Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE LA TURQUIE
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par la Turquie sur les mesures qu'elle a prises pour mettre en œuvre la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant ce rapport, M. Mehmet Ferden Çarikçi, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que son pays avait adopté une politique de tolérance zéro face à la torture dès 2003. Un ambitieux processus de réformes sur les droits de l’homme a été conduit dans le pays ces quinze dernières années, a-t-il ajouté. Les gouvernements qui se sont succédé dans cette période ont veillé à prendre des mesures concrètes afin de renforcer la démocratie et de promouvoir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales en consolidant l’état de droit et l’indépendance de la justice. Le premier pilier de ce processus a visé à revoir la législation pertinente afin de la rendre pleinement conforme aux obligations et aux engagements du pays en matière de droits de l’homme, a souligné M. Çarikçi. Ces cinq dernières années, a-t-il poursuivi, la réforme de la justice a visé à consolider son indépendance et son impartialité. L’accès à la justice a été facilitée et l’éventail des libertés élargi. Cela a impliqué des amendements substantiels au Code pénal, au Code de procédure pénale, à la législation antiterroriste et à la loi sur la presse, ce qui a eu un effet positif sur la politique de tolérance zéro envers la torture, a souligné le Représentant permanent. Dans le même temps, des mesures ont été prises, notamment en matière d’alternative à l’emprisonnement afin de remédier à la surpopulation carcérale, a-t-il précisé. La Turquie a ratifié le Protocole facultatif à la Convention, qui est entré en vigueur en 2011, a-t-il ajouté. La lutte contre violence envers les femmes et la violence domestique est une priorité de la Turquie, a par ailleurs souligné M. Çarikçi, rappelant qu’une loi entrée en vigueur en 2012 constitue le premier texte jamais adopté en Turquie à s’attaquer à la violence domestique.
M. Çarikçi a ensuite rappelé que la Turquie avait adopté une politique de «porte ouverte» en faveur des Syriens, ce qui explique que 2,7 millions d’entre eux soient actuellement présents sur le territoire turc. La Loi sur les étrangers et la protection internationale adoptée en 2013 a visé à combler le vide dû à l’absence, en Turquie, de toute loi sur l’asile, a-t-il rappelé, précisant que cette Loi vise à harmoniser la législation turque avec l’acquis européen sur la base de la Convention sur les réfugiés de 1951. Elle donne une base légale au principe de non-refoulement, qui était déjà respecté par la Turquie, a-t-il fait valoir.
La délégation turque était également composée de représentants des Ministères des affaires étrangères; de l’intérieur; de la justice; de la famille et des politiques sociales; de la défense nationale; et de la santé. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, des questions relatives aux migrations et à l’asile, en particulier pour ce qui est des réfugiés syriens, du respect du principe de non-refoulement, de l’accord signé le mois dernier avec l’Union européenne et des mineurs non accompagnés; de la récente visite en Turquie du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires; de la lutte antiterroriste; des modalités de la garde à vue; des conditions carcérales; et des mesures prises contre la violence faite aux femmes.
Le corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, M. Alessio Bruni, s’est inquiété que, selon des informations en provenance d’organisations non gouvernementales, la Loi de 2015 sur la sécurité intérieure permettait à des fonctionnaires de police de détenir jusqu’à 48 heures avant d’en informer le Procureur de la République des personnes impliquées dans des violences liées à des événements sociaux. Selon les mêmes sources, ce texte a permis de légitimer des lieux officieux de détention, a-t-il fait observer. M. Bruni a mentionné un certain nombre de cas, demandant où en était celui de M. Ahmet Koca, qui a saisi la justice en alléguant des faits de torture commis par des policiers; il a également mentionné le cas de Mme Fevziye Cenzig, qui a semble-t-il subi des mauvais traitements dans un poste de police d’Izmir en 2011. Le corapporteur a aussi cité des affaires relatives à des mauvais traitements de la part de la police à la suite de manifestations à Hopa, Ankara et Mardin en 2011. Il a également mentionné des allégations de torture et de sévices sexuels sur de nombreux mineurs à la prison de Pozanti, ainsi que sur cinq détenus à la prison de Tekirdag. M. Bruni s’est en outre inquiété de la surpopulation carcérale dans les prisons de Gaziantep et de Sanliurfa. Selon Amnesty International, la Turquie a entrepris récemment de placer en rétention et de renvoyer des réfugiés et des demandeurs d’asile, y compris syriens, dans des proportions inédites jusqu’ici. Human Rights Watch a pour sa part affirmé que des civils syriens fuyant Alep avaient été pris pour cibles par l’armée turque à la frontière, a ajouté M. Bruni.
Mme Felice Gaer, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, a notamment dénoncé le couvre-feu imposé à la population civile. Des informations font état d’assassinats extrajudiciaires, a-t-elle en outre souligné. Un grand nombre d’ONG signalent qu’il est courant que les défenseurs des droits de l'homme soient accusés d’appartenir à des organisations subversives, a-t-elle en outre relevé. Par ailleurs, il ne semble pas que des mesures aient été prises pour faciliter la visite des lieux de détention par des ONG spécialisées dans de telles visites; or, il n’est pas rare que des détenus soient victimes de torture ou de mauvais traitements, a déclaré la corapporteuse. Un nombre non négligeable de militaires sont victimes de sévices, parfois mortels, au sein des forces armées, a-t-elle ajouté. En outre, des informations font état de représailles contre les personnes qui portent plainte contre des fonctionnaires de police, a-t-elle relevé.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Turquie et les rendra publiques à l’issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 13 mai prochain.
Demain matin, à 10 heures, le Comité sera saisi du rapport du Sous-Comité pour la prévention de la torture, dont il auditionnera le Président; il achèvera dans l’après-midi l’examen du rapport des Philippines entamé ce matin.
Présentation du rapport de la Turquie
Le Comité est saisi du rapport périodique de la Turquie (CAT/C/TUR/4), établi sur la base de la liste de points à traiter que lui a adressée le Comité (CAT/C/TUR/Q/4).
M. MEHMET FERDEN ÇARIKÇI, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que son pays avait adopté une politique de tolérance zéro face à la torture dès 2003. Un ambitieux processus de réformes sur les droits de l’homme a été conduit dans le pays ces quinze dernières années, a-t-il ajouté. Les gouvernements qui se sont succédé dans cette période ont veillé à prendre des mesures concrètes afin de renforcer la démocratie et de promouvoir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales en consolidant l’état de droit et l’indépendance de la justice. Le premier pilier de ce processus a visé à revoir la législation pertinente afin de la rendre pleinement conforme aux obligations et aux engagements du pays en matière de droits de l’homme.
Ces cinq dernières années, a poursuivi M. Çarikçi, la réforme de la justice a visé à consolider son indépendance et son impartialité. L’accès à la justice a été facilitée et l’éventail des libertés élargi. Cela a impliqué des amendements substantiels au Code pénal, au Code de procédure pénale, à la législation antiterroriste et à la loi sur la presse, ce qui a eu un effet positif sur la politique de tolérance zéro envers la torture, a souligné le Représentant permanent. Dans le même temps, des mesures ont été prises, notamment en matière d’alternative à l’emprisonnement afin de remédier à la surpopulation carcérale, a-t-il précisé. La Turquie a ratifié le Protocole facultatif à la Convention, qui est entré en vigueur en 2011, a-t-il ajouté. En outre, un département spécialisé dans les droits des victimes a été créé au sein du Ministère de la justice.
Plusieurs mécanismes ont été créés, en particulier celui permettant depuis 2012 le dépôt de plaintes individuelles auprès de la Cour constitutionnelle, a d’autre part fait valoir M. Çarikçi, avant de rappeler que l’institution nationale des droits de l’homme de la Turquie avait été créée en 2012. Cette dernière joue un rôle préventif dans le cadre du respect du Protocole facultatif; à ce titre, elle effectue des visites dans les lieux de détention et émet des recommandations aux autorités compétentes. En outre, l’institution du Médiateur a été mise sur pied en 2013, contribuant à la promotion et à la protection des droits de l’homme dans la sphère de l’administration publique. Le Médiateur, qui a aussi la latitude de visiter les prisons, a ainsi effectué près d’une douzaine de visites de lieux de détention en 2015-2016. Enfin, une commission de surveillance du respect de la loi est chargée d’examiner et d’enquêter sur les allégations de mauvais traitements de la part de fonctionnaires, a indiqué le Représentant permanent de la Turquie. Un projet de loi visant à établir un système de plainte plus efficace est en discussion au Parlement, a-t-il précisé.
Afin de mettre en pratique le nouveau cadre juridique et institutionnel, une attention est portée à la formation permanente de la part des ministères de la justice et de la santé, ainsi que de la police et de la gendarmerie. Les droits de l’homme sont ainsi une matière obligatoire de l’Académie de police et des écoles de gendarmerie. Les juges, procureurs et autres responsables de l’application de la loi en bénéficient aussi à Ankara et en région. Des formations sont aussi fournies aux personnels pénitentiaires, particulièrement en ce qui concerne les droits des détenus. Des circulaires sont également publiées sur ces questions par les ministères de la justice et de l’intérieur.
Les institutions pénitentiaires sont régulièrement inspectées par des mécanismes administratifs, judiciaires, par des ONG et par des délégations parlementaires et internationales, y compris des représentants du Conseil de l’Europe et des Nations Unies, notamment les rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme, a par ailleurs rappelé M. Çarikçi. Il existe en outre 144 conseils de surveillance des prisons et des centres de détention et 145 juges d’application des peines qui travaillent en toute indépendance. Tous les établissements sont surveillés par la Commission des droits de l’homme du Parlement, a ajouté le Représentant permanent.
La lutte contre violence envers les femmes et la violence domestique est une priorité de la Turquie, le pays maintenant une coopération étroite avec les organisations internationales qui œuvrent dans ce domaine, a poursuivi M. Çarikçi. Une loi entrée en vigueur en 2012 constitue le premier texte jamais adopté en Turquie à s’attaquer à la violence domestique; elle s’accompagne de plans d’action dont le prochain couvrira la période 2016-2019.
Le Représentant permanent a ensuite évoqué le phénomène croissant de la migration, qui constitue un défi pour les États parties. La Turquie a une longue histoire d’accueil d’individus aux religions, langues et ethnies les plus diverses qui ont dû fuir leurs terres ancestrales, a-t-il rappelé. Il a souligné que la Turquie avait adopté une politique de «porte ouverte» en faveur des Syriens, ce qui explique que 2,7 millions d’entre eux soient actuellement présents sur le territoire turc. En outre, quelque 300 000 réfugiés, principalement originaires d’Iraq, ont trouvé refuge en Turquie. Environ, 270 000 Syriens sont hébergés dans 26 camps, les autres bénéficiant aussi du régime de protection en leur faveur, notamment en matière de soins de santé et d’éducation, a précisé M. Çarikçi.
La Loi sur les étrangers et la protection internationale adoptée en 2013 a visé à combler le vide dû à l’absence, en Turquie, de toute loi sur l’asile, a poursuivi le Représentant permanent. Cette Loi vise à harmoniser la législation turque avec l’acquis européen sur la base de la Convention sur les réfugiés de 1951, a-t-il précisé. Elle donne une base légale au principe de non-refoulement, qui était déjà respecté par la Turquie, a-t-il fait valoir.
La Turquie accueillera le premier Sommet humanitaire mondial à Istanbul le mois prochain, a rappelé M. Çarikçi. Il devrait s’agir d’un événement exceptionnel pour renforcer l’approche multisectorielle face aux défis critiques qu’affronte le monde actuel, a-t-il indiqué. Par ailleurs, la Turquie a rejoint récemment le Groupe d’amis de l’Initiative pour la Convention contre la torture, rejoignant ainsi le Danemark, le Chili, le Ghana, l’Indonésie et le Maroc dans la promotion de cet important instrument international, a fait valoir le Représentant permanent.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. ALESSIO BRUNI , corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, s’est inquiété que, selon des informations en provenance d’organisations non gouvernementales, la Loi de 2015 sur la sécurité intérieure permettait à des fonctionnaires de police de détenir jusqu’à 48 heures avant d’en informer le Procureur de la République des personnes impliquées dans des violences liées à des événements sociaux. Selon les mêmes sources, ce texte a permis de légitimer des lieux officieux de détention, a-t-il fait observer.
M. Bruni a mentionné un certain nombre de cas, demandant où en était celui de M. Ahmet Koca, qui a saisi la justice en alléguant des faits de torture commis par des policiers – une affaire qui date de 2012 et qui est remontée jusqu’à la Cour de cassation. Le corapporteur a également mentionné le cas de Mme Fevziye Cenzig, qui a semble-t-il subi des mauvais traitements dans un poste de police d’Izmir en 2011; deux policiers ont été condamnés à une peine de prison mais l’affaire est désormais en appel sur la question de l’acquittement des frais de justice. Le corapporteur a aussi cité des affaires relatives à des mauvais traitements de la part de la police à la suite de manifestations à Hopa, Ankara et Mardin en 2011. Il a également mentionné des allégations de torture et de sévices sexuels sur de nombreux mineurs à la prison de Pozanti, ainsi que sur cinq détenus à la prison de Tekirdag, où les conditions d’incarcération ont été mises en cause par l’ONG Association des droits de l’homme.
M. Bruni a ensuite déploré le peu d’informations fournies concernant les activités de l’institution nationale des droits de l’homme. Depuis la rédaction du rapport, il semble qu’elle ait été remplacée par une «institution de l’égalité et des droits de l’homme » dont les membres sont principalement choisis par le Gouvernement ou le chef de l’État, a-t-il relevé. Notant le lien étroit que cette institution entretient avec l’exécutif, le rapporteur s’est interrogé sur le rôle de mécanisme national de prévention qu’elle pouvait jouer alors que le Protocole facultatif insiste sur l’indispensable indépendance dont ce type de mécanisme doit jouir. M. Bruni s’est enquis des modalités de visite des lieux de détention par l’institution de l’égalité et des droits de l’homme, demandant notamment si les prisons militaires lui étaient aussi ouvertes.
Le rapporteur a ensuite abordé la question de la détention à l’isolement en tant que mesure disciplinaire, souhaitant en connaître la durée dans les prisons militaires, alors qu’elle est d’une durée de vingt jours dans les pénitenciers ordinaires. Il a attiré l’attention sur le fait que l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté, en décembre dernier, une résolution (A/RES/70/175) recommandant de ne pas imposer de détention à l’isolement pendant plus de 15 jours. La Turquie entend-elle adhérer à ces recommandations?
M. Bruni s’est par ailleurs enquis des délais de détention (en garde à vue) avant présentation à un juge et de l’éventuelle possibilité de prolonger ces délais – et pour combien de temps au maximum – dans le cadre de l’état d’urgence, de la loi martiale ou en temps de guerre. Qu’en est-il pour les affaires de terrorisme, a-t-il également demandé? Il s’est par ailleurs inquiété du placement sous surveillance électronique permanente des personnes suspectées de terrorisme en détention.
Abordant la question de la surpopulation carcérale, le corapporteur s’est enquis des mesures prises pour y remédier, en dehors de la construction ou de l’agrandissement d’établissements. Il a souligné que dans les prisons de Gaziantep et de Sanliurfa, dans le sud-est du pays, la surpopulation atteignait des records. Le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe a eu des informations sur des cas de mauvais traitements, a-t-il ajouté, avant de s’enquérir des résultats des enquêtes ouvertes à ce sujet.
La Turquie envisage-t-elle de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, a par ailleurs demandé le corapporteur?
Face au flot actuel de migrants et de réfugiés, M. Bruni a souhaité savoir si la Turquie avait mis en place un système permettant de repérer les personnes les plus vulnérables, les victimes de torture notamment, afin que des soins puissent leur être offerts. En cas de refus d’une demande d’asile, qui détermine que la personne renvoyée n’encourt pas de risques si elle est renvoyée dans son pays, a-t-il demandé? Selon Amnesty International, la Turquie a entrepris récemment de placer en rétention et de renvoyer des réfugiés et des demandeurs d’asile, y compris syriens, dans des proportions inédites jusqu’ici. Human Rights Watch a pour sa part affirmé que des civils syriens fuyant Alep avaient été pris pour cibles par l’armée turque à la frontière, a ajouté M. Bruni.
MME FELICE GAER, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, s’est inquiétée d’un recours excessif à la force à l’encontre des civils dans le cadre d’opérations menées dans le sud-est du pays, selon des informations émanant – notamment – de l’organisation Human Rights Watch. Elle a cité le cas d’un jeune homme auquel auraient été refusés des soins à Cizre après qu’il eut été maltraité en raison de son appartenance présumé à un groupe affilié au PKK – le Parti des travailleurs du Kurdistan. Elle a souhaité savoir si des enquêtes avaient été ouvertes par les autorités sur des faits apparaissant en contradiction avec la Convention. La corapporteuse a également dénoncé le couvre-feu imposé à la population civile, le jugeant excessivement sévère et soulignant qu’il entrave l’approvisionnement pendant des périodes pouvant aller jusqu’à une semaine, sans compter que les populations touchées se voient ainsi également empêchées de consulter un médecin ou de se rendre à l’hôpital.
Des informations font état d’assassinats extrajudiciaires d’individus ne présentant pas un danger immédiat, a poursuivi Mme Gaer, citant plusieurs cas dont celui de deux femmes – l’une avec un bébé – prises pour cible par des tireurs d’élite. La délégation dispose-t-elle d’informations sur ces allégations d’exécutions extrajudiciaires qui auraient fait des dizaines de victimes et sur les mesures prises par les autorités en matière de lutte contre l’impunité, a-t-elle demandé, avant de rappeler que la lutte contre le terrorisme ne saurait se faire au détriment des droits de l’homme?
Un grand nombre d’ONG signalent qu’il est courant que les défenseurs des droits de l'homme soient accusés d’appartenir à des organisations subversives, a d’autre part fait observer la corapporteuse. La liste des personnes concernées est extrêmement longue, a-t-elle insisté, proposant à la délégation de la lui fournir; cette liste compte notamment une trentaine de journalistes, a-t-elle précisé. Évoquant l’attaque d’un journal par une trentaine de personnes, Mme Gaer a par ailleurs souhaité savoir si une enquête avait été ouverte sur ces faits. Elle a en outre rappelé l’assassinat du journaliste turc, arménien de souche, Hrant Dink.
Par ailleurs, il ne semble pas que des mesures aient été prises pour faciliter la visite des lieux de détention par des ONG spécialisées dans de telles visites; bien au contraire, a souligné Mme Gaer. Or, il n’est pas rare que des détenus soient victimes de torture ou de mauvais traitements, a-t-elle déclaré. Est-il envisager d’édicter une réglementation qui permettrait de telles visites, a-t-elle demandé? Des plaintes ont-elles été déposées auprès de l’instance de surveillance des prisons, a-t-elle demandé, avant d’affirmer que l’indépendance de cette instance est sujette à caution? Si le rapport mentionne certes des plaintes visant la police et les gardiens de prison, peu d’informations sont fournies quant aux suites qui y ont été données, a fait observer la corapporteuse. Il y a en effet une grande disparité entre le nombre d’enquêtes et le nombre de sanctions infligées, a-t-elle souligné. En outre, l’origine ethnique des plaignants ne fait pas l’objet d’un enregistrement, ce qui constitue un problème, a estimé Mme Gaer. Il semblerait que les fonctionnaires de police accusés de torture ou de mauvais traitement ne soient pas suspendus pendant la tenue de l’enquête, a-t-elle relevé.
Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires s’est rendu récemment en Turquie et a déploré un manque de volonté des autorités pour diligenter des enquêtes sérieuses, a d’autre part relevé la corapporteuse. En conséquence de quoi, il est très difficile de faire la lumière sur les cas de disparitions forcées, ce qui est particulièrement préoccupant, a-t-elle commenté. Elle a cité le cas des disparitions à Chypre depuis le conflit de 1974, qui a concerné aussi bien des Chypriotes grecs que des Chypriotes turcs. Le Gouvernement d’Ankara a-t-il tenté de faire la lumière à leur sujet, a-t-elle demandé?
S’agissant de la violence faite aux femmes, de la violence domestique et des crimes d’honneur, qui demeurent un problème sérieux en Turquie, Mme Gaer a souhaité avoir des statistiques sur les condamnations à l’encontre d’auteurs de tels actes. Un certain nombre de femmes censées bénéficier de mesures de protection ont été assassinées, s’est-elle en outre inquiétée. La corapporteuse a demandé si les agents chargés de leur protection avaient été sanctionnés et a souhaité avoir des précisions sur les refuges disponibles pour les femmes.
Un nombre non négligeable de militaires sont victimes de sévices, parfois mortels, au sein des forces armées, a poursuivi Mme Gaer. Elle a souhaité avoir des précisions sur ce qui est fait pour remédier à cette situation.
Des informations font état de représailles contre les personnes qui portent plainte contre des fonctionnaires de police, a par ailleurs indiqué la corapporteuse.
Par ailleurs, la répression des manifestations et les arrestations subséquentes donnent couramment lieu à des passages à tabac, y compris lorsque les personnes interpellées ont été maîtrisées, durant les transports dans les véhicules des forces de l’ordre, s’est inquiétée Mme Gaer.
La corapporteuse s’est enquise des mesures prises pour faciliter les soins en détention.
Enfin, Mme Gaer a abordé le cas d’Abdullah Öcalan, qui ne peut apparemment plus avoir de contacts avec sa famille. Elle a souhaité savoir si la délégation pouvait donner des indications sur sa condition à l’heure actuelle.
Un autre membre du Comité a déploré un manque de précision dans la définition de la torture figurant dans la législation turque. Le Code pénal ne tient pas compte du caractère intentionnel des actes commis, ni de la gravité de la souffrance infligée, a-t-il relevé. Il a demandé s’il était envisageable et envisagé d’y remédier afin de se conformer à la définition fournie par la Convention. La délégation dispose-t-elle de données fiables quant au nombre de décès en détention, s’agissant en particulier des suicides, a-t-il en outre demandé? Si de nombreuses plaintes sont déposées, on ne relève pas de poursuites, ni de sanctions systématiques, contre les responsables d’actes prohibés par la Convention, a-t-il par ailleurs relevé. S’agissant des migrants et de l’accord récemment conclu avec l’Union européenne, ce même expert a demandé quels moyens (humains, matériels et financiers) étaient mis en œuvre par la Turquie pour assurer un accueil décent des migrants et le traitement de leur éventuelle demande d’asile. Rappelant le principe de non-refoulement vers un pays où la personne encourt un risque de torture (article 3 de la Convention), l’expert s’est inquiété de la possibilité de renvoi vers des pays avec lesquels Ankara a conclu des accords de réadmission tels que l’Afghanistan, l’Iraq et le Soudan, qui ne sont pas des pays sûrs; la Turquie a semble-t-il renvoyé vers Kaboul des personnes qui s’estimaient menacées par les Taliban, a-t-il insisté.
Une experte a rappelé l’importance d’assurer l’accès des détenus à des soins, y compris psychiatriques, et s’est donc inquiétée du faible nombre de médecins disponibles dans les prisons. Les autorités prennent-elles des mesures pour que les prisons disposent de suffisamment de médecins, de psychiatres et d’infirmiers, a-t-elle demandé? Elle s’est par ailleurs inquiétée que certains détenus condamnés à vie soient maintenus à l’isolement pendant des mois voire des années.
Qu’en est-il des sanctions encourues en cas d’usage excessif de la force de la part des forces de l’ordre, a demandé un autre membre du Comité? Il s’est inquiété de l’usage fréquent de la violence contre des manifestants, citant le cas des protestations du parc de Gezi à Istanbul en 2013. Une experte a relevé que dans ce contexte, les mauvais traitements étaient d’ailleurs généralement plutôt pratiqués dans les véhicules de police que dans les commissariats ou en prison.
Un autre expert s’est félicité que la Turquie organise le prochain sommet humanitaire mondial. Il a reconnu que le pays se situait dans le voisinage d’un conflit majeur qui exerce une pression considérable sur lui. En outre, sur le plan interne, l’échec des négociations avec le PKK a entraîné une aggravation de la situation qui a eu un impact négatif sur les droits de l’homme – ce qui s’est surtout fait sentir depuis l’an dernier, a-t-il fait observer. Il s’est dit surpris qu’après deux ans d’existence seulement l’institution nationale des droits de l’homme ait été remplacée par une autre institution. Quant à la Loi sur la sécurité interne adoptée l’an dernier, elle accorde davantage de prérogatives à la police, ce qui mérite également des explications de la part de la délégation. Comment et sur quelle base législative est réglementé le couvre-feu dans le sud-est du pays, a notamment demandé cet expert? Il a par ailleurs souhaité savoir si la Turquie avait constaté une diminution du flux de demandeurs d’asile depuis la conclusion de l’accord avec l’Union européenne.
Relevant la «prolifération» des institutions et mécanismes chargés de la protection des droits de l’homme, un expert a fait observer que cela posait un problème d’harmonisation et d’efficacité, avec au bout du compte le risque de ne rien faire. Qui a autorité pour décréter l’état de guerre, a par ailleurs demandé cet expert? Il a ensuite rappelé que les lieux de privation de liberté ne devaient pas être des lieux de privation des droits. Il a souhaité avoir des éclaircissements sur la peine de prison à vie «aggravée» qui figure dans la législation turque, faisant observer que l’emprisonnement à perpétuité était déjà en soi une peine que l’on pouvait considérer comme «aggravée». Par ailleurs, la Turquie envisage-t-elle une nouvelle loi sur l’asile, compte tenu du fait qu’elle est devenue un pays d’accueil, a-t-il demandé?
Il y a en Turquie une problématique de l’usage excessif de la force: si des causes diverses peuvent l’expliquer, il n’en demeure pas moins que cette problématique soulève la question de la réponse apportées par les autorités face à ce phénomène, a pour sa part déclaré une experte. Cette même experte a noté un manque d’application de l’incrimination de torture par le pouvoir judiciaire qui privilégie systématiquement l’inculpation pour coups et blessures volontaires. Elle s’est en outre inquiétée d’une mainmise des procureurs sur les juges et d’une politisation du pouvoir judiciaire qui, de ce fait, ne bénéficie pas de la confiance de la population. «Vous êtes un bon client de la Cour européenne des droits de l’homme», a déclaré cette experte à l’intention de la délégation turque. L’impunité risque de perdurer tant que la justice tend à considérer que s’il y a bien des responsables, il n’y a guère de coupables, a-t-elle souligné. Elle a par ailleurs déploré l’inculpation de mineurs dès 12 ans, ainsi que l’utilisation de la justice militaire pour juger des civils.
Un expert a demandé ce que pouvait faire un médecin lorsqu’il décelait des traces de torture chez un détenu ou un patient. L’État a-t-il l’obligation de dédommager les victimes, a-t-il également voulu savoir?
Une experte a bien noté qu’aucun journaliste n’était censé être emprisonné pour ses activités, mais a rappelé que certains d’entre eux, ainsi que certains défenseurs des droits de l’homme, sont accusés d’appartenir à des organisations terroristes; le Comité ne croit pas que la diffusion d’informations mérite d’être considérée comme une infraction, même si le Gouvernement n’est pas d’accord avec leur contenu, a-t-elle souligné. Elle s’est par ailleurs inquiétée de l’absence d’enquêtes sur des allégations de mauvais traitements, notamment à l’encontre de plusieurs jeunes à Cizre, dans le sud-est du pays. La même experte est revenue sur le cas d’Abdullah Öcalan, le chef du PKK condamné à la prison à vie et dont la famille n’a plus aucune nouvelle et à propos duquel la délégation n’a pas apporté de réponse.
Une autre experte s’est étonné de l’utilisation de l’expression «dans une délai raisonnable» s’agissant de la présentation d’un prévenu à un juge.
Un autre membre du Comité a estimé que la loi turque faisait une confusion entre la gestion des flux migratoires et la protection des réfugiés. Il a estimé qu’il s’agissait d’une dérive à laquelle on assistait en Europe et a appelé la Turquie à élaborer une authentique loi sur l’asile.
Pour quelle raison la Turquie a-t-elle cessé d’être donateur au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, a-t-il en outre été demandé?
Réponses de la délégation
La délégation turque s’est félicité de l’attention portée à son pays, illustrée par la centaine de questions posées par les membre du Comité, et a cité un proverbe turc qui affirme que l’on ne jette des pierres qu’à l’arbre qui porte des fruits. La Turquie a une longue histoire de coexistence pacifique interethnique et de tolérance, a ensuite rappelé la délégation. L’institution du médiateur est ainsi l’une des plus anciennes de l’histoire: un équivalent du médiateur existait déjà du temps de l’empire ottoman, la Suède s’en étant d’ailleurs inspirée, ainsi qu’en témoigne la lettre d’un représentant de Stockholm au XVIIIème siècle à Istanbul. Dès la conquête de Constantinople en 1453, les Chrétiens se sont vu reconnaître le droit de continuer à pratiquer leur foi, a par ailleurs rappelé la délégation. Lorsque son insurrection a été écrasée par l’empire austro-hongrois après qu’il eut tenté de proclamer l’indépendance de la Hongrie, Kossuth a trouvé refuge en Anatolie avant de gagner ultérieurement les Etats-Unis, le Sultan refusant de le livrer aux vainqueurs, a-t-elle également rappelé. Il s’agit là de l’un des premiers exemples historiques de non-refoulement, a-t-elle affirmé. Aujourd’hui, la Turquie respecte les principes de l’Union européenne à l’adhésion de laquelle elle est candidate. Lorsque l’on voyage en Turquie, on remarque aussitôt le sens de l’hospitalité et de l’accueil de la population, a insisté la délégation. C’est dans ce contexte que les réfugiés syriens sont accueillis, la Turquie étant de ce point de vue un exemple à suivre pour le reste du monde, a-t-elle ajouté, avant de préciser qu’Ankara avait déjà dépensé plus de dix milliards de dollars en leur faveur. Au fond, il ne s’agit pas d’argent, mais d’«accueil», comme l’on dit en français, a ajouté le chef de la délégation turque, M. Çarikçi (qui s’exprimait autrement en anglais).
Le principe de non-refoulement est respecté par la Turquie, celle-ci ayant adopté cette règle absolue dans un texte de loi de 2014, a ensuite souligné la délégation. La Turquie adhère à ce principe, y compris dans les procédures d’extradition, a-t-elle insisté.
Les informations faisant état de tirs de l’armée turque contre des réfugiés syriens ou de renvois de demandeurs d’asile sont diffusées dans des pays qui érigent des barbelés à leurs frontières, a fait observer la délégation, rappelant que la Turquie était le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés dans le monde. Quel serait le sens d’expulser quelques centaines de réfugiés pour un pays qui en accueille 2,7 millions, a interrogé la délégation? Les réfugiés syriens bénéficient de soins de santé; ils scolarisent leurs enfants lorsque cela est possible et peuvent travailler depuis janvier dernier alors que le taux de chômage dépasse les 10% en Turquie (et près du double chez les jeunes), a-t-elle fait valoir. En outre, plus de 150 000 bébés syriens sont nés depuis l’arrivée de leurs mères dans le pays.
Près de 92 000 migrants ont été secourus en mer – plus de 65 000 depuis le début de l’année, a ajouté la délégation.
La délégation a par ailleurs assuré que les ressortissants soudanais et érythréens n’étaient en aucun cas renvoyés dans leur pays, même lorsqu’ils n’obtiennent pas le statut de réfugié.
La communauté internationale doit partager cette responsabilité, a poursuivi la délégation. L’accord signé le mois dernier avec l’Union européenne vise à empêcher les traversées clandestines et irrégulières en mer Égée et à ôter une source illicite de revenus aux passeurs, a-t-elle expliqué. Depuis la signature de cet accord, le nombre de traversées a été réduit à seulement quelques dizaines, alors qu’il approchait les 7000 par jour en octobre dernier, a-t-elle indiqué. Les critiques sont faciles de la part de ceux qui devraient se demander ce qu’ils font eux-mêmes pour trouver une solution, a souligné la délégation, avant de rappeler la nécessité de traiter aussi les racines de la migration.
S’agissant des autres étrangers, la législation respecte le droit international, allant même au-delà des normes européennes, a ensuite déclaré la délégation. La Turquie déploie tous les efforts possibles pour protéger ceux qui en ont besoin, a-t-elle assuré. Les personnes dont la demande d’asile est rejetée peuvent intenter un recours auprès d’un tribunal, a-t-elle fait valoir, avant de rappeler qu’elles peuvent rester dans le pays tant qu’une décision n’a pas été rendue. Les mineurs non accompagnés entrant en Turquie relèvent de la loi de protection de l’enfance et sont pris en charge par le Ministère des affaires sociales et placés dans des foyers d’accueil, a en outre indiqué la délégation. Leur scolarisation, tout comme celle des jeunes Syriens, se fait dans la mesure du possible en arabe et s’accompagne d’un enseignement de la langue turque, a-t-elle précisé.
La délégation a rappelé que 48 pays seulement sur les 193 États membres des Nations Unies avaient adhéré à la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ce qu’elle a jugé lamentable. Elle a fait observer que huit des dix experts du Comité étaient ressortissants de pays non adhérents. Même si ceux-ci sont indépendants, cela est plutôt inquiétant, a-t-elle estimé. Elle a rappelé que le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme des migrants, M. François Crépeau, estimait que le seul moyen de résoudre la crise migratoire était de faciliter les mouvements des travailleurs et non pas de chercher vainement à les entraver.
La délégation a ensuite indiqué que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, qui a effectué une visite en Turquie le mois dernier à l’invitation d’Ankara, avait pu rencontrer des proches de personnes disparues. Les autorités ont pu faire valoir que ces dernières années, les plaintes pour disparitions relatives à des questions politiques sont en forte baisse. La Turquie a entrepris d’accéder à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, a ajouté la délégation. Quant aux allégations de disparitions de migrants transitant par la Turquie, soulevées par certaines ONG, la délégation a expliqué que les autorités sont confrontées à un manque d’éléments avérés à ce sujet; le Groupe de travail n’a d’ailleurs pas évoqué la question lors de sa visite, a-t-elle fait observer.
S’agissant plus spécifiquement du cas de Chypre, le problème des personnes disparues concerne tant les Chypriotes grecs que les Chypriotes turcs, a poursuivi la délégation. Un Comité des personnes disparues, une instance tripartite sous les auspices des Nations Unies a été créé en 1981 afin de faire la lumière sur tous les cas depuis 1963, a-t-elle rappelé. Des exhumations ont eu lieu ces dernières années: sur quelque 2000 cas, 1113 corps ont été exhumés de différents sites dans l’île, a indiqué la délégation, précisant que près de 500 Chypriotes grecs disparus sur 1500 ont été identifiés et 150 Chypriotes turcs sur 500.
S’agissant de la lutte antiterroriste, la délégation a rappelé que le processus de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan – le PKK – avait été interrompu. Cette organisation, considérée comme terroriste tant par les Etats-Unis que par l’Union européenne et l’Alliance atlantique, a prétendu créer une administration autonome dans certaines villes et a encouragé la jeunesse kurde à se soulever, a fait observer la délégation. Si cela se produisait à Genève ou à Bruxelles, est-ce que ce serait autorisé, a-t-elle demandé? Le PKK a détruit de nombreuses infrastructures, y compris des hôpitaux et des écoles; utilisé des enfants comme boucliers humains; et commis quantité d’actes barbares, a insisté la délégation. Face à cette situation, il est devenu impossible à la population de continuer à vivre normalement, ce qui explique les mesures sécuritaires prises, notamment des couvre-feux provisoires, qui ont visé à rétablir une situation normale, a-t-elle déclaré. Le couvre-feu n’empêche pas de s’approvisionner en vivres et en médicaments, de se rendre à l’hôpital ou de faire appel à la police, a assuré la délégation. La Cour européenne des droits de l’homme a débouté les demandes faites pour obliger la Turquie à lever immédiatement les couvre-feux dans l’attente d’une éventuelle décision sur le fond. Toute la question est de respecter un équilibre entre le maintien de l’ordre et le respect des droits fondamentaux, a souligné la délégation. La Turquie lutte contre le terrorisme sur la base de sa législation interne et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, a-t-elle insisté. Il s’agit de s’assurer que les organisations terroristes ne puissent utiliser les civils comme des boucliers, a-t-elle affirmé.
L’Institution de l’égalité et des droits de l’homme est indépendante, a d’autre part assuré la délégation.
La délégation a ensuite indiqué que toute personne interpellée subissait un examen médical au début et à la fin de sa garde à vue. Des caméras sont placées dans tous les lieux de détention, dont les commissariats de police qui sont au nombre de 2500 dans l’ensemble du pays, a-t-elle ajouté, avant de préciser que les images (sans son) sont enregistrées et conservées pendant un mois.
La loi prévoit que toute personne mise en cause doit être présentée à un juge dans un délai de 24 à 48 heures, ce délai étant porté à quatre jours dans le cas d’une infraction «collective» et excluant le temps requis pour déférer la personne devant le tribunal le plus proche du lieu d’arrestation, a ensuite indiqué la délégation. Toute personne interpellée doit être placée dans un centre de détention officiel dans les douze heures suivant son interpellation, a-t-elle ajouté. Ces périodes pourront être prolongées en cas d’état d’urgence, dans le cadre de la loi martiale ou en temps de guerre, a-t-elle rappelé. La Turquie est attachée au respect des droits de l’homme malgré le fait qu’elle soit prise pour cible par des organisations terroristes, a ajouté la délégation.
Toute allégation de mauvais traitements fait l’objet d’une enquête, a par ailleurs assuré la délégation. Ainsi, l’an dernier, quelque 66 membres des forces de l’ordre ont été sanctionnés, dont quatre ont été limogés, a-t-elle indiqué. Une personne est décédée en garde à vue en 2014; deux en 2015; et une depuis le début de cette année, a précisé la délégation.
Par ailleurs, des programmes avec des travailleurs sociaux ont été mis en place afin de diminuer le nombre de suicides (en détention), neuf cas ayant été recensés depuis janvier, a indiqué la délégation. Il y a en moyenne un psychologue pour 150 prisonniers, a d’autre part indiqué la délégation. Les ONG sont habilitées à effectuer des visites en prison, a-t-elle en outre fait valoir. Aucun journaliste n’est emprisonné sur la base de ses activités professionnelles, a par ailleurs assuré la délégation. Les aménagement de peines et les alternatives à la détention visent à remédier à la surpopulation carcérale, 182 000 personnes étant actuellement en détention, a en outre indiqué la délégation.
La Turquie a une politique de tolérance zéro en matière de violence faite aux femmes, a poursuivi la délégation, précisant que le plan d’action national en la matière allait être reconduit sous peu pour la période 2016-2019. Toute ville de plus de 100 000 habitants doit disposer de foyers pour les femmes et les enfants, a souligné la délégation, précisant qu’il existe 137 foyers (d’accueil) dans 79 provinces qui offrent près de 3500 places. Un programme de lutte contre la violence domestique pour la période 2014-2016 a été financé par l’Union européenne avec un budget de dix millions d’euros, a d’autre part rappelé la délégation, avant de rappeler également qu’un numéro de téléphone d’urgence gratuit est accessible en permanence.
La Turquie a de fait augmenté son apport au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture et elle estime que ce Fonds conserve toute sa légitimité, a indiqué la délégation.
La délégation a par ailleurs indiqué que la Turquie avait accueilli l’an dernier des peshmergas kurdes pour leur permettre de se porter à la défense de la ville kurde syrienne de Kobané, démentant ainsi toute politique discriminatoire sur des bases ethniques ou confessionnelles.
L’affaire Hrant Dink a été rouverte le 22 avril à la suite de l’apparition de nouveaux éléments, a annoncé la délégation.
À l’issue de ce dialogue, le chef de la délégation turque, M. ÇARIKÇI, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, a déclaré que sa délégation estimait avoir été en mesure d’apporter des réponses à un nombre significatif de questions. Lors de cet échange, a-t-il ajouté, la délégation a toutefois dû répondre à des informations inexactes et à des allégations sans fondement relayées par des membres du Comité – qui se sont fait l’écho de diverses sources proférant des mensonges pour des motifs politiques. Se défendant de remettre en cause l’indépendance des membres du Comité, il a souligné que la question reste de déterminer dans quels cas le recours à la violence est légitime, en particulier alors que des zones civiles peuvent être le théâtre de conflits. Certains estiment que c’est la répression du fait de l’État qui est la source de la violence et que dès qu’un certain nombre de droits auront été reconnus la violence cessera d’elle-même, alors que l’on sait pertinemment que cela est faux, a expliqué le Représentant permanent. Il a déclaré que la Turquie continuerait de répondre aux défis présents en s’efforçant de dégager des solutions basées sur les normes et règles contemporaines des droits de l’homme, dans le respect de la lettre et de l’esprit de la Convention. La Turquie s’efforcera à l’avenir d’atteindre des normes encore plus élevées, a conclu M. Çarikçi.
CAT16006F