la Turquie héberge plus de 2,7 millions de Syriens, ainsi que 300 000 Iraquiens, ce qui fait de celle-ci le pays comptant le plus grand nombre de réfugiés dans le monde. Depuis janvier dernier, les Syriens ont accès au marché du travail local, a précisé M. Çarikçi. La situation est problématique s'agissant de la scolarisation des mineurs, a reconnu le Représentant permanent de la Turquie: sur 750 000 enfants syriens d'âge scolaire présents sur le territoire turc, plus de la moitié ne fréquentent pas l'école en raison d'un manque de locaux et d'enseignants, a-t-il précisé. Il a fait état d'un projet pilote, développé par le Ministère de l'éducation nationale avec l'aide du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), qui permet de soutenir par des actions de formation des enseignants syriens disposés à enseigner bénévolement. Un projet est aussi mis en œuvre avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) pour enseigner la langue turque aux petits Syriens. M. Çarikçi a par ailleurs indiqué que quelque 152 000 bébés syriens étaient nés en Turquie, le pays ayant la responsabilité de les aider à prendre un bon départ dans la vie. La Turquie, qui chiffre à dix milliards de dollars le montant qu'elle a dû débourser pour faire face à la situation, estime que la contribution de la communauté internationale est loin de ce qu'elle escomptait – M. Çarikçi donnant ici le chiffre de 462 millions. Reconnaissant qu'elle n'était pas la seule à être confrontée à un tel défi, la Turquie a estimé que les pays voisins de la Syrie ne devaient pas être laissés seuls: la proximité n'implique pas nécessairement la responsabilité, a insisté le Représentant permanent. Tout échec en matière de partage des responsabilité entraînerait un coût insupportable pour la communauté internationale et des efforts collectifs sont indispensables pour le salut de l'avenir commun de l'humanité, a-t-il insisté. Il ne faut pas oublier en effet que les personnes déplacées nécessitent plus qu'une réponse dans l'urgence: elles ont besoin d'une perspective d'avenir, a souligné M. Çarikçi, ajoutant que cette responsabilité doit être mieux partagée.

Quant à l'accord conclu entre la Turquie et l'Union européenne le 18 mars dernier, il a d'abord une visée humanitaire, son principal objectif étant de prévenir la perte de vies humaines en mer Égée, de démanteler les réseaux de passeurs et de remplacer la migration irrégulière par la migration régulière, a expliqué le Représentant permanent de la Turquie. Alors que l'on enregistrait près de 7000 passages quotidiens en octobre dernier et 2000 en janvier et février derniers, ce chiffre est tombé à 900 le mois dernier (mars 2016), a précisé M. Çarikçi. Si l'accord est effectivement respecté par les deux parties, la Turquie est convaincue qu'il portera rapidement ses fruits et permettra de stopper complètement les traversées irrégulières, a-t-il conclu.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. PABLO CERIANI CERNADAS, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport, a affirmé que le Comité était tout à fait conscient des défis rencontrés par la Turquie, pays d'origine, de transit et de destination de migrants. Alors que près de trois millions de réfugiés sont hébergés par la Turquie, on n'a pas constaté le même esprit d'accueil ailleurs dans le monde, a rappelé le corapporteur, citant le cas de l'Union européenne. Dans ce contexte, M. Ceriani Cernadas s'est enquis des mesures de prise en charge et de sauvetage déployées par la Turquie afin de limiter le nombre de morts en mer. Des mesures ont-elles été prises pour identifier les victimes et renvoyer les corps à leurs proches, a-t-il demandé ? Il a par ailleurs constaté que le nombre d'étrangers retenus était en forte hausse et a souhaité savoir si la Turquie prévoyait d'augmenter le nombre de centres de rétention. La privation de liberté devant être une mesure de dernier recours, des solutions alternatives sont-elles prises, afin notamment qu'aucune famille avec enfant ne soit privée de liberté ? Quelle est la durée de séjour dans les centres de rétention, en attendant l'expulsion, a-t-il encore demandé ? On a parlé de mauvais traitements, a ajouté M. Ceriani, souhaitant savoir s'ils avaient entraîné des sanctions.

Le corapporteur s'est ensuite penché sur le récent accord signé entre la Turquie et l'Union européenne, souhaitant savoir ce qu'il advenait dans ce contexte des personnes renvoyées par la Grèce vers la Turquie. Sont-elles détenues ? Peuvent-elles demander l'asile ? Risquent-elles d'être renvoyées vers des pays comme l'Erythrée, l'Afghanistan ou le Pakistan, a-t-il demandé ? Ces personnes peuvent-elles obtenir un permis de travail, un titre de séjour ? La Turquie veille-t-elle à ce que les dispositions de l'accord avec l'Union européenne soient conformes à celles de la Convention ? M. Ceriani Cernadas a indiqué avoir lu que la loi permettait d'expulser une personne travaillant sans permis et a souhaité savoir si dans ce cas l'octroi d'un permis temporaire était envisageable afin d'éviter le renvoi. Les enfants non accompagnés bénéficient-ils de protection, a en outre voulu savoir le corapporteur ?

M. Ceriani Cernadas s'est par ailleurs enquis de ce que la Turquie envisageait pour le long terme, une fois que la situation d'urgence serait passée. Pourrait-elle offrir des titres de séjour susceptibles de permettre d'intégrer une partie de ces populations ?

M. PRASAD KARIYAWASAM , corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, a souligné l'importance de la Turquie pour le Comité et s'est félicité de la qualité du rapport qu'elle a présenté à cet organe. Il a fait observer que la plupart des pays d'accueil de migrants n'avaient pas ratifié la Convention, soulignant que la Turquie pouvait constituer un modèle en matière d'application de la Convention pour le reste du continent européen.

Le corapporteur a ensuite demandé ce qu'il en était de la prise en compte de la Convention dans la législation turque. Il a constaté que l'accès au marché du travail des réfugiés faisait d'eux des travailleurs migrants ipso facto et non plus des réfugiés. Ils deviennent ainsi des agents productifs dans la société d'accueil et non plus une charge, a-t-il insisté. Aussi, M. Kariyawasam a-t-il souhaité savoir s'ils pouvaient adhérer à des syndicats, s'ils étaient traités sur un pied d'égalité en matière salariale et de quelles garanties ils bénéficiaient en matière de conditions du travail. Des mesures sont-elles prises pour garantir l'enregistrement des naissances, afin d'éviter l'apatridie, a d'autre part demandé le corapporteur ?

M. Kariyawasam s'est ensuite interrogé sur les permis de travail à durée limitée permettant à des étrangers parrainés de travailler, estimant que ce statut pouvait avoir des effets non désirables, comme cela se voit dans certains pays où l'on recourt massivement à cette pratique. Il a en outre abordé brièvement le sort des émigrés turcs, s'enquérant des mesures prises en leur faveur par les autorités d'Ankara. Il a par ailleurs jugé tout à fait insuffisante la participation de la société civile dans les questions de migration, affirmant que cela est regrettable compte tenu de l'étendue du problème auquel est confronté le pays en la matière.

Une autre experte du Comité a insisté sur l'importance d'établir un dialogue avec les pays d'origine, afin de trouver des solutions aux causes des déplacements forcés.

Une experte s'est pour sa part interrogée sur le degré d'indépendance de l'institution nationale des droits de l'homme. Elle a en outre souhaité savoir combien de personnes avaient été réadmises en Turquie à la suite de l'accord signé avec l'Union européenne et combien se trouvaient dans des centres de rétention.

Un membre du Comité s'est enquis de la conformité de la Loi de 2013 loi sur les étrangers et la protection internationale avec les dispositions de la Convention.

Un expert s'est inquiété du fait que le plus grand nombre de morts en mer continue de survenir au large de la Turquie, en dépit des mesures prises. Il a souhaité savoir quels efforts avaient été consentis par la Turquie afin d'identifier les morts. Il s'est aussi interrogé sur la possibilité de placer les enfants non accompagnés dans des centres ouverts. Les ONG ont-elles accès aux centres de rétention, a-t-il demandé ? Il a par ailleurs évoqué une fusillade, dont a fait état la presse, qui aurait visé des réfugiés à la frontière et serait imputable aux forces de sécurité turques. Qui peut bénéficier de la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés, a par ailleurs demandé l'expert, souhaitant un éclaircissement sur les limites de compétence géographique édictées par la Turquie ? Des informations ont fait état de refoulements à la frontière ces derniers temps, s'est-il en outre inquiété. Par ailleurs, un réfugié peut-il avoir un permis de travail avant même d'avoir trouvé un emploi ?

Un autre expert a souhaité savoir si une stratégie de diffusion de la Convention et de formation à son contenu était déployée – et pas uniquement en langue turque. Il a demandé si la Turquie se préoccupait des risques de violence sexiste, dans le contexte de l'afflux actuel de réfugiés. Le même expert a par ailleurs souhaité que la délégation fournisse davantage de statistiques sur la migration régulière et irrégulière. Certaines agences de placement emploieraient des migrants sans permis afin d'éviter de payer des cotisations sociales, a-t-il fait observer. Cette situation n'est pas saine, a-t-il commenté, demandant si les autorités s'en préoccupaient. Il s'est également demandé si des victimes de la traite pouvaient être poursuivies au même titre que les trafiquants – une pratique qui serait alors à proscrire, a-t-il souligné.

La Turquie peut être un des porte-étendards de la Convention, en particulier face aux pays du Nord qui ne l'ont pas encore ratifiée, ont souligné deux membres du Comité. L'un d'eux a lu plusieurs extraits d'un livre de reportages publié par un journaliste français rendant compte de la situation des migrants dans le monde, notamment en Turquie. Il a ainsi lu le témoignage d'un jeune Afghan qui travaille 14 heures par jour pour quelques dollars à Istanbul et qui se plaint de la «dureté des Turcs», ainsi que celui d'une femme contrainte à avoir des relations sexuelles avec son employeur. Ce livre plonge le lecteur dans l'univers de l'immigration clandestine, a-t-il souligné, souhaitant avoir le sentiment de la délégation face à la dureté des témoignages recueillis.

Quelles sont les voies de recours contre le placement en rétention, a-t-il par ailleurs été demandé ?

Une experte a demandé si la Turquie disposait de chiffres sur le nombre de ses ressortissants présents en Afrique sub-saharienne.

Un expert s'est enquis du montant de l'aide financière fournie à la Turquie, alors que certaines sources parlent de milliards de dollars.

Réponses de la délégation

La délégation, qui a longuement évoqué les retombées de la guerre civile en Syrie, a souligné que la Turquie respectait le principe de non-refoulement, aucun ressortissant syrien n'étant contraint à rentrer dans son pays contre sa volonté. L'accord signé avec l'Union européenne le 18 mars – et entré en vigueur deux jours plus tard – a permis une réduction drastique du nombre d'arrivées en Grèce, ces derniers jours, le nombre de traversées en mer Égée se comptant à moins d'une vingtaine par jour alors qu'il concernait près de 7000 personnes quotidiennement en octobre dernier, a-t-elle fait valoir. Les mesures prises permettent d'enregistrer correctement les arrivants et de prévoir leur réinstallation dans des pays européens à partir de la Turquie, sur la base des critères de l'Union européenne, a souligné la délégation. Des allégations ont fait état de renvois forcés de Syriens dans leur pays, ce qui est parfaitement absurde et n'a d'autre but que de salir la Turquie: quel serait l'intérêt de renvoyer quelques dizaines de personnes de la part d'un pays qui en accueille plus de 2,7 millions, a poursuivi la délégation turque ? Certaines provinces comptent plus de ressortissants syriens que de citoyens turcs, a-t-elle en outre rappelé. La coopération internationale et régionale est très importante, a souligné la délégation.

Selon un proverbe turc, «avant de chercher une maison à acheter, il convient de veiller à avoir de bons voisins», a rappelé la délégation, qui a aussi cité Napoléon 1er, selon lequel la géographie déterminait la politique étrangère. Malheureusement, une relation de bon voisinage est actuellement impossible et aucune collaboration n'est possible avec une Syrie qui lance des accusations en se présentant comme le pays le plus démocratique du monde, alors qu'elle a favorisé l'émergence du prétendu État islamique, qui n'est ni un État, ni islamique, a poursuivi la délégation. Cela est attristant, car le peuple syrien, héritier d'une civilisation millénaire, n'a d'autre choix que de fuir, a-t-elle déploré.

La Turquie est partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, a par ailleurs rappelé la délégation. Les quelque 2,7 millions de Syriens présents sur le territoire turc bénéficient d'une protection temporaire, a-t-elle expliqué. Les activités d'éducation à leur intention sont menées à l'intérieur ou à l'extérieur des centres d'hébergement temporaire, selon les capacités d'accueil, sous le contrôle et la responsabilité du Ministère de l'éducation nationale, a-t-elle précisé. La priorité est accordée à l'enseignement primaire. Outre l'enseignement du turc, un enseignement est accordé dans la langue maternelle des réfugiés syriens et iraquiens, en dépit du fait que la Turquie ne soit pas un pays arabophone, a fait valoir la délégation. Les enseignants, recrutés parmi les réfugiés, sont bénévoles et sont majoritairement des femmes, a-t-elle précisé.

Les enfants non accompagnés ne sont pas expulsés et sont orientés vers les services pertinents, a par ailleurs souligné la délégation. Les mineurs non accompagnés relèvent du Ministère de la famille et des affaires sociales, a-t-elle par la suite précisé.

La rétention administrative en vue d'une expulsion se fait dans un centre prévu à cet effet, a expliqué la délégation. Il ne s'agit pas d'une procédure pénale, la nature du délit n'étant pas d'ordre pénal, a-t-elle rappelé. On veille à ce que les enfants soient maintenus avec leur famille. Les centres de rétention disposent généralement de terrains de jeu, a ajouté la délégation, précisant que la Turquie compte six centres d'une capacité totale de près de 50 000 places.

La délégation a affirmé que le livre (publié par un journaliste) cité par l'un des membres du Comité rappelait celui écrit par l'auteur allemand Günther Grass sur la communauté turque en Allemagne. La migration est souvent associée au racisme, à la xénophobie, à l'islamophobie, ce qui n'a pas été du tout mentionné dans les questions et ce qui ne correspond d'ailleurs pas du tout à l'état d'esprit qui prévaut en Turquie, a-t-elle souligné. Il ne va pourtant pas de soi d'accueillir plus de trois millions de réfugiés, notamment pour des raisons de sécurité, a-t-elle rappelé. Engageant chacun à ne pas toujours croire tout ce qui est écrit dans la presse, la délégation a démenti les articles faisant état de tirs à la frontière contre des réfugiés. La Turquie a une très longue côte, il y a plus de 3000 îles entre la Grèce et la Turquie et l'on peut imaginer le défi que cela représente, a-t-elle insisté. La crise actuelle reflète les déséquilibres du monde et c'est ceux-ci qu'ils faut résoudre, a déclaré la délégation. La Turquie, sans être nécessairement un modèle, peut effectivement être source d'inspiration, a-t-elle ajouté. La délégation a cité le Rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme des migrants, M. François Crépeau, selon lequel la seule manière de réduire la traite des migrants est de leur offrir des solutions de mobilité peu onéreuses et pragmatiques. Malheureusement, le monde a attendu 2015 pour commencer à prendre conscience du problème, a déploré la délégation.

Lorsque des migrants meurent en Turquie, les autorités s'efforcent de les identifier afin d'en avertir les consulats concernés et d'envisager le rapatriement des corps, a par ailleurs indiqué la délégation.

La Turquie a reçu 462 millions de dollars de la communauté internationale et dépensé pour sa part dix milliards pour répondre à l'afflux de migrants, a indiqué la délégation. Quant à l'aide promise par l'Union européenne, celle-ci ira directement à des projets en faveur des migrants syriens.

La migration est dans la nature de l'homme, a expliqué la délégation. C'est un chemin essentiel pour l'humanité lorsqu'elle se sent limitée dans ses possibilités. La capacité des personnes à se déplacer plus rapidement joue un rôle dans la situation contemporaine, alors même que la possibilité d'émigrer connaît des restrictions en comparaison de la circulation des biens et des marchandises. La communauté turque a apporté une contribution importante au développement de l'Allemagne, a poursuivi la délégation; elle apporte talents et expériences à ce pays, de même que par le passé, des universitaires et scientifiques juifs ayant fui l'Allemagne nazie pour trouver asile en Turquie ont apporté beaucoup à celle-ci, a souligné la délégation. Par ailleurs, un travail académique est effectué dans les universités s'agissant des questions de migration, a-t-elle ajouté.

La délégation turque a précisé que 65 000 migrants irréguliers avaient été enregistrés au premier trimestre de cette année, dont 38 600 ont été secourus en mer; en outre, 53 passeurs ont été arrêtés par les gardes-côtes.

Un plan d'action national a été lancé contre la traite des êtres humains, a ensuite indiqué la délégation. Une ligne téléphonique spéciale en plusieurs langues – turc, russe, roumain et arabe – a été mise en place pour les victimes de la traite, celles-ci étant principalement originaires d'Europe de l'Est, a-t-elle précisé.

La prévention de la violence à l'égard des femmes relève d'un texte de loi qui s'inspire notamment de la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Quant à la traite, le Code pénal ne prévoit ni sanctions ni poursuites contre les victimes, a fait valoir la délégation.

La Loi sur les étrangers et la protection internationale de 2013 est conforme aux textes internationaux ratifiés par la Turquie, a poursuivi la délégation.

Les personnes étrangères poursuivies en justice à la suite d'un délit ou d'un crime présumé bénéficient des mêmes garanties que tout justiciable turc, a d'autre part fait valoir la délégation.

Les travailleurs domestiques peuvent obtenir un permis de travail à condition de disposer d'un contrat de travail, a poursuivi la délégation. Si le permis de résidence arrive à échéance avant le permis de travail, c'est ce dernier qui a la primauté et tient lieu de permis de séjour, a-t-elle expliqué. Le système de parrainage d'étrangers par un garant n'existe pas en Turquie, pays qui s'efforce de se mettre en conformité avec la législation européenne, a-t-elle par ailleurs indiqué. Les droits des citoyens et travailleurs turcs sont pratiquement les mêmes que ceux de l'Union européenne, le pays ayant ratifié la plupart des conventions pertinentes de l'Organisation internationale du Travail, a ajouté la délégation.

La Turquie a conclu des accords de sécurité sociale avec une trentaine de pays, a d'autre part fait valoir la délégation. Les citoyens turcs vivant à l'étranger peuvent prendre leur retraite en Turquie sans y avoir jamais vécu. Ils peuvent y rapatrier leurs biens, leur automobile notamment, sans payer de droits de douane. La Turquie encourage la naturalisation dans les pays d'émigration, puisqu'elle reconnaît la double nationalité. Des accords évitant la double imposition ont été conclus avec un grand nombre de pays, a également rappelé la délégation.

Le Ministère des affaires étrangères suit de près les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les Turcs émigrés et un centre d'appel est à leur disposition, a indiqué la délégation. Il s'agit d'un service disponible en cinq langues, outre le turc, a-t-elle précisé. Par ailleurs, les employés des services consulaires sont formés à répondre à la plupart des demandes venant de membres de la communauté émigrée, a-t-elle ajouté. Les citoyens turcs vivant à l'étranger peuvent voter aux élections turques, a par ailleurs rappelé la délégation; depuis 2012, le système a été modernisé afin de permettre à tous les citoyens turcs de voter dans les ambassades et les consulats auprès desquels ils sont enregistrés. Lors des élections de juin 2015 et lors du scrutin anticipé de l'automne dernier, ces citoyens turcs émigrés ont ainsi pu voter dans 113 missions turques situées dans 54 pays. Près d'un électeur émigré sur deux (45%) a ainsi accompli son devoir électoral.

Quelque trois millions de Turcs sont rentrés au pays après un séjour à l'étranger ces dernières années, a ensuite indiqué la délégation. La plupart d'entre eux ne sont plus actifs professionnellement, a-t-elle précisé. On ne peut considérer toutefois qu'il s'agisse d'un retour définitif pour ceux qui ont une double nationalité ou qui n'ont que la nationalité de leur pays de résidence. Ils peuvent bénéficier de la sécurité sociale turque, soumise à une faible cotisation. Il bénéficient ainsi de soins de santé de qualité pour un coût modique, possibilité dont profitent aussi des retraités de pays européens qui s'installent sur la côte et qui sont en quête d'un climat plus clément, a souligné la délégation.

La ratification du troisième Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant est en cours, a d'autre part indiqué la délégation, rappelant que cet instrument établit une procédure de plaintes individuelles. La ratification de ce Protocole a été retardée par la dissolution de l'Assemblée nationale et par les élections anticipées de cet automne, a expliqué la délégation. La Turquie lutte contre le travail des enfants, a-t-elle poursuivi. Contrairement à certaines allégations de la presse, ceux-ci ne travaillent pas dans le secteur du textile et lorsque cela arrive, il est rapidement mis bon ordre à cette situation.

La période de validité des permis de travail accordés aux personnes bénéficiant de cette protection temporaire ne peut être plus longue que la durée de la protection temporaire et la validité desdits permis prend fin à la fin de la protection temporaire, a indiqué la délégation. Les permis de travail délivrés à des personnes bénéficiant d'une protection temporaire ne doivent pas remplacer les permis de séjour, a-t-elle souligné. Les personnes bénéficiant d'une protection temporaire ne nécessitent pas de permis de travail si elles sont employées comme ouvriers agricoles saisonniers, a-t-elle ajouté. Les travailleurs saisonniers sont soumis à des procédures simplifiées pour l'obtention d'un permis de travail, ce qui concerne en particulier le secteur touristique. Le permis de travail permet alors de remplacer le permis de résidence.

L'Inspection du travail réalise des visites impromptues pour réprimer le travail au noir, a par ailleurs indiqué la délégation.

La délégation a d'autre part indiqué qu'un certain nombre de ressortissants turcs étaient installés en Afrique. Il s'agit principalement d'ouvriers du bâtiment envoyés sur place par des entreprises turques du BTP, a-t-elle précisé.

Ceux des étrangers qui sont dans le besoin peuvent être autorisés à accéder aux aides sociales et aux services sociaux, a précisé la délégation.

Depuis 2013, le Médiateur est habilité à recevoir des plaintes, a d'autre part rappelé la délégation. Cette institution est une entité publique disposant de son propre budget et relevant de l'Assemblée nationale, puisque ses membres sont élus par les députés. Le Médiateur a reçu près de 1400 plaintes depuis le début de cette année, la moyenne annuelle depuis 2013 tournant autour de 6000 à 7000 plaintes. Celles qui concernent des étrangers touchent à des limitations d'entrées sur le territoire ou à des conditions d'hébergement dans les centres d'accueil, a précisé la délégation. La majorité des plaintes sont rejetées pour irrecevabilité, un petit nombre étant référées aux institutions concernées, a-t-elle indiqué. Le Médiateur doit se prononcer dans les six mois suivant le dépôt de la plainte, a-t-elle ajouté. Cette jeune institution a entrepris un travail de sensibilisation en direction de la population avec l'assistance de l'Union européenne et des Nations Unies, a poursuivi la délégation, assurant que la Turquie a à cœur de tirer parti de l'expérience de ses partenaires européens.

L'institution nationale des droits de l'homme reçoit également des plaintes, a ajouté la délégation. Elle dépend du Premier ministre et peut réaliser des enquêtes ex officio, alors que le Médiateur ne peut intervenir que lorsqu'il est saisi d'une plainte. L'institution nationale des droits de l'homme effectue notamment des visites dans les lieux de privation de liberté, a souligné la délégation.

La Turquie est membre fondateur du Conseil de l'Europe et coopère avec la Cour européenne des droits de l'homme. Le nombre de plaintes relatives à la Turquie a été réduit de moitié ces dernières années, a par ailleurs fait observer la délégation.


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