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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE LA TUNISIE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport périodique présenté par la Tunisie sur les mesures qu'elle a prises pour mettre en œuvre la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, M. Kamel Jendoubi, Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’homme de la Tunisie, a rappelé que les principales dispositions de la Convention avaient été transposées dans le Code de procédure pénale en 1999. Quant au Protocole facultatif à la Convention, il a été ratifié par la Tunisie en 2011, a-t-il rappelé, soulignant que la Tunisie avait également ratifié en 2011 le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. La Constitution adoptée en janvier 2014 garantit le respect des droits et libertés fondamentaux, a poursuivi le Ministre. Il a par ailleurs indiqué qu’une instance nationale pour la prévention de la torture était en cours de mise en place, qui aura des compétences importantes en matière de visite des lieux de détention.

Face à la menace terroriste, la Tunisie restera déterminée à protéger et promouvoir les droits de l’homme, a par ailleurs assuré M. Jendoubi. L’an dernier, a-t-il en outre indiqué, une instance chargée de la mise en œuvre des recommandations des organes conventionnels a été créée. Le Ministre a ensuite souligné que ce rapport, qui date de 2010, avait été élaboré avant la révolution et actualisé en 2014, après le renversement du régime. Dans la période précédente, la torture était utilisée pour faire taire les Tunisiens – tous les Tunisiens –, a poursuivi M. Jendoubi. Bien que la Convention ait été ratifiée par la Tunisie en 1988, ce système a sévi, le régime n’ayant pas la volonté de s’attaquer à la pratique de la torture, a-t-il insisté. La Tunisie a donc un passif, un passif très lourd, a reconnu M. Jendoubi. Des textes encadrant la liberté d’association, la liberté de former des partis et les médias ont ensuite été adoptés en 2011 sous la forme de décrets-lois, a-t-il fait valoir. Il a donc fallu attendre la nouvelle Constitution de 2014 pour voir une institutionnalisation véritable des droits et libertés, a rappelé le Ministre. Mais libérer la parole ne suffit pas, a reconnu M. Jendoubi. Le pays doit se libérer de pratiques profondément ancrées, ce qui passe par la réforme de l’État, a-t-il souligné. Cela exige de la volonté – elle existe, a-t-il assuré – et aussi du temps et des moyens.

La délégation tunisienne était également composée, entre autres, du Représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations Unies à Genève, M. Walid Doudech, ainsi que de représentants du Ministère des affaires étrangères; du Ministère de la justice; du Ministère de l’intérieur; du Ministère de la santé; du Ministère des finances; ainsi que de la Commission nationale chargée de la préparation, de la coordination et de la présentation des rapports des droits de l'homme.

La délégation a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de la définition de la torture; du Conseil supérieur de la magistrature; de la compétence de la justice militaire; de la garde à vue; de la définition du terrorisme; du projet de loi visant à l’élimination de la discrimination et de la violence à l’égard des femmes; de la surpopulation carcérale et des décès suspects en prison; ou encore de l’accueil et du traitement des migrants.

La corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Tunisie, Mme Essadia Belmir, a salué les efforts louables déployés par la Tunisie, constatant une véritable volonté des autorités de faire évoluer les choses au bénéfice de la population. Elle a toutefois relevé un certain nombre d’insuffisances en ce qui concerne la définition de la torture. Elle a également soulevé la question de l’imprescriptibilité du crime de torture. Interrogeant la délégation sur les modalités et pratiques de la garde à vue, la corapporteuse s’est inquiétée d’informations qui font état de mauvais traitements, ainsi que d’aveux couramment extorqués par des mauvais traitements voire par la torture. Mme Belmir a ensuite déploré un flou de la législation s’agissant du terrorisme. Elle s’est aussi inquiétée du retard pris dans l’adoption d’une loi sur le droit d’asile. Elle a par ailleurs constaté que la Tunisie ne disposait pas d’un règlement précis concernant la détention de migrants sans papiers. Mme Belmir a indiqué que le Comité avait eu communication d’un nombre non négligeable de plaintes pour mauvais traitements et a cité nommément plusieurs cas de décès suspects, soulignant que les enquêtes restaient à mener. Elle a aussi cité des cas de représailles à la suite de dépôts de plaintes. La corapporteuse s’est enfin inquiétée d’une mainmise de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire et a relevé un problème de chevauchement entre juridictions civiles et militaires.

M. Kening Zhang, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Tunisie, a quant à lui relevé que certaines organisations non gouvernementales constataient que les cas de torture avaient tendance à être minimisés par les autorités tunisiennes. Il a par ailleurs noté des taux élevés de surpopulation carcérale et s’est inquiété d’un taux d’incarcération qui semble élevé, y compris pour des délits mineurs. En outre, les conditions de détention sont médiocres et il s’avère que des mineurs sont parfois détenus avec des adultes, a-t-il ajouté. Quant aux examens médicaux à l’entrée en prison, ils sont pratiqués avec retard, a-t-il fait observer. Selon des ONG, la police aurait couramment recours à la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, même si cela est moins fréquent que par le passé, a ajouté M. Zhang.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances privées, ses observations finales sur le rapport de la Tunisie et les rendra publiques à l’issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 13 mai prochain.

Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de l’Arabie saoudite avril (CAT/C/SAU/2).


Présentation du rapport de la Tunisie

Le Comité est saisi du rapport périodique de la Tunisie(CAT/C/TUN/3 et CAT/C/TUN/3/Add.1), ainsi que des réponses du pays à la liste de points à traiter que lui a adressée le Comité (CAT/C/TUN/Q/3).

M. KAMEL JENDOUBI, Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’homme de la Tunisie, a rappelé que son pays avait ratifié la Convention en 1988, les principales dispositions de cet instrument ayant été transposées dans le Code de procédure pénale en 1999. Quant au Protocole facultatif à la Convention, relatif à la création d’un Sous-Comité pour la prévention de la torture chargé d’effectuer des visites dans les lieux de détention, il a été ratifié par la Tunisie en 2011, a-t-il rappelé. La Tunisie a par ailleurs ratifié en 2011 le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, a-t-il notamment ajouté.
La Constitution adoptée en janvier 2014 garantit le respect des droits et libertés fondamentaux, y compris du droit à la vie, a poursuivi le Ministre. Il a par ailleurs rappelé que la Tunisie avait adressé des invitations aux procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Toutes les dispositions du droit interne tunisien ont été harmonisées avec les engagements internationaux de la Tunisie, a insisté M. Jendoubi. Un organe indépendant des droits de l’homme conforme aux Principes de Paris a été mis sur pied, tandis que le mois prochain, un texte de loi doit renforcer les droits et libertés fondamentaux, a-t-il indiqué. Une instance nationale pour la prévention de la torture, organisme indépendant composé de 16 membres, dont six représentants de la société civile, est en cours de mise en place, a d’autre part fait valoir le Ministre; cette autorité aura des compétences importantes en matière de visite des lieux de détention, a-t-il précisé.
Le Sous-comité pour la prévention de la torture a confirmé les progrès accomplis par la Tunisie, a d’autre part rappelé le Ministre. Cela ne signifie pas que tout soit parfait, a-t-il admis. Il faudra notamment œuvrer à changer certains comportements et veiller à ce qu’aucune immunité ne soit tolérée (face aux actes de torture), a-t-il précisé.

Face à la menace terroriste, la Tunisie restera déterminée à protéger et promouvoir les droits de l’homme, a par ailleurs assuré M. Jendoubi.

L’an dernier, a en outre indiqué le Ministre, une instance chargée de la mise en œuvre des recommandations des organes conventionnels a été créée.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

MME ESSADIA BELMIR, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Tunisie, a rappelé que la présentation du rapport de la Tunisie a subi un important retard qui s’explique par le changement de régime qu’a connu le pays ces dernières années. Elle a salué les efforts louables déployés par la Tunisie, constatant une véritable volonté des autorités de faire évoluer les choses au bénéfice de la population. Le pays a fourni un signal positif au monde, a-t-elle insisté. Si la perfection n’est pas de ce monde, l’effort est bien présent, a-t-elle affirmé, relevant que la déclaration du chef de la délégation illustre bien cette volonté d’aller de l’avant. Rappelant le rôle d’avant-garde joué par la Tunisie en matière de droits des femmes, elle a appelé le pays à préserver cet acquis.

Mme Belmir a toutefois relevé un certain nombre d’insuffisances en ce qui concerne la définition de la torture. Quant à la discrimination, elle ne prend en compte que le critère racial, a-t-elle ajouté. Elle a également soulevé la question de l’imprescriptibilité du crime de torture et s’est enquise des échéances des travaux de la commission chargée d’amender la législation pénale, souhaitant que soit précisé le contour de la réforme envisagée.

La corapporteuse a également souhaité obtenir un certain nombre de précisions, en particulier pour ce qui est de la durée de la garde à vue, de la détermination du moment où elle commence et des modalités de la présence d’un avocat. Elle a aussi souhaité avoir des précisions sur les modalités de prolongation de la garde à vue qui, théoriquement, relève de la décision d’un procureur mais qui semble, dans certains cas, être quasi automatique. Par ailleurs, si un médecin est certes censé examiner un suspect dès le début de sa garde à vue, se pose néanmoins un problème de manque de praticiens à cet effet, s’est inquiétée Mme Belmir. En outre, la famille n’est pas nécessairement informée du placement en garde à vue, a-t-elle déploré. Des informations font état de mauvais traitements, ainsi que d’aveux couramment extorqués par des mauvais traitements voire par la torture, a ajouté la corapporteuse.

Mme Belmir a ensuite déploré un flou de la législation s’agissant du terrorisme. Elle s’est aussi inquiétée du retard pris dans l’adoption d’une loi sur le droit d’asile, se demandant si cela s’expliquait par le fait que la Tunisie était entourée de pays en crise. Elle a par ailleurs constaté que la Tunisie ne disposait pas d’un règlement précis concernant la détention de migrants sans papiers.

Mme Belmir a indiqué que le Comité avait eu communication d’un nombre non négligeable de plaintes pour mauvais traitements et a cité nommément plusieurs cas de décès suspects, soulignant que les enquêtes restaient à mener. Elle a aussi cité des cas de représailles à la suite de dépôts de plaintes.

La corapporteuse s’est inquiétée d’une mainmise de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire. Elle a relevé un problème de chevauchement entre juridictions civiles et militaires et a souhaité en savoir davantage sur les textes et la pratique en la matière. Pour quelle raisons les juridictions civiles se désistent-elles au profit de juridictions militaires qui n’offrent pas toutes les garanties nécessaires, a demandé Mme Belmir?

M. KENING ZHANG, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Tunisie, a relevé que certaines organisations non gouvernementales constataient que les cas de torture avaient tendance à être minimisés par les autorités tunisiennes. Quelles sont les normes en matière d’usage de la force pour les fonctionnaires de police, a-t-il demandé, souhaitant savoir de quelles formations ceux-ci bénéficiaient? Il s’est également enquis de la formation des médecins chargés d’examiner les personnes gardées à vue.

Notant des taux élevés de surpopulation carcérale, le corapporteur a souhaité savoir si la Tunisie avait une politique visant à développer des alternatives à la détention. Le taux d’incarcération apparaît en effet élevé, y compris pour des délits mineurs, a-t-il insisté. En outre, les conditions de détention sont médiocres et il s’avère que des mineurs sont parfois détenus avec des adultes, a-t-il ajouté. Quant aux examens médicaux à l’entrée en prison, ils sont pratiqués avec retard, a-t-il fait observer. Les détenus n’ont pas accès à leur dossier médical et le juge n’a pas nécessairement connaissance d’éventuels mauvais traitements par la police qui pourraient être étayés par des certificats médicaux, a déploré le corapporteur. Les examens sont pratiqués fréquemment par des médecins qui dépendent du Ministère de l’intérieur, en présence de fonctionnaires de police, a-t-il insisté. Des ONG estiment par ailleurs que des incitations devaient être faites aux médecins pour qu’ils acceptent de travailler en prison, a-t-il indiqué. En outre, la durée de la détention préventive est abusive, a poursuivi le corapporteur.

Le corapporteur s’est par ailleurs félicité de l’ouverture d’un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à Tunis, ainsi que de la visite à Tunis en 2014 du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

On ne dispose guère de statistiques sur les décès en détention, a par ailleurs regretté M. Zhang, avant de citer nommément un certain nombre de cas de morts suspectes (en détention). Des informations font aussi état de décès faute de prise en charge médicale à temps, a-t-il souligné. Selon des ONG, la police aurait couramment recours à la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, même si cela est moins fréquent que par le passé, a-t-il ajouté. La délégation tunisienne peut-elle fournir des statistiques sur le nombre de plaintes ayant abouti à une enquête, a-t-il demandé? Il s’est enfin inquiété des menaces ayant visé des avocats afin de les dissuader de s’occuper de certaines affaires.

Un autre membre du Comité a demandé si une collaboration était envisagée entre le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la future instance nationale pour la prévention de la torture. La presse et des ONG, ainsi qu’un magistrat, ont fait état de morts suspectes en détention, a-t-il lui aussi souligné. Les vieilles méthodes répressives de l’ancien régime semblent être de retour, s’est inquiété cet expert, évoquant un risque de régression du pays au point où il était il y a cinq ans. L’expert a également fait part de son trouble face à un article de la législation pénale permettant une réduction de peine pour des faits de torture, y compris lorsqu’ils ont entraîné la mort, si leur auteur collabore avec la justice. Par ailleurs, il semble fréquent que l’isolement en détention, légalement limité à dix jours, outrepasse considérablement cette limite, a fait observer l’expert. Il s’est aussi inquiété du fait que l’espace vital dévolu à chaque prisonnier soit de 2,10 mètres carrés, alors que les normes recommandées sont de près du double. Il s’est en outre dit alarmé qu’il y ait, selon les statistiques officielles, un médecin pour mille prisonniers.

Un autre expert, qui a jugé impressionnant le chemin parcouru par la Tunisie, a néanmoins jugé alarmante la surpopulation carcérale dans ce pays. Pour remédier à cette situation, plus de quatre mille places de prison ont été programmées, a relevé cet expert, demandant à la délégation de faire le point sur l’état d’avancement des travaux en la matière. Une des raisons expliquant cette situation a trait au fort taux de détention préventive – laquelle, avec 58%, apparaît systémique. Cet expert a insisté sur le rôle essentiel de la justice pour réduire ce taux, plus particulièrement dans le cas de délits mineurs.

Un autre membre du Comité a rappelé l’extrême fragilité économique de la Tunisie, alors que le tourisme a été durement frappé par le terrorisme.

Une experte a regretté que la Tunisie n’ait pas répondu, à ce stade, à la question que lui adressée le Comité, dans sa liste de points à traiter en vue de l’examen du présent rapport, s’agissant de l’absence de réactivité des autorités face aux menaces extrémistes visant des artistes. Il en va de même pour ce qui est de la violence faite aux femmes, a fait observer cette experte, avant de déplorer le caractère extrêmement succinct de la réponse fournie à ce stade, la Tunisie se bornant à évoquer un chantier législatif en cours. Si le crime de viol est certes passible de très lourdes peines, l’auteur de ce crime peut échapper à toute sanction en épousant sa victime, a par ailleurs déploré l’experte. De même, la police semble encourager les victimes de violence domestique à régler le problème en famille plutôt qu’à porter plainte, a-t-elle fait observer, s’inquiétant également d’une inaction des juges. Elle a également souhaité savoir dans quelle mesure les juges transmettaient régulièrement au parquet des plaintes pour torture qui leur sont adressées. Combien de victimes ont demandé une indemnisation par voie judiciaire, administrative ou autre au cours des cinq dernières années, a-t-elle demandé? Quelle est la nature des violations alléguées? Quel est le nombre de victimes qui ont reçu une indemnité et quels ont été les montants accordés?

Un expert a souligné la nécessité pour les autorités d’affirmer haut et fort que la torture ne saurait plus être tolérée, afin d’envoyer un message clair à l’ensemble de la société. Les ONG doivent pouvoir avoir accès aux lieux de détention, a-t-il par ailleurs déclaré. S’agissant des morts suspectes en garde à vue, quelle est la procédure suivie et qui décide du caractère normal ou anormal de ces décès, a-t-il demandé? Un code de déontologie empêche-t-il les médecins de réaliser des examens forcés, tels que des touchers rectaux, a-t-il par ailleurs voulu savoir?

Une experte a souhaité avoir des précisions sur les modalités de prolongation de la garde à vue. Elle a souligné que de trop nombreux détenus attendaient indéfiniment leur jugement. Elle a affirmé avoir le sentiment que l’on ferme les yeux sur ces situations ainsi que sur les mauvais traitements en prison, ce qui décrédibilise complètement le système judiciaire.

Un membre du Comité a demandé s’il existait un texte de loi permettant aux victimes de torture ou à leurs proches d’obtenir des réparations.

Un autre expert s’est interrogé sur les limites mises à l’incarcération à l’isolement.

Une experte, qui a reconnu les grandes difficultés que pouvait traverser un pays en transition, a insisté sur la nécessité de faire changer les comportements. Il semble très difficile pour un détenu de porter plainte pour mauvais traitements et en tout état de cause, les plaintes qui sont déposées n’aboutissent pas, s’est-elle inquiétée.

Une experte a demandé s’il était envisagé d’abolir la pratique des tests de virginité ordonnés par la justice sur des femmes.

Un membre du Comité a demandé si un médecin pouvait refuser d’obéir à un juge demandant d’examiner un détenu contre son gré et s’il encourait alors des sanctions.

Réponses de la délégation

En préambule aux réponses devant être apportées par sa délégation aux questions posées par les membre du Comité, M. Jendoubi a souligné que le rapport couvrait une très longue période, le précédent remontant à 1998. Le présent document datant de 2010; il a été élaboré avant la révolution, et a été actualisé en 2014, après le renversement du régime, a-t-il précisé. Dans la période précédente, la torture était utilisée pour faire taire les Tunisiens – tous les Tunisiens –, a poursuivi le Ministre. Bien que la Convention ait été ratifiée par la Tunisie en 1988, ce système a sévi, le régime n’ayant pas la volonté de s’attaquer à la pratique de la torture, a-t-il insisté. Un texte réprimant la torture a bien été adopté en 1999, sans qu’il soit suivi d’effets, a-t-il ajouté. La Tunisie a donc un passif, un passif très lourd, a reconnu M. Jendoubi. Des textes encadrant la liberté d’association, la liberté de former des partis et les médias ont ensuite été adoptés en 2011 sous la forme de décrets-lois, a-t-il fait valoir. Il a donc fallu attendre la nouvelle Constitution de 2014 pour voir une institutionnalisation véritable des droits et libertés, a rappelé le Ministre.

Mais libérer la parole ne suffit pas, a reconnu M. Jendoubi. Le pays doit se libérer de pratiques profondément ancrées, ce qui passe par la réforme de l’État, a-t-il souligné. Cela exige de la volonté – elle existe, a-t-il assuré – et aussi du temps et des moyens.

Certains textes sont en contradiction avec la Loi fondamentale et un débat de société est engagé en Tunisie sur les droits et les libertés individuelles, a poursuivi le chef de la délégation tunisienne. Auparavant, le pouvoir exécutif en Tunisie était centralisé, «présidentialisé», la justice lui étant asservie, notamment par des lois liberticides, a rappelé M. Jendoubi. On savait alors d’où venaient les violations; on en connaissait les responsables, a-t-il ajouté. Depuis 2014, le pouvoir exécutif est «à deux têtes», avec un chef de l’État et une assemblée, élus tous deux au suffrage universel, a-t-il souligné. Face à eux, un pouvoir judiciaire indépendant est mis en place. Un quatrième pouvoir a par ailleurs été institué au niveau local. Des institutions indépendantes constitutionnelles ont été créées, dont une relative aux droits de l’homme, une autre à la réglementation des médias audiovisuels et une troisième à la lutte contre la corruption. Un processus de participation avec la société civile a été mis en route afin de garantir les droits fondamentaux, a complété le Ministre.

La question du terrorisme affecte directement le pays, alors que celui-ci est confronté à la question des ressources, a poursuivi M. Jendoubi. La Tunisie a besoin d’un soutien pour mettre en œuvre les réformes qu’elle a entreprises, a-t-il insisté. À cet égard, la coopération internationale, notamment avec les institutions onusiennes, s’avère indispensable, non pas pour leur complaire mais parce qu’il s’agit d’un choix souverain et déterminé du pays, a-t-il indiqué. Auparavant, on parlait des droits de l’homme pour vendre une image à l’extérieur; depuis la révolution, la question des droits de l’homme est au cœur de la Constitution, a ajouté le Ministre. En dépit de certains dysfonctionnements, en dépit même de violations, le choix fait par la Tunisie va dans le sens de l’histoire, de la poursuite d’une œuvre qui va demander de nombreuses années, compte tenu aussi de la rareté des ressources disponibles, a-t-il insisté. C’est un choix difficile qui est fait par les Tunisiens, dans un contexte international pas toujours favorable – et pas uniquement à cause du terrorisme –, a fait observer M. Jendoubi, soulignant le chemin original emprunté par son pays.

La définition de la torture figurant dans le Code pénal est incomplète par rapport à celle de la Convention, a ensuite reconnu la délégation.

Par le passé, le délai de prescription pour le crime de torture était de dix ans, a par ailleurs indiqué la délégation. Depuis 2013, un amendement apporté au Code de procédure pénale a rendu ce crime imprescriptible, a-t-elle fait valoir. La délégation a par ailleurs précisé qu’aucun échéancier n’avait été fixé à la durée des travaux de la commission chargée d’amender la législation pénale (Code pénal).

Un nouveau projet de loi organique réformant le Conseil supérieur de la magistrature a été élaboré après le rejet pour inconstitutionnalité du précédent projet, a ensuite indiqué la délégation. Ce nouveau projet est sur le point d’être examiné par la Commission des lois afin d’assurer que les problèmes d’inconstitutionnalité sont surmontés. Le Conseil supérieur de la magistrature garantira l’indépendance de l’autorité judiciaire et le bon fonctionnement de la justice, conformément aux dispositions de la Constitution et aux normes internationales, a précisé la délégation; il soutiendra donc l’indépendance des magistrats.

S’agissant de la compétence de la justice militaire, la délégation a expliqué que cette justice est saisie pour un certain nombre de cas concernant des membres des forces de sécurité; pour qu’elle soit saisie, il faut que la personne concernée ait agi dans l’exercice de ses fonctions, a précisé la délégation. Pour toute autre infraction, ce sont d’autres juridictions qui sont saisies, a-t-elle indiqué.

Les tribunaux militaires sont spécialisés sur les questions relevant uniquement de l’armée, a ensuite insisté la délégation. Depuis la révolution, des décrets ont amendé le code de procédure militaire, dans le sens d’un renforcement des garanties juridiques, a-t-elle fait valoir.

Dans la foulée de la révolution, certains articles du Code de procédure pénale ont été modifiés de manière à consacrer des garanties supplémentaires pendant la garde à vue, a d’autre part souligné la délégation. En vertu des modifications apportées, la durée de la garde à vue – qui était jusque-là fixée à trois jours – a été ramenée à deux jours. En outre, toute demande de renouvellement de la période de garde à vue fait également l’objet d’une consultation obligatoire avec le Procureur de la République, a ajouté la délégation, précisant que la garde à vue ne peut être renouvelée qu’une seule fois. Le renouvellement de la période de garde à vue, qui n’est donc pas systématique, est plutôt soumis au pouvoir discrétionnaire du ministère public et au contrôle de la magistrature. Le Procureur de la République ne peut recourir à cette mesure sans la justifier par écrit. Le renouvellement concerne uniquement les infractions graves et les cas de flagrant délit nécessitant notamment de procéder à des vérifications. La personne gardée à vue peut demander à voir un médecin et, si on lui refuse ce droit, il peut saisir le Procureur. Dans les affaires de terrorisme, la garde à vue est de cinq jours renouvelables deux fois, soit quinze jours au total, a précisé la délégation.

La délégation a déclaré que la loi ne définissait pas le terrorisme car il est impossible d’adopter une définition objective de ce phénomène; d’ailleurs, il n’existe pas de définition juridique du terrorisme internationalement agréée. En s’abstenant de définir le terrorisme, le législateur souhaite adopter une approche «réaliste»; l’objectif est de lutter contre les actes terroristes, de les ériger en infraction et de les punir. Il a défini l’auteur d’un crime terroriste comme étant quiconque agit afin «de diffuser la terreur parmi la population ou de contraindre indûment un État ou une organisation internationale à faire ce qu’il n’est pas tenu de faire ou à s'abstenir de faire ce qu’il est tenu de faire». Le législateur a défini les crimes terroristes en distinguant ceux qui entraînent la mort, ceux qui causent des blessures corporelles et ceux qui sont dirigés contre des personnes jouissant d’une protection internationale. Ces changements dans la manière d’aborder la question visent à mieux cerner les infractions terroristes et à mieux les combattre et les punir, a expliqué la délégation. Toute personne détenue pour terrorisme doit bénéficier des droits garantis à tout justiciable, la Tunisie suivant à cet égard les règles et directives internationales en la matière, a-t-elle ajouté.

Un comité d’experts juridiques est en train d’élaborer un nouveau projet de loi organique sur l’élimination de la discrimination et de la violence à l’égard des femmes, qui prévoit des peines plus sévères dans les cas où l’auteur de tels actes détient un pouvoir sur la victime. Ce projet de loi contiendra une définition plus détaillée des formes de violence fondée sur la discrimination et reconnaîtra pour la première fois la notion de viol conjugal. Ce projet de texte comportera quatre volets: la prévention, la protection, les poursuites (en justice) et la prise en charge. La délégation a précisé qu’était prévue dans ce cadre l’abolition du mariage de la victime d’un viol avec son agresseur. Au titre de la prise en charge (des femmes victimes de discriminations et de violences), sera confirmée la reconnaissance du statut de victime.

La surpopulation carcérale s’explique en partie par la destruction d’établissements pénitentiaire pendant la révolution, a poursuivi la délégation. Selon les statistiques les plus récentes, le nombre de détenus purgeant une peine est de 13 500, alors que 10 500 sont en détention préventive. Normalement, ces deux catégories de détenus devraient être séparées, compte tenu du fait que leur statut pénal est différent, a reconnu la délégation. Les mineurs, qui peuvent être incarcérés à partir de 13 ans, doivent être incarcérés dans des établissements séparés des adultes, a-t-elle souligné. La délégation a par ailleurs reconnu un manque de personnel médical dans les prisons. La rénovation des prisons a été entreprise, ce qui devrait permettre à terme de résoudre le problème de surpopulation carcérale, a fait valoir la délégation. Des alternatives à l’incarcération vont être développées, notamment par un usage plus fréquent du bracelet électronique, a-t-elle ajouté, avant de faire état d’un plan national contre la surpopulation carcérale.

Les décès suspects en prison font l’objet d’enquêtes judiciaires spécialisées, a d’autre part indiqué la délégation. Il est prévu que tous les médecins légistes soient dûment formés au Protocole d’Istanbul qui fournit un «Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements, cruels, inhumains ou dégradants», a-t-elle souligné. Par ailleurs, a été entrepris la rédaction d’un manuel sur le traitement des détenus avec l’aide de l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). La délégation a ensuite fourni des indications sur les cas individuels de morts suspectes ou de mauvais traitements en détention mentionnés par des membres du Comité et s’est engagée à apporter des réponses par écrit sur les cas pour lesquels elle ne disposait pas d’information. Dès après la révolution, le Ministère de l’intérieur a fermé tous les centres de détention au secret, a par ailleurs déclaré la délégation. L’instance de défense des droits de l’homme effectue des visites régulières dans les centres de détention et le Comité international de la Croix-Rouge a lui aussi visité certains d’entre eux, a-t-elle fait valoir.

La délégation a par ailleurs indiqué que la détention à l’isolement ne saurait dépasser les dix jours.

S’agissant de l’accueil et du traitement des migrants, la délégation a assuré que tout était fait pour garantir un retour sûr dans les pays d’origine. Les immigrants en situation irrégulière sont admis et hébergés provisoirement en centre d’accueil et d’orientation, en attendant que leur situation soit examinée. L’État tunisien assure les frais d’hébergement, de subsistance, de traitement, d’habillement et de loisirs des personnes accueillies. Il assure également la coordination avec les diverses instances et missions des États d’origine des immigrants, ainsi qu’avec quelques organisations non gouvernementales spécialisées, pour venir en aide aux personnes accueillies, dans l’objectif de les rapatrier dans les meilleures conditions possibles.
La Tunisie ne dispose pas encore de cadre juridique national régissant l’asile, a ensuite rappelé la délégation. Aussi, toutes les demandes et procédures d’asile sont-elles examinées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Le Gouvernement a élaboré un projet de loi sur l’asile qui prévoit la création d’un comité national chargé d’examiner les demandes d’asile. Ce projet est encore en cours d’examen, a précisé la délégation.

La cellule Droits de l’homme du Ministère de l’intérieur est une instance de recours, a par ailleurs indiqué la délégation.

Les victimes sont indemnisées par l’État suivant la gravité du crime et en tenant compte des moyens dont celui-ci dispose, a d’autre part indiqué la délégation. En matière de réparation, est également prévue la restitution des biens éventuellement confisqués et le rétablissement dans des fonctions professionnelles, a-t-elle précisé.

En fin de dialogue, M. Jendoubi a assuré que son pays poursuivrait ses efforts sur la base des acquis de la révolution. La transition démocratique vise à tourner le dos à un régime despotique qui avait fait de la peur et de la torture ses principaux outils sécuritaires, a-t-il souligné. Face aux bouleversements en cours dans la région, il est nécessaire de renforcer la confiance et le respect mutuel entre l’État et le citoyen, a-t-il poursuivi. Ces cinq dernières années, le pays a connu d’importantes mutations, avec l’instauration de la liberté d’expression, a-t-il rappelé. Les affaires publiques sont devenues véritablement celles du public et de tous les citoyens. La Tunisie a vécu un moment historique qui a pu entraîner certains abus rappelant des pratiques anciennes ; mais ceci appartient désormais au passé, a assuré le Ministre. La Tunisie, en tant qu’État et en tant que pays, est menacée par un grand danger, a-t-il souligné. Elle traverse une situation inédite face à cette menace qui entend s’en prendre à la démocratie, aux droits de l’homme et à l’avènement de la société civile, a insisté M. Jendoubi. Il a néanmoins fait part de sa conviction quant à l’irréversibilité du processus en cours dans son pays.



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CAT16/004F