Fil d'Ariane
LE COMITÉ AUDITIONNE LA SOCIÉTÉ CIVILE AU SUJET DES RAPPORTS DE L'ESPAGNE ET DU RWANDA
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a entendu, ce matin, des intervenants de la société civile au sujet de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale en Espagne et au Rwanda – deux pays dont les rapports seront examinés cette semaine.
S'agissant de l'Espagne, l'attention a particulièrement été attirée sur la situation des personnes d'ascendance africaine dans ce pays et sur la politique d'octroi de la nationalité espagnole, jugée discriminatoire par certains. Ont également été évoquées les revendications des Apaches face au génocide des peuples autochtones commis par l'Espagne sur le continent américain à partir du XVe siècle.
Pour ce qui est du Rwanda, l'attention a été attirée sur la situation des Batwas – une minorité apparentée aux Pygmées forestiers de l'Afrique centrale – qui avaient été forcés, en 1973, de quitter les forêts qui constituaient leur milieu de vie naturel et n'ont jamais été indemnisés suite à la perte de leur mode traditionnel de vie et de subsistance.
Les interventions de la société civile s'agissant de ces deux pays ont été suivies d'échanges de vues avec les membres du Comité.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport périodique de l'Espagne (CERD/C/ESP/21-23).
Audition des organisations non gouvernementales
S'agissant de l'Espagne
L'Association des Afro-hispaniques a rappelé œuvrer depuis 2007 en Espagne à l'intégration dans ce pays des personnes d'ascendance africaine. L'Espagne a reçu entre 3 et 4 millions de migrants dans une période brève et marquée par une forte croissance économique; ses autorités ont pris des mesures d'intégration louables mais insuffisantes. L'Association exige de l'État espagnol qu'il adopte des politiques s'adressant à toutes les minorités et tenant compte de leurs besoins spécifiques. Les immigrants d'origine africaine sont confrontés à des obstacles insurmontables: ils doivent notamment vivre 10 ans en Espagne pour obtenir la nationalité de ce pays, contre deux ans pour les personnes originaires d'Amérique du Sud. L'Association a aussi lancé des initiatives visant à une meilleure reconnaissance officielle de la contribution des immigrants africains à la vie publique en Espagne. Malheureusement, ces démarches n'ont pas obtenu de succès. Les Afro-descendants regrettent que, malgré leurs demandes répétées depuis quatre ans, ils n'aient pas obtenu d'appui de la part de l'État espagnol pour les aider à organiser une conférence à l'occasion de la Décennie des personnes d'ascendance africaine. L'Association demande enfin que les manuels scolaires rendent compte du rôle de l'Espagne dans la traite esclavagiste.
L'association Apache-Ndé-Neé a indiqué s'efforcer en particulier de maintenir vivace la mémoire du génocide des peuples autochtones commis par l'Espagne sur le continent américain à partir du XVe siècle. Le Comité devrait soutenir le droit à l'autodétermination des Apaches et leur permettre d'obtenir des réparations pour les préjudices historiques subis aux mains de l'Espagne; il devrait demander à ce pays d'assumer publiquement et explicitement ses responsabilités morales et éthiques dans le colonialisme et l'esclavagisme.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi ces présentations, M. PASTOR ELIAS MURILLO MARTINEZ, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Espagne, a dit avoir constaté le désarroi dans lequel sont plongées nombre de personnes d'ascendance africaine nées en Espagne et appartenant donc à la deuxième génération. L'expert a demandé à l'Association des Afro-hispaniques d'indiquer quelles mesures d'intégration elle propose. Concernant les peuples autochtones, M. Murillo Martinez a demandé à l'organisation représentant des Apaches de préciser si elle avait pu nouer un dialogue avec les autorités espagnoles.
Une experte a demandé des précisions sur le contenu des politiques d'intégration en Espagne et a souhaité savoir dans quelle mesure elles tendent à faire abstraction des particularités culturelles des populations visées.
Un expert s'est enquis des conditions d'obtention de la nationalité espagnole et des durées de séjour obligatoire en Espagne à cette fin. Un autre expert a relevé que du fait de la politique de décentralisation appliquée par l'Espagne, la situation des immigrants est examinée selon une approche différente en fonction des régions. Un expert a voulu savoir si les «écoles-ghettos» réservées aux enfants de migrants avaient été fermées en Espagne.
Quelles mesures spéciales l'Espagne prend-elle ou envisage-t-elle de prendre en faveur des membres des communautés défavorisées, a-t-il également été demandé?
Une experte a souhaité savoir dans quelle mesure l'association Apache-Ndé-Neé représentait la nation apache de manière officielle. Les membres du Comité ont souhaité avoir des précisions sur le montant estimé des préjudices subis par les Apaches. Un expert a souhaité connaître la requête officielle des Apaches à l'égard du Gouvernement espagnol.
L'Association des Afro-hispaniques a fait observer que l'Espagne a une bonne connaissance de l'importance de ses populations rom et gitane, par exemple: il lui reste donc à faire le même travail s'agissant des personnes d'ascendance africaine, a-t-elle souligné. L'État espagnol devrait tenir compte de la perspective des personnes d'ascendance africaine dans l'élaboration de ses politiques d'intégration. Les personnes d'ascendance africaine en Espagne – qui sont au moins un demi-million, sinon davantage – devraient être représentées au sein du pouvoir et à la télévision, par exemple. L'État espagnol doit prendre beaucoup plus au sérieux la question de la participation des personnes d'ascendance africaine aux décisions qui les concernent.
L'Association a précisé que la politique migratoire espagnole s'applique de la même manière à l'ensemble des régions créées par le régime de décentralisation en Espagne. Dans la pratique, cette politique est peu favorable aux immigrés, à quelques nuances près selon la couleur politique des régions; le profilage racial et ethnique est une réalité en Espagne, a déclaré l'Association.
L'Association des Afro- hispaniques a souligné que l'Espagne, forte d'une certaine expérience dans le domaine des mesures spéciales d'intégration et des politiques d'action affirmative, pourrait lancer un programme de bourses pour étudiants appartenant à des minorités ethniques. L'Association a enfin reconnu que l'Espagne appliquait une politique efficace de protection bénéficiant à tous les jeunes enfants.
L'association Apache-Ndé-Neé a précisé que la nation apache n'existait plus en tant que telle, ayant en effet été détruite par le colonialisme. Elle a ensuite insisté sur la nécessité de mettre un terme à la discrimination au sein même des réserves et a souligné que son objectif premier est d'abord la restitution des terres sur le continent américain, afin de revenir à la situation d'avant 1493. L'association, qui n'a pas déposé officiellement de demande à l'Espagne, utilisera les organes conventionnels pour faire valoir ses revendications, a précisé son représentant.
S'agissant du Rwanda
La Youth Potters Development Organization a indiqué que les Batwas – minorité apparentée aux Pygmées forestiers de l'Afrique centrale – avaient été forcés, en 1973, de quitter les forêts qui constituaient leur milieu de vie naturel. Faute de mécanisme juridique et réglementaire, les Batwas n'ont pas été indemnisés suite à la perte de leur mode traditionnel de vie et de subsistance. Les Batwas subissent des discriminations au sein de la société rwandaise mais, contrairement aux membres d'autres minorités, ne bénéficient d'aucune mesure publique de soutien et d'accompagnement. Les Batwas sont quasiment absents des instances politiques rwandaises, sauf un siège au Sénat. Relativement peu éduqués, souffrant de discrimination dans le système scolaire et dans l'accès à la justice, les Batwas connaissent mal leurs droits et éprouvent donc des difficultés à les faire respecter. Les autorités rwandaises nient l'existence de cette minorité et n'ont appliqué aucune des recommandations à ce sujet faites par les différents organes des Nations Unies. Le Gouvernement devrait adopter une véritable politique de soutien aux Batwas et le Comité devrait lui demander quelles mesures il compte prendre à cet égard.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi cette présentation, MME AFIWA-KINDENA HOHOUETO, Rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Rwanda, s'est interrogée sur les conditions de l'expulsion des Batwas de leurs forêts traditionnelles et a voulu savoir pour quelles raisons précises les Batwas ne peuvent prétendre aux prestations réservées aux membres des minorités.
Une autre experte a vivement regretté qu'une société comme celle du Rwanda, qui a traversé de si dures épreuves, soit incapable de reconnaître les problèmes spécifiques auxquels les Batwas sont confrontés. L'expropriation des Batwas peut-elle s'expliquer par le fait qu'ils ne détiennent pas de titres fonciers sur leurs forêts ancestrales, a-t-il en outre été demandé? Un expert s'est interrogé sur les conditions sociales et économiques dans lesquelles les Batwas vivent actuellement et sur leurs revendications prioritaires face à l'État rwandais.
Une experte a voulu savoir si les problèmes mis en évidence par l'organisation non gouvernementale qui s'est exprimée au sujet du Rwanda étaient tous imputables au Gouvernement actuel ou si certains devaient être mis sur le compte du colonialisme belge puis allemand.
La Youth Potters Development Organization a précisé que les régimes de protection de la forêt mis en place après l'expulsion des Batwas ne prévoient aucune mesure de dédommagement, d'intégration ou d'accompagnement. Réduits à la mendicité, de nombreux Batwas n'ont pas accès aux prestations de l'assurance chômage, notamment. Cette situation entraîne de graves problèmes sociaux et familiaux au sein de la communauté et pose la question de la façon d'intégrer les Batwas en tant que tels au système protection sociale. Les Batwas demandent que leurs besoins et problèmes spécifiques soient considérés comme tels et non plus comme étant assimilables à ceux rencontrés par d'autres minorités au Rwanda. Ils réclament l'indemnisation ou la restitution de leurs terres, ainsi que l'octroi de droits fonciers.
Les revendications de base des Batwas tournent autour de la sécurité alimentaire et de l'accès au foncier, a insisté l'organisation. Elle a recommandé que le Rwanda reconnaissance l'existence des Batwas en tant que peuple autochtone et ratifie la Convention n°169 de l'Organisation internationale du Travail, relative aux peuples indigènes et tribaux. Elle a souligné que les Batwas n'ont pas été partie prenante aux conflits ethniques ayant secoué le Rwanda. Avant le génocide des Tutsis, on recensait 45 000 Batwas au Rwanda: ils ne sont plus aujourd'hui que 36 000 environ, selon des recherches officieuses réalisées par le Gouvernement, a indiqué l'ONG.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
CERD16003F